Pays et villes
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MENTON |
Mirbeau a fait plusieurs séjours à Menton, dont il appréciait vivement le climat doux, l’hiver, et l’environnement naturel. Arrivé à Menton début novembre 1888, il ne tarde pas à louer une maison fort à son goût, la Casa Carola, où il demeurera jusqu’à la fin mai 1889. C’est une villa située de l’autre côté du pont Saint-Louis, aujourd’hui italien, si l’on en croit le service du patrimoine de Menton, dont la directrice, Josiane Tricotti, précise qu’elle est connue sous le nom de villa Voronoff, d’après le nom d’un ancien propriétaire. À l’époque, elle appartenait à un certain Andrews, auteur d’un dictionnaire du dialecte mentonnais, que Mirbeau décrit comme un « charmant homme, américain, ancien tireur aux pigeons, ancien joueur, ancien fêtard, et qui fait les choses comme un homme à qui l’argent ne coûte guères ». Mirbeau décrit ainsi la Casa Carola dans une lettre à Paul Hervieu : « C’est dans la montagne, près du pont St-Louis, à deux pas de Crispi, une petit maison rose avec ses quatre terrasses étagées et garnies de roses, de pourpiers, de jasmins et d’héliotropes, tout cela fleuri et plein de parfums. En face la mer. À gauche la mer et les rochers rouges de Grimaldi ; à droite la mer, Menton, le Cap Martin ; et plus loin la Tête de chien, et plus loin encore les découpures de l’Estérel : une admirable féerie, illuminée du plus beau soleil. » Dans « Un joueur » (Le Figaro, 27 janvier 1889), Mirbeau évoque le quartier de Garavan où il habite, et qui « se peuple de jolies maisons » aux « façades blanches ou roses » et aux « toits de tuile rouge ». Et il y décrit, en impressionniste, l’inoubliable spectacle qu’on y a des hauteurs : « À gauche les rochers rouges de Grimaldi, blocs carrés, énormes murailles qui baignent dans la mer les mouvants reflets de leurs coulées sanglantes et de leurs écorchures de laque vive. Un pignon rose, en plein ciel, à pic sur le gouffre bleu, les domine : la douane italienne. Et l’œil sent, avec appréhension, avec terreur, les petits caps, les criques d’azur, les coteaux violets et pulvérulents, le long desquels serpente la route du mystère. [...] À droite, c’est le vieux Menton, avec ses escalades rapides de maisons tassées l’une sur l’autre, étrange et vivant grouillement de taches claires et de taches d’ombre, d’angles de soleil et de clochers bleus qui se décomposent sur le fond de velours opalin des montagnes. [...] Au-delà de la vieille ville, séparé d’elle par une large nappe d’eau brillante, le Cap Martin s’avance, fendant la mer de sa masse sombre qui s’amincit comme l’étrave d’un gigantesque navire. Puis la Tête de chien, accroupie dans le ciel, pareille à un formidable sphinx, la face tournée vers l’infini, étend son ombre sur Monte-Carlo, invisible, qui fume à sa base... » En avril 1889, Mirbeau annonce à Paul Hervieu « une triste nouvelle » : « Le Cap Martin va être démoli. Il est venu un Anglais qui a trouvé ce vieux promontoire admirable, si admirable qu'il va le raser de la base au sommet. Il explique ses projets dans une lettre adressée à L'Avenir de Menton : “Plus de ces antiques oliviers ! s'écrie-t-il, plus de ces pins mal venus et vétustes qui déshonorent ce cap !... Place à l'horticulture moderne !” Nous aurons des hôtels, et des villas, des pelouses avec des corbeilles de fleurs où des noms seront inscrits, des statues mythologiques, et des volières ! Il insiste sur les volières ! Tout le monde connaît ça ! c'est vivant ! Il rêve de la teindre de couleurs inconnues et casinotiques ; il voudrait aussi repeindre le ciel, dont la vulgarité l'écœure ; enfin, les Mentonnais sont dans la joie : “Ce n'est pas trop tôt, disent-ils, qu'on nous débarrasse de cette saleté-là !... Enfin, on va donc les foutre à bas, ces oliviers !” D'ailleurs ils n'avaient pas attendu la venue de l'Anglais pour cela. Partout, ils abattent ces vieux géants, et plantent de la vigne. Dans dix ans, l'olivier sera l'arbre le plus inconnu de la flore méditerranéenne. » Dans un article ironiquement intitulé « Embellissements » (Le Figaro, 28 avril 1889), Mirbeau déplore le projet de massacre écologique perpétré par cet Anglais qui veut « raser, niveler, peigner et encasinoter » le Cap Martin : « C'est un sentiment très humain, et les choses ne nous paraissent belles, elles n'ont de prix pour nous qu'autant que nous pouvons les mieux détruire. Le premier besoin de l'homme, c'est la destruction. » Mirbeau est retourné à Menton, fin mars 1890, après avoir mis la dernière main à Sébastien Roch. Mais cette fois il réside dans un hôtel de luxe situé sur le bord de mer, dans le quartier Garavan, l’Hôtel des Anglais, aujourd’hui détruit, qui appartenait alors à la famille Arbogast. La fille de ses hôtes, Yvonne Arbogast, sera une grande admiratrice de l’écrivain, qu’elle n’aura pourtant fait qu’entr’apercevoir lors de sa prime enfance (sur cette dame, voir l’article de Bernard Garreau dans les Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 245-262). C’est là que l’écrivain séjournera lors de ses quelques passages à Menton au cours des années suivantes, notamment en février 1904. P. M.
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