Oeuvres

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Terme
LA GOMME

La Gomme est une pièce en trois actes qui n’a pas été représentée, à notre connaissance, et qui a paru chez Dentu, en 1889, sous le nom de Félicien Champsaur, dans un volume artistement illustré par une pléiade de dessinateurs :  Caran d'Ache, Jules Chéret, Henry Gerbault, Auguste Gorguet, Lunel, Mars, Louis Morin, José Roy et Félicien Rops.  Selon toute probabilité, il s’agit d’une œuvre écrite par Mirbeau comme nègre, et la seule pièce de théâtre “nègre” qui ait pu être identifiée à ce jour.

Le texte a été à coup sûr écrit par Mirbeau, sinon dans sa totalité, du moins dans sa majeure partie, Champsaur s'étant visiblement contenté de la mise en pages décorative qui crée un volume de type nouveau et de la rédaction des couplets de l'acte III, mis en musique par Serpette et Massenet. C’est dans Le Gaulois du 24 avril 1882 qu’on annonce, en page 4, que Mirbeau travaille à une pièce en quatre actes intitulée la Gomme : « le sujet de la pièce est tiré d’une petite nouvelle de lui, parue dernièrement dans Le Gaulois, sous la signature de Gardéniac. » Il s'agit, selon toute vraisemblance, de « Dette d'honneur », qui se prête à une division en actes et traite d'un gommeux qui ruine son père après s'être endetté au jeu. Là-dessus arrive le suicide de Mlle Feyghine, actrice d'origine russe, dont les débuts à la Comédie-Française ont été un échec et qui, devenue la maîtresse du jeune duc de Morny, a été entraînée dans un monde de gommeux et, écœurée des turpitudes de son nouveau milieu, a fini par se tirer une balle dans l'hôtel particulier de son amant, le 11 septembre 1882. Mirbeau a alors consacré deux articles du Gaulois au suicide de la belle étrangère, le 13 septembre, « Mlle Feyghine », et le 22 septembre, « Le Faux monde », où il accuse « la gomme » de l'avoir tuée. Tout comme l'écuyère Julia Forsell, qui se prénommait comme Feyghine et qui était également étrangère, finlandaise en l’occurrence, dans L'Écuyère, roman “nègre”qui a précisément paru en avril de la même année.

Dans La Gomme, l'héroïne est d'origine hongroise, est comédienne et se nomme Thérèse Raïa. Elle a aussi des allures de Tzigane (au III, elle chante même une « Complainte tzigane » mise en musique par Massenet) ; elle nous est présentée comme une vierge naïve, saine et enthousiaste, qui se vante d’avoir « grandi, selon sa fantaisie, ayant pour exemple, dans les montagnes, l’indépendance des torrents et, dans le ciel, la virginité des étoiles ». À Paris, où elle est venue poussée par un irrésistible besoin de faire du théâtre, elle vit elle aussi chez sa tante, une dame Buchmann rebaptisée Boucher et originaire de Vienne, qui tente de tirer le meilleur profit de la beauté et du talent de sa nièce en la présentant à la gent mâle en quête de chair fraîche, dans « Le Thé de la débutante » du premier acte. Mais Thérèse est restée un « petit chat sauvage », dont la ferveur détonne en ce milieu. Elle fait ses débuts dans une adaptation théâtrale de Mademoiselle de Maupin, et, comme Feyghine, elle doit subir les critiques injustes de ceux qui daubent son accent et sa « chevelure fantasque ». Comme la jeune Russe, elle doit ensuite reprendre le rôle de Mrs Clarkson, dans L’Étrangère de Dumas fils ; et, comme elle,  elle est détestée par ses camarades de scène, qui la jalousent et ne lui passent rien. Dans l’espoir de pouvoir mener une belle carrière théâtrale, en dépit du bide de sa première apparition sur scène, Thérèse écarte la proposition de mariage de l'honnête musicien Jacques Rhodel, qui lui semble être une voie sans issue, et se laisse, à la fin de l’acte II, embobiner par les grossières promesses du duc de Trésel, directement inspiré du duc de Morny, qui prétend l’y aider. Vierge, elle se donne à lui tout entière et comme Feyghine, elle finit par mourir de dégoût lorsqu’il s’apprête à la laisser tomber  et à la léguer cyniquement à son futur beau-père, le banquier Savinel. Préférant la mort au déshonneur, comme Julia Forsell, elle se suicide chez son amant, après avoir repris à son compte plusieurs des formules mêmes de l’article de Mirbeau sur Mlle Feyghine.

Le style (notamment le goût du langage parlé, la surabondance des points de suspension et les formules qui font mouche) est typiquement mirbellien. De même les thèmes traités, que Mirbeau développe dans quantité de chroniques des années 1880. Quant au sujet, il est directement emprunté, ainsi que nombre de formules, à ses articles de 1882 sur Julia Feyghine. La paterniré de Mirbeau est donc éminemment probable. Mais nous ignorons dans quelles conditions a été passé le contrat liant Champsaur et son nègre de luxe.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau, Félicien Champsaur et La Gomme – Un nouveau cas de négritude ? », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010 ; Dorothée Pauvert-Raimbault, « Champsaur, Mirbeau et Rimbaud », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010.

 

 


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