Pays et villes

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Terme
ITALIE

Mirbeau en Italie

 

Mirbeau s’est rendu plusieurs fois en Italie, mais seules deux visites sont attestées et peuvent être datées : en 1888, il a passé plusieurs jours à Bordighera, histoire de se mettre un temps à l’abri de la “Justice” courtelinesque ; en janvier 1905, en revenant de Suisse, il a séjourné quelques jours dans la région des lacs. Il a certainement eu l’occasion d’y effectuer d’autres voyages, dans les années 1870 et au début des années 1880, ou encore dans les années 1900, avec son automobile Charron, mais nous en ignorons les dates et les périples. Du moins semble-t-il qu’il n’ait jamais séjourné à Venise, et probablement pas davantage à Rome.

L’Italie est, avec la Russie, le pays qui a réservé à Mirbeau le meilleur accueil et où il a été le plus souvent traduit. Même pendant le quart de siècle de régime fasciste il n’a pas cessé d’être publié. Tout au long de sa vie, la presse italienne a rendu compte de ses coups d’éclat et de ses combats esthétiques et littéraires ; chacun de ses romans, chacune des représentations de ses pièces, en France et en Italie, ont donné lieu à d’innombrables recensions et ont suscité des débats politico-littéraires. Ainsi, si, aux yeux de nombre de critiques, par exemple Lucio d’Ambra, ou encore Scipio Sighele, dans Eva moderna, Mirbeau apparaissait comme l’écrivain moderne par excellence et le mieux placé pour dépasser le naturalisme et succéder à Zola, des romanciers véristes tels que Cameroni, Capuana ou De Roberto lui reprochaient au contraire de transgresser la vulgate réaliste. Mais, si son décadentisme et son anti-christianisme en choquaient certains, du moins Mirbeau ne laissait-il personne indifférent, dans les milieux journalistiques et littéraires.

           

Traductions

 

a) Romans

Comme toujours, ce sont les deux romans les plus scandaleux de Mirbeau qui ont été le plus souvent traduits et réédités, parfois pour d’évidentes mauvaises raisons dont témoignent les titres adoptés ou les collections dans lesquelles ils paraissent. En revanche, ni Dans le ciel, ni Un gentilhomme, ni Les Mémoires de mon ami, qui n’ont pas paru en volume du vivant de l’auteur, n’ont eu droit à une traduction.

* Le Calvaire (Il Calvario) a connu cinq éditions. Le traducteur est inconnu pour les trois premières : à Milan, chez Edoardo Sonzogno, dans la collection « Biblioteca Romantica Economica », dès 1887 ; à Florence, chez Adriano Salani, en 1901 ; et à Naples, chez Mario Nobile, en 1902. La quatrième a paru en 1921 à Milan, à la Casa Editrice Italiana Modernissima, collection « Il Romanzo Moderno », dans une traduction de Vittorio Bandini (réédition en 1922). Enfin, en 2011 doit paraître à Bari, chez Graphis, une édition bilingue, où la traduction italienne est signée Ida Porfido, également auteure de la préface. Quant au chapitre II, traduit par un pseudo-Cambronne, il a été publié en brochure en 1912, à Bologne, sous le titre de La Guerra,  dans la « Piccola Biblioteca Sociologica » de La Controcorrente.

* L’Abbé Jules a été traduit à deux reprises, sous deux titres différents : L'Abate Giulio, a paru à Florence, chez Salani, en 1901, traduit par Albertina Palau (rééditions en 1902 et 1909) ; et Il Reverendo Jules, à Venise, chez Marsilio, en 2003, dans une traduction d’Ida Porfido, préfacée par Francesco Fiorentino. 

* Sébastien Roch (Sebastiano Roch) a connu également deux éditions : en 1901, à Palerme, chez R. Sandron, traduction d'E. Rossi, et en 2005, à Venise, chez Marsilio,  collection « Romanzi e racconti », traduction d’Ida Porfido, qui a également rédigé la remarquable préface, « Ritratto dell’artista da giovane martire ».


* Le Jardin des supplices (Il Giardino dei supplizi) a connu au moins dix traductions et une vingtaine d’éditions : la première, bien tardive, en 1917, à Milan, à la Casa Editrice Sonzogno, traduction di Decio Cinti (réédition en 1920, puis en 1921 dans la collection « Biblioteca Romantica Economica) ; en 1920, en deux volumes minuscules, également à Milan, à l’Istituto Editoriale Italiano, collection « Raccolta di Breviari Intellettuali », sans indication de traducteur ; en 1921, chez un autre éditeur de Milan, Barion, 1921, de nouveau en deux tout petits volumes traduits par A. D. Repossi  (rééditions en 1928, puis en 1946 dans la collection « Orchidea », n° 10-11) ; en 1925, à Florence, à la Casa Editrice Italiana, traduction anonyme (réédition en 1928) ; la même année, chez Attilio Quattrini, dans la collection des « Romanzi audaci », n° 33 (réédition en 1930 dans la collection « Romanzi del giorno », n° 6), sans nom de traducteur  ; en 1933, de nouveau chez Sonzogno, à Milan, dans la vieille traduction de Decio Cinti ; en 1934, à Milan derechef, chez Minerva, dans la « Collana letteraria », traduction de Giuseppe Piemontese ; en 1951, encore à Milan, à l’Azienda Libraria Ambrosiana, collection La Girandola n° 5, dans la vieille traduction de Repossi ; en 1952, chez un autre éditeur milanais, Giachini, collection « Romanzi della Fenice », dans une traduction anonyme et incomplète (rééditions en 1955, puis, à Bologne, en 1969) ; en 1967, toujours à Milan, à la Commissionaria Foro Editrice, Novate Milanese, collection « Sempre verde », n° 1, traduction de Mario Scala ; en 1984, à Milan, chez Mondadori, nouvelle traduction, due à Roberta Maccagnani, dans la collection « Oscar Classici », avec une introduction ; un an plus tard, c’est Il Nuovo Melangolo qui publie une traduction inédite, signée Enrico De Angelis, pour une édition hors commerce à tirage limité ; en 1991, c’est Sugarco qui fait paraître à Milan une nouvelle traduction, de Fabio Vasarri, également auteur d’une excellente préface ; en 1995, Sonzogno, de Milan, publie, dans la collection « Piaceri » [“plaisirs”], la traduction de Mariella Giacometti, accompagnée d’une préface d’Enrico Badellino ; en 2009, enfin, c’est encore un éditeur milanais, Lupetti, qui publie la traduction inédite de Violante Marinetti, suivie d’une postface de Massimo Rizzardini. Il convient aussi de signaler une curiosité bibliographique : un volume intitulé fantaisistement Perversioni e torture nell' antica Cina (sic) et publié en 1966, toujours à Milan, par la S. E. A. (Società Editrice Attualità), dans la collection « Poker d'assi », n° 5 : plus qu’une traduction, il s’agit d’une très libre adaptation, courageusement anonyme, d’où ont disparu des chapitres entiers du roman, remplacés par des chapitres ajoutés, sans indication d’auteur, et donc attribués à Mirbeau, qui n’en peut mais...


* Le Journal d’une femme de chambre a également connu au moins sept traductions et de nombreuses éditions. C’est en 1901 que paraît à Florence, chez Salani, la première traduction, anonyme, intitulée à tort Le Memorie d'una cameriera, et rééditée en 1906, 1907, 1908, 1911, 1914 et 1918. Il faut attendre 1936, en plein fascisme, pour que paraisse, à Plaisance, à la Casa Editrice Apuana, la traduction de Jolanda Gianoli, dotée d’un titre plus fidèle, Diario di una cameriera, et destinée à être diffusée par des colporteurs ou dans des foires. En 1945, reparaît à Turin, chez Fiorini Le Memorie d’una cameriera, sans nom de traducteur. Nouvelle traduction également anonyme en 1966, publiée à Milan par La Conchiglia editrice, sous le titre Diario di una cameriera. En 1970, sous un titre fantaisiste qui met l’accent sur le caractère licencieux du journal de Célestine, la Casa editrice M. E. B., de Turin, publie une nouvelle traduction, signée Mario Ajres-Lia, Le Memorie licenziose di una cameriera. C’est sous un titre encore plus fantaisiste, I peccati di una cameriera [“les péchés d'une femme de chambre”], que la revue romaine I Suspense Diabolici fait paraître, en 1971, une adaptation, tronquée et infidèle, de Paola Pozzi. En 1973, on en revient aux Memorie di una cameriera, quand le Club degli editori, de Milan, édite  la traduction d'Augusto Servatelli, réservée en principe aux membres du club, dans la collection « I classici dell'amore » (réédition en 1974).  Une nouvelle traduction, due à  Roberta Maccagnani, Diario di una cameriera, voit le jour en 1982, chez Mondadori, dans la collection « Oscar classici », précédée d’une introduction critique de la traductrice. En 1986, la vieille traduction de Mario Ajres-Lia est reprise sous le même titre fantaisiste par les nouvelles éditions Sonzogno, de Milan, dans une collection qui affiche ses sous-entendus, « Classici dell'erotismo » ; puis de nouveau en 1993, à Padoue, par MEB, dans une collection également érotique ; derechef en 1995, à Milan, par Sonzogno, dans la collection « Piaceri » cette fois ; puis, en 2000, de nouveau par MEB, dans une nouvelle collection, « I classici condannati ». En 1988 paraît à Milan, chez T.E.A., Il Diario di una cameriera, dans la collection « Classici », dans une bonne traduction d’Anna Franchi, précédée d’une introduction de Michel Mercier ; elle est republiée la même année à Milan par les Editori Associati. Enfin, en 2009, devait reparaître Memorie di una cameriera, chez ES, dans la collection « Biblioteca dell'Eros », mais nous n’avons pas eu confirmation de sa publication, qui a dû être retardée.


* La 628-E8 a été traduit dès 1909-1910 par Cesare Castelli, sans « La Mort de Balzac », et a été publié par un éditeur de Rome, Enrico Voghera, sous le titre plus explicite de Attraverso l'Europa in automobile (la 628-E8). Pendant la guerre, en 1915, Sonzogno, de Milan, a édité, aux côtés d’un texte de Gorki, le sous-chapitre sur Guillaume II, sous le titre de Due ritratti del Kaiser, con prefazione illustrativa della Germania alla vigilia della guerra [“deux portraits du Kaiser, avec une préface illustrant l’Allemagne à la veille de la guerre”], précédé en effet d’une très longue préface de Cesare Castelli, qui dénonce le militarisme wilhelminien. En 2003, Raffaella Cavalieri a traduit les chapitres relatifs à la Belgique et à la Hollande dans  La 628-E8. Viaggio in automobile attraverso il Belgio e l’Olanda / 1907, paru chez un éditeur de Pérouse, Edimond, dans la collection « Le Guide storiche del viaggiatore raffinato ».  


* Enfin, Dingo a été traduit par Decio Cinti et publié tardivement à Milan par Sonzogno en 1938, dans la « Collezione dei grandi autori » (réédition en 1961).


b) Les contes


Nombreux ont été les contes de Mirbeau parus dans la presse italienne au cours du siècle écoulé, mais une recension exhaustive reste à faire. Seul un recueil de contes a été publié, par Sonzogno, en 1920, La Botte di sidro (La Pipe de cidre), dans la traduction de Decio Cinti.


    c) Le théâtre


* Les Mauvais bergers (Cattivi pastori), fidèlement traduit par Luigi Fabbri, a paru en 1911 à Milan, à la Libreria Editrice Sociale, avec une inattendue  préface de Victor Méric.


* Les affaires sont les affaires (Gli affari sono gli affari), traduit par Decio Cinti, a paru également à Milan, chez, Sonzogno, en 1925, dans la collection « Teatro sociale » (réédition en 1928). La pièce a été donnée en Italie en français, par Coquelin, et en italien, avec Zacconi, mais sans remporter un vif succès, semble-t-il.


* Les Farces et moralités (Farse e moralità), traduites par Fausto Valsecchi, ont été publiées en 1914 (réédition en 1930), à Milan, par la Casa Editrice Sonzogno, dans la fameuse collection « Biblioteca universale », n° 454, introduites par la même préface de Victor Méric. Pour sa part, Le Portefeuille (Il Portafogli) a été inséré en 1967 dans un recueil de  Commedie Francesi Fin de Siècle, édité par Gherardo Casini. De nombreuses représentations du Portefeuille, de Scrupules (Scrupoli) et de L’Épidémie (L’Epidemia) ont été données depuis un siècle par des troupes amateurs et professionnelles.


* Enfin Le Foyer (Il Focolare) a été représenté  à Rome et à Milan fin décembre 1908, mais la traduction n’a pas été publiée.

 

Études mirbelliennes

 

Outre les préfaces de Maccagnini, Badellino, Vasarri, Fiorentino, Cavalieri, Rizzardini et Ida Porfido citées plus haut, il est à noter que, dans la continuité de Carlo Cordié (voir ses Saggi e studi di letteratura francese, Padoue, 1957), nombre d’universitaires italiens se sont intéressés à Mirbeau depuis vingt ans. C’est ainsi que le département de français de l’université de Pise a consacré en 1993 un de ses Seminari pasquali di analisi testuale, n° 8,  au Jardin des supplices, avec des contributions de Dorothy Figueira, Alberto Castoldi, Sandra Teroni, Valeria Ramacciotti et Marisa Ferrarini. Il est également à noter que plusieurs tesi di laurea ont été consacrées à Mirbeau ces dernières années : Luciano Ferrajuolo, Octave Mirbeau narratore della sofferenza, Naples, 1992 ; Alice Della Vedova, L’Œuvre romanesque d’Octave Mirbeau, Udine, 1992 ; Filomena Calce, “Le Journal d'une femme de chambre” : étude de mœurs, Naples, 1994 ; Maura Ceccarelli, Le strutture narrative nel “Journal d'une femme de chambre” di Octave Mirbeau, Rome, 1997 ; Elisa Logli, L’Impronta naturalista nella trilogia “autobiografica” di Octave Mirbeau, Florence,  2000 ; Valerio Michela, Octave Mirbeau : le besoin d’absolu, Venise, 2001 ; Tatiana Rosa Pezzutti, La Femme dans la critique d’art d’Octave Mirbeau, Udine, 2002 ; Carmela Di Massa, Eros e Thanatos in Octave Mirbeau, Naples, 2003 ; Silvia Ladogana, Fenomenologia della tentazione ne “L’Abbé Jules” e “Sébastien Roch”, Bari, 2004 ; Antonia Rutigliani, Deux Phèdre du XIXe siècle : Renée de Zola et Jane de Mirbeau, Bari, 2005 ; Raffaella Tedeschi, L'impressionnismo di Octave Mirbeau, Catane, à paraître en 2012. Quant aux articles universitaires, rédigés en italien ou en français et parus dans des Actes de colloque, dans les Cahiers Octave Mirbeau ou dans d’autres revues savantes, leur nombre commence à être imposant : citons seulement les noms de Giancarlo Menichelli, Raffaella Cavalieri, Ruggero Campagnoli,  Bernard Gallina, Lorenzo Cantatore, Pierluigi Pellini, Lionello Puppi, Hélène Giaufret-Colombani, Maria-Chiara Gnocchi, Ida Porfido, et surtout Angela Di Benedetto et Fernando Cipriani, auteurs respectivement de quatre et cinq études portant sur Mirbeau.,


P. M.

 

Bibliographie : Anne-Christine Faitrop-Porta, « Réception d'Octave Mirbeau dans la presse italienne contemporaine », in Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’université d’Angers, 1992, pp. 435-449 ; Giancarlo Menichelli, « Mirbeau traduit en italien », in Octave Mirbeau, Actes du colloque d’Angers, Presses de l’université d’Angers, 1992, pp. 453-459.

 


LA BOUILLE

La Bouille est une petite commune touristique de la Seine-Maritime, proche de Rouen, à laquelle elle était reliée par un bac, et située sur les bords de la Seine. C’est la patrie d’Hector Malot. Turner, Lebourg et Gauguin l’ont peinte.

À l’époque où il habitait à proximité, aux Damps, Mirbeau a eu l’occasion de se rendre à La Bouille et lui a consacré une chronique curieusement intitulée « ? » (L'Écho de Paris, 25 août 1890) : « La Bouille est, sur la Basse-Seine, un petit village, fréquenté des Rouennais et des gens d’Elbeuf. Il n’a de particulier que cette faveur qui, on ne sait pourquoi, le désigne à la passion des excursionnistes et villégiaturistes départementaux. Par un phénomène inexpliqué, La Bouille leur procure, parait-il, l’illusion d’une plage et le rêve d’une mer. […] Or, La Bouille, la Seine n’est pas plus large qu’à Vernon ou au Pont-de-l’Arche. En revanche, elle y est moins accidentée. Elle coule, lente et coutumière, entre deux berges expressément fluviales, que hantent les gardons et les chevennes, poissons terriens s’il en fut. Et cependant, pour peu que vous causiez cinq minutes avec un Rouennais de Rouen ou un Elbeuvien d’Elbeuf, il vous dira « : “Comment, vous ne connaissez pas La Bouille !... Mais il faut aller à La Bouille, il faut déjeuner à La Bouille ! La Bouille ! La Bouille !” Quand il a dit La Bouille ! il a tout dit. Quand il est allé à La Bouille, il a tout fait. Dans l’arrière-boutique, emplie de la poussière du coton, dans l’asphyxiante odeur de l’usine, La Bouille se présente à. son esprit comme une sorte de Nice normande, de Sorrente occidentale, d’île lointaine et féerique, ceinturée de plages d’or et frangée d’écume rosé, où sont des fleurs, des poissons et des oiseaux, comme il n’en existe dans aucun coin équatorial. » Mirbeau voit là une illustration de la folie d’un monde où rien n’a de sens (« La plus grande folie est de chercher une raison aux choses. Les choses n’ont pas de raison d’être, et la vie est sans but »), et un symptôme de « l’âme des multitudes », dont les déplacements grégaires donnent « la sensation de vivre une vie de cauchemar, effarante, et pareille à un conte d’Edgar Poe réalisé ».

P. M.

 

 

 


LA HAYE

La Haye (Den Haag, en néerlandais) est une ville des Pays-Bas, où siège le gouvernement du pays et qui abrite également la Cour internationale de justice. Elle est aujourd’hui peuplée de près de 500 000 habitants (200 000 en 1900). Construite pour l’essentiel au XIXe siècle et fort endommagée par les bombardements de 19444, La Haye est surtout une paisible ville administrative et résidentielle.

Dans La 628-E8 (1907), Mirbeau prétendra y être venu à plusieurs reprises. Mais une seule visite est attestée, au printemps 1905, lors de son périple à bord de sa Charron 628-E8. Toujours est-il qu’il a gardé de cette ville tranquille, qui contraste avec Rotterdam, un souvenir ébloui : « Je comprends qu’on ait choisi la Hollande et, dans la Hollande, La Haye, pour y installer ce tribunal arbitral qui, un jour, en dépit des plaisanteries et des dénégations pessimistes, se substituera au bon plaisir des Empereurs, des Rois, des Parlements, pour connaître des querelles internationales, leur trouver des solutions qui ne seront plus des massacres, et, enfin, établir la paix, je ne dis pas entre les hommes, mais entre les peuples. Il est certain que la Hollande et, parmi toutes les villes de Hollande, que La Haye, possèdent un charme, une vertu – pas encore pacifistes, peut-être –, mais singulièrement pacifiants. On peut y rêver de choses merveilleuses, on peut y rêver le bonheur universel, comme dans un beau parc, le soir après dîner… » Il prête à la ville une salutaire « influence sédative » susceptible de le « guérir de toute vaine agitation » : « Que de fois je suis venu ici, déprimé, surmené, les nerfs tendus et vibrants, par conséquent prédisposé à toutes les impulsions mauvaises! Et, après deux jours passés à La Haye, où ce qui reste d’un peu sauvage, d’un peu inquiétant dans le caractère hollandais disparaît, après deux jours de flânerie devant le Vivier, le Palais de Rembrandt, que gardent les cygnes, le Palais de la Petite Reine douloureuse, où ne veille aucun soldat, après deux jours de promenades, le long de ces jolies rues, de ces jolis jardins, si joliment fleuris, à travers cette belle campagne verte qui s’étale autour de la ville, comme un doux et somptueux tapis, voici que s’opère en moi la détente miraculeuse… Tout s’apaise, âme, muscles, nerfs et cerveau. Je suis heureux de vivre, sans hâtes fébriles, sans désirs brusques et sursautants. Avec une tranquillité complète, je jouis de toute cette mélancolie qui m’entoure et me pénètre, non point la mélancolie amère comme le fiel où elle alla chercher son nom, mais cette mélancolie rayonnante que, jeune, j’ai tant de fois connue aux approches de l’amour, et que donnent aussi les quelques instants de parfait bonheur, dont tout homme, même le plus dénué, garde en soi, au fond de soi, sans savoir d’où il est venu, le souvenir miséricordieux et lointain. » C’est aussi au musée de La Haye qu’il dit s’être enivré de Vermeer et avoir eu un « coup de foudre » qui l’a fait « [s]’agenouiller devant Rembrandt », une des « deux ferveurs de [sa] vie ».

P. M.


LAIGLE

            Laigle est une petite ville de l’Orne, peuplée de 5 000 habitants à l’époque de Mirbeau et située à trois heures de Paris par le train.

En juin 1885, Mirbeau et sa future épouse, Alice Regnault, se sont installés pour six mois à proximité de la ville, au Rouvray, propriété située sur la commune de Saint-Sulpice-sur-Risle, à 1 km du centre de Laigle. Le bâtiment qu’ils y louent se trouve dans le parc d’un château appartenant alors à une dame Cosnard et situé au bout d’une allée de tilleuls centenaires. Telle est la « chaumière » où l’écrivain rédige ses Lettres de ma chaumière, recueil de contes qui paraît en novembre 1885 chez Laurent, et où il commence à travailler au premier roman signé de son nom, Le Calvaire. C’est également là que, face à des rhododendrons géants « tels qu’on n’en trouve pas dans l’Himalaya », il rédige ses quatre dernières Lettres de l’Inde, où il fait le récit d’une prétendue randonnée à travers le Sikkim. Au Rouvray, Mirbeau a reçu notamment la visite d’Auguste Rodin et de son confident Paul Hervieu.

Quelques jours après leur installation au Rouvray paraît Le Druide, le roman à clefs et  à scandale de Gyp (voir la notice), où Alice est gravement diffamée et où Octave est lui-même attaqué : c’est le deuxième acte de l’affaire Gyp. Dès qu’il découvre le contenu du bouquin, Mirbeau part furieux pour Paris et tâche d’obtenir de l’éditeur, Havard, qu’il renonce à toute publicité, à défaut de pouvoir le contraindre à retirer purement et simplement le livre de la vente. Gyp prétendra alors que l’écrivain a tenté de la révolvériser, de la rue, alors qu’elle se trouvait dans son bureau éclairé, la nuit... Deux ans plus tard – troisième acte de l’affaire Gyp –, des lettres anonymes accuseront absurdement Octave et Alice d’avoir participé, lors de leur séjour au Rouvray, au trafic des décorations dans lequel est impliqué le général d’Andlau...  Il faudra attendre le 3 octobre 1888 pour qu’un non-lieu général soit prononcé et que les Mirbeau retrouvent leur tranquillité.

P. M.


LE HAVRE

Ville portuaire et industrielle de Normandie, située dans le département de la Seine-Maritime. Fondée sous François Ier, elle a connu une grande prospérité au XIXe siècle et est même devenue une station balnéaire recherchée. Mais elle a été en grande partie détruite par les bombardements de 1944 et reconstruite après la Seconde Guerre mondiale. Elle compte aujourd’hui quelque 180 000 habitants (130 000 en 1900). Le port de passagers a été longtemps la porte de l’Amérique ; quant au port de marchandises, il  est aujourd’hui le deuxième de France. Le port du Havre a inspiré les peintres : Eugène Boudin, Gustave Courbet, Maxime Maufra et Claude Monet, qui a passé toute sa jeunesse au Havre (voir surtout Impression, soleil levant, 1874, dont le titre a servi à baptiser l’impressionnisme).

Mirbeau a sans doute eu plusieurs occasions de passer ou de séjourner au Havre, mais seules quelques-unes sont attestées. C’est au Havre qu’il a situé le dernier chapitre de son roman “nègre” L’Écuyère (1882) : il y évoque « la jetée, qui, pareille à une langue grisâtre, s'allongeait dans le flot d'huile, à peine ridé par des brises », la côte d'Ingouville, le chemin d’Étretat, Sauvie et la route de Sainte-Adresse – banlieue chic, où Sarah Bernhardt avait une villa. À la veille du procès d’Alfred Dreyfus à Rennes, en juin 1899, il y est revenu dans le cadre d’une tournée de propagande révisionniste. C’est aussi au Havre que, en août 1903, après des années de froid, il a enfin revu, avec émotion et pour la dernière fois, le peintre Camille Pissarro, trois mois avant la mort du patriarche d’Éragny.

P. M


LE PERCHE

Octave Mirbeau est issu par son père d’une vieille famille percheronne dont on trouve la trace dans les registres paroissiaux de la commune de Moutiers-au-Perche dès le XVIe siècle. Ce n’est toutefois pas dans le Perche qu’il a lui-même vu le jour, mais à Trévières, village d’origine de sa mère, situé dans le Calvados. Mais son père est revenu dès l’année suivante s’installer avec les siens à Rémalard, chef-lieu du canton auquel appartient la commune de Moutiers. Et c’est ce bourg de Rémalard qui a été le port d’attache d’Octave de 1849 à fin 1872 ou début 1873, c’est-à-dire entre l’âge de 19 mois et celui de 25 ans. Il n’a vraiment tourné cette page de sa vie que quand il s’est vu embauché à Paris comme secrétaire de l’ancien (et futur) député Joseph Henri Dugué de la Fauconnerie au journal bonapartiste L’Ordre. Mais a-t-il jamais oublié l’environnement de ses jeunes années ? Son œuvre en offre bien trop de vieux remugles pour qu’on puisse répondre par l’affirmative. Quelques notions sur l’histoire et la nature des lieux aident à s’en apercevoir.

Le Perche est une ancienne province (le comté du Perche) passée sous le contrôle direct de la couronne de France en 1525 après avoir joui d’une large autonomie féodale pendant une partie du Moyen Âge. Son entité était déjà bien morcelée sous l’Ancien régime, puisque ses juridictions administratives ne coïncidaient pas avec ses circonscriptions judiciaires, les unes et les autres différant au surplus de la répartition  des paroisses entre quatre diocèses (Sées, Chartres, Le Mans, Évreux). La suite n’a rien arrangé, puisque le territoire du Perche a ensuite été partagé par la Constituante entre quatre départements (Orne, Eure-et-Loir, Sarthe et Loir-et-Cher), puis, par la Cinquième République, entre trois régions (Basse-Normandie, Centre, Pays de la Loire).

Cette petite région est à peu près grande comme le Luxembourg, c’est-à-dire qu’elle occupe un peu plus du tiers de la surface d’un département français moyen. Elle s’étend sur  une bande allongée du sud-est au nord-ouest d’environ 80 km de long et 40 km de large, jouxtant  la Normandie vers le nord et le nord-ouest, le Maine à l’ouest, le Vendômois au sud et la Beauce à l’est, toutes régions dont il est géographiquement bien distinct.

C’est un pays de collines et de forêts, qui n’ont jamais été que  partiellement dégarnies pour faire place à des cultures et à des herbages. La forêt, qui couvre encore 20 % du territoire, a toujours été importante dans le paysage, dans la vie et dans l’imaginaire des gens. Elle figure de ce fait dans beaucoup de contes d’Octave qui évoquent des histoires de chasse et surtout de braconnage. Les exemples de cette inspiration sont nombreux dans le tome I de l’édition des Contes cruels de 1990 : Un gendarme,  p. 361, Paysage d’hiver, p. 425, Un joyeux drille p. 435, Paysage d’automne p. 497, histoire qu’on retrouve dans le roman Dingo. On citera encore, dans le tome II,  Paysages d’automne (cette fois au pluriel), p. 25, repris des Lettres de ma chaumière, dont le passage que voici nous donne l’atmosphère.

« La forêt flamboie. Sur leurs roses tapis de feuilles tombées, les allées étouffent le bruit des pas, et les clairières, dans les taillis qui se dépouillent, s’élargissent éclaboussées de lumières jaunes comme l’or, rouges comme le sang. Les rôdeuses de la forêt, aux yeux de hibou, aux doigts de harpie, les vieilles bûcheronnes de bois mort passent, disparaissent sous l’énorme bourrée qui semble marcher toute seule. Malgré les splendeurs éclatantes de sa parure automnale, le bois darde sur vous un regard de meurtrier qui fait frissonner. Les cépées que la serpe entaille ont des plaintes humaines, la hache arrache des sanglots d’enfant aux jeunes baliveaux de châtaigniers, et l’on entend, dans les sapaies, le vent enfler leurs orgues funèbres qui chantent le Miserere. Accroupis autour des brasiers qui fument, on dirait que les charbonniers président à quelque œuvre épouvantable et mystérieuse : on se détourne, en se signant, du sabotier qui, farouche, sous son abri de branchages et d’écorces, évoque les terreurs des anciens bandits. / Où donc va-t-il, ce braconnier qui se glisse comme un fauve dans les broussailles à travers lesquelles reluit le canon d’un fusil ? Quand la nuit sera venue, quand la lune balaiera de ses rayons le tronc des grands chênes que le soleil empourpre maintenant, deux coups de feu retentiront dans le silence, le silence plein de carnages et d’agonies de la forêt. Est-ce un chevreuil qui sera tué, ou bien est-ce un garde qui se tordra sur une bruyère pourprée, des chevrotines au flanc ? »

On rencontre l’environnement forestier dans bien d’autres œuvres mirbelliennes. C’est le cas, pour s’en tenir à un exemple, dans la scène V de l’acte I de Les affaires sont les affaires, où le politicien affairiste Isidore Lechat se vante d’avoir envoyé valdinguer le duc de Maugis dans le décor de la forêt des environs de son château de Vauperdu. Anecdote qui reprend celle déjà contée dans le conte « Agronomie », où Lechat se prénommait Théodule et où le duc de Maugis s’appelait le duc de La Ferté.

Le Perche est encore (ceci avec cela) une région fraîche, très arrosée, baignée par l’Huisne, affluent de la Sarthe plus d’une fois évoqué par Octave. Les haies, les buissons, les halliers, les prairies plantées de pommiers, les fleurs, donnaient à cet environnement, du temps de notre écrivain, un charme, un peu abîmé depuis par la modernisation de l’agriculture, qui l’enchantait.

Il s’agit d’un pays de marche, que ni son histoire ancienne ni sa géographie ne permettent de rattacher à ceux de la Loire, ni à ceux de la Normandie, ni au ventre mou qu’on appelle le Centre. Très schématiquement, les comtes du Perche, puis leurs successeurs les ducs d’Alençon se sont en général rangés au cours de l’histoire aux côtés des rois de France pour contenir les ambitions des ducs de Normandie, puis celles des Anglais.

Le pays est peu peuplé : 75 000 habitants (cinq fois moins que le Luxembourg dont il était question plus haut, et vingt fois moins que les 1,5 million de Canadiens descendants de Percherons émigrés au XVIIe siècle). Il ne compte que trois communes de plus de 2 000 habitants (Nogent-le-Rotrou : 11 500, Mortagne 4 500, Brou 3 700). Et encore Brou appartient au Perche Gouët, petite sous-région qui n’a jamais été intégrée dans ce qu’on appelle traditionnellement le Grand Perche. Le pays a perdu un tiers de sa population entre 1800 et 1982 par suite de l’effondrement d’activités proto-industrielles au début du XIXe siècle. Même si l’on tient compte de cette érosion démographique, il est bien normal que de nombreux Contes et plusieurs romans d’Octave baignent dans une épaisse ruralité aux yeux de laquelle Paris ne pouvait offrir en ce temps-là que l’image d’une lointaine et colossale Babylone.

Malgré ses handicaps, le pays a conservé, jusqu’à l’époque actuelle, une conscience identitaire assez forte. Il la doit surtout à trois éléments :

* Une réelle empreinte initiale constituée dès l’époque médiévale (11e  siècle), où le Perche s’est pratiquement érigé en État autonome sous l’autorité de ses comtes.

* L’existence, sous l’Ancien Régime, d’une Coutume très différente de celles des provinces voisines, et d’abord de celle de Normandie. Ce régime se singularisait par la règle du douaire universel, c’est-à-dire pas appliqué seulement aux nobles,  le mari étant tenu de constituer un tiers de ses biens en legs pour sa femme afin qu’elle puisse assurer sa subsistance au cas où elle deviendrait veuve. Elle fixait aussi à 14 ans l’âge de la majorité des garçons chez les nobles en raison des pertes subies à la guerre. Elle n’a été annulée, comme les autres, qu’en 1791, c’est-à-dire moins de 60 ans avant la naissance d’Octave. Il est évident que cette Coutume spécifique, plaquée sur le patchwork administratif, judiciaire et religieux du Perche de l’Ancien Régime, a donné du grain à moudre à la lignée de tabellions d’où est issu Octave.

* Une tradition de vie rurale autarcique très marquée par le voisinage de la forêt. Les Percherons avaient dans les régions voisines l’image de gens de la forêt, rustauds, un peu inquiétants, dont on se méfiait. Méfiance qui était d’ailleurs réciproque, les Percherons ayant tendance à redouter ce qui venait du monde extérieur. On en trouve un exemple dans le refus de la plupart des municipalités concernées d’accepter un projet de tracé de la ligne de chemin de fer Paris-Brest par Châteauneuf-en-Thymerais, Longny, Mortagne et Alençon. La ville du Mans s’est au contraire démenée pour accueillir la ligne, et elle a emporté le morceau. Du coup, le tracé retenu ne traverse qu’une zone située dans le sud du Perche au lieu de le franchir dans sa partie centrale. On peut penser qu’Octave s’est souvenu de la frilosité des édiles de Longny et de Mortagne quand il a mis en scène une situation semblable dans le chapitre III de Dingo.

Les Percherons affirment volontiers leur identité quand ils sont entre eux. Mais, peut-être parce qu’ils sont conscients de l’exiguïté et du faible poids de leur province dans la vie nationale, ils se disent assez facilement Normands quand ils s’adressent à des étrangers.

Le philosophe Alain, autre gloire de la région, à certes écrit : « Je suis Percheron, c’est-à-dire autre que Normand ». Et aussi : « On voit que ce pays du Perche a sa civilisation propre et une structure fort ancienne. ». Mais il ne semble pas avoir éprouvé une grande difficulté à intituler Propos d’un Normand les textes qu’il a publiés à partir de 1906 dans La Dépêche de Rouen... Il est vrai que Rouen est en Normandie, et que cette oriflamme identitaire devait convenir aux lecteurs du journal. Mais, mutadis mutandis, il est bien évident qu’Alain n’aurait pas intitulé ses chroniques Propos d’un Béarnais si les hasards de sa carrière d’enseignant l’avaient conduit à les publier dans un journal paraissant dans la ville de Pau…

Octave Mirbeau se réfère, quant à lui, de préférence à « la Normandie » quand il éprouve le besoin de situer une scène manifestement inspirée par un cadre ou une ambiance qu’il a connu dans le Perche. C’est le cas, en particulier, quand il évoque un environnement ou un contexte ronflant. Il écrit par exemple dans  Agronomie »,  que « le domaine de Vauperdu est un des plus beaux qui soient en Normandie ». Or le nom de Vauperdu (devenu un château dans la pièce Les affaires sont les affaires est celui d’un ancien relais de chasse proche de Rémalard.

Ses allusions explicites au Perche sont rares, et toujours plus ou moins péjoratives ou réductrices. Il écrit par exemple, dans le conte  Dépopulation (Contes cruels II, p. 385) : « Je confiai le gosse à l’Assistance publique, laquelle le confia à une nourrice percheronne... Huit jours après, il mourait... Il mourait comme ils meurent tous là-bas, du manque de soins, de la férocité paysanne... de l’ordure. »

Il ne dore pas non plus l’image ancienne du Perche quand il raconte, au début du chapitre V du roman  Dans le ciel : « Saint Latuin était le patron de notre paroisse. Premier évêque de Normandie, au premier siècle  de l’ère chrétienne, il avait chassé du pays percheron, à coups de crosse, les druides, sacrificateurs de sang humain. »

Il est vrai qu’il a très tôt, dès son adolescence, jeté un regard pas seulement critique, mais désolé, sur l’environnement social qui était le sien à Rémalard. Il n’est pas étonnant que cela ait rejailli sur sa sensibilité à l’égard du Perche en général. Certains notables percherons lui ont longtemps rendu la politesse, y compris post mortem, en n’honorant sa mémoire que du bout des lèvres.

Cela dit, s’ils n’ont jamais épargné Rémalard, ses jugements se sont au moins une fois, au cours de sa jeunesse, teintés d’humour quand ils ont concerné un autre lieu que ce bourg selon lui « morne comme un cimetière ». On le voit dans cet extrait de la lettre adressée le 1er juin 1867 à son camarade d’enfance Alfred Bansard des Bois. Octave est à cette époque un jeune homme âgé de dix-neuf ans. Il raconte à son ami une visite qu’il vient de faire à sa sœur aînée Marie, qui est venue s’établir dans un village du sud du Perche, Le Theil, au lendemain de son mariage avec un jeune homme issu de la bourgeoisie rémalardaise, René Huberson : « Je suis allé  voir les nouveaux époux dans leur demeure du Theil. Ils sont en ce moment dans une maison  provisoire, assez incommode et malsaine. J’ai trouvé Le Theil un charmant pays, comme paysage. C’est une réduction de l’antique Élysée. De splendides prairies émaillées de bêtes à cornes ; des coteaux verts et boisés, et une rivière large qui roule ses flots d’argent au milieu des marguerites, des campanules et des primevères. Puis l’usine qui élève dans l’air ses cheminées de briques couronnées  du prudent paratonnerre. […] Les communications avec toutes les parties du monde sont faciles. On trouve non loin de là, à La Ferté-Bernard, des fromages délicieux et de parfaites andouilles. Ajoute à toutes ces beautés et commodités un hôtel portant le nom de Bacchus (cela vous remémore les temps mythologiques) et où les draps de lit ont l’apparence d’un filet de pêche à mailles très larges. Mais pour un pêcheur c’est encore un charme. Puis le dimanche la jeunesse du Theil se réunit dans une vaste salle de l’hôtel, et se livre avec frénésie à des exercices chorégraphiques et musicaux fort distingués. Je sais bien que ces sarabandes ne renferment pas des influences soporifiques bien énergiques. Mais tu sais, pour une âme poétique, les danses ont beaucoup d’attrait, et avec un peu de bonne volonté, on pourra se figurer que ce sont les nymphes des bois, et les naïades de ce nouvel Eurotas, et les Silènes tapageurs. »

La « bonne volonté » dont il est fait état dans la dernière phrase, n’est pas pour autant, on l’aura compris, la vertu cardinale de l’auteur quand il parle d’un pays qu’il préfère voir sous les angles « de la férocité paysanne » et « de l’ordure ». Dans ce domaine comme dans bien d’autres, l’indulgence n’est pas son fort.

M. C.

 

Bibliographie :  Max Coiffait, Le Perche vu par Octave Mirbeau (et réciproquement), éditions de l’Étrave, Verrières, 2006 ; Jean Vigile, « Le Perche et Mirbeau », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 19-34.

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LES DAMPS

Les Damps est une commune de l’Eure, située près du confluent de l’Eure et de la Seine, à 1 km du chef-lieu de canton, Pont-de-l’Arche, bourg ouvrier où l’on fabriquait des chaussons de lisière. À la fin du XIXe siècle, Les Damps comptait environ 250 habitants (un millier aujourd’hui). Mirbeau et sa femme Alice y ont habité trois ans et demi environ, d’août 1889 à l’hiver 1893. Fuyant Levallois et son bruit infernal qui le rendait fou, l’écrivain s’était mis aussitôt en quête d’une maison de campagne dans la vallée de la Seine et, après des semaines de vaines recherches, a fini par jeter son dévolu sur une maison des Damps, où le compositeur Jules Massenet résidait également à cette époque. « C'est un admirable paradis » écrit-il à Gustave Geffroy, aussitôt  après avoir signé le bail, le 30 juillet 1889.

 Nommée “Les Cèdres”, la maison est située dans la rue Morel-Billet, au n° 7, et surplombe la rive gauche de l’Eure. Elle a un plan rectangulaire, est faite de briques et est coiffée d’ardoises. Le jardin, d’environ 5 000 mètres carrés, descend en pente douce vers le fleuve et comporte un cèdre très ancien.  Le propriétaire est alors Jules-André Petit-Cuénot et le loyer s’élève à 1 400 francs par an, ce qui n’a rien d’excessif. Mirbeau trouvait pourtant le prix initial trop élevé et a dû essayer de le faire baisser, comme il l’expliquait à Claude Monet le 7 juillet, au moment où il venait de découvrir, « dans le plus admirable paysage qui se puisse voir, une maison, gentille d’aspect, mais bien incommode. Nous passerions sur pas mal d’incommodités, s’il y avait moyen de s’arranger avec le propriétaire, dont les prétentions sont exorbitantes. Nous sommes disposés aux plus grandes concessions. Mais il me paraît, de son côté, s’exagérer singulièrement le prix de sa propriété. Enfin je ne désespère pas. Et ce serait un bien grand ennui pour moi, si je n’aboutissais pas à une conclusion favorable, car je ne retrouverais nulle part, un spectacle aussi admirable que celui-là. Toute la vallée de la Seine, la vallée de l’Andelle, au loin s’ouvrant derrière le mont des Deux amants ; et tout près de nous, l’embouchure de l’Eure. Mais c’est trop beau, et il y aura bien sûr des anicroches. »

D’anicroches, il ne semble pas y en avoir eu. En revanche, les travaux et l’installation ont duré un bon mois, pendant lequel, chassé de pièce en pièce, l’écrivain n’a pu écrire ni une seule lettre, ni une seule chronique... Une fois installé, il a fait, de ce paysage qui l’enchante, une description impressionniste dans sa chronique intitulée « La Maison du philosophe  » (Le Figaro, 21 septembre 1889) : « Le petit village des Damps est bâti, près de l’embouchure de l’Eure, sur un bras de la Seine que sépare du grand fleuve une île plantée de hauts peupliers et d’oseraies abandonnées, maintenant envahies par une flore exubérante et vagabonde. Les herbes arborescentes, les fleurs sylvestres, les lianes ont tellement poussé, pullulé, elles se sont tellement jointes, enlacées, nouées les unes aux autres, que l’île, en bien des endroits, est impénétrable et qu’elle donne l’impression d’une terre vierge, d’une jungle mystérieuse, d’une sorte d’Éden sauvage, dont les maisons de villages reçoivent les violents, les âpres parfums, lorsque le vent souffle du Nord. Du grand bras de la Seine, caché par le niveau de l’île, on n’aperçoit que la rive droite, plate, nue, découvrant, par places, les écorchures blanchâtres d’un terrain marneux. La plaine ensuite, çà et là semée de bouquets de trembles et de pommiers solitaires, s’étend en paisibles carrés de cultures, jusqu’à des coteaux aux souples ondulations, aux pentes orangées, couronnées de forêts, dont la tache sombre s’attendrit, se voile de bleu léger et semble se vaporiser avec la brume qui monte, soir et matin, des nappes d’eau et des prairies riveraines. Gaiement éparpillés sur une même ligne, des villages longent le pied des coteaux, et leurs toits rouges et leurs façades blanches éclatent parmi les verdures estompées. Un peu vers la droite, la plaine s’élargit, les coteaux s’exhaussent en montagnes et s’ouvrent brusquement pour laisser voir un espace très lointain, très bleu et très rose, une enfoncée de vallée qu’on dirait remuante et légère autant que des nuées »...

Au cours de son séjour aux Damps, Mirbeau a reçu tous ses amis, notamment Auguste Rodin, Claude Monet, Paul Hervieu, Gustave Geffroy, Camille Pissarro, qui y réalisa quatre toiles du jardin de son chantre, et Jules Huret, qui y procéda, en avril 1891, à l’originale interview de l’écrivain pour sa fameuse Enquête sur l’évolution littéraire.

Deux anecdotes relatives aux Damps méritent d’être rappelées.

* Tout d’abord, induit en erreur par le maire du village, Mirbeau consacra au philosophe mondain Elme Caro une chronique reposant sur une confusion avec son presque homonyme Carau (« La Maison du philosophe », loc. cit.) et en tira, pour l’édification de ses lecteurs, une leçon sur l’Histoire (voir Histoire), dans une chronique intitulée « Une page d’histoire » (Le Figaro, 14 décembre 1890).

* Ensuite, apitoyé par la misère des pauvres chaussonniers et, plus encore, des chômeurs, exclus et sans-logis de Pont-de-l’Arche, il intervint en leur faveur auprès d’un ministre, qui pourrait bien être Freycinet, en juin 1890 : « La commune de Pont-de-l’Arche est horriblement pauvre et regorge de misérables qu’il faut soutenir. Or, l’administration municipale ne dispose d’aucune ressource. C’est, en grande partie, la faute des conservateurs qui, ici comme partout, sous prétexte de moralité, mais poussés réellement par un bas intérêt personnel, ont éloigné de Pont-de-l’Arche toute espèce d’activité industrielle. Le maire, M. Lequeux, homme excellent et intelligent, très dévoué à votre personne et à votre politique, a tenté, bien des fois, de remédier à cet état de choses, sans succès. À plusieurs reprises, il a demandé au gouvernement un secours en faveur de l’hospice, et du bureau de bienfaisance, et il se désole de ne pas l’obtenir. » Le 28 juillet suivant, en l’absence probable de réponse, Mirbeau fait paraître dans L’Écho de Paris  une émouvante chronique intitulée « Les Abandonnés », où il stigmatise l’indifférence homicide du gouvernement sollicité en vain : « Tout ce qu'il a pu faire pour cette commune misérable, ç'a été de l'obliger à construire des écoles monumentales et de l'écraser ainsi davantage sous le poids d'une dette qu'elle ne pourra jamais payer. »

C’est aux Damps que Mirbeau rédigea la première mouture du Journal d’une femme de chambre, parue en feuilleton dans L’Écho de Paris à partir du 20 octobre 1891, et Dans le ciel, paru en feuilleton dans le même quotidien à partir du 20 septembre 1892. Il est à noter que Le Mesnil-Roy, où est située l’action du Journal, n’est autre que Pont-de-l’Arche, et qu’une rue des Damps, qui monte de l’Eure vers la mairie, porte le nom de rue Monte-au-ciel, ce qui a pu inspirer au romancier l’image du pic et le titre de son roman.

P. M.

 

Bibliographie : Armand Launay, « Octave Mirbeau aux Damps et à Pont-de-l’Arche », La Fouine, n° 7, 2004  ; Armand Launay, « Octave Mirbeau : un écrivain anarchiste aux Damps (de 1889 à 1893) », in  L'Histoire des Damps et des prémices de Pont-de-l'Arche, Charles Corlet, 2007, pp. 134-137 ; Marcel Léchopier, « La Maison de Mirbeau aux Damps »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 237-241.


LEVALLOIS

            Mirbeau n’a habité que très peu de temps à Levallois-Perret, commune de l’ouest parisien qui se trouvait être un des centres de l’intelligentsia libertaire (Louise Michel y résidait aussi). C’est le 1er juin 1889 que, arrivé tout droit de Menton, il s’est installé dans un petit appartement sis au rez-de-chaussée du 26 rue Rivay, dans un des quatre immeubles de cette rue qui appartenaient à Alice.  Bien que ce soit, écrit-il, « un peu loin de tout », il espère alors que ses amis « voudront bien venir tout de même ».

            Malheureusement pour lui, les mêmes causes produisent les mêmes effets que lorsqu’il habitait le square du Ranelagh, à Paris : le bruit infernal le rend « fou » et lui est tellement insupportable qu’il pourrait bien un jour en arriver à « commettre un crime », comme il l’écrit à Edmond de Goncourt, avec une thérapeutique exagération. Avant même la fin du premier mois de son séjour à Levallois, il se met donc en quête d’une maison de campagne située  plus à l’ouest, dans la vallée de la Seine et, fin juillet, signe la location de la maison des Damps, près de Pont-de-l’Arche, dans l’Eure, où il emménage au cours du mois d’août.

            Le 10 juillet 1889, Edmond de Goncourt est venu dîner à Levallois, chez les Mirbeau, et nous a laissé une brève description de ce « vilain endroit, qui n’est ni la ville ni la campagne », de l’environnement « d’industries bruyantes » qui rendent « la vie impossible », et de la « petite salle à manger » aux murs ornés de deux études d’Octave et d’Alice.. C’est ce soir-là, en le raccompagnant à Auteuil, que Mirbeau lui a fait un récit fantaisiste de ses débuts journalistiques : c’est de ces fausses confidences, que Goncourt a précieusement notées dès le lendemain dans son journal, que datent quelques légendes tenaces, reprises imperturbablement pendant près d’un siècle.


LITUANIE

Modeste a été la réception de Mirbeau en Lituanie, ce qui n’a rien d’étonnant : aujourd’hui, à la différence de l’Estonie, ni Le Jardin des supplices (Kankinimų sodas), ni même Le Journal d’une femme de chambre (Vienos kambarinės dienoraštis), ne sont accessibles dans la langue du pays. Plus curieux, en revanche, est le fait que la seule œuvre qui y ait été traduite soit Les Mauvais bergers, et ce à trois reprises et en deux langues ! En effet, Netike ganytojai [“les pasteurs infidèles”] a d’abord paru en 1908, dans la Russie tsariste, en feuilleton et en lituanien, dans une revue de Vilnius, Vilniaus zinios, traduit par Jurgis Antanaitis ; puis en 1921, à Kaunas, la capitale de la Lituanie devenue indépendante, aux éditions Varpo, dans une nouvelle traduction de N. Lukavicius. Mais auparavant, en 1906, avait paru à Vilnius une traduction en yiddish et en caractères hébraïques, par Vilnahi, Jan i Madlena (i Shlechte Fihrer)  [“Jean et Madeleine (les mauvais conducteurs)”], aux éditions Bikherfarlag Tzukunft [“éditions le futur”] (102 pages) ; le titre met en évidence qu’aux yeux du traducteur Jean Roule et Madeleine ne sont pas des héros positifs, mais sont eux aussi, voire eux surtout, de mauvais bergers. Reste que ce sont probablement des motivations politiques qui expliquent le choix de cette pièce, que Mirbeau n’aimait pas et qu’il aurait voulu rayer de la liste de ses œuvres. La seule autre traduction répertoriée est celle de « L’Enfant »,  Vaikas, parue en 1906, à Vilnius, dans un petit recueil de contes français traduits par J. V. Verté, dans Vilniaus zinios,  n° 81. Peut-être une recension systématique de la presse lituanienne de l’entre deux guerres permettrait-elle de découvrir d’autres textes proposés aux lecteurs lituaniens, mais le bilan a toutes chances de rester modeste, et la période communiste, comme dans d’autres pays, a été particulièrement improductive : Mirbeau devait hérisser le poil des apparatchiks.

Lors de sa mort, Vincas Mickiewicius-Kapsukas, socialiste révolutionnaire qui fondera par la suite le Parti Communiste lituanien, a pourtant rendu hommage, dans Naujoji gadyne, à l’écrivain engagé aux côtés des prolétaires et détesté par les bourgeois. Quant à V. Dubas, dans son histoire de la littérature française, Prancuzu literaturos istorija, parue à Kaunas en 1929, il n’évoque que brièvement Mirbeau, dont il souligne le réalisme, mâtiné de restes romantiques (tome 1, p. 246).

P. M.

 

Bibliographie : Irena Skurdeniene, « La Réception de Mirbeau dans la littérature lituanienne au tournant du XXe siècle », Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, pp. 171-175.

 

 

 

 


LUCHON

Sur le conseil de son médecin traitant, le professeur Albert Robin, Octave Mirbeau a passé plus de quatre semaines à Luchon, en août 1897, parce qu’il souffrait d’une pharyngite chronique qui le menaçait de surdité. Il y était logé au chalet  Combemale, situé avenue de Vénasque et qui sert aujourd’hui de foyer pour enfants. Mais, de retour à Paris, il tire de sa cure un bilan fort négatif, dont témoigne notamment une lettre à Auguste Rodin : « N’allez jamais dans la montagne. C’est la mort, parce que c’est l’arrêt subit de toute vie cérébrale. Je ne sais pas si j’en reviens guéri. Ce que je sais, c’est que j’en reviens gâteux. »

            Au cours de son séjour dans les Pyrénées, Mirbeau rédige cinq chroniques intitulées « En traitement », qui paraissent dans Le Journal du 8 août au 5 septembre 1897, et qu’il insèrera, en 1901, dans son roman-patchwork, Les 21 jours d’un neurasthénique. Elles témoignent de son mal-être, qu’il tend à identifier à la neurasthénie du narrateur de son roman et qu’il projette sur le monde environnant. Loin d’être en admiration béate devant les paysages de montagne, il n’en ressent qu’une impression d’oppression : « Les montagnes, dont je sens pourtant, aussi bien qu’un autre, la poésie énorme et farouche, symbolisent pour moi tout ce que l’univers peut contenir d’incurable tristesse, de noir découragement, d’atmosphère irrespirable et mortelle... J’admire leurs formes grandioses, et leur changeante lumière... Mais c’est l’âme de cela qui m’épouvante... Il me semble que les paysages de la mort, ça doit être des montagnes et des montagnes, comme celles que j’ai là, sous les yeux, en écrivant. »

            Quant à la station thermale elle-même, qui n’est pas nommée, mais qui est parfaitement reconnaissable, ce n’est pas une vraie ville à ses yeux : « La particularité de cette ville où je suis, et dont l’excellent Baedecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants “la sublime beauté idyllique”, tient en ceci, qu’elle n’est pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, les maisons d'habitants. Or, à X... , il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants indigènes, il n’y a que des hôtels... soixante-quinze hôtels, énormes constructions, semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns les autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Ça et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes. Puis, quelques villas, éparpillées sur les pentes... et, au fond d’un trou, l’établissement thermal qui date des Romains... ah! oui... des Romains !... Et c’est tout. En face de soi, la montagne haute et sombre; derrière soi, la montagne sombre et haute... À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore... Et pas de ciel... jamais de ciel, au-dessus de soi ! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses... / Si la montagne est sinistre, que dire de ces lac – oh ! ces lacs ! – dont le bleu faux et cruel, qui n’est ni le bleu d’eau, ni le bleu de ciel, ni le bleu de bleu, ne s’accorde avec rien de ce qui les entoure et de ce qu’ils reflètent ?... Ils semblent peints – ô nature ! – par M. Guillaume Dubufe, quand cet artiste, aimé de M. Leygues, s’élève jusqu’aux vastes compositions symboliques et religieuses... »

            Circonstance aggravante : les curistes, dont il trace, dans Les 21 jours, de savoureuses caricatures constituant « un défilé de tous les échantillons de l’animalité humaine », mais qui renforcent le narrateur dans sa neurasthénie et sa misanthropie : « Mais peut-être pardonnerais-je aux montagnes d’être des montagnes et aux lacs des lacs si, à leur hostilité naturelle, ils n’ajoutaient cette aggravation d’être le prétexte à réunir, dans leurs gorges rocheuses et sur leurs agressives rives, de si insupportables collections de toutes les humanités. »

P. M.  

Bibliographie : Pierre de Gorsse, « Les Vingt et un jours d'Octave Mirbeau à Luchon », Tarbes, Revue de Comminges, 3e trimestre 1966, pp. 163-176 ; Claude Herzfeld, « Hermann Hesse et Octave Mirbeau : cure et neurasthénie », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007,  pp. 95-110 ; Pierre Michel, « Les 21 jours d’un neurasthénique, ou le défilé de tous les échantillons de l’animalité unique », préface des 21 jours, Éditions du Boucher, décembre 2003 ; Octave Mirbeau, Les 21 jours d’un neurasthénique, Fasquelle, 1901. 


MACEDOINE

Le macédonien est une langue slave, qui s’écrit en caractères cyrilliques et qui est parlée dans la toute nouvelle république de Macédoine et dans quelques localités des États voisins (Albanie, Serbie, Bulgarie et Grèce). Différente du serbo-croate, elle est plus proche du bulgare.

Il a fallu attendre 2009 pour qu’apparaissent, presque simultanément, chez deux éditeurs différents, deux traductions de romans de Mirbeau en macédonien. D’une part Le Jardin des supplices  (Градина на мачењето), traduit par Stefan Simonovski et paru à Skopje aux éditions Templum, dans la collection Magma, n° 74, avec une couverture très kitsch (253 pages). D’autre part, Le Journal d’une femme de chambre (Дневникот на една собарка), traduit par Elisabeta Trpkova et publié par un autre éditeur de Skopje, Кoultoura, dans la collection Jiva kniga книга (474 pages) ; sur la couverture, figure une photo de Mirbeau empruntée à Wikipedia.

P. M

MADAGASCAR

C’est en 1896 que l’armée française envahit l’île de Madagascar, qui était alors une monarchie Mérina. Il n’y eut pratiquement pas de combats, et donc très peu de pertes du côté français, mais, dans les mois qui ont suivi la conquête, la dysenterie et les maladies tropicales se chargèrent de faire quelque six mille morts parmi les troupes d’occupation. L’île passa pendant huit ans sous le gouvernorat du général Gallieni, qui instaura le travail forcé des indigènes, exécuta deux ministres, exila la reine, et, face à la résistance des « indigènes », « pacifia » le pays au prix d’au moins cent mille morts (certains parlent même de 700 000).

Conformément à ses solides convictions humanistes et anticolonialistes, Mirbeau dénonça aussitôt les crimes commis au nom de la si mal nommée République. Dans « Paysage parlementaire » (Le Journal, 11 novembre 1896), il ironisait déjà sur le compte des députés qui se prétendaient républicains et « modérés » et qui n’en applaudissaient pas moins les communiqués de victoire de Gallieni, annonçant « laconiquement » qu’il venait de faire fusiller un prince, un ministre et quelques autres personnalités malgaches « et que cela continuerait de la sorte, joyeusement, jusqu’à l’extinction complète de cette race antipatriotique qui empêche messieurs les militaires de coloniser en rond ». Et Mirbeau d’ajouter : « Pour exciter la modération des républicains et le républicanisme des modérés, rien ne vaut comme une bonne fusillade. Cela met tout le monde en bonne humeur. »  Deux ans plus tard, à l’occasion d’un meeting dreyfusiste à Corbeil, le 15 janvier 1899, il évoquera de nouveau les atrocités commises par les officiers français à Madagascar.          

Voir aussi les notices Afrique, Colonialisme et Anticolonialisme.

P. M.


MANDCHOURIE

En 1904, alors que Mirbeau collabore à le toute nouvelle Humanité de Jaurès, la Mandchourie est, et va rester pendant dix-huit mois, le théâtre de l’atroce guerre russo-japonaise, qui voit s’affronter, sur le sol chinois également convoité, deux puissances impérialistes. Mirbeau voit dans cette guerre la préfiguration des monstrueuses guerres de l’avenir, et il stigmatise l’indifférence des nations européennes, hypocritement camouflées derrière le principe de non-ingérence.

La présence de reporters occidentaux devrait en principe permettre au public d’être tenu au courant des péripéties de la guerre, mais, d’après Mirbeau, les journalistes français, mal vus des belligérants et très loin du front, ne rapportent que la version officielle des Russes et participent à une grave campagne de désinformation : « Voilà pourquoi, à supposer qu’il existe, le Japon n’a ni armée, ni flotte, ni argent, ni approvisionnement, ni munitions... Voilà pourquoi les Japonais, pauvres petits diables de rien du tout, hâves, faméliques, épuisés, décimés par la peste et le typhus, n’ont encore débarqué nulle part, ne débarqueront jamais nulle part, et que, s’ils avaient l’audace dérisoire de débarquer quelque part, n’importe où, trois joyeux cosaques se chargeraient, en riant, de les rejeter à la mer, bons et chers cosaques du Don et de l’Amour !... Voilà pourquoi, ô magie de l’alliance ! bien loin que les obus japonais endommagent les forts qu’ils bombardent et les vaisseaux qu’ils coulent, ils ont cette vertu providentielle et comique de les consolider, de les multiplier... » (« Un sport malade », L’Auto, 25 mars 1904).

Il va donc, pour sa part, s’employer à inverser la tendance en fournissant à ses lecteurs des informations qu’ils ne trouveront pas dans la grande presse, porteuse de la pensée unique et par trop favorable à l’alliance franco-russe qu’il n’a cessé de dénoncer comme contre-nature. Dans « Le Chancre de l’Europe » (L'Humanité, 28 août 1904), il cède la parole à un officier de marine français, qui reconnaît n’avoir rien d’un enfant de cœur et être plutôt du genre « brigand », et qui n’en a pas moins été épouvanté par ce qu’il a vu en Mandchourie, malgré sa cuirasse de dur à cuire : « Il s’est passé là-bas des faits si monstrueux, de telles boucheries humaines, que nous avons peine à en concevoir l’horreur. » « Il y a des bornes à l’horreur, et cette guerre les dépasse », ajoute-t-il, en précisant que cette « guerre imbécile et criminelle », « seuls les Russes l’ont voulue, l’ont déchaînée », même si ce sont les Japonais qui ont ouvert les hostilités. De la bouche d’un autre officier, un capitaine polonais de l’armée russe, Mirbeau recueille, « sur cette guerre honteuse et si atrocement inutile », des récits qui, selon lui, « donnent le vertige, des récits tels que l’imagination la plus frénétique ne saurait concevoir rien de pareil, même dans le domaine du cauchemar ». Pour le premier numéro de l’éphémère revue de Francis Jourdain, La Rue, il en a choisi un, particulièrement épouvantable, où l’on voit deux cents soldats, blessés et sanguinolents, qui, rendus fous par la guerre et le froid glacial,  gesticulent, vociférent et dansent tout nus, par « un froid de vingt-cinq degrés, qui exfoliait la peau et charriait des glaçons dans les veines » (« Ils étaient tous fous... », hiver 1905).

P. M.

 

 

 

 


MARLOTTE

Village de Seine-et-Marne, situé à 75 km de Paris, au sud de la forêt de Fontainebleau, où ont séjourné, au XIXe siècle, de nombreux écrivains (Alfred de Musset, George Sand, Mürger, Élémir Bourges) et qui a surtout été rendu célèbre par les peintres de plein air qui s’y sont installés un temps. Daubigny y a séjourné dès 1856, Claude Monet, Alfred Sisley, Camille Pissarro et Auguste Renoir, ont suivi son exemple, ainsi que, plus tard, Louis Anquetin.

C’est de Marlotte que, le 16 juillet 1884, Mirbeau est parti pour une randonnée de cinq jours qui l’a conduit à Bourbon-l’Archambault et qu’il évoque, quelques jours plus tard, dans deux articles du Gaulois, « Sac au dos » : « Comme ce joli village, si cher aux peintres, est changé maintenant ! Seuls les artistes sérieux et rangés sont restés, car ils ont, là, maison et famille. Les autres ont fui. [...] Aujourd’hui, le soir, plus de bruit, plus de chansons, plus de farces, plus de ces charges dites d’atelier, plus de ces parties joyeuses... »

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Sac au dos, L’Échoppe, 1991.


MENTON

Mirbeau a fait plusieurs séjours à Menton, dont il appréciait vivement le climat doux, l’hiver, et l’environnement naturel. Arrivé à Menton début novembre 1888, il ne tarde pas à louer une maison fort à son goût, la Casa Carola, où il demeurera jusqu’à la fin mai 1889. C’est une villa située de l’autre côté du pont Saint-Louis, aujourd’hui italien, si l’on en croit le service du patrimoine de Menton, dont la directrice, Josiane Tricotti, précise qu’elle est connue sous le nom de villa Voronoff, d’après le nom d’un ancien propriétaire. À l’époque, elle appartenait  à un certain Andrews, auteur d’un dictionnaire du dialecte mentonnais, que Mirbeau décrit comme un « charmant homme, américain, ancien tireur aux pigeons, ancien joueur, ancien fêtard, et qui fait les choses comme un homme à qui l’argent ne coûte guères ».

            Mirbeau décrit ainsi la Casa Carola dans une lettre à Paul Hervieu : « C’est dans la montagne, près du pont St-Louis, à deux pas de Crispi,  une petit maison rose avec ses quatre terrasses étagées et garnies de roses, de pourpiers, de jasmins et d’héliotropes, tout cela fleuri et plein de parfums. En face la mer. À gauche la mer et les rochers rouges de Grimaldi ; à droite la mer, Menton, le Cap Martin ; et plus loin la Tête de chien, et plus loin encore les découpures de l’Estérel : une admirable féerie, illuminée du plus beau soleil. »

Dans « Un joueur » (Le Figaro, 27 janvier 1889), Mirbeau évoque le quartier de Garavan où il habite, et qui « se peuple de jolies maisons » aux « façades blanches ou roses » et aux « toits de tuile rouge ». Et il y décrit, en impressionniste, l’inoubliable spectacle qu’on y a des hauteurs : « À gauche les rochers rouges de Grimaldi, blocs carrés, énormes murailles qui baignent dans la mer les mouvants reflets de leurs coulées sanglantes et de leurs écorchures de laque vive. Un pignon rose, en plein ciel, à pic sur le gouffre bleu, les domine : la douane italienne. Et l’œil sent, avec appréhension, avec terreur, les petits caps, les criques d’azur, les coteaux violets et pulvérulents, le long desquels serpente la route du mystère. [...] À droite, c’est le vieux Menton, avec ses escalades rapides de maisons tassées l’une sur l’autre, étrange et vivant grouillement de taches claires et de taches d’ombre, d’angles de soleil et de clochers bleus qui se décomposent sur le fond de velours opalin des montagnes. [...] Au-delà de la vieille ville, séparé d’elle par une  large nappe d’eau brillante, le Cap Martin s’avance, fendant la mer de sa masse sombre qui s’amincit comme l’étrave d’un gigantesque navire. Puis la Tête de chien, accroupie dans le ciel, pareille à un formidable sphinx, la face tournée vers l’infini, étend son ombre sur Monte-Carlo, invisible, qui fume à sa base... »

En avril 1889, Mirbeau annonce à Paul Hervieu « une triste nouvelle » : « Le Cap Martin va être démoli. Il est venu un Anglais qui a trouvé ce vieux promontoire admirable, si admirable qu'il va le raser de la base au sommet. Il explique ses projets dans une lettre adressée à L'Avenir de Menton : “Plus de ces antiques oliviers ! s'écrie-t-il, plus de ces pins mal venus et vétustes qui  déshonorent ce cap !... Place à l'horticulture moderne !” Nous aurons des hôtels, et des villas, des pelouses avec des corbeilles de fleurs où des noms seront inscrits, des statues mythologiques, et des volières ! Il insiste sur les volières ! Tout le monde connaît  ça ! c'est vivant ! Il rêve de la teindre de couleurs inconnues et casinotiques ; il voudrait aussi repeindre le ciel, dont la vulgarité l'écœure ; enfin, les Mentonnais sont dans la joie : “Ce n'est pas trop tôt, disent-ils, qu'on nous débarrasse de cette saleté-là !... Enfin, on va donc les foutre à bas, ces oliviers !” D'ailleurs ils n'avaient pas attendu la venue de l'Anglais pour cela. Partout, ils abattent ces vieux géants, et plantent de la vigne. Dans dix ans, l'olivier sera l'arbre le plus inconnu de la flore méditerranéenne. » Dans un article ironiquement intitulé « Embellissements » (Le Figaro, 28 avril 1889),  Mirbeau déplore le projet de massacre écologique perpétré par cet Anglais qui veut « raser, niveler, peigner et encasinoter » le Cap Martin : « C'est un sentiment très humain, et les choses ne nous paraissent belles, elles n'ont de prix pour nous qu'autant que nous pouvons les mieux détruire. Le premier besoin de l'homme, c'est la destruction. »

Mirbeau est retourné à Menton, fin mars 1890, après avoir mis la dernière main à Sébastien Roch. Mais cette fois il réside dans un hôtel de luxe situé sur le bord de mer, dans le quartier Garavan, l’Hôtel des Anglais, aujourd’hui détruit, qui appartenait alors à la famille Arbogast. La fille de ses hôtes, Yvonne Arbogast, sera une grande admiratrice de l’écrivain, qu’elle n’aura pourtant fait qu’entr’apercevoir lors de sa prime enfance (sur cette dame, voir l’article de Bernard Garreau dans les Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, 2004, pp. 245-262). C’est là que l’écrivain séjournera lors de ses  quelques passages à Menton au cours des années suivantes, notamment en février 1904.

P. M.


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