Oeuvres

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Terme
LE COMEDIEN

Le Comédien est une brochure de 40 pages parue chez Brunox fin novembre 1882 et qui se présente sous une forme originale, car elle peut se lire dans les deux sens. Elle comprend en effet deux textes  disposés tête-bêche : d’un côté, l’article de Mirbeau contre la cabotinocratie, qui a fait scandale dans Le Figaro du 26 octobre 1882, complété par sa lettre à Francis Magnard, et, de l’autre, la réponse de Coquelin, qui prend la défense de la profession outragée. Il semble qu’au moins six éditions aient été retirées, dont la plupart portent la date de 1883. Le Comédien a été rédigé par Mirbeau à la demande du directeur du Figaro, Francis Magnard, mais celui-ci, effrayé par le scandale provoqué par le pamphlet de son porte-plume, a pris peur et s’est désolidarisé. Furieux, Mirbeau a voulu, mais en vain, provoquer son directeur en duel, puis, contraint et forcé, est alors retourné au Gaulois d’Arthur Meyer, où il n’a pas manqué d’accuser Le Figaro de s’être fait le défenseur des intérêts des cabotins.

Ce pamphlet comporte en fait deux volets. C’est tout d’abord une charge, fort injuste, contre le comédiens, accusé d’être des « réprouvés » privés de personnalité de par leur métier de caméléon : « Qu'est-ce que le comédien ? Le comédien, par la nature même de son métier, est un être inférieur et un réprouvé. Du moment où il monte sur les planches, il a fait l'abdication de sa qualité d'homme. Il n'a plus ni sa personnalité, ce que le plus inintelligent possède toujours, ni sa forme physique. Il n'a même plus ce que les plus pauvres ont : la propriété de son visage. Tout cela n'est plus à lui, tout cela appartient aux personnages qu'il est chargé de représenter. Non seulement il pense comme eux, mais il doit marcher comme eux ; il doit non seulement se fourrer leurs idées, leurs émotions et leurs sensations dans sa cervelle de singe, mais il doit encore prendre leurs vêtements et leurs bottes, leur barbe s'il est rasé, leurs rides s'il est jeune, leur beauté s'il est laid, leur laideur s'il est beau, leur ventre énorme s'il est efflanqué, leur maigreur spectrale s'il est obèse. Il ne peut être ni jeune, ni vieux, ni malade, ni bien portant, ni gras, ni maigre, ni triste, ni gai, à sa fantaisie ou à la fantaisie de la nature. Il prend les formes successives que prend la terre glaise sous les doigts du modeleur. [...] Le comédien est violon, hautbois, clarinette ou trombone, et il n'est que cela. » De surcroît, en jouant tous les grands sentiments, il contribue à « déshonorer » la vieillesse et la souffrance. Mirbeau fera son mea culpa de ces accusations tout à fait excessives, voire carrément absurdes, dans « Pour les comédiens », qu’il fera paraître le 20 avril 1903, le jour de la première de sa grande comédie Les affaires sont les affaires à la Comédie-Française. Il est cependant un point sur lequel il ne reviendra pas : pour lui, il n’appartient en aucune façon aux comédiens de se substituer aux auteurs et, à cet égard, le décret de Moscou instaurant, en 1812, le comité de lecture de la Comédie-Française lui a toujours paru très dangereux.

Mais ce qui donne à ce pamphlet univoque une portée bien différente des traditionnelles imprécations des prêtres catholiques contre les acteurs, c’est la conclusion. Car ce que dénonce Mirbeau, en fait, c’est le star-system, c’est le pouvoir reconnu aux grands acteurs de cabotiner en toute impunité, c’est leur médiatisation à outrance, qui fait qu’on accorde beaucoup plus de prestige et de respect aux interprètes qu’aux auteurs, aux histrions qu’aux grands artistes créateurs, au vernis superficiel qu’à la substance des œuvres. Il y voit le symptôme d’une société décadente, où tout marche à rebours du bon sens et de la justice : « Et plus l'art s'abaisse et descend, plus le comédien monte. Quand, au grand soleil de la Grèce, à la pleine clarté du jour, le peuple applaudissait, emporté dans le génie de Sophocle, le comédien n'était rien, il disparaissait sous le souffle superbe de l'œuvre. Aujourd'hui, le comédien est tout. C'est lui qui porte l'œuvre chétive. Aux époques de décadence, il ne se contente pas d'être le roi sur la scène, il veut aussi être roi dans la vie. Et comme nous avons tout détruit, comme nous avons renversé toutes nos croyances et brisé tous nos drapeaux, nous le hissons, le comédien, au sommet de la hiérarchie, comme le drapeau de nos décompositions. » Bien sûr, Mirbeau aura vite fait de jeter dans les poubelles de l’histoire les « croyances » et les « drapeaux » du vieux monde dont il est encore le défenseur à gages. Mais il continuera de voir dans la société de son temps une organisation moribonde qui « croule sous le poids de ses propres crimes » (« Ravachol », L’Endehors, 1er mai 1892) et qu’il souhaitera dynamiter.

Voir aussi les notices Théâtre et Comédie-Française.

P. M.

 

 Bibliographie : Jean-François Nivet, « Mirbeau et l’affaire du Comédien », Les Cahiers, n° 35, Comédie-Française / Actes Sud, mai 2000, pp. 27-41 ; Jules Truffier, Mercure de France, 15 janvier 1939, pp. 325-348.

 

 


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