Pays et villes

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Terme
PERVENCHERES

Est-ce la consonance bucolique du nom de ce modeste chef-lieu du Perche ornais situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Rémalard qui enchantait Octave Mirbeau ? On peut le supposer puisqu’il fit de Pervenchères le village d’origine de l’infortuné Sébastien Roch, héros du roman éponyme, alors qu’aucune information parvenue jusqu’à nous ne permet de supposer qu’il y ait jamais fait lui-même une visite. Que le choix de ce nom ne soit qu’un effet de sa fantaisie apparaît de fait à l’évidence au travers de nombreux détails du roman qui montrent que son Pervenchères n’est qu’un avatar de Rémalard, son propre port d’attache pendant toute sa jeunesse.

Cette réalité saute aux yeux dès la troisième page du roman, quand l’auteur met en scène « M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères, petite ville du département de l’Orne », qui « osa concevoir l’orgueilleuse pensée d’envoyer chez les Jésuites de Vannes, son fils Sébastien qui venait d’avoir ses onze ans. » Le doute n’est plus permis quand on se souvient que la profession de quincaillier était celle de Pierre Épinette (1820–1874), quincaillier à Rémalard, qui envoya son fils (le futur Léo Trézenik) faire ce qu’on appelait ses humanités au collège Saint-François-Xavier à Vannes.

Ce collège n’était bien entendu pas inconnu d’Octave Mirbeau, puisqu’il y avait lui-même précédé le jeune Léon Épinette, qui était son cadet de sept ans. Quant au quincaillier « Joseph-Hippolyte Elphège Roch », Octave en fait dans son roman une espèce de Monsieur Prudhomme, prototype du bourgeois obtus, bouffi d’ambition et de suffisance. Cette image est de toute évidence associée dans l’esprit de l’auteur à celle de son modèle Pierre Épinette, et cela depuis belle lurette, puisqu’on trouve déjà sous sa plume le nommé « Épinette, quincaillier » chargé de ridicule dans une lettre envoyée de Rémalard le 20 octobre 1867 par Octave, à l’époque âgé de dix-neuf ans, à son ami Alfred Bansard des Bois. Le comte d’Andlau, hobereau du lieu, ayant qualifié, selon cette lettre, de « démonstration patriotique », une manifestation organisée avec un succès mitigé pour célébrer le cinquantième anniversaire de l’entrée du curé doyen de Rémalard dans la vie sacerdotale, « Épinette, quincaillier, écrit le jeune Octave, s’est empressé de confirmer ». Le trait n’est pas très appuyé, mais il contient en germe le portrait charge de « Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, quincaillier à Pervenchères », qui s’épanouira vingt-trois ans plus tard dans le roman, « gros et rond, soufflé de graisse rose », et rehaussé de « je ne sais quelle stupidité animale, tranquille, souveraine, qui s’élevait parfois jusqu’à la noblesse ».

S’il faut un autre argument pour confirmer que le Pervenchères du roman Sébastien Roch est bel et bien Rémalard, il suffit de se reporter au récit du départ de l’infortuné Sébastien pour Vannes. On y voit d’abord l’enfant accompagné de son père franchir sur un pont la rivière qui borde son village pour gagner la gare où il va prendre le train. Cela correspond tout à fait à la topographie du Rémalard de cette époque, puisque ses habitants devaient franchir l’Huisne sur un pont pour gagner la gare (aujourd’hui désaffectée).

Même s’il n’y a jamais mis les pieds, il est permis de se réjouir qu’Octave ait jeté son dévolu sur Pervenchères pour en faire la petite patrie de Sébastien Roch et des siens. Son nom est l’un des plus plaisants de la liste des quelque cent dix communes composant l’ancienne province du Perche. Et notre auteur n’aurait sans doute pas désavoué la légende que l’on dit être à l’origine de ce toponyme fleurant bon la nature printanière. Elle prétend qu’un maçon occupé sur place à la construction d’une chapelle vit un jour son travail ravagé par la foudre. Il jeta de rage ses outils dans un espace qui se couvrit ensuite d’un massif de pervenches.

La commune s’enorgueillit (et s’enorgueillissait sans aucun doute déjà du temps de Mirbeau…) de la présence, sur son territoire, du chêne dit de la Lambonnière. Il est maintenant vieux de quelque six cents ans, ce qui en fait l’arbre le plus ancien du Perche. Cela aussi aurait pu fournir, pourquoi pas ? la source d’une incidente dans Sébastien Roch comme on en trouve dans d’autres romans de notre auteur, qu’elles contribuent à ancrer dans leur terroir. Hélas ! Non, décidément, Octave ne devait pas connaître Pervenchères. Le nom seulement, sans doute, et il en a tiré parti, ce n’est déjà pas mal…   

M. C.

 

    

 


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