Familles, amis et connaissances

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Terme
PICQUART, georges

 

PICQUART, Georges (1854-1914), est un des protagonistes majeurs de l’affaire Dreyfus (voir la notice) et a été souvent, à ce titre considéré comme un héros. Entré à Saint-Cyr en 1872, il a été nommé en 1890 à l’École supérieure de la guerre comme professeur de topographie, après avoir fait la campagne du Tonkin. Polyglotte et cultivé, il apparaissait comme un officier plein d’avenir quand il a succédé au colonel Sandherr, en juillet 1895, à la tête du service de statistiques (c’est-à-dire du contre-espionnage français). Lieutenant-colonel en 1896, il découvre à l’automne de cette année la culpabilité d’Esterhazy dans la trahison imputée à Alfred Dreyfus (voir la notice), mais reçoit l’ordre de se taire et, pour l’écarter, on l’envoie en mission en Tunisie. Quand l’affaire Dreyfus commence, en novembre 1897, il est victime de persécutions continues pour son engagement dans la lutte pour la vérité : il est arrêté une première fois le 13 janvier 1898, mis en réforme trois jours après le jugement de Zola, le 26 février 1898, « pour fautes graves dans le service »., c’est-à-dire pour avoir témoigné au procès de Zola, puis emprisonné une seconde fois, pour onze longs mois, le 13 juillet suivant, sur plainte du nouveau ministre de la guerre, Godefroy Cavaignac, dont il a démonté point par point, le 9 juillet, les prétendues preuves de la culpabilité de Dreyfus avancées le 7 juillet par Cavaignac. Il sera réintégré dans l’armée, avec le grade de général de brigade, le 13 juillet 1906, et deviendra ministre de la Guerre du gouvernement Clemenceau en octobre 1906. Il mourra des suites d’une chute de cheval à Amiens.

Mirbeau a manifesté une vive admiration pour cet officier pas du tout comme les autres, puisque honnête et cultivé et de surcroît prêt à engager sa liberté pour défendre des valeurs humanistes. En février 1899, dans sa préface à l’Hommage des artistes à Picquart, volume abondamment illustré dont il a pris l’initiative, Mirbeau écrit : « Voilà plus de six mois que le colonel Picquart est en prison. Il est en prison pour avoir refusé de s’associer à un crime, il est en prison pour avoir crié l’innocence d’un homme, condamné au pire des supplices ; il est en prison pour avoir voulu cette chose aujourd’hui proscrite de toute la vie : la justice. [...] Le colonel Picquart avait le choix, entre la plus belle carrière militaire qui se fût jamais ouverte devant un officier, et le cachot. On ne lui demandait que de se taire. Il a préféré parler et, de ce fait, il a choisi le cachot. [...] Comme on avait condamné Dreyfus, coupable d’être innocent, il savait qu’on condamnerait Picquart, doublement coupable d’une double innocence : celle de Dreyfus et la sienne. Il savait tout cela, et il a choisi le cachot. » Et de conclure : « Je dirai du colonel Picquart que c’est un homme. Dans les temps de déchéance et d’avilissement que nous traversons, être un homme, cela me paraît quelque chose de plus émouvant et de plus rare que d’être un héros... L’humanité meurt d’avoir des héros ; elle se vivifie d’avoir des hommes ».  Au cours de l’Affaire, il l’invite plusieurs fois à déjeuner et, quand l’officier est incarcéré à la prison du Cherche-Midi, il lui rend visite à quatre reprises au moins (le 22 août, le 27 novembre, le 7 décembre 1898, et fin janvier 1899). Néanmoins, après la libération de Dreyfus, gracié par Émile Loubet, les dreyfusards commencent à se diviser, parfois même à se déchirer, et les deux amis ne se retrouvent pas dans le même camp : alors que Mirbeau reste fidèle à Dreyfus, Picquart reproche à ce dernier d’avoir accepté sa grâce et le traite désormais avec beaucoup de mépris, refusant même de le recevoir.

P. M. 

 

            Bibliographie : voir la notice Affaire Dreyfus.


PIERSON, blanche

PIERSON, Blanche (1842-1919), actrice française. Née dans l’île de la Réunion, fille et nièce d’acteurs, elle est entrée très jeune dans la carrière théâtrale. Venue à Paris à l’âge de 14 ans, elle y a interprété, dans divers théâtres (Ambigu, Vaudeville, Gymnase), de nombreux rôles de jeune première dans des pièces de Labiche, Meilhac, Sardou, Gondinet et Dumas fils (elle brille toit particulièrement dans La Dame aux camélias, en 1872). Ayant beaucoup progressé à force de travail, elle est entrée à la Comédie-Française en 1884 et en est devenue sociétaire en 1886. Elle a été élue au comité de lecture en 1911.

C’est Blanche Pierson qui a incarné Mme Lechat dans Les affaires sont les affaires (1903), puis celui de la sadique Mlle Rambert, dans Le Foyer (1908). Elle a  donné pleine satisfaction à Mirbeau dans ces deux rôles et elle est devenue pour lui une excellente et fidèle amie, qui l’a notamment activement soutenu, contre Jules Claretie, pendant la bataille du Foyer. Mirbeau l’a introduite auprès de Claude Monet et emmenée en automobile visiter Giverny. Lors de la mort d’Alice Monet, en 1911, Blanche Pierson est passée par lui pour transmettre au peintre ses condoléances émues.

P. M.


PILON, edmond

PILON, Edmond (1874-1945), poète et critique d’obédience symboliste, auteur, en 1903, de la première plaquette consacrée à l’œuvre de Mirbeau. Il a collaboré à La Revue bleue, à La Revue et à La Plume et a publié les Poèmes de mes sous (1896) et La Maison d’exilé (1898). Par la suite, il a collaboré à L’Action française. On lui doit aussi un grand nombre d’éditions de classiques des XVIIe et XVIIIe siècles et des études sur Chardin, Greuze et Watteau.

Dans La Plume du 1er juin 1900, Edmond Pilon a reproché à Mirbeau de s’être gaussé de Francis Viélé-Griffin dans son article « Espoirs nègres », paru le 20 mai dans Le Journal. Le critique a répondu le 10 juin, dans un nouvel article du Journal intitulé ironiquement « Le Chef-d’œuvre », où il tourne en dérision La Chevauchée de Yeldis, de Viélé-Griffin, dont il s’était déjà moqué trois ans plus tôt dans une fantaisie signée du pseudonyme de Jean Salt (Le Journal, 2 février 1897). Après avoir abondamment cité des extraits du poème, il conclut en interpellant ironiquement son contradicteur : « Tel est ce chef-d’œuvre, tel est le chef-d’œuvre de M. Viélé-Griffin !... Eh bien, je le demande, en toute bonne foi, à M. Edmond Pilon, qu’est-ce que tout cela veut dire ?... Quelle est cette langue ? Est-ce du patois américain ? Est-ce du nègre ? Qu’est-ce que c’est ? Ah ! je voudrais le savoir ! » Apparemment sans rancune, Edmond Pilon, a rédigé peu après une étude sur Mirbeau, certes fort modeste par ses dimensions, et constituée pour une bonne part d’articles d’autres critiques, mais qui est la première publiée en volume. Il lui en a envoyé le tapuscrit le 22 mars 1903, en lui demandant un autographe pour le publier en fac-similé dans la plaquette.

P. M.

 

Bibliographie : Edmond Pilon, « Octave Mirbeau », La Critique internationale, mars 1903 ; Edmond Pilon, Octave Mirbeau, Bibliothèque Internationale d'Édition, collection « Les Célébrités d'aujourd'hui », 1903, 48 pages.

 

 

 


PISSARRO, camille

PISSARRO, Camille (1830-1903), peintre, dessinateur et graveur français. Né dans l’île de Saint-Thomas, il appartient à une famille de négociants juifs  d’origine portugaise  installée aux Antilles danoises. Renonçant au commerce, il arrive à Paris en 1855 pour se consacrer à la peinture. Il subit d’abord l’influence des paysages de Corot et de Chintreuil. À partir de 1857, à l’Académie Suisse, il se lie avec Monet, Renoir et Cézanne, tous plus jeunes que lui. Admis au Salon dès 1859, il y expose assez régulièrement jusqu’en 1870, ce qui ne l’empêche pas de participer aux réunions des futurs impressionnistes où il joue un rôle décisif de fédérateur et d’organisateur. Il est alors soutenu par le jeune Émile Zola. En 1870, il se réfugie à Londres, y découvre (avec Monet) Turner et Constable et y rencontre Durand-Ruel, qui commence à s’intéresser à lui. Dans les années 1870, sa peinture devient plus aérée et plus claire, sans perdre sa solidité structurelle (Les Toits rouges, 1877, Orsay). Il peint sur le motif à Pontoise, avec Guillaumin et surtout Cézanne, qu’il encourage et aide à rompre avec son romantisme tourmenté. En 1885, suivant l’exemple de son fils aîné Lucien, il adopte la technique pointilliste, mais s’en lasse vite. Après avoir longtemps privilégié les sujets rustiques, les humbles travaux des champs et des villages, il se tourne à la fin de sa vie vers des motifs urbains présentés en vue plongeante (ponts et quais de Rouen, ponts et rues de Paris). Figure majeure et respectée de l’impressionnisme, il est le seul artiste à avoir participé aux huit expositions du groupe. Si Gauguin, puis Seurat et Signac, purent exposer avec les impressionnistes, c’est grâce à lui. Il resta fidèle au credo impressionniste : peindre sur le motif selon ses sensations et refuser la tentation de se présenter au Salon. Dessinateur prolifique, Pissarro est par ailleurs un maître de l’estampe, domaine dans lequel il n’a cessé de chercher. Sous l’influence de Degas, il a commencé, à la fin des années 70, par des monotypes. À partir de 1894, il emploie la couleur dans des eaux-fortes qu’il tire lui-même. En 1896, Vollard expose ses gravures, moins japonisantes que celles de Cassatt.

Ce n’est qu’à partir de 1886 que Mirbeau se met à écrire sur Pissarro. C’est le moment où le patriarche de l’impressionnisme adopte le pointillisme, que l’écrivain n’apprécie guère. Dans son compte rendu de la 8e et dernière exposition des impressionnistes, Mirbeau passe sous silence ce changement de technique : « On a reproché à M. Pissarro d’imiter Millet. Rien n’est plus absurde. M. Pissarro n’imite rien que la nature, et il voit la nature d’un œil très particulier. […]. M. Pissarro est un artiste robuste et sain, pour lequel je professe une vive admiration » (Combats esthétiques, I, 278). L’année suivante, Mirbeau aborde le problème frontalement : « Le procédé m’importe peu si la réalisation est belle ; et pourvu que je ressente une émotion, je ne vais pas chicaner l’artiste sur les moyens qu’il emploie. En art, la grande affaire est d’émouvoir, que ce soit par des touches rondes ou carrées. » (Combats esthétiques, I, 334). Puis vint le temps de l’amitié entre le peintre et l’écrivain qui partagent le même idéal libertaire et fréquentent le cercle de Jean Grave.

Le rôle de Mirbeau fut particulièrement important au début des années 90, lorsque Pissarro dut se relancer, au sortir de sa période pointilliste. En janvier 91, il publie dans la revue de Durand-Ruel sa première étude sur Pissarro, défini comme le peintre de l’harmonie : « Et cette harmonie […] vient de ce qu’il a été l’un des premiers à comprendre et à innover ce grand fait de la peinture contemporaine : la lumière » (Combats esthétiques, I, 413). En 1892, à l’occasion de la vaste rétrospective de l’artiste chez Durand-Ruel, Mirbeau rédige un nouveau dithyrambe pour Le Figaro : « Cette exposition […] nous montre ce maître, qui fut un chercheur éternel, à toutes les époques de sa vie d’artiste. Elle nous est donc […] comme le résumé de l’histoire intellectuelle d’un des plus admirables peintres qui aient jamais été » (Combats esthétiques, I, 458). Pissarro séjourne aux Damps, en décembre 91 et en septembre 92, peignant quatre vues du jardin des Mirbeau. Leur amitié est alors à son apogée et ils échangent de nombreuses lettres remplies d’affection. Pissarro apprécie les articles de Mirbeau, aussi bien quand il défend les impressionnistes que quand il démolit les « peintres de l’âme » ou vitupère l’ordre social. Pour Mirbeau, Pissarro est non seulement un très grand peintre et un compagnon de lutte, mais également un « père idéal ». Il apprécie hautement la conception que se fait Pissarro du rôle social de l’artiste. Triste de voir méconnu le talent de son ami, « ce talent si clair, si éloquent et si noble » (Correspondance, p. 59), il use de ses relations pour venir en aide au peintre et à ses fils, tous artistes. Il présente ce curieux phalanstère artistique dans « Une famille d’artistes », article publié en 1897 à la mort de Félix Pissarro (Combats esthétiques, II, 206-209). Malheureusement, la grande amitié s’est brutalement brisée en 1893, d’une manière absurde. En 1903, à la mort du peintre, Mirbeau conseille sa veuve pour la vente d’un certain nombre de toiles. L’année suivante, il préface le catalogue de l’exposition rétrospective chez Durand-Ruel. Il s’agit d’un bilan plus nuancé que les textes antérieurs : « Plus qu’aucun peintre, il aura été le peintre, vrai, du sol, de notre sol. […] Je l’ai connu et je l’ai vénéré » (Combats esthétiques, II, 346-347).



C.L.

Bibliographie : Janine Bailly-Herzberg, Correspondance de Camille Pissarro, vol. I, 1865-1885,  Paris, Presses universitaires de France, 1980 ; vol. II, 1886-1890, vol. III, 1891-1894, et vol. IV, 1895-1898, Paris, Éditions du Valhermeil, 1986, 1988 et 1989 ; vol. 5, 1899-1903, Saint-Ouen-l’Aumône, Éditions du Valhermeil, 1991 ; Octave Mirbeau, Correspondance avec Camille Pissarro, édition établie, présentée et annotée par Pierre Michel et Jean-François Nivet, Tusson, Du Lérot,1990 ; Lola Bermúdez : « Mirbeau-Pissarro : “le beau fruit de la lumière” », Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 91-99 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tomes 1 et 2, édition établie et présentée par Pierre Michel et Jean-François Nivet, Paris, Séguier, 1993.

 

 

           


PISSARRO, félix

PISSARRO, Félix (1874-1897), quatrième enfant de Camille Pissarro. Peintre, il prendra le pseudonyme de Jean Roche. Élève de son père, il est considéré très tôt comme le plus doué de ses fils. Comme ses frères, il participe aux illustrations du Père Peinard. Très proche de son frère Georges, il décore avec lui la maison de Mirbeau à Carrières-sous-Poissy (cf. Correspondance avec Camille Pissarro, p. 149). En 1894, il expose rue Laffitte avec les néo-impressionnistes, en compagnie de ses frères Lucien et Georges. Mirbeau note dans L’Écho de Paris : « Nous sommes là, avec MM. Georges et Félix Pissarro, en présence de deux artistes exceptionnels. » Il envisage de leur consacrer une plus longue étude (qu’il ne fera pas) afin de « les présenter au public dans toute la signification de leur œuvre, qui s’annonce comme une des plus intéressantes, des plus passionnantes de ce temps » (Combats esthétiques, II, 51). En 1896, Bing expose ses boîtes décorées. Félix meurt prématurément en Angleterre. Mirbeau fait son éloge funèbre au début de « Famille d’artistes » : « J’ai rencontré rarement quelqu’un de mieux doué que lui. Imagination ardente, originalité, amour des grandes visions, goût délicat, il suffisait que Félix désirât quelque chose pour qu’il le fît aussitôt : peinture, aquarelle, eau-forte, bois gravé, sculpture sur métal. […] Je sais, de ce très jeune homme, des études de chevaux qui, encore naïves et d’un dessin parfois hésitant, sont pourtant de pures merveilles, où se révèlent une sensibilité excessive et aussi un tempérament d’art unique et fort… » (Combats esthétiques, II, 206). Mirbeau possédait de lui un panneau pyrogravé et coloré représentant justement des chevaux.



C.L.

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance avec Camille Pissarro, édition établie et annotée par Pierre Michel et Jean-François Nivet, Du Lérot, Tusson, 1990 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tome II, éditions Séguier, Paris, 1993.

 


PISSARRO, georges

PISSARRO, Georges (1871-1961), peintre, créateur d’objets d’art décoratif et de mobilier. Second fils de Camille Pissarro, il se fait connaître sous le pseudonyme de Manzana. Formé d’abord par son père, il part ensuite à Londres étudier dans une école d’art décoratif influencée par les théories de William Morris. Mirbeau le recommande alors au peintre Sargent, après avoir encouragé son projet d’illustrer La Princesse Maleine de Maeterlinck. Comme son père et son frère Lucien, il adopte un temps la technique pointilliste et se lie avec Maximilien Luce et Théo Van Risselberghe. Il participe, en 1894, à l’exposition des néo-impressionnistes et Mirbeau le remarque : « Ce qui me frappe particulièrement en cette exposition, et ce qui suffirait à y attirer tous les amateurs d’art, ce sont les suites de gravures sur bois et les eaux-fortes de MM. Georges et Félix Pissarro » (Combats esthétiques, II, p. 50-51). Il s’oriente vers les arts appliqués et crée des boîtes qu’il expose chez Bing. De tous les enfants Pissarro, il est le plus proche des Mirbeau, dont il décore, avec son frère Félix, la maison de Carrières-sous-Poissy. Il réalise pour Alice un modèle de tapisserie, s’installe aux Grésillons, à côté d’eux. L’écrivain aime venir le voir travailler. Dans « Famille d’artistes », en 1897, il le présente « porté vers les grandes lignes décoratives, séduit par le mystère des formes. […] Toutes les matières sont bonnes pour lui ; tous les outils. […] Il rêve de redonner au meuble un style nouveau » (Combats esthétiques, II, 208). En 1899, il participe à l’Hommage des artistes au colonel Picquart. En 1907, Mirbeau préface son exposition chez Vollard. Il souligne la portée décorative de ses œuvres, fondée sur l’alliance de l’imagination et des « facultés ouvrières » : « émouvante association de l’esprit et de la main, du poète et de l’artisan : je ne sais rien qui me touche davantage » (Combats esthétiques, II, 432).

                                                                                                         C. L.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance avec Camille Pissarro, édition établie et annotée par Pierre Michel et Jean-François Nivet, Du Lérot, Tusson, 1990 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tome II, Séguier, Paris, 1993.


PISSARRO, lucien

PISSARRO, Lucien (1863-1944), peintre, graveur et imprimeur de la mouvance néo-impressionniste. Aîné des sept enfants de Camille Pissarro, il est formé par son père. Il participe à la huitième et dernière exposition des impressionnistes (1886), avec des tableaux, des aquarelles, des gravures et des projets d’illustrations pour Le Calvaire de Mirbeau. Il y figure avec Seurat et Signac, qui ont une forte influence sur sa technique. Avec eux, il participe également au Salon des Indépendants, où il enverra des œuvres jusqu’en 1894. Marié à une Anglaise, il s’installe près de Londres en 1893 et prendra en 1916 la nationalité britannique. À partir de là, son œuvre gravé tient une place de plus en plus grande dans ses travaux. Avec sa femme, il fonde la maison d’édition Eragny Press (The Queen of the Fishes, 1894). Il a entretenu une abondante correspondance avec son père (dont il était très proche), qui est une mine de renseignements sur les débats artistiques et politiques de l’époque. Il est considéré comme l’un des rénovateurs de la gravure sur bois à la fin du XIXe siècle.

En 1886, Lucien Pissarro illustre un conte paysan de Mirbeau (Les Infortunes de Mait’ Liziard) dans La Revue Illustrée. L’écrivain l’encourage et le recommande – mais sans succès – à l’éditeur Ollendorff pour qu’il illustre Le Calvaire. La même année, il vante ses dessins « d’un sentiment juste et délicat, d’un esprit fin, d’une observation curieuse » (Combats esthétiques, I, 278). Aux Indépendants de 1891, ce sont ses gravures qu’il loue : elles « ont de la verve, de la sobriété et de la distinction » (ibidem, 440). En mars 1893, Lucien offre à Mirbeau son First Portfolio. L’écrivain le remercie pour cet album de  gravures sur bois dans lequel il reconnaît « l’art délicieux et l’âme élevée » de son auteur (Correspondance avec Camille Pissarro, p. 145). C’est dans cette même lettre que l’on trouve cette confidence : « Votre père, je l’aime comme s’il était le mien. » Dans « Famille d’artistes », cet hymne de 1897 à « l’admirable » famille Pissarro « qui rappelle les temps héroïques de l’art », Mirbeau présente Lucien comme un « paysagiste lumineux et fin, d’une sensibilité exquise », tout en insistant sur l’autre aspect de son œuvre : « Graveur sur bois, aquafortiste, décorateur de livres, il met en tout ce qu’il crée un goût charmant, discret, des arrangements délicieux » (Combats esthétiques, II, 208). Ensuite, Mirbeau s’est progressivement éloigné de Lucien, ne voulant pas soutenir, sans doute, l’inflexion  préraphaélite de son œuvre.



C.L.

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance avec Camille Pissarro, édition établie et annotée par Pierre Michel et Jean-François Nivet, Du Lérot éditeur, Tusson, 1990 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tomes I et II, Séguier, Paris, 1993.

 

                 

PISSARRO, ludovic-rodolphe

PISSARRO, Ludovic-Rodolphe (1878-1952), peintre, aquarelliste et graveur. Cinquième enfant de Camille Pissarro, il s’est fait connaître sous le pseudonyme de Ludovic-Rodo. Il se forme auprès de son père et de son frère Lucien. En 1894, il commence à collaborer au Père Peinard et réalise un unique livre d’enfant à partir de La Mort du chien, un conte de Mirbeau. L’ouvrage est entièrement manuscrit et colorié aux crayons de couleur. Bande dessinée avant l’heure, il n’est pas sans rappeler les premiers livres de son frère Lucien à l’enseigne d’Eragny Press. Dans « Famille d’artistes »,  Mirbeau le présente comme un « esprit sarcastique et toujours silencieux » et rappelle, qu’adolescent, on découvrit un jour dans sa chambre « des quantités d’albums », et que ce fut « un ébahissement ! » (Combats esthétiques, II, 208).



C.L.

Bibliographie : Octave Mirbeau, Correspondance avec Camille Pissarro, éditions établie et annotée par Pierre Michet et Jean-François Nivet, Du Lérot, Tusson, 1990 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tome II, Séguier, Paris, 1993.


POINCARE, raymond

POINCARÉ, Raymond (1860-1934), avocat et homme politique français. Républicain dit « modéré » et « progressiste », c’est-à-dire, en fait, centre-droit, il est élu député de la Meuse en 1887 et devient, très jeune, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, en 1893, puis de nouveau en 1895, après un passage au ministère des Finances. Pendant l’affaire Dreyfus, il est très prudent et longtemps hésitant, mais il finit par basculer – modérément – du côté de la révision lorsqu’il sent la République en danger et que les dreyfusards cessent de lui apparaître comme des factieux. Sénateur à partir de 1903, il s’oppose à la politique anticléricale de la gauche. Il est élu président de la République en 1913. De nouveau élu sénateur en 1920, il assume à deux reprises la présidence du Conseil.

Raymond Poincaré est un des rares politiciens pour qui Mirbeau ait eu un temps de l’estime. Il passait en effet pour très ouvert aux nouvelles tendances de l'art et de la littérature et avait adressé à Edmond de Goncourt, en lui remettant les insignes de commandeur de la Légion d'Honneur, le 1er mars 1895, un émouvant et inhabituel discours. Aussi, le 12 mai 1895, dans son article du Journal « Ça et là », Mirbeau, voyant en lui un ministre qui est aussi, « exceptionnellement, un artiste », « accessible et plein de bonne volonté », lui lance-t-il un appel en faveur de Camille Claudel, pour qu’il lui assure « la tranquillité d’esprit qu’il faut pour le travail ». Son appel est entendu et, le 25 juillet 1895, le ministère commande à la jeune sculptrice « le modèle en plâtre d’un groupe, L’Âge mûr », payé 2 500 francs. Mirbeau intervient de nouveau auprès du ministre en faveur d’un de ses protégés, le jeune Ernest Breuil, et obtient qu’il soit nommé au lycée Montaigne. Début juillet 1895, Poincaré va jusqu’à proposer la croix de la Légion dite « d’honneur » à Mirbeau lui-même et à Claude Monet, qui tous deux la refusent préventivement. Peu après, sorti de charge, Poincaré devient l’avocat des nouveaux académiciens Goncourt, dans le procès qui les oppose à des parents d’Edmond de Goncourt désireux de faire casser son testament. Lorsque la victoire est acquise, le 1er mars 1900, ils lui offrent un dîner en son honneur le 17 avril suivant. Ils l’invitent à nouveau à un de leurs dîners, le 23 janvier 1908. Mais le refus de Mirbeau de s’asseoir aux côtés de l’ancien ministre, comme le rapporte Jules Renard, est probablement un signe d’éloignement : une nouvelle fois il a dû être déçu par l’évolution d’un politicien dont il a trop attendu.

P. M. .

 

 

 


PUVIS DE CHAVANNES, pierre

PUVIS DE CHAVANNES, Pierre (1824-1898), célèbre peintre français. Aujourd’hui on le taxe volontiers d’académisme, mais il était, de son vivant, vivement attaqué par les académistes et paradoxalement défendu à la fois par les impressionnistes et les symbolistes. Il doit son prestige à de grandes fresques idéalistes, classiques et intemporelles (Le Bois sacre, 1884, Doux pays, Ludus po patria, fresques du Panthéon consacrées à sainte Geneviève). Son Espérance, qui présentait une adolescente nue dans un paysage désertique, a fait scandale au Salon de 1872, mais a été fort admiré par Mirbeau. Sa plus belle toile est Pauvre pêcheur (1881, musée d’Orsay). À l’initiative d’un comité d’admirateurs, a été organisé en son honneur un grand banquet, le 16 janvier 1895, à l’hôtel Continental, sous la présidence d’Auguste Rodin, en présence de près de six cents personnes, dont Mirbeau, Monet, Carrière, Raffaëlli, Rops, Gauguin, Zola, Mallarmé, Mendès, Rodenbach, Montesquiou, Brunetière, Poincaré, Leygues, Clemenceau, etc. Le comité d’organisation était volontairement très large, afin de permettre de réaliser un consensus jugé souhaitable par tous.

On a souvent du mal, aujourd’hui, à comprendre que Mirbeau, le chantre de Monet et de Van Gogh, ait manifesté si longtemps une vive admiration pour Puvis de Chavannes, en qui il voyait un artiste synthétique et amoureux de la nature et qu’il qualifiait curieusement de « peintre de la vie ». Dans ses premiers Salons, parus sous pseudonyme, il le considère, avec Corot et Manet, comme un des trois maîtres les plus originaux de la peinture française, « le seul à qui la grande peinture soit permise », parce qu'il a « une individualité artistique d'une rare élévation » et « un style magistral » (« Le Salon IV », L’Ordre de Paris, 9 mai 1874).  Il lui a par la suite consacré trois articles signés de son nom : le 8 novembre 1884, dans La France, il le loue d’avoir « ramené la peinture à des hauteurs idéales » et « de n’être d’aucun temps, d’aucune école et d’aucune routine ; le 26 juin 1897, dans Le Gaulois , il le classe parmi les « artistes de génie », voit dans sa personnalité « une des plus fortes, des plus complètes, des plus logiques de ce temps » et juge que « ses compositions atteignent à la pure beauté » ; et, le 13 novembre 1898, dans Le Journal, il le classe encore « presque » au niveau de « ses maîtres », Lippi, Botticelli et Raphaël, et, parmi ses contemporains, « sur les mêmes sommets » que Degas, Carrière, Renoir et Monet, tout en pronostiquant que ces derniers seront sans doute loués dans « un avenir prochain » d’avoir « apporté une plus grande somme de beautés au trésor de l’art universel ».

En février 1894, Mirbeau a proposé a son grand aîné la présidence du comité d’organisation de la vente en faveur de la veuve du père Tanguy (voir la notice), ce que Puvis a accepté aussitôt. Quelques mois plus tard, il a fait partie du comité d’organisation du fameux banquet, mais, n’étant pas jugé assez consensuel, à un moment où Puvis semblait faire l’unanimité par-delà les querelles d’écoles, il n’y a pas pris la parole, comme il l’explique à Rodin : « Je ne me sentais pas l’autorité nécessaire, par ma situation ou mon talent, à ce rôle. Il eût été bon, pourtant, qu’une voix revendiquât Puvis de Chavannes au-dessus des Instituts, dont, par une malchance fâcheuse, ce banquet va être la fête. Ironie des choses ! » Dans son article nécrologique « L’Envers de la mort » (Le Journal, 13 novembre 1898), il regrettera publiquement la tentative de récupération de Puvis par les symbolistes et les académistes, qui le louaient d’avoir ressuscité l’idéalisme et le spiritualisme en peinture : « À son insu, peut-être, il fut le centre de ralliement de bien des ambitions, de bien des intrigues, de bien des petits commerces. Et ceux-là même qui, publiquement et avec le plus d’exaltation, confessèrent l’admiration apostolique de son œuvre, sont peut-être ceux qui, dans le fond de leur âme, la nièrent le plus. [...] On s’est servi de lui, du prestige de son nom, de sa grande pureté de vie, de son grand désintéressement, de sa grande fierté d’artiste, plus encore qu’on ne l’a servi. Il a été l’étiquette, le prospectus de combinaisons commerciales, plus qu’il n’a été la bannière d’une foi. » Par la suite Mirbeau évoluera et jugera Puvis trop froid et surestimé et, en 1907, interviewé par Paul Gsell, il jugera même son œuvre « vide et morte ». En fait, il avait commencé à tempérer son admiration une quinzaine d’années plus tôt, écrivant, par exemple, à Remy de Gourmont, le 1er avril 1892, à propos du peintre symboliste Séon, qu’il n’est qu’« un Puvis de Chavannes sans aucune de ses grandes qualités, avec tous ses défauts, et cet arrière-goût pompier, dont le peintre de L’Été n’a pu, jamais, se débarrasser complètement ». 

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Combats esthétiques, Séguier, 1993, t. I, pp. 72-75 et 257-259, et t II, pp. 196-200 et 222-226.

 


QUILLARD, pierre

QUILLARD, Pierre (1864-1912), helléniste et écrivain engagé. Érudit,  Quillard a a traduit Les Lettres rustiques de Claudius Aelianus Prenestin (1895), Les Mimes d’Hérondas (1900), le Philoctète de Sophocle, et des œuvres de Porphire et de Jamblique. Il a été professeur, notamment à Constantinople, de 1893 à 1896, où il a été sensibilisé aux massacres d’Arméniens. Poète symboliste, il est auteur de La Fille aux mains coupées, publié en 1886 et représenté au Théâtre d'Art le 19 mars 1891. Journaliste, il a collaboré à La Pléiade et au Mercure de France. Intellectuel éthique, comme Mirbeau, il a été un dreyfusiste de la première heure, il a signé quantité de pétitions, il a participé à de nombreux meetings, à Paris et en province, et il s’est par la suite distingué par sa défense ardente du peuple arménien massacré par les Ottomans.

Mirbeau aimait beaucoup Pierre Quillard, son frère spirituel, qui le lui rendait bien et dont il possédait les œuvres agrémentées de longues dédicaces manuscrites, par exemple : « À Octave Mirbeau, en signe d’admiration chaque jour plus vive et d’amitié chaque jour plus fervente. » Tous deux ont participé à une représentation de L’Ennemi du peuple, d’Ibsen, le 29 mars 1898. Ensemble ils ont animé plusieurs meetings dreyfusistes  houleux, notamment à Toulouse, le 22 décembre 1898 (voir la notice Toulouse). Ils devaient être envoyés en Algérie, en proie à des pogroms antisémites, par la toute nouvelle Ligue des Droits de l’Homme, mais le projet ne s’est pas concrétisé. En février 1900, Quillard devait consacrer une conférence à son ami lors d’une lecture des Mauvais bergers par l’auteur, mais a dû être remplacé au pied levé par Hérold. Lors de sa lutte pour un Théâtre Populaire (voir la notice), Mirbeau souhaitait que Quillard fournisse des traductions « loyales des chefs-d’œuvre grecs ». De son côté Quillard a consacré un élogieux article au Jardin des supplices le 1er juillet 1899 dans le Mercure de France. Il voit en Mirbeau un homme « hanté par l'épouvante du mal universel » et « par l'idée que la volupté s'achète par la douleur infligée ou perçue ». Rêvant « d'un monde moins absurde et moins cruel », le romancier est révolté par tout ce qui perpétue morbidement la souffrance et c’est « par l'ironie et la pitié » qu’il invite « au mépris et à la haine des religions, des morales et des lois, de toutes les lois arbitraires qui restreignent la liberté des individus et la sacrifient aux dieux, aux patries, aux devoirs abstraits et catégoriques ». Par une transfiguration esthétique, « sur le fumier des lois et des dieux qui nourrit de poisons hostiles et bienfaisants toute grandeur humaine, de ce fumier, par la révolte, il fait surgir l'angoissante, la tragique et la parfaite beauté ». Quillard admire surtout la deuxième partie du récit, « le long poème en prose où les chairs saignantes et les fleurs luttent d’éclat et mêlent à l’odeur carnassière de la pourriture tous les parfums d’une vie exubérante. [...] La gloire des fleurs est célébrée par un amant qui les a possédées de toute la fièvre de ses yeux, de ses narines et de ses doigts et qui les vénère et les honore d’un culte fervent, presque farouche, à l’égal de divinités impérissables et fragiles. » Quillard a rendu visite à Mirbeau, fin août 1901, lors de sa villégiature à Veneux-Nadon.

P. M.


RACHILDE

RACHILDE (1860-1953), pseudonyme de Marguerite Eymery, épousa en 1888 Alfred Vallette, futur directeur du Mercure de France. Romancière à la réputation sulfureuse, Monsieur Vénus (1884), certaines de ses oeuvres comme La Marquise de Sade (1887), Les Hors Nature (1897) scandalisèrent le public. Elle débuta sa carrière littéraire comme feuilletoniste à L’École des femmes et chroniqueuse au Zig Zag. Elle fréquenta un temps Maurice Barrès, Paul Verlaine, Catulle Mendès. Elle assura la critique littéraire du Mercure de France jusque dans les années 1920. Bien que Mirbeau ait sympathisé avec quelques-uns des collaborateurs du Mercure de France, comme Paul Léautaud, il semble n’avoir jamais été convié aux fameux “mardis” présidés par Rachilde. Leur divergence d’opinion, au moment de l’Affaire Dreyfus, n’encourageait pas, en effet, leur rencontre.

En octobre 1900, Rachilde rendait néanmoins compte du Journal d’une femme de chambre et, en octobre 1901, des Vingt et un jours d’un Neurasthénique. Sa première critique peut se lire comme un hommage rendu au talent de l’auteur, un hommage toutefois ambigu. Si elle voit en Mirbeau « l’un de nos meilleurs journalistes », « prime-sautier, spirituel, combatif, doué d’un style rapide et amusant, [sachant] tirer l’épée aussi bien que la plume », elle déplore que « le génie inventif d’un grand journaliste ne nous serve pas meilleur canard sauvage ». Ce « canard sauvage », c’est Le Journal d’une femme de chambre, qui n’est, à ses yeux, qu’une compilation de lieux communs, car « quand, [...] on fait un livre “cochon” [...], on n’a qu’une excuse : nous offrir un piment inédit. Or, Céline [sic], à part l’antisémite violeur et assassin de petite fille, n’a rien inventé, pas même le prurit de la délation, si commun chez les salariés de toutes les classes”.

L’année suivante, elle reprocha aux Vingt et un jours d’un neurasthénique son « manque de perversité, parce que c’est toujours brutal, d’une brutalité de [...] sanguin », tout en admirant « la naïveté des découvertes ». La dernière phrase de son compte rendu éclaire cet apparent paradoxe et résume l’opinion qu’elle se fait de l’auteur : « Je commence à le croire plus amateur de la pureté des roses que fin connaisseur en pornographie moderne ! ». Autrement dit, Rachilde estime que Mirbeau est encore trop naïf, au sens premier du terme, pour s’essayer aux études de mœurs.

N. S.

 

Bibliographie : Rachilde, « Le Journal d’une femme de chambre », Le Mercure de France, octobre 1900, pp. 183-186 ; Rachilde, « Les vingt et un jours d’un neurasthénique », Le Mercure de France, octobre 1901, pp. 197-198.


RAFFAELLI, jean-françois

RAFFAËLLI, Jean-François (1850-1924), peintre, dessinateur et graveur français. D’abord acteur au théâtre lyrique, il commence à peindre en 1870 dans le style de Fortuny. Au Salon de 1876, Duranty loue son réalisme et le présente à Degas, qui sera son principal soutien. Installé à Asnières, il peint, dans un style très graphique et avec une palette sombre et resserrée, le petit peuple miséreux (mendiants, chiffonniers, prostituées) d’une banlieue sans joie. Sa participation aux expositions impressionnistes de 1880 et 1881 provoque des remous au sein du groupe. Il est soutenu par Geffroy et Huysmans, dont il illustre les Croquis parisiens. Il fait le portrait de Clemenceau et d’Edmond de Goncourt. Le bibliophile Paul Gallimard lui commande l’illustration de Germinie Lacerteux. Lié aux écrivains naturalistes, il entretient également de bonnes relations avec Mallarmé. À la suite d’une tournée de conférences aux États-Unis, il acquiert une renommée internationale. Le succès venu, il quitte Asnières pour Paris, où il trouve de nouveaux motifs qui le conduisent à rompre avec le misérabilisme qui avait fait sa réputation. Naturaliste davantage qu’impressionniste, c’est peut-être dans la gravure qu’il s’est exprimé avec le plus de pertinence. Dès 1876, il s’essaie à la lithographie. En 1889, il aborde la gravure en couleurs, technique qui lui convient parfaitement et dont il va être l’un des artisans du renouveau en France. Il a également illustré de nombreux ouvrages (L’Assommoir, Les Sœurs Vatard, etc.).

Mirbeau apprécie le fait que Raffaëlli soit un autodidacte qui a forgé son art en dehors des formules ressassées de l’Ecole. Il loue son « sens de la modernité » et la façon dont, dans son Portait de Clemenceau au cirque Fernando (Musée de Versailles), il « a résolu, avec une grande maîtrise, un problème d’art très difficile : détacher un homme sur une foule » (Combats esthétiques, I, 181). En 1889, il lui consacre tout un article, dans lequel il proclame que « grâce à M. Raffaëlli, la banlieue parisienne […] a conquis sa place dans l’idéal ». (Combats esthétiques, I, 367). Davantage que Victor Hugo, Raffaëlli est, pour Mirbeau, le meilleur peintre des misérables en raison de son solide sens de l’observation. Mais, lassé par l’arrivisme et la suffisance du peintre, Mirbeau adopte peu à peu l’opinion de Monet, qui ne voit en lui qu’un « barbouilleur ». Commence alors une période où Mirbeau se lâche dans sa correspondance (à Monet au début de février 89 : « Décidément, c’est le roi des idiots », Correspondance générale, II, 37), tout en continuant de défendre publiquement le peintre dans ses articles.  Raffaëlli illustre une réédition des Lettres de ma chaumière et demande à Mirbeau sa collaboration aux Types de Paris. L’écrivain lui donne Cocher de maître, mais écrit à Hervieu : « Je connais peu de choses, même chez des illustrateurs ordinaires, d’aussi parfaitement mauvaises » (Correspondance générale, II, 80). En 1894, il persiste à louer « le caractère constant de simplicité, de jour en jour plus précis et plus direct » du peintre. Et il ajoute : « C’est la vie qu’il reproduit, la vie qui passe devant nous, en images familières et connues, […] dont il nous dévoile, avec une singulière compréhension, tout l’inconnu. » (Combats esthétiques, II, 64-65). En 1897, dans une chronique dialoguée, il rompt les ponts avec le peintre de manière fracassante, l’exécutant froidement : «  C’est du Jongkind pour demoiselles du Connecticut. […] Raffaëlli a créé la banlieue… C’est un dogme… N’en parlons plus !... » (Combats esthétiques, II, 185).

                                                                                                                       C. L.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Cocher de maître (illustrations de Raffaëlli), Reims, Éditions À l’écart, 1990 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tomes I et II, Paris, Séguier, 1993 ; Jean-François Raffaëlli et Octave Mirbeau, Correspondance, suivie des articles de Mirbeau sur Raffaëlli, Tusson, Du Lérot, 1993.

 

 


RAVACHOL

RAVACHOL (1859-1892), nom sous lequel est connu François Claudius Koenigstein, célèbre militant et terroriste anarchiste, qui a connu la misère avant de se lancer dans la délinquance et de se rallier à l’anarchie. Arrêté le 30 mars 1892 au restaurant Véry, il est  condamné une première fois, à la réclusion à perpétuité, le 26 avril suivant, pour des attentats à la dynamite, perpétrés en mesure de représailles contre trois magistrats coupables d’avoir condamné des anarchistes innocents lors de l'affaire dite “de Clichy”. Au terme d’un deuxième procès, il a été condamné à mort, et guillotiné à Montbrison le 11 juillet 1892, pour trois assassinats, dont un seul, celui d’un ermite nonagénaire, peut lui être attribué avec certitude. Lors de son procès,  il a expliqué son passage à l’illégalisme par le fait que ce sont la société et les injustices sociales qui l'ont incité à tuer pour assurer sa propre survie et celle des siens.

Au lendemain du premier procès, dans l’hebdomadaire anarchiste de Zo d’Axa, L’Endehors, Mirbeau a consacré à Ravachol , le 1er mai 1892, un article que Jean Maitron a jugé « absolutoire », parce qu’il se réjouit que « sa tête [ait] échappé au couperet », malgré « les clameurs de la mort aboyante », et parce qu’il accorde à Ravachol de larges circonstances atténuantes : « La société aurait tort de se plaindre. Elle seule a engendré Ravachol. Elle a semé la misère : elle récolte la haine. C’est juste. » Il serait pourtant erroné d’en conclure que Mirbeau approuve le terrorisme d’un Ravachol. D’abord, il réaffirme d’entrée de jeu qu’il a « horreur du sang versé, des ruines de la mort » et que « toute vie [lui] est sacrée ». Ensuite, il prend bien soin de préciser, à la fin de son article, que la seule « bombe » qui fera crouler « le vieux monde sous le poids de ses propres crimes » sera « d’autant plus terrible qu’elle ne contiendra ni poudre, ni dynamite », mais « de l’Idée et de la Pitié » : ces deux forces contre lesquelles on ne peut rien. » À la « propagande par le fait » il oppose clairement la propagande par le verbe, la seule susceptible de faire germer l’Idée et la Pitié.

Voir aussi les notices Anarchie, Engagement et Éthique.

P. M.

 

Bibliographie : Reginald Carr, Anarchism in France – The case of Octave Mirbeau, Manchester University Press, 1977 ; Octave Mirbeau, « Ravachol », L’Endehors, 1er mai 1892 ; Philippe Oriol, « Littérature et anarchie : le cas Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 298-305.

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REDON, odilon

REDON, Odilon (1840-1916), peintre, dessinateur et pastelliste français, venu tard à la couleur et à la lumière. Ami de Mallarmé et visionnaire, il a été revendiqué par les symbolistes. Pourtant, à ses débuts, il a soutenu la lutte des Impressionnistes contre l'académisme et a même participé à l'une des expositions du groupe. Mais il les jugeait « trop bas de plafond » et a fait très tôt bande à part pour frayer des voies nouvelles, annonciatrices du surréalisme, par la place accordée au rêve et à l’inconscient. Insatisfait par la subjectivité restreinte de l'art impressionniste tel que l'avait défini Zola – « un coin de nature vu à travers un tempérament » –, dans la mesure où elle faisait la part trop belle à une supposée “réalité extérieure”, il a affirmé au contraire les droits de l'imagination (L’Homme cactus, L’Araignée qui pleure, etc.) et la primauté de la mémoire et du sentiment personnel. Même si son art s'enracine dans « la réalité vue », c'est « l'invisible » qui l'intéresse et qu'il tâche de rendre perceptible avec les seuls moyens de la peinture. Ce faisant, il définit un art idéaliste, qui tourne le dos à la vogue réaliste-naturaliste du début des années 1880. Il est l’auteur d’albums de lithographies : Dans le rêve, À Edgar Poe, Hommage à Goya, La Tentation de saint Antoine.

Mirbeau a d’abord été très sévère avec Redon, représentant d’un art idéaliste « qui oppose la chose rêvée à la chose vécue », et il va jusqu’à tourner en ridicule un de ses dessins de fleur : « Ainsi M. Odilon Redon vous dessine un œil qui vagabonde, dans un paysage amorphe, au bout d'une tige. Et les commentateurs s'assemblent. Les uns vous diront que cet œil représente exactement l'œil de la conscience ; ceux-là expliqueront que cet œil synthétise un coucher de soleil sur des mers hyperboréennes ; ceux-là qu'il symbolise la douleur universelle – nénuphar bizarre – éclose sur les eaux noires des invisibles Achérons. Un suprême exégète arrive, qui conclut : “Cet œil au bout d'une tige est tout simplement une épingle de cravate” »... Mirbeau se moque des pseudo-exégètes, qui camouflent leur ignorance ou leur insensibilité esthétique derrière de doctes commentaires creux et les artistes ratés – est-ce le cas de Redon ? – qui tournent délibérément le dos à la Vie, critère infaillible pour juger d'une œuvre d'art : « Le propre de l'idéal est de n'évoquer jamais que des formes vagues, qui peuvent aussi bien être des lacs magiques que des éléphants sacrés, des fleurs extraterrestres aussi bien que des épingles de cravate, à moins qu'elles ne soient rien du tout. » Pourtant, moins de cinq ans plus tard, en janvier 1891, quand, sur la suggestion de Mallarmé, Redon lui offre un exemplaire de sa Tentation de saint Antoine, il lui écrit ces mots étonnants : « Je vous dirai, Monsieur, que d'abord je vous ai nié, non pas dans votre métier, que j'ai toujours trouvé très beau, mais dans votre philosophie. Aujourd’hui, il n’est pas d’artiste qui me passionne autant que vous, car il n’en est pas qui ait ouvert à mon esprit d’aussi lointains, d’aussi lumineux, d’aussi douloureux horizons sur le Mystère, c’est-à-dire sur la seule vraie vie. Et je crois bien, Monsieur – et je ne sais pas de plus bel éloge à vous faire – je crois bien que je vous ai compris et aimé, du jour où j'ai souffert. » Comme le peintre, en effet, Mirbeau a toujours critiqué l'étroitesse de vue des naturalistes qui ne perçoivent que l'enveloppe des êtres et des choses, sans jamais en pénétrer l'âme, et il se pourrait donc qu’il découvre chez Redon le Mystère qu’il apprécie tant chez Maurice Maeterlinck, qui lui « a révélé le plus de choses sur l'âme ». Dans l’interminable crise qu’il traverse alors, la souffrance semble aussi de nature à le rapprocher du peintre. Mais la part de politesse n’est sans doute pas négligeable, dans cette lettre de remerciement, et, vu l’abîme qui sépare les deux artistes, on est en droit de douter que le rapprochement ait été durable : de fait, Mirbeau n’a jamais écrit l’étude annoncée et, dans « Une heure chez Rodin » (Le Journal, 8 juillet 1900), se gaussant une nouvelle fois des critiques d’art, il rappellera un mot malheureux d’Odilon Redon à propos du Victor Hugo de Rodin : « Comme tout cela est malade ! »

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel,  « Mirbeau et Odilon Redon », Histoires littéraires, n° 2, 2000, pp. 136-139.


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