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LES MEMOIRES DE MON AMI

Récit publié du 27 novembre 1898 au 30 avril 1899 dans Le Journal, Les Mémoires de mon ami constitue l’une des étapes essentielles du retour à la littérature que ne cesse de préparer Mirbeau depuis la crise morale qui l’a affecté au début des années 1890. Accaparé par la presse, à laquelle il donne d’innombrables contes et chroniques, il n’a rien publié depuis Sébastien Roch (1890). Sa dernière tentative romanesque, Dans le ciel, parue en feuilleton dans les colonnes de L'Écho de Paris en 1892-1893, lui a donné si peu satisfaction qu’il décide de ne pas la publier en volume. Par leur ampleur, Les Mémoires de mon ami renouent avec le désir de littérature. 

L’intérêt de ce récit est multiple. Au niveau formel, tout d’abord, Mirbeau use dans l’incipit, de l’artifice du manuscrit arrivé fortuitement entre les mains du narrateur-éditeur. Procédé classique destiné à attester de l’authenticité des pages à suivre, il servira, paradoxalement, de plus en plus à l’auteur pour ménager un seuil avant le récit lui-même, dans le but de préparer le lecteur à une approche critique et distanciée de la diégèse. Le texte livre ensuite un récit plutôt décousu dans lequel l’auteur du manuscrit passe en revue son existence. Les épisodes se succèdent au gré des souvenirs et le texte s’achève d’une manière aussi brutale que frustrante pour le lecteur, accoutumé à la complétude des récits finalistes exposant les tenants et les aboutissants de leurs péripéties.

Au niveau thématique ensuite, Mirbeau compile, dans ce recueil de situations existentielles, toutes les problématiques qui alimentaient déjà son œuvre et qui fourniront les motifs à la deuxième partie de sa carrière romanesque. L’incommunicabilité homme-femme en est le thème dominant, dès les premières pages, où la femme de Charles L…, l’auteur du manuscrit, porte le document au narrateur, ami de ce dernier. L’incompréhension dont elle témoigne relativement aux écrits de son mari défunt fait pendant aux propos de celui-ci dans son œuvre, évoquant leur dissentiment perpétuel. Un second thème, récurrent depuis les débuts littéraires de Mirbeau, est également présent. Si l’existence de Charles L…  se réduit à un état larvaire, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’y échapper. L’aspiration à l’idéal en butte aux affres du quotidien alimente tous ses efforts et imprègne le récit. Créateur stérile, âme trop sensible rejetée dans le tourbillon de l’existence, Charles L… n’est qu’un noyé en sursis. Son inadaptation à la société et le décalage qu’il ne cesse de ressentir entre lui et les choses en font un précurseur de Meursault, ainsi que l’a relevé Pierre Michel. Reste la tentation de la révolte mais qui, elle aussi, avorte pour laisser place à la résignation. C’est là que Les Mémoires de mon ami se sépare des romans à venir. Accentuant la déconstruction du récit entamée avec ce bref texte, les œuvres futures en conserveront essentiellement la dimension testimoniale pour inciter le lecteur à la réflexion critique et à une prise de conscience salvatrice. En ce sens seulement, Charles L… préfigure Clara, Célestine, le narrateur des Les Vingt et un jours d’un neurasthénique ou celui de La 628-E8. L’hypocrisie morale, la mesquinerie petite-bourgeoise de ses beaux-parents comme des siens, l’incurie des juges désignent les cibles sur lesquelles va se focaliser l’engagement de Mirbeau. Enfin, la pitié qui imprègne plusieurs passages ajoute à l’unité d’inspiration d’une écriture autant préoccupée d’esthétique que d’éthique.

A. V.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Les Mémoires de mon ami, in Chez l’Illustre Écrivain, Flammarion, 1920, pp. 133-298 (et collection « Une heure d’oubli », Flammarion, 1920) ; Pierre Michel, présentation des Mémoires de mon ami, in Contes cruels, II, Les Belles Lettres/Archimbaud, 2000, pp. 565-569 ; Arnaud Vareille,  préface aux Mémoires de mon ami, L’Arbre Vengeur, 2007, pp. 7-17 ; Robert Ziegler, « Jeux de massacre », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8,  2001, pp. 172-182.

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