Pays et villes
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TOULOUSE |
Métropole universitaire et industrielle du sud-ouest, située sur les bords de la Garonne et surnommée « la ville rose », Toulouse est la quatrième commune de France, peuplée de 440 000 habitants (860 000 dans l’agglomération). Elle n’en comptait que 150 000 en 1900 et a connu une croissance démographique très rapide. Au cours de l’affaire Dreyfus, Mirbeau s’est rendu à Toulouse, en compagnie de Francis de Pressensé, vice-président de la toute nouvelle Ligue des Droits de l’Homme, et du poète Pierre Quillard, pour y tenir un meeting dreyfusiste dans la salle du Pré Catelan, réservée à sa demande par le poète toulousain Marc Lafargue. Le 17 décembre 1898, il confie à Claude Monet que, « à Toulouse, la bataille sera chaude », parce que les nationalistes y sont en nombre et très motivés. De fait, explique Pierre Birnbaum, « des affiches menaçantes sont collées sur les murs de la ville, de couleur tricolore : placardées par la Ligue antisémitique, elles invitent la population à protester contre l’emprise des Juifs. On reproduit un violent article de La Libre parole contre Mirbeau. » Aussi la réunion se déroule-t-elle dans une ambiance extrêmement tendue : les orateurs sont physiquement menacés par les sbires nationalistes et antisémites du colonel Perrossier, protégés de fait par la flicaille, aux ordres du gouvernement de Charles Dupuy. Le 23 décembre, Le Télégramme de Toulouse précise : « Arrivés devant la porte du Pré Catelan, les révisionnistes sont protégés par la gendarmerie à cheval qui les entoure. C’est alors que se produit une manœuvre qui serait véritablement odieuse si elle était préméditée. Les gendarmes saisissent un à un tous les amis de Mrs. de Pressensé, Mirbeau et Quillard et les laissent sans défense aux mains des antisémites. » Le soir même, Mirbeau, Pressensé et Quillard adressent une lettre ouverte au président du Conseil, Charles Dupuy, qui paraît le 24 décembre dans L’Aurore. Ils y font le récit de la houleuse soirée et mettent en cause le gouvernement, jugé complice des factieux : « Depuis quelque temps, les bandes antisémites vociféraient du dehors leurs hurlements ordinaires de “Vive l’armée ! Mort aux Juifs !”, et des pierres tombaient sur le toit de la salle. Vos amis n’étaient pas loin. Ils envahirent bientôt la salle, où l’on n’accède que par un couloir étroit et long qui donne sur les allées Lafayette et qui débouche dans un jardin intérieur. Il eût été facile d’interdire l’accès du couloir à la meute des assassins. / Selon vos ordres, il en fut autrement : les assassins entrèrent, précédés d’une drapeau, et soufflant à pleine gueule dans un clairon national. Ils occupèrent, devant le commissaire de service et le commissaire central, les gradins du fond, qui avaient été laissés libres, toujours selon vos ordres, en vertu des seules combinaisons stratégiques où excellent les chefs actuels de l’armée et qui ont pour unique objet de massacrer sans péril de paisibles citoyens dans l’exercice de leur droit. / Au lieu de faire expulser les hordes – après avoir saisi ce prétexte pour dissoudre la réunion –, le commissaire de service les engageait du geste à faire l’assaut de la tribune. Mais la lâcheté naturelle des défenseurs de l’armée est telle que nous trois, résolus à continuer la réunion et à parler, nous avons pu traverser seuls les cinquante mètres de l’hémicycle et aller affronter les bêtes féroces qui se déclaraient disposées, non à discuter, mais à nous supprimer. […] Les gendarmes se ruèrent sur nous avec une férocité particulière, nous précipitèrent de la tribune, haute d’un mètre vingt, séparant Octave Mirbeau, arraché par le bras droit, de Pressensé, plus spécialement visé, et de Pierre Quillard qui put ne pas quitter le bras de Pressensé. Ce fut un écroulement dans les bancs et les chaises, on espérait nous briser bras et jambes ; et, tandis que, par fortune, Octave Mirbeau sortait, malgré les gendarmes, par une porte de derrière, Francis de Pressensé était jeté à travers la salle, de mains en mains, au milieu des projectiles, vers le jardin. Là les coups de canne portés par derrière brisèrent son lorgnon sur ses yeux, lui contusionnèrent le front, en même temps qu’ils lui enlevaient son chapeau pour mieux désigner sa tête presque blanche aux coups de vos assommeurs. Même scène dans les couloirs. […] Pendant ce temps, Mirbeau, à qui vos mouchards avaient fait croire que F. de Pressensé et P. Quillard étaient arrêtés, allait chez le commissaire de police les réclamer ou demander à être arrêté comme eux. Il lui fut répondu avec la goujaterie de style. Puis, pendant que vos gens allaient boire ou se coucher, nos amis, redevenus maîtres de la rue, venaient, en foule compacte, acclamer sous les fenêtres de l’Hôtel Tivolier ceux à qui vous aviez si habilement fermé la bouche. Mirbeau, seul rentré alors, leur lança du haut du balcon le cri qui demeurera le nôtre de “Vive la Révolution !” et ils se répandirent dans la ville en répétant ce cri que vous entendrez demain à Paris si vos provocations continuent. » Pour ne pas rester sur l’échec d’un meeting avorté, les dreyfusistes de Toulouse – « la totalité des groupes avancés de la grande démocratie toulousaine », comme dit Francis de Pressensé – demandèrent aux trois compagnons de retourner à Toulouse pour y tenir un nouveau meeting, le 14 janvier 1899. Ils acceptèrent « sans hésitation », parce que, comme l’écrira Pressensé dans L’Aurore du 15 janvier 1899, il « valait la peine de braver l’outrage, la calomnie, la menace, les lâches coups portés par derrière, les coups de revolver eux-mêmes, pour empêcher le supplice d’un innocent, le martyre d’un héros, le déshonneur du pays ». Mais le projet ne se concrétisa pas, faute de salle disponible : en effet, les propriétaires des salles du Pré Catelan et du Tivoli, pourtant retenues successivement et dûment payées, prirent peur face aux menaces de représailles du colonel Perrossier, qui annonça dans Le Messager de Toulouse du 10 janvier que les « patriotes » s’apprêtaient à donner une nouvelle leçon aux « commis-voyageurs de la trahison et de l’anarchie », qui ne sauraient échapper « à la correction qui leur est due ». P. M.
Bibliographie : Octave Mirbeau, « Le Guet-apens de Toulouse », L’Aurore, 24 décembre 1898.
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