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LA MORT DE BALZAC

Sous ce titre, La Mort de Balzac, ont été publiés, le 1er octobre 1923, dans Les Maîtres de la plume, les trois sous-chapitres de La 628-E8 qui avaient fait scandale, en novembre 1907, et que Mirbeau avait accepté de supprimer in extremis, à la demande de la fille de Mme Hanska, la comtesse Mniszech. C’est la reprise du Balzac de 1918 (voir la notice). La Mort de Balzac a été réédité en 1989, aux Éditions du Lérot, et en 1999, aux Éditions du Félin. Le texte a aussi été inséré à sa place initiale dans les dernières éditions de La 628-E8, notamment dans le tome III de l’Œuvre romanesque de Mirbeau, chez Buchet/Chastel (2001).

La Mort de Balzac comprend trois parties :  « Avec Balzac », « La femme de Balzac » et « La mort de Balzac » stricto sensu.  Dans la première partie, Mirbeau manifeste son admiration pour l’homme extraordinaire qu’a été Balzac et pour sa vie prodigieuse, plus encore que pour son immense production romanesque : « Non seulement j'adore l'épique créateur de La Comédie humaine, mais j'adore l'homme extraordinaire qu'il fut, le prodige d'humanité qu'il a été. Sa vie – du moins par ce que l'on en connaît – ressemble à son œuvre. On peut même dire qu'elle la dépasse. Elle est énorme, tumultueuse, bouillonnante. [...] Nous ne devons point soumettre Balzac aux règles d'une anthropométrie vulgaire. L'enfermer dans l'étroite cellule des morales courantes et des respects sociaux, c'est ne rien comprendre à un tel homme, c'est nier, contre toute évidence, le prodige, l'exception qu'il fut. Nous devons l'accepter, l'aimer, l'honorer tel qu'il fut. Tout fut énorme en lui, ses vertus et ses vices. Il a tout senti, tout désiré, tout réalisé de ce qui est humain. Il fut Bianchon, Vandenesse, Louis Lambert ; il fut aussi Rubempré ; il fut même Vautrin. »

Dans la seconde partie, le romancier retrace l’historique de la longue liaison de Balzac avec Eveline Hanska, « cet extraordinaire roman d'amour qui fut, en même temps que la méprise de deux cœurs trop littéraires, la chute finale de deux ambitions pareillement déçues ». Ce « roman » a abouti à leur tardif mariage, mais il était condamné d’entrée de jeu parce qu’il reposait sur un très grave malentendu : « Ils s'étaient dupés l'un l'autre, l'un par l'autre, ayant cru, sincèrement, qu'on peut transformer, en élans spirituels, en exaltations amoureuses, ce qu'il y a de plus vulgaire et de plus précis dans le désir humain... Et quinze ans... quinze ans de projets, de rêves, d'idéal fou, de mensonges, pour constater, en un jour, cette double méprise et cette double chute !... »

Mais c’est surtout le troisième chapitre qui a fait scandale, parce que Mirbeau y raconte, sur la foi du peintre Jean Gigoux, prétendument rencontré dans l'atelier de Rodin, que la veuve infidèle folâtrait avec son amant cependant que le génial romancier, délaissé, agonisait solitaire et commençait à pourrir dans la chambre voisine : « La vérité vraie est que Balzac est mort abandonné de tous et de tout, comme un chien ! [...] La décomposition avait été si rapide que les chairs de la face étaient toutes rongées... Le nez avait entièrement coulé sur le drap... » Cette version a été vivement contestée par les spécialistes de Balzac.

À vrai dire, Mirbeau ne se soucie aucunement de vérité historique, et ne prétend nullement qu’on doive croire sur parole un récit oral, de seconde main, obtenu du témoin un demi-siècle après les faits et sans la moindre garantie d’authenticité. Mais il entend exprimer deux sentiments qui lui tiennent particulièrement à cœur. Tout d’abord, il témoigne de son admiration pour un homme à la vie exceptionnelle et à la créativité hors normes, bien que lui-même, en tant que romancier, il se soit émancipé de son modèle romanesque. Ensuite, sur la base de sa propre expérience conjugale, il réitère sa vision très noire de l'incommunicabilité entre les sexes, qui sont condamnés à rester séparés par un abîme d'incompréhension : en traitant du couple Balzac, Mirbeau avait certainement en tête l’échec de son propre couple, et La Mort de Balzac constitue, treize ans après Mémoire pour un avocat, un nouvel acte d’accusation contre sa propre femme. Ce en quoi il s’est montré bon prophète : car, s'il n'est nullement prouvé que Mme Hanska ait trahi Balzac dans les conditions que rapporte Mirbeau, il est certain, en revanche, qu'Alice Mirbeau trahira ignominieusement la mémoire de son prestigieux époux en concoctant, avec la complicité de Gustave Hervé, un faux testament patriotique, au lendemain de sa mort... Comme si, décidément, conformément au paradoxe d’Oscar Wilde, c'était bien la vie qui imitait l'art, et non l'inverse...

Voir aussi les notices Balzac et La 628-E8.

P. M.


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