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Terme
MALLARME, stéphane

MALLARMÉ Stéphane (1842-1898), poète symboliste. Il enseigna l’anglais à Tournon, Besançon, Avignon, puis Paris (1873). De 1874 à 1875, il rédigea la gazette La Dernière mode, puis publia L’Après-midi d’un faune, en 1876. Vers et prose, en 1893, contient les plus importantes de ses pièces. En prose, on lui doit une traduction d’Edgar Poe (1888) – « ce n’est point une traduction, c’est la résurrection de Poe en vou», lui confie un Mirbeau sous le charme –, Pages (1891) et Divagations (1897). Aux côtés de Verlaine, avec un effort plus systématique pour définir sa théorie esthétique, il doit être considéré comme le maître de la poésie symboliste. Chantre de l’obscurité dans l’art, il se revendique d’un hermétisme qu’il justifie par une poétique basée sur le pouvoir de suggestion des mots, aux dépens d’une peinture descriptive de l’objet. Cette exigence le mènera dans ses dernières productions à des textes d’une rare mais singulièrement complexe beauté.

Si nous nous rangeons à l’hypothèse défendue par Pierre Michel selon laquelle Mirbeau signa ses chroniques, un temps, Tout-Paris, force est de reconnaître que les premières critiques ne furent pas tendres à l’endroit de Mallarmé : le goût français de la clarté achoppe à l’incohérence du fond. En avril 1880, Mirbeau embouche donc la trompette de l’intransigeance française sur le terrain de la logique : Mallarmé, chantre de l’obscurité, se coupe de son public. Mieux inspiré sera le Mirbeau de 1889, qui, dans Le Figaro, prête à un écrivain allemand des propos nettement francophiles en matière de littérature, qui reconnaît dans les vers décriés neuf ans plus tôt, ceux de Hérodiade, la trace d’un verbe qui se moule sur les contours de la chose invoquée autant que évoquée.

C’est qu’en théorie, le genre même de la poésie, a fortiori sibylline, ne semblait pas devoir rapprocher les deux hommes – mais n’oublions pas que le jeune Mallarmé destine à l’origine au théâtre son dialogue Hérodiade. Et c’est en connaisseur avisé que le poète ne tarit pas d’éloges sur la qualité des pièces de Mirbeau ; on ne connaît guère d’appréciations plus synthétiques que ses lignes sur L’Épidémie, par exemple. On sait en outre que Mallarmé – chez qui Sartre décelait une manière de terrorisme de la politesse – appréciait l’œuvre et la personne de Zola, par exemple, non à l’aune de sa propre esthétique quintessenciée, mais selon des critères qui englobaient personnalité, subjectivité, place de l’imaginaire. C’est bien ce qui suscite sa fascination devant l’œuvre de Mirbeau. Les romans donnent résolument lieu aux plus pénétrantes analyses critiques du poète : en l’abbé Jules, en 1888, il trouve « un douloureux camarade, que personne ne saura oublier. […] Avoir mis debout un pareil quelqu’un, voilà assez pour un livre. » Sébastien Roch ne suscite guère moins d’enthousiasme, en 1890 : « Le sujet n’était que risque, avec un autre ; et tourne tout à l’humanité : ce pauvre enfant aura eu un père, que vraiment vous fûtes : auctor. […] Tout dit votre période littéraire par excellence, et définitive, la maîtrise – un quelqu’un sûr et mûr. » Mallarmé a su déceler en Mirbeau un romancier capable d’insuffler à ses créatures une humanité et une part de dignité qui en font nos frères.

Rarement admiration aussi profonde a en effet généré des affinités si durables. Comme Monet, comme Rodin, dans son panthéon à usage personnel, les dieux de Mirbeau intègrent Mallarmé, qui le lui rend bien. Le poète fait partie des convives des Bons Cosaques crées par Mirbeau, ou des familiers de Carrières-sous-Poissy ; il apparaît au sein de la correspondance comme un confident épistolier régulier, intervient auprès de Mirbeau afin d’obtenir de lui une série de chroniques d’art sur les peintres anglais qu’il incite Mirbeau à aller voir à Londres, au printemps 1894.

Par surcroît, la sensibilité anarchiste du poète, bien réelle, n’est pas si éloignée de celle du libertaire Mirbeau. Tous deux témoigneront avec succès en faveur du critique et journaliste Félix Fénéon, en avril 1894, accusé d’acte de terrorisme. Aussi bien, il est étonnant de considérer comment les deux hommes font cause commune sur un terrain insolite lorsqu’il est question de Mallarmé, celui de l’action. Le rôle important joué par Mirbeau au sein de la presse de son temps a soulevé l’admiration du poète, au moins autant que sa place dans le champ de l’art. « Vous êtes le brave », celui qui contribue à « sauver l’honneur de la presse », reconnaît volontiers Mallarmé. En 1895, Mirbeau ferraille violemment contre le principe même des expositions, et obtient le soutien sans faille du poète.

Pour finir, il est permis de constater que Mirbeau n’a pas mis en scène un poète à la manière de Mallarmé (Camille Mauclair n’a-t-il pas donné un Soleil des morts, en 1898), l’auteur de Dans le ciel donne corps en revanche à un peintre assez proche de l’esthétique idéaliste, en 1892-1893, que sa vocation de perfection formelle poussera à la folie, puis à la mort : la tentation du silence qui hanta le maître de Valvins n’est-elle pas la même que celle qui inhibe toute forme de création, chez le peintre Lucien ?

S. L.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, (sous la signature de Tout-Paris), « Les Impressionnistes », Le Gaulois, 2 avril 1880 (recueilli dans Premières chroniques esthétiques, Presses de l’Université d’Angers, 1996, pp. 265-268) ; Octave Mirbeau, « Quelques opinions d’un Allemand », Le Figaro, 4 novembre 1889 (Combats littéraires, pp. 301-304).

 

 


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