Familles, amis et connaissances

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Terme
DUGUE DE LA FAUCONNERIE, joseph

Dugué de la Fauconnerie, Joseph Henri (1835 – 1914), député bonapartiste de l’Orne à trois reprises (1869-1870 , 1876-1881, 1885-1892). C’est lui qui arracha fin 1872 ou début 1873 Octave Mirbeau à « l’abrutissante solitude de Regmalard », où celui-ci se plaignait amèrement de croupir, en lui procurant un emploi à Paris. Privé de son mandat avec l’ensemble du Corps Législatif pour cause d’effondrement du Second Empire, Dugué était devenu en 1871 co-directeur d’un quotidien, L’Ordre, engagé, en dépit de la dureté des temps, au service de la cause bonapartiste. Il se trouva l’année suivante porté seul à la tête de l’entreprise, et l’un de ses premiers soins fut d’y engager le jeune homme, âgé alors de vingt-quatre ans, en qualité de secrétaire particulier. Octave Mirbeau allait y passer quatre ans avant de tâter d’une autre expérience en devenant en 1877 chef de cabinet du préfet de l’Ariège.

Octave et son mentor se connaissaient depuis un certain temps. Rien d’étonnant à cela. Dans le livre Souvenirs d’un vieil homme (1866 – 1879) publié peu avant sa mort, Dugué de la Fauconnerie, parle d’  « Octave Mirbeau, fils de mon médecin dans l’Orne » Un autre texte, dû à l’écrivain et aubergiste Paul Harel, fait état de la présence simultanée de Dugué et d’Octave lors d’une distribution de prix tenue « bien avant la guerre » de 1870 dans l’école dirigée à Rémalard par un maître de pension du nom de Léonard Louvel.

Bien qu’il fût né à Paris, Dugué de la Fauconnerie avait fait du Perche ornais, berceau de la famille Mirbeau, le théâtre de ses premières armes dans les arènes politique et sociale. Le terrain lui avait été en quelque sorte préparé de longue date par un grand oncle conventionnel puis membre du Conseil des Anciens sous la Première République, et ensuite par un grand-père maire de la petite commune de Saint-Germains-des-Grois, proche du bourg de Rémalard, fief de la famille Mirbeau. Il avait lui-même fait ses débuts dans la vie publique en occupant pendant six ans, de 1856 à 1862, les fonctions de secrétaire puis de chef de cabinet d’un baron Jeanin, préfet de l’Orne, dont il avait épousé au passage la fille en 1859. Après quelques pas de plus dans la préfectorale couronnés par un poste de sous-préfet de l’arrondissement sarthois, tout proche, de Mamers, il était retourné au cœur du Perche pour y entamer une carrière politique en se faisant élire en 1866 conseiller général du canton de Nocé, puis en 1869 député de l’arrondissement de Mortagne. 

Si on ajoute que Dugué fut aussi président du comice agricole de l’Orne de 1867 à 1879, et qu’il appelait ses électeurs « ses gris pommelés » par analogie avec la couleur des chevaux de race percheronne, on aura compris que l’initiateur d’Octave aux arcanes de la vie parisienne était un politicien enraciné dans son terroir.

Mais ce serait une erreur de réduire son aura à cette dimension. On lit dans la notice que lui a consacrée Éric Anceau dans son Dictionnaire des députés du Second Empire, qu’il est le filleul de Victor Hugo, avec qui son père, porté sur les sciences, les arts et les lettres, entretient des relations d’amitié. Il a par ailleurs un oncle, Ferdinand Dugué, qui est un des auteurs dramatiques les plus célèbres du Second Empire.

Et ce n’est pas tout. Ainsi que l’a remarqué une jeune chercheuse, Sonia Halbout, dans un mémoire d’archivistique réalisé en 1995-1996, son mariage a pu élargir son carnet d’adresses. Son épouse, Alexandrine, fille du préfet Jeanin, descend par sa mère de Louis David, le grand peintre officiel de la Révolution et du Premier Empire. Elle a un oncle, le baron Jérôme David, qui a été vice-président du Corps Législatif et ministre des Travaux Publics sous le Second Empire avant d’achever sa carrière politique comme député de la Gironde après l’instauration de la Troisième République. Elle est encore la belle-sœur d’un Marius Bianchi, député de l’Orne de 1876 à 1881 et la petite-nièce par sa mère du grand imprimeur parisien Firmin Didot.

Même s’il n’en a pas beaucoup profité dans sa pratique personnelle, il est aisé d’imaginer que le jeune Octave a dû faire son miel de tout ce que pouvait lui révéler un aussi brillant éventail relationnel ajouté à l’expérience politique de terroir de Dugué. Tout porte d’ailleurs à croire qu’il s’entendit fort bien avec le directeur du journal bonapartiste dont il fut apparemment la plume toute dévouée lors d’une campagne électorale menée tambour battant dans l’arrondissement de Mortagne en 1876. Loin de le cantonner dans un rôle de gratte-papier préposé à l’administration ou aux rendez-vous, Dugué eut d’ailleurs le bon goût de lui mettre le pied à l’étrier d’une carrière de « littérateur » comme on disait à l’époque en lui confiant la rubrique du journal consacrée au théâtre.

Le credo bonapartiste de L’Ordre, journal dont le titre était à lui seul tout un programme, était, certes, résolument conservateur, et de ce fait en totale contradiction avec les nasardes de ton voltairien dont Octave s’était auparavant plu à émailler ses lettres à l’ami Bansard et plus encore avec ce qu’allaient être ses positions ultérieures. Mais le journaliste débutant qu’était Octave Mirbeau était trop anxieux de réussir sa mise sur orbite dans le ciel parisien pour gâcher d’emblée ses chances dans des querelles idéologiques où il n’avait aucune chance d’avoir le dessus. Dans ses Souvenirs d’un vieil homme publiés en 1912, Dugué lui rendit d’ailleurs un hommage appuyé en écrivant que « politique à part », il avait « toujours conservé de très bons souvenirs de (son) ancien secrétaire », « n’ayant jamais rencontré dans (sa) vie, si bizarre que cela puisse paraître à ceux qui le connaissent seulement par ses œuvres, de nature plus affectueuse, de cœur plus tendre et d’ami plus dévoué ».

L’expression « politique à part » fait ici à l’évidence allusion aux orientations divergentes qui allaient plus tard inspirer les attitudes deux hommes. Tandis que Dugué allait se fourvoyer dans le boulangisme avant de perdre la confiance de ses électeurs « gris pommelés » pour s’être compromis dans le scandale de Panama, Mirbeau allait montrer le bout de l’oreille en écrivant dans son brûlot populiste fondé en 1883 Les Grimaces que « le journaliste se vend à qui le paie ». Et, deux ans plus tard, il « virait sa cuti » par de premières prises de position anarchisantes suivies du cri antimilitariste qu’est le deuxième chapitre du roman Le Calvaire, objet de scandale pour la France cocardière.  

Bien plus tard encore, les souvenirs de Dugué de la Fauconnerie et de la campagne électorale menée en 1876 dans l’Orne allaient nourrir quelques pages écrites d’une plume acérée dans le roman posthume d’Octave Mirbeau Un Gentilhomme. Mais Dugué n’en eut certainement jamais connaissance…

 

M.C.

 

Bibliographie : Max Coiffait, Le Perche vu par Octave Mirbeau (et réciproquement), éditions de l’Étrave, 2006,  p. 197 à 204 ; Éric Anceau, Dictionnaire des députés du Second Empire, Presses Universitaires de Rennes, 1999,  p. 131 ; Dugué de la Fauconnerie : Souvenirs d’un vieil homme (1866 – 1879), Ollendorf, 1913, p. 253.

 


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