Pays et villes
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CEYLAN |
Bien que Mirbeau n’ait jamais mis les pieds à Ceylan, il a évoqué l’île à plusieurs reprises : en 1885 dans ses pseudo-Lettres de l’Inde du Gaulois, signées Nirvana ; en 1892 dans « Colonisons » (Le Journal 13 novembre 1892) ; en 1896 dans la fantaisie intitulée « Macrobiologie » (Le Journal, 16 février 1896) ; et en 1899 dans le chapitre VIII de la première partie du Jardin des supplices. C’est dans trois de ses Lettres de l’Inde que Mirbeau s’attarde le plus sur Ceylan, bien à l’abri de la mystification d’un reporter qui, en réalité, expédie ses articles depuis sa résidence normande du Rouvray (voir la notice Laigle). Il est alors de son devoir de “nègre” de mettre en forme littéraire les rapports de son ami François Deloncle (voir la notice) : aussi introduit-il le poétique et le pittoresque dans des descriptions qui doivent donner l’illusion du vécu et de l’observé tout en restant attrayantes. Ainsi l’arrivée en bateau donne-t-elle lieu à une « vision magique » : « L’horizon se crève sous un jet de lumière verte, et Ceylan, la reine des îles, mollement couchée sur le coussin mouvant de ses ondes, apparaît, radieuse, sous son manteau brodé de pierres précieuses. […] Rien de notre pauvre végétation ne saurait donner une idée de la magnificence de cette nature cinghalaise. Ce sont des couleurs nouvelles que nul de nos artistes n’a jamais entrevues ; il semble que des profondeurs de la mer, et sous le ciel embrasé, aient jailli des fusées de rubis, de saphirs, d’émeraudes, de topazes et d’aventurines, aux tons à la fois crus et fondus et d’une analyse indéfinissable. Des buées éclatantes traînent aux creux des vallons, des flocons lumineux flottent comme des écharpes, et le Pic d’Adam monte, tout blanc, dans le ciel, d’une blancheur de neige que le soleil irise. » Puis le faux reporter décrit le pittoresque de l’arrivée dans le port, où le bateau est « pris d’assaut » par les indigènes, et l’hôtel confortable, où il goûte au farniente, avant que d’aller interviewer Arabi Pacha, puis le bonze Sumangala, et de mettre dans leur bouche les propos souhaités par son commanditaire Deloncle. La lettre IV, datée du 5 février 1885, nous emmène à Kandy, « voyage inoubliable, à travers une plaine immense de palmiers, puis dans la montagne » : « De quelque coté que l’œil se repose, partout une verdure intense et profonde, un surnaturel assemblage de toutes les essences tropicales, une vie surabondante qui ne permet point d’apercevoir un bout de terre. Ici ce sont des coteaux entiers couverts de plantations de café […]. Là des champs de citronnelles, des bois de muscade, des layons de canneliers qu’entrecroisent et coupent le quinquina, l’indigo, le poivre, tandis que des fossés séparent la canne à sucre et le manioc. » Mais, hors la pagode contenant la Dent de Bouddha et devant laquelle a été assassiné « le dernier prince » Modéliar, la cité même de Kandy, sur laquelle planent de sinistres oiseaux de nuit dont les ululements sont « comme les plaintes des âmes errantes », se révèle bien décevante : « une ville déserte et morte », sur laquelle est braqué « un canon anglais ». Dans « Colonisons », article signé du pseudonyme de Jean Maure, Mirbeau veut surtout mettre en lumière les horreurs des conquêtes coloniales anglaises : « Je me rappelle l’étrange sensation de “honte historique”, que j’éprouvai, quand, à Candy, l’ancienne et morne capitale de l’île de Ceylan, je gravis les marches du temple, où les Anglais égorgèrent les petits princes Modéliars, que les légendes nous montrent si charmants et pareils à ces icônes japonaises, d’un art si merveilleux, d’une grâce si hiératiquement calme et pure, avec leurs mains jointes, et dans leur nimbe d’or. Je sentis qu’il s’était accompli là, sur ces marches sacrées, non encore lavées de ce sang par quatre-vingts ans de possession violente, quelque chose de plus horrible qu’un massacre humain, quelque chose de plus bêtement, de plus lâchement, de plus bassement sauvage : la destruction d’une précieuse, émouvante, innocente Beauté. […]Ah ! que la petite ville morte de Candy me sembla triste et poignante ce jour-là. Dans le soleil torride, un lourd silence planait, avec les vautours, sur elle. De noirs corors, fouillant les tas d’ordures matinales, défendaient les approches des rues. » Dans Le Jardin des supplices – dont la première mouture d’« En mission » paraît en feuilleton dans L’Écho de Paris en 1893 –, Ceylan, qui devait en principe être la destination finale du pseudo-embryologiste expédié en mission, n’est plus qu’une brève étape sur la route de la Chine, marquée au coin du grotesque et de la caricature. Le narrateur ne s’attarde pas dans des descriptions pittoresques, qui ne sont pas vraiment de la compétence de sa plume, et son évocation ne rend compte que de son ennui et de son indifférence : « Colombo me parut une ville assommante, ridicule, sans pittoresque et sans mystère. Moitié protestante, moitié bouddhiste, abrutie comme un bonze et renfrognée comme un pasteur. […] À Slave-Island, qui est le Bois de l’endroit, et à Pettah, qui en est le quartier Mouffetard, nous ne rencontrâmes que d’horribles Anglaises d’opérette, fagotées de costumes clairs, mi-hindous, mi-européens, du plus carnavalesque effet ; et des Cinghalaises, plus horribles encore que les Anglaises, vieilles à douze ans, ridées comme des pruneaux, tordues comme de séculaires ceps de vigne, effondrées comme des paillotes en ruine, avec des gencives en plaies saignantes, des lèvres brûlées par la noix d’arec et des dents couleur de vieille pipe… Je cherchai en vain les femmes voluptueuses, les négresses aux savantes pratiques d’amour, les petites dentellières si pimpantes, dont m’avait parlé ce menteur d’Eugène Mortain, avec des yeux si significativement égrillards… Et je plaignis de tout mon cœur les pauvres savants que l’on envoie ici, avec la problématique mission de conquérir le secret de la vie. » Rendant visite à un autre pseudo-savant, du nom d’Oscar Terwick, il signale, platement et pour mémoire, le « faubourg appelé Kolpetty et qui est, pour ainsi dire, le Passy de Colombo » : « Là, au milieu de jardins touffus, ornés de l’inévitable cocotier, dans des villas spacieuses et bizarres, habitent les riches commerçants et les notables fonctionnaires de la ville. » Voir aussi les notices Lettres de l’Inde, Colonisons et Bouddhisme. P. M.
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