Pays et villes
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ROUMANIE |
Octave Mirbeau dans le contexte culturel roumain.
La réception d’Octave Mirbeau en Roumanie s’inscrit sous le signe de la francophilie déclarée de la culture roumaine. Par son prestige culturel, la France a toujours exercé une influence considérable sur la société roumaine. La culture roumaine reste tributaire de l’esprit français et cette relation se manifeste aussi au niveau des transferts culturels, par lesquels la richesse culturelle de la France est transmise en Roumanie en partie à l’aide des écrivains.
Une réception détournée ?
L’apparition des traductions et des adaptations de l’œuvre de Mirbeau en Roumanie correspond à trois grandes étapes historiques distinctes. Certaines traductions de ses nouvelles sont publiées avant la première guerre mondiale. Ainsi la traduction des Mémoires de mon ami figure dans un journal de 1899, à l’époque même où paraît en France l’original dans Le Journal. De même, on publie Însemnǎrile unei cameriste [“Notes d'une femme de chambre”], chez Editura Alcalay, dans la collection “Biblioteca pentru toti” [“La bibliothèque pour tous”], en 1930 dans la traduction de A. I. Ghica. Dans les saisons théâtrales 1904-1905 et 1911-1912, le Théâtre National de Bucarest présente la pièce Banii, traduction en roumain de la pièce d’Octave Mirbeau Les affaires sont les affaires. Ensuite l’année 1974 voit l’apparition du roman Un om ciudat [“Un homme bizarre”], la traduction roumaine de L’Abbé Jules. Les deux contes, Memoriile prietenului meu et Ion Sdreanta, représentent des fragments du feuilleton apparus en France, des essais de popularisation de l’écrivain français, qui ne sont en fin de compte que des épisodes isolés, sans continuation, même s’ils sont publiés par des revues appréciées par les critiques de l’époque. Il faut toutefois noter une initiative qui ne s’est malheureusement pas concrétisée, celle de la revue Rampa [1911] lui annonce sous le titre “Un événement littéraire”, son projet d’éditer en feuilleton, une série de romans parmi les chefs d’œuvre de la littérature universelle, parmi lesquels Mirbeau. En 1994, une maison d’édition peu représentative publie la traduction du roman Un Journal d’une femme de chambre sous le titre Jurnalul unei cameriste, dans la traduction de Nicolae Balta. Malheureusement, la publication du Jurnalul unei cameriste par une maison d’édition assez peu connue sur le marché, qui choisit des stratégies de marketing assez curieuses, fausse la redécouverte d’Octave Mirbeau à notre époque, en l’inscrivant dans le genre « eau de rose », entre autres, par la couverture douteuse choisie. Il paraît que de nos jours les malentendus se multiplient. En 2006, une revue de cuisine publie un article traitant de la cuisine roumaine au XIXe, mentionnant dans l’article intitulé « Negustori ambulanti de alimente III », sous la signature de Dinu Anghel, le témoignage d’Octave Mirbeau, « peintre et poète » sur la cuisine roumaine de l’époque, évoquée dans ses prétendus Amintiri [“Souvenirs”] [sic]. Par ailleurs, en 2007, la maison d’édition Princeps Edit. publie, dans la collection « Biblioteca de proza » [“La bibliothèque de prose”] Gradina Supliciilor [Le Jardin des Supplices] attribué à … Octave Mirbeaux…
Une personnalité protéiforme, une perception incomplète.
Les documents littéraires, peu nombreux, qui font référence à Mirbeau en parlent comme d’un romancier et dramaturge de facture réaliste et aux inflexions naturalistes [Dictionar al Literaturii Franceze, 1972]. Parmi les traits caractéristiques de son œuvre, on retient sa virulence contre la bourgeoisie de l’époque [Angela Ion, 1982], tout comme ses préoccupations artistiques et son soutien apporté à la peinture impressionniste. L’implication de Mirbeau dans l’affaire Dreyfus, du côté des intellectuels dreyfusards, est mentionnée pour souligner son engagement politique et social. On rappelle également ses rapports avec l’école naturaliste. Son activité de critique littéraire est mise en relief à propos d’Alfred Jarry et de son oeuvre Ubu roi, objet de l’appréciation d’Octave Mirbeau. Le nom de Mirbeau apparaît également dans des dictionnaires littéraires et des histoires de la littérature française, et même dans une très brève notice sur l’adaptation à l’écran du roman Le Journal d’une femme de chambre, parue en 2000. Dans les textes roumains qui le mentionnent, Mirbeau est situé dans le panorama de la littérature française, en relation avec Barbey d’Aurevilly, les frères Goncourt ou les naturalistes. Ses préoccupations pour la dramaturgie sont également recensées par la critique de spécialité, qui l’intègre toujours au chapitre “théâtre naturaliste”, à côté de Jules Renard et d’Émile Fabre. Par ailleurs sa personnalité de dramaturge est saisie dans le contexte théâtral de l’époque. La seule pièce retenue et discutée par la critique est Les affaires sont les affaires, traduite par H.G. Lecca sous le titre Banii [“L’argent”], mise en scène dans les saisons théâtrales 1904-1905 et 1911-1912, au Théâtre National de Bucarest. À l’en croire, le théâtre de Mirbeau est un théâtre à thèse : converti en analyste de l’organisation sociale de la France, le théâtre lui sert d’instrument pour dépeindre cette société et pour faire son réquisitoire [E.D.F, Adevarul, 1904]. Il est également associé à l’esthétique du Théâtre Libre d’Antoine. Elena Gorunescu retrace tout le parcours dramatique d’Octave Mirbeau dans son Dictionnaire de Théâtre français contemporain. Selon elle, les pièces de début de Mirbeau rappellent et condamnent l’injustice sociale (L’Épidémie, Vieux ménages), tandis que la pièce qui l’impose à l’attention du public, Les Mauvais bergers, créée au théâtre de la Renaissance en décembre 1897, constitue une tentative de théâtre social. Elle juge la dramaturgie de Mirbeau comme trop chargée de violence, de sévérité et de pessimisme. La première de Banii, au cours de la saison théâtrale 1904-1905, dans un climat de fervent nationalisme et de rejet des pièces françaises de l’élite intellectuelle, jouit d’un réel succès. Les chroniques théâtrales qui paraissent à cette époque, quoique partagées, gardent un ton laudatif. Les représentations de la saison théâtrale 1911-1912 ne réussissent pas à atteindre le niveau de la première, ni à susciter le même écho. Le contexte culturel de l’époque où on met en scène pour la première fois Les affaires sont les affaires, est celui d’une époque où le théâtre français domine les représentations théâtrales de Bucarest, mais où on assiste en même temps à un mouvement de revalorisation de la littérature nationale. C’est l’époque, après 1900, où on note la démarcation nous / les autres partout en Europe [Boia, 2002]. L’intérêt suscité par Mirbeau en Roumanie avant la première guerre mondiale est vite étouffé par les décennies de guerre et de censure communiste, puis par les années où le marché du livre met en valeur les livres de mauvaise qualité et, à cause du manque de professionnalisme, fausse la perception qu’on peut avoir de lui. Son œuvre est très mal connue en Roumanie et sa personnalité reste encore dans la pénombre pour bon nombre d’intellectuels roumains. L. S.
Bibliographie : Loredana Iovanov-Suditu, « La Réception de Mirbeau en Roumanie », Cahiers Octave Mirbeau, n°11, 2004, pp. 204-215. |