Pays et villes

Il y a 116 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I L M N P R S T U V Y Z
Terme
AUTRICHE

Mirbeau et l’Autriche

 

Mirbeau n’est, semble-t-il, allé que deux fois en Autriche, mais on ne saurait exclure qu’il s’y soit rendu auparavant, dans les années 1870 ou au début des années 1880, voire au-delà de 1904, au cours d’un de ses divers périples en automobile dont nous ne connaissons qu’une partie. La première fois qui soit attestée, c’était en octobre 1899 : venant de Suisse, il s’est arrêté au moins à Innsbrück, d’où il écrit à Rodin : « Et ce Tyrol ! Quelle pauvreté intellectuelle ! » Nous ignorons s’il s’est aventuré plus loin. Quatre ans plus tard, il s’est rendu en train de Berlin à Vienne, le 5 octobre 1903, à la demande pressante du directeur du Hofburg Theater, Schlenther, pour essayer de sauver les représentations à venir de Les affaires sont les affaires, dont la première s’était déroulée dans une atmosphère glaciale : la salle était en effet remplie de dignitaires de la Cour et de représentants de l’aristocratie et de la haute banque, à coup sûr peu sensibles à la portée sociale de la satire mirbellienne. Mais les deux représentations suivantes, devant un public ordinaire, sont un triomphe et Mirbeau est rentré en train à Paris sans s’attarder, après avoir passé à Vienne moins de 48 heures.

Il ne semble pas qu’il ait de l’Autriche une haute idée. Déjà, en 1884, dans son article nécrologique au vitriol sur le peintre officiel du pays Hans Makart, qui avait eu droit à des funérailles grandioses et nationales, il avait éreinté l’Autriche, « qui est à l’Allemagne ce qu’est la Belgique à la France : décadence et contrefaçon ». Vienne était à ses yeux « une ville sans art, sans littérature, sans musique, sans philosophie, dont la renommée tient tout entière dans ses pâtisseries, ses bibelots de Klein » ; et la société autrichienne dans son ensemble était jugée « sans idéal et sans goût »… Quinze ans plus tard, il ne semble guère avoir changé d’avis. Mais il est bien possible que l’accueil fait à sa grande comédie, en octobre 1903, lui ait révélé l’existence d’une population dotée de goût et capable d’esprit critique et qui ne se sentait aucunement représentée par le régime en place.

 

L’Autriche et Mirbeau

 

De fait, il y a en Autriche, comme dans les autres pays d’Europe, des éditeurs, des directeurs de journaux et des gens de théâtre qui ne demandent qu’à émanciper la pensée de la lourde tutelle de l’empire des Habsbourg et de la chape de plomb de l’Église catholique. Au premier rang on trouve la Neue freie Presse, de Vienne, où Mirbeau publie un article sur l’alliance franco-russe, le 14 juillet 1907, et le Wiener Verlag, qui publie énormément d’écrivains étrangers manifestant des préoccupations sociales ou clairement anticléricaux. C’est précisément le Wiener Verlag qui publie sept volumes de Mirbeau :

* Tagebuch einer Kammerjungfer (Le Journal d’une femme de chambre), 1901, sans indication du nom du traducteur. Le livre a été interdit en 1902 pour atteinte aux bonnes mœurs (toutes les allusions à la sexualité sont relevées) et à la religion, alors que quinze éditions de mille exemplaires chacune avaient été écoulées et que le roman faisait partie des meilleures ventes de l’année. L’éditeur a fait de cette interdiction un argument de vente en Allemagne, où le roman a fini par être interdit également, en 1912.

* Bauernmoral, 1902. Le nom du traducteur n’est pas davantage précisé. Ce petit volume de 137 pages comporte neuf textes parus en français dans les Contes de la chaumière de 1894 : « Bauernmoral » (« Justice de paix), « Giborys Beichte » (« La Confession de Gibory »), « Ein Kind » (« L’Enfant »), « Vor dem Begräbnis » (« Avant l’enterrement »), « He, Vater Niklas » (« Hé ! père Nicolas »), « Meine Hütte » (« Ma chaumière »), « Der alte Dugué » [« le vieux Dugué »] (« La Mort du père Dugué »), « Warum Pitaut traurig war » [« pourquoi Pitaut était triste »] (« La Tristesse de Maît’Pitaut »), et « Ein Gutsbesitzer » (« Agronomie »). Le titre adopté souligne ce qui différencie la morale des paysans de celle des urbains.

* Sebastian Roch, 1902, traduit par Franz Hofen. L’édition atteint les 5 000  exemplaires dès 1903.

* Die Badereise eines Neurasthenikers [“la cure thermale d'un neurasthénique”] (Les 21 jours d’un neurasthénique),1903. La traduction est de Georg Nördlinger et n’est qu’une reprise de l’édition parue un an plus tôt à Budapest, chez Grimm, et qui sera interdite en Allemagne.

* Der Abbé (L’Abbé Jules), 1903. La traduction est de Ludwig Wechsler. Le tirage a été de 2 000 exemplaires.

* Laster und andere Geschichten [“Le vice et autres histoires”], 1903, dans la collection « Bibliothek berühmter Autoren » [“bibliothèque d’auteurs célèbres”]. C'est un recueil de six contes, sans indication de provenance : « Laster » [“Le péché”] (« Pour M. Lépine »), « Zwei Freunde » (« Les Deux amis »), « Der Dieb » [“le voleur”] (« Scrupules »), « Tatou » (« Tatou »), « Unbefriedigt » (« Un Mécontent »), et surtout « Nummer 364.998 » [“le n° 364 998”] (« En attendant l’omnibus »), conte kafkaïen, que Franz Kafka a donc pu lire en allemand,  le volume figurant précisément dans sa bibliothèque.

* Der Herr Pfarrer und andere Geschichten [“Monsieur le Curé et autres histoires”], dans la collection « Bibliothek berühmter Autoren ». La traduction est de Franz Weil. C’est un recueil de six textes : « Monsieur le Recteur », la nouvelle titre, « Der Billige Tod » [“la mort bon marché”] (« Une Bonne affaire »), « Zeitgemässe Pantomime » [“pantomime de circonstance”] (« Pantomime départementale »), « Letzte Reise » (« Le Dernier voyage »), « Interviewer » [“l’interviewer”] (« Interview ») et « Vor der Galavorstellung » (« Récit avant le gala »). Le volume a été réédité en 1906.


Par la suite, on recense, en Autriche, une nouvelle édition en allemand du Jardin des supplices, Der Garten der Qualen, reprise de la traduction de Franz Hofen publiée par l’éditeur Grimm de Budapest en 1901 et aussitôt interdite en Autriche ; elle paraît à Vienne en 1923, chez Fischer Verlag, mais c’est Berlin qui est indiqué, et non Vienne, afin de dépister la censure, en cas de nouvelle interdiction du livre... Puis deux nouvelles traductions du Journal d’une femme de chambre, mais sous un titre nouveau, Tagebuch einer Kammerzofe : la première a paru en 1960 à Klagenfurt, chez Eduard Kaiser Verlag, dans une traduction de Grete Felsing, et elle a été rééditée en 1969, amputée de la dédicace et de l’avertissement ; la seconde a paru en 2006 à Vienne, chez Tosa Verlag, dans la collection « Klassiker der Erotik » [“classiques de l’érotisme”], 2006, et la traduction, signée de Ronald Putzker, comporte nombre de coupures et quelques infidélités. 

La recension des articles et contes de Mirbeau traduits en allemand et publiés par des journaux autrichiens reste à faire, de même que la recension des articles et comptes rendus de ses œuvres.


P. M.

 

Bibliographie : Norbert Bachleitner, « Traduction et censure de Mirbeau en Autriche »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 396-403 ; Norbert Bachleitner, « Marie Herzfeld et Le Calvaire - Mirbeau comparé à Tolstoï et Strindberg en 1890 », Cahiers Octave Mirbeau, n° 9, 2002, pp. 213-214 ; Hermann Bahr, Glossen zum Wiener Theater (1903-1906), Fisher Verlag, Berlin, 1907, pp. 408-413.


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL