Pays et villes

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Terme
TONKIN

Mirbeau n’a pas mis plus les pieds au Tonkin qu’en Inde ni qu’en Chine. Mais il n’en a pas moins évoqué à plusieurs reprises cette région, située au nord de l’actuel Vietnam, aux confins de la Chine.

Tout d’abord, en 1885. Comme beaucoup pour les raisons les plus diverses, il s’interroge d’abord sur la nécessité d’envoyer nos soldats se faire tuer là-bas pour « les pépites du Tonkin », puis il s’indigne des conséquences du désastre de Lang-Son, ville frontière que l’armée française dut abandonner en catastrophe face aux Chinois, ce qui eut pour effet d’entraîner la chute du gouvernement de Jules Ferry, surnommé « le Tonkinois », le 30 mars 1885. Le surlendemain,  Mirbeau évoque avec émotion les « héroïques petits soldats » qui, là-bas, au Tonkin, « sans secours, sans espoir, attendent peut-être la mort », cependant qu’à Paris « les hommes de plaisir se ruent au plaisir sans pitié et les hommes de proie aux proies honteuses » : il aurait alors souhaité que des mitrailleuses abattent tous ces « chacals » (« Les Chinois de Paris », La France, 1er avril 1885). Cinq jours plus tard, dans « La Déroute » (La France, 6 avril 1885), il se sert de la sanglante retraite de Lang-Son et du risque d’expansion chinoise pour stigmatiser les politiciens de la Chambre, qui étaient « complices » de Jules Ferry et qui, en le renversant, n’ont obéi qu’à de bas « calculs d’intérêt personnel », cependant que « nos soldats rétrogradaient, débandés, dans les défilés du Tonkin » : « Ce pays qui fut si grand, qui fut si beau, ce pays qui se chauffa à tous les soleils de la gloire, sombre dans la honte. »

Ce n’est plus d’une approche politico-patriotique du Tonkin, mais touristico-cynégétique, qu’il est question dans Le Jardin des supplices (1899) et Les affaires sont les affaires (1903). Dans la première partie du Jardin des supplices, l’anonyme narrateur fait la connaissance d’un «  gentilhomme normand qui se rendait au Tonkin » et qui, « chasseur passionné », manifestait un enthousiasme communicatif pour cet « admirable pays de chasse », tel qu’il n’y a nul pays au monde qui soit « plus amusant que le Tonkin » : « Au Tonkin, il y a de tous les gibiers en abondance… Mais surtout des paons… Quel coup de fusil, monsieur !… Par exemple, c’est une chasse dangereuse… » Non pas que les paons y soient « féroces »,  mais parce que « là où il y a du cerf, il y a du tigre… et là où il y a du tigre, il y a du paon » : « Le tigre mange le cerf… et… quand le tigre est repu du cerf, il s’endort… puis il se réveille… se soulage et… s’en va… Que fait le paon, lui ?… Perché dans les arbres voisins, il attend prudemment ce départ… alors, il descend à terre et mange les excréments du tigre… C’est à ce moment précis qu’on doit le surprendre… Ah ! quels paons !… Vous n’en avez pas la moindre idée… [...]  Jamais un coup de fusil ne me procura une émotion aussi vive que ceux que je tirai sur les paons… Les paons… monsieur, comment vous dire ?… c’est magnifique à tuer !… » Il se vante aussi d’y avoir massacré des milliers de poules extraordinaires, telles qu’on n’en voit pas non plus en Europe, mais qui ne valent tout de même pas les paons tonkinois. Dans Les Affaires, à l’acte III, le souvenir de cette information curieuse, glanée sans doute dans quelque revue, sert à rompre la glace et à alimenter la conversation, au début de la difficile entrevue entre Isidore Lechat et le marquis de Porcellet. Celui-ci parle ainsi de son fils explorateur : «  — Il est revenu enthousiasmé du Tonkin... Il dit que c’est un admirable pays de chasse... Il parait que la chasse au paon, surtout, est très amusante. Dangereuse... par exemple... mais d’autant plus amusante... / — Ils sont donc féroces... les paons... par là ? / — Pas les paons, naturellement... mais les tigres... car on ne trouve les paons que dans les parties de forêts fréquentées par les tigres... Au Tonkin... là... où il y a du cerf... il y a du tigre... et là... où il y a du tigre... il y a du paon... Robert assure que le paon est quelque chose de magnifique à tuer... »

P. M.

 

 

 


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