Pays et villes

Il y a 116 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I L M N P R S T U V Y Z
Terme
SUISSE

Mirbeau s’est rendu souvent en Suisse, mais nombre des voyages qu’il a pu y effectuer dans les années 1870 et au début des années 1880 ne sont pas attestés. Seuls le sont des séjours bien postérieurs, mais qui ne sont sans doute pas les premiers, si l’on en croit cette affirmation de 1900, il est vrai fort exagérée et par conséquent sujette à caution : « Par une fatalité que je ne m’explique pas et contre laquelle je proteste de toutes mes forces, après m’être, tous les ans, depuis dix ans, solennellement juré à moi-même de ne jamais remettre les pieds dans ce pays, tous les ans, la saison venue, j’y retourne. Notez que rien ne m’y attire, ni un souvenir pieux ou charmant, ni une espérance d’on ne sait quoi, ni un désir d’études géologiques, hydrographiques, anthropologiques et préhistoriques… Tout m’en éloigne, au contraire, et j’y retourne !… » (« En voyage ». Le Journal, 16 septembre 1900). Toujours est-il que Mirbeau y a bel et bien voyagé et séjourné : en septembre 1899, puis de nouveau en septembre 1900, puis en septembre 1902, avant de s’installer à Bray-Lû, et derechef en décembre 1904, quand il a accompagné sa femme à Berne, pour une consultation du Dr Dubois, avant de gagner les lacs italiens en passant par le Tessin.

En 1900, il est notamment passé à Bâle, Lucerne, Berne, Interlaken et Rheinfelden, où il a visité « une grande usine d’électricité » et a retrouvé Misia Natanson en pleine crise. C’est ce séjour qu’il évoque dans « En voyage », article expédié d’Interlaken, où il a passé deux jours au Grand Hôtel Victoria, et qu’il présente en ces termes, avec une réjouissante mauvaise foi : « La particularité de cette ville où je suis, et dont l’excellent Baedecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants “la sublime beauté idyllique”, c’est de n’être pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, et les maisons d’habitants. Or, à J…, il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants, il n’y a que des hôtels… soixante-quinze hôtels, énormes constructions, semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns à la suite des autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Ça et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes ; bijouteries qui offrent, avec une offensante impudeur, les échantillons variés et hideux de cet art anglo-germano-suisso-belge si particulier aux villes d’eaux… et enfin quelques magasins où cette effarante sculpture helvétique, avec ses ours debout, ses chamois bondissants, ses chevreuils cabrés, ses mouflons poursuivis par des aigles, ses horloges, nous pose perpétuellement ce point d’interrogation plein d’angoisse : “Où tout cela peut-il bien aller ?”… Et c’est tout… » Comme une bonne partie de cette description satirique sera réutilisée quelques mois plus tard dans Les 21 jours d’un neurasthénique (1901), à propos de la station pyrénéenne de Luchon (voir la notice), force est de reconnaître que ce n’est pas seulement la Suisse qui est visée, mais plus généralement les stations thermales, ainsi que la montagne, à laquelle l’écrivain semble être gravement allergique et qui entretient sa neurasthénie : « En face de soi, la montagne haute et sombre ; derrière soi, la montagne sombre et haute… À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort ; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore… Et pas de ciel… jamais de ciel, au-dessus de soi ! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses… » (« En voyage, loc. cit. »).

Il faut croire malgré tout que la Suisse n’est pas que répulsive, sans quoi on ne comprendrait pas qu’il y retourne si volontiers. Et, de fait, il lui reconnaît quelques atouts – les téléphones, les pâtisseries et les jambons… – et surtout bien des qualités morales et politiques, d’autant plus précieuses si on la compare à la France de l’affaire Dreyfus. : « Je ne voudrais rien dire qui désobligeât la Suisse. Comme peuple je le respecte et je désirerais que la France eût quelques-unes de ses vertus… C’est, je crois bien, le seul peuple du monde qui possède, véritablement, une éducation démocratique, encore que ce soit en Suisse où l’on trouve le plus de domestiques, et des mieux disciplinés. […] J’aime surtout la probité native de ce petit peuple, sa vaillance calme, son activité robuste et vaillante, et cette ingéniosité hardie, par quoi, sans bruit, sans ostentation, la Suisse a su assouplir aux besoins de la vie la plus ingrate et la plus terrible nature qui soit sur le globe… » (ibid.) En revanche, comme il le confie à Rodin en octobre 1899, il est sidéré par « l’art suisse » : « Ah ! l’art suisse ! Quelle pauvreté intellectuelle ! » Quant au calvinisme, qui règne notamment à Genève et imprègne des esprits tels que son ancien ami Édouard Rod (voir la notice), il le juge avec la plus grande sévérité.

P. M.


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL