Oeuvres
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MEMOIRE POUR UN AVOCAT |
Mémoire pour un avocat est une longue nouvelle, parue en feuilleton dans Le Journal, du 30 septembre au 18 novembre 1894, et publiée en 2006 par les Éditions du Boucher, sous la forme d’un livre électronique. Elle a été préalablement recueillie en 1990 dans les Contes cruels, mais, par erreur, le mot Mémoires y était écrit au pluriel, comme s’il s’agissait de souvenirs autobiographiques, alors qu’il est question d’un mémoire (traduit par appunti en italien) destiné à permettre à un avocat de défendre son client dans une procédure de divorce. Lorsqu’il rédige Mémoire pour un avocat, Mirbeau se trouve alors au fond de l’abîme : depuis plus de trois ans, il traverse une interminable crise, où le sentiment lancinant de son impuissance littéraire, son profond dégoût de la politique menée pat les républicains au pouvoir et son habituel pessimisme existentiel se doublent d’une grave crise conjugale. Marié depuis plus de sept ans à une ancienne théâtreuse, Alice Regnault, plus souvent célébrée pour sa beauté que pour son talent, il a une claire conscience de gâcher sa vie et son talent à ses côtés, tout en se sentant incapable de briser le lien qui l’attache masochistement à elle. Après sa nouvelle intitulée ironiquement « Vers le bonheur », et publiée au lendemain même de son mariage (1887), et un article à la consternante et vengeresse gynécophobie, « Lilith » (1892), Mémoire pour un avocat constitue un nouvel exutoire à sa souffrance et un nouveau règlement de comptes avec son incompréhensive compagne. Mémoire pour un avocat est en effet le récit d'un asservissement conjugal : Mirbeau imagine un homme qui, marié par amour et plein d’illusions, est rapidement devenu l’esclave d’une femme qu’il s’est mis à détester et qu’il prend plaisir à mépriser, mais dont l’emprise sur lui est telle que toute révolte s’avère impossible. Il est difficile de ne pas y voir un acte d'accusation lancé par Mirbeau contre sa propre femme, en même temps qu'un mea culpa pour certaines de ses propres lâchetés, difficilement compréhensibles. Car, comme le narrateur, il a le sentiment d’avoir trop souvent cédé devant Alice : par masochisme peut-être, à cause, probablement aussi, de leur commun passé, très vraisemblablement encore à cause d’un indéracinable sentiment de culpabilité. Et c’est en avouant sa honte que, comme huit ans plus tôt dans Le Calvaire, il espère parvenir à se libérer du poids de ses fautes. Mais, par-delà les confessions indirectes qu’on est tenté de lire à travers la fiction, ce texte a bien une portée générale qui lui confère sa permanente actualité : le grand romancier, lucide arracheur de masques et féroce démystificateur, y exprime sa très pessimiste vision du monde et des hommes, qui lui inspire son « immense tristesse et [son] immense découragement », et y procède une nouvelle fois à une double démythification en règle de “l’amour” et du mariage monogamique, tous deux porteurs d’illusions dangereuses pour les individus et pour une organisation sociale pourrissante. P. M.
Bibliographie :Pierre Michel, « Autobiographie, vengeance et démythification », préface de Mémoire pour un avocat, loc. cit., 2006, pp. 3-15.
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