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SERBIE-CROATIE

La réception de Mirbeau en serbo-croate se présente sous plusieurs aspects : les traductions de ses oeuvres, les textes critiques, les comptes rendus de ses romans et ses pièces de théâtre dans la presse, les mentions de son nom dans les études littéraires, dans les histoires de la littérature française, dans les articles encyclopédiques et dans les cahiers de notes de certains auteurs serbo-croates. Pourtant, elle semble marquée par une contradiction. D'une part, on ne trouve pas beaucoup de données qui se rapportent à cet auteur et les critiques littéraires serbes et croates ne semblent pas disposés à examiner son oeuvre de façon approfondie. D'autre part, plusieurs de ses romans, de ses contes et de ses textes critiques sont traduits en serbo-croate et sa comédie Les affaires sont les affaires est jouée à Zagreb (le 30 octobre 1906), à Belgrade (le 14 décembre 1906), à Novi Sad (le 14 avril 1907) et à Sarajevo (le 10 mars 1926). Elle a été présentée et renouvelée plusieurs fois au cours de plus de quarante ans et ses représentations ont été suivies de plusieurs notes et comptes rendus dans la presse. Le nom de Mirbeau est mentionné dans la thèse de doctorat L'Influence du réalisme français dans le roman serbocroate, faite par l'historien de littérature Miloch Savkovitch, qui le classe parmi les romanciers et les nouvellistes français qui sont entrés dans la littérature serbo-croate tout à côté des écrivains célèbres (Hugo, Daudet, Zola, Balzac, Maupassant), en remarquant que leur nombre, supérieur à quatre-vingt-dix, dépasse celui des conteurs serbes et croates de la même époque. Le nom de Mirbeau figure dans toutes les encyclopédies en serbo-croate, où il est désigné comme un naturaliste qui décrit les personnages morbides et les enfances tristes et comme un critique qui soutient les impressionnistes et plaide pour les nouvelles tendances artistiques. Dans son article « Vue sur la littérature française d'aujourd'hui » (1902), le critique littéraire serbe de renom, Jovan Skerlić, mentionne Mirbeau comme un auteur qui a écrit « quelques ouvrages de valeur, en traitant le sujet éternel de l'homme enchaîné et ruiné par une femme et en faisant la satire amère et violente des hautes classes sociales ». 

La réception de Mirbeau en serbo-croate est assez intense dans la période qui s'inscrit entre 1887, année de la parution du compte rendu du Calvaire dans la revue croate Iskra [Étincelle] et les années vingt, qui sont marquées par les polémiques violentes autour de l'avant-garde. Dans cette période, où les littératures serbe et croate suivent les courants de la littérature européenne moderne, doublement marquée par le naturalisme en déclin et par les tendances antirationalistes, l'impressionnisme brutal de Mirbeau, qui condamne violemment la société contemporaine en s'opposant avec âpreté à toutes les valeurs traditionnelles et en allant jusqu'à défendre les idées anarchistes, n'est pas sans éveiller de l'intérêt. On voit paraître quelques textes critiques à son sujet dans la presse et les traductions de ses romans Le Journal d'une femme de chambre (Belgrade, 1904; Zagreb, 1920), Le Jardin des supplices (Belgrade, 1922) et Sébastien Roch (Zagreb, s. d.), de sa nouvelle Un homme sensible (Belgrade, s. d.), de ses récits et contes « Vers le bonheur » (1892), « Les eaux muettes » (1896), « Tatou » (1907), « Le Dernier voyage » (1921), « Les deux amis » (1907), « Le Portefeuille » (1908), « Le Petit gardeur de vaches » (1926), de son dialogue triste « Le Poitrinaire » (1891), ainsi que les traductions d'un de ses combats esthétiques intitulé « L'Art nouveau » (1902), de son article du Figaro sur Maurice Maeterlinck (1903) et d'un fragment des 21 jours d'un neurasthénique (1917).

Les articles de presse sur les oeuvres de Mirbeau et sur sa vie marquée par les combats et les scandales paraissent, pour la plupart, de son vivant. Plusieurs de ces écrits se rapportent à sa pièce Les affaires sont les affaires. Leurs auteurs considèrent pour la plupart que le sujet de la pièce n'est pas familier à un milieu serbe et mettent en relief les différences culturelles entre le milieu français et le milieu serbe. Dans son article critique « Aperçu du théâtre », publié dans la revue renommée, d'orientation traditionnelle, Srpski književni glasnik [Le Courrier littéraire serbe] après sa première de cette pièce au Théâtre national de Belgrade en 1907, avec le célèbre acteur Pera Dobrinović, qui tiendra le rôle de Lechat pendant plusieurs années, Milan Grol, critique littéraire et directeur de ce théâtre, exprime son rapport critique mêlé d'admiration, en remarquant que le drame français contemporain a remplacé le stéréotype adultère par le stéréotype argent et condamnant surtout le comportement de la fille de Lechat, qu’il considère comme inacceptable. Au contraire, Lazar Marković Mrgud, dans un article publié dans le journal Branik [Bastion], essaie plutôt d’expliquer ce comportement : dégoûtée par les méfaits de son père, par les taquineries de sa mère et par l'étroitesse de son milieu, elle cherche la tendresse et la liberté.

Les articles sur Mirbeau et ses romans en précèdent parfois les traductions, ce qui montre que la presse en Serbie et en Croatie suit avec intérêt les événements littéraires et culturels en France. D’autre part, les parutions de certains romans de Mirbeau en France sont immédiatement suivies de leurs comptes rendus, d'auteurs pour la plupart anonymes, dans les journaux et les revues serbes et croates. Après avoir souligné le caractère double de la réception du Jardin des supplices, salué avec enthousiasme par les uns comme une nouvelle manifestation de l’esprit français et comme une manière particulière de traiter les questions éthiques et critiqué par les autres comme une oeuvre qui ne cherche qu'à faire effet et sensation, l’auteur du compte rendu paru dans la revue Vienac (Zagreb, 1899) parle de la misogynie du personnage principal et finit par se ranger du côté des défenseurs de Mirbeau, pour conclure que celui-ci, après nous avoir révélé l’odeur du « jardin des supplices », nous encourage à cultiver « le jardin des vertus ».

L'attention des critiques et des journalistes serbes et croates a été attirée également par le comportement de Mirbeau, qui provoquait des conflits et des scandales (conflit avec Jules Claretie, scandale fait par son article « Le Comédien »), aussi bien que par sa mort, qui est suivie d’une nécrologie dans Beogradske novine [Le Journal de Belgrade], où l'auteur constate qu'"en tant que critique, il se distinguait dès le début par une spiritualité exceptionnelle, mais aussi par sa malignité, et que, dans Le Journal d'une femme de chambre, il a touché « la limite entre la littérature et la pornographie ». Un milieu patriarcal ne peut pas facilement accepter la sensualité que Mirbeau rattache à la satire sociale.

La seconde période de la réception de Mirbeau en serbo-croate, qui s'étend des années trente à nos jours, est plus longue, mais beaucoup plus pauvre que la première quand il s'agit du nombre de traductions et d'articles à son sujet : il semble que la presse cesse de s'intéresser à lui. Pourtant, il figure encore dans les encyclopédies et les histoires de la littérature française et le peu d'articles qui lui son consacrés sont beaucoup plus longs et beaucoup plus approfondis que ceux de la première période. De plus, il a eu un lecteur éminent dont l'intérêt pour lui est longtemps resté inconnu. C’est le prix Nobel Ivo Andrić, qui a lu, au cours des années trente, Le Jardin des supplices en version originale et qui a copié dans ses cahiers de notes quelques fragments de ce roman en y ajoutant ses courts commentaires.

Dans cette période, on souligne surtout l’aspect social de la critique mirbellienne, comme le montrent le long article sur lui dans L'histoire de la littérature de l'Europe occidentale de l'auteur russe P. S. Kohan, traduite en serbo-croate et publiée à Sarajevo (1958) ou la notice de la traductrice des deux éditions du Journal d'une femme de chambre qui paraissent à Zagreb en 1970 et 1972. Après avoir présenté Mirbeau comme « une des personnalités les plus originales de la belle époque en France » et Le Journal d'une femme de chambre comme une des dernières manifestations du naturalisme dans la littérature française, elle conclut que ce livre nous apprend dans quelle mesure les domestiques privés de droits peuvent être déshumanisés. Éveillé par le film que Louis Buñuel a réalisé d'après ce roman (1964), cet intérêt pour Mirbeau disparaît bientôt et le silence retombe sur cet auteur controverse. Il sera cependant encore une fois tiré de l'oubli grâce à trois articles de Pierre Michel, qui considèrent son oeuvre sous ses différents aspects: « Le Cas Octave Mirbeau - Du “prolétaire des lettres” à l'intellectuel » (La Revue de philologie, Belgrade, 1998), « Sartre et Mirbeau : de la nausée à l’engagement » (Jean-Paul Sartre en son temps et aujourd’hui, dir. Jelena Novaković, Belgrade, 2006) et « Octave Mirbeau est-il un moraliste ? » (La Revue de philologie, Belgrade, 2010). La dernière traduction d’une œuvre de Mirbeau est celle du Jardin des supplices (Belgrade, 2002), faite d’après une traduction anglaise.

                                                                                                                      J. N.

 

Bibliographie: Jelena Novaković, « La réception de Mirbeau en serbocroate », Cahiers Octave Mirbeau, no 8, 2001, pp. 418-432.

 


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