Pays et villes

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GAND

Gand est une grande et vieille ville flamande, située au confluent de l’Escaut et de la Lys. Elle a vu naître Charles-Quint et a connu, à la fin du moyen-âge, une grande prospérité liée à l’industrie drapière, d’où un prestigieux patrimoine architectural, notamment la cathédrale Saint-Bavon. Elle est aujourd’hui au centre d’une agglomération d’un demi-million d’habitants. Au début du vingtième siècle, la commune de Gand comptait 160 000 âmes.

            Mirbeau a, semble-t-il, visité plusieurs fois la ville, mais nous ne pouvons dater qu’une seule de ces visites : en août 1896, en compagnie de Georges Rodenbach. Il évoque la ville dans La 628-E8 (1907), récit de son voyage d’avril 1905 à travers la Belgique et les Pays-Bas, dans sa fameuse automobile Charron. Il est très sensible au charme de la vieille cité, « avec ses rues si anciennes, ses pignons peints, ses toits coloriés et tout ce que disent les façades de ses églises, tout ce que chuchotent les vieux murs au bord du canal ». Mais il est rebuté par le catholicisme rétrograde qu’il y a constaté à deux reprises et qu’il attribue au « sang espagnol qui coule dans ses veines ».

* La première fois, il prétend être tombé malade dans une auberge d’un village proche et avoir demandé qu’on aille lui « chercher un médecin, à la ville voisine, qui était Gand.

Ah ! Seigneur Jésus, s'écria la bonne, en me voyant très pâle... Il va peut-être mourir... Dites une prière, bien vite, monsieur... Dites une prière... Et attendez-moi...

Elle sortit précipitamment, sans m'apporter d'autres secours.

Quelques minutes après, je vis entrer, introduit dans ma chambre par la petite bonne, un gros prêtre, essoufflé d'avoir trop couru... Il voulut, à toute force m'administrer l'extrême-onction. Et comme je refusais de me munir des sacrements de l'Église, il insista avec violence et ne se retira qu'après avoir appelé, sur ma tête de mécréant, toutes les malédictions du ciel et toutes les fureurs de l'enfer. »

* La deuxième fois, il raconte qu’ il a « vu autrefois, à Gand, une grève ». Mais au lieu « des flots de peuple lâchés et battant, avec des clameurs de mer soulevée, les murs de la ville », comme il l’imaginait, il n’a vu, éberlué, qu’une «  procession religieuse qui défilait silencieusement, avec des attributs religieux, des bannières ecclésiales, des oriflammes, des femmes déguisées en Saintes-Vierges, des enfants, en petits anges frisés... » Et il revoit encore un « ouvrier, à la gueule farouche, qui marchait devant la foule, portant je ne sais quoi, qui ressemblait à un ostensoir... »

            Ce rappel sert à introduire un récit, controversé, qu’il a fait paraître dans L'Écho de Paris le 31 octobre 1893, « L'Émeute », rebaptisé « Démocrates de Gand ». Sur la foi d’un prétendu ami de Maeterlinck qu’il aurait retrouvé à Bruxelles, il met en lumière l’aliénation du prolétariat gantois qui, à l’occasion de manifestations tournant à l’émeute pour réclamer le suffrage universel, n’auraient pas hésité à tirer sur la foule...

            Nous ne saurions évidemment garantir la véridicité de ces trois anecdotes.

P. M.

 

 

 


GIVERNY

Claude Monet s’installe en avril 1883, dans la maison du Pressoir, sise sur une parcelle d’un hectare dite « Le Clos normand », à Giverny, village-rue situé sur la rive droite de la Seine et près du confluent de l’Epte. Ce choix correspond à un nouveau départ dans la vie familiale du peintre,  qui a perdu sa première femme en 1879. Alice Hoschedé accepte de s’occuper de Jean et de Michel, les enfants de Claude Monet, en plus de ses quatre filles, Suzanne, Blanche, Germaine et Marthe, et de ses deux fils, Jacques et Jean-Pierre, qu’elle a eus avec le collectionneur et mécène Ernest Hoschedé. Claude Monet passe également à une nouvelle étape de sa vie artistique. Arrivé à mi-vie, enthousiasmé par la beauté de la campagne environnante, il s’installe définitivement à Giverny.  Les garçons aident le peintre-jardinier au potager et dans le jardin floral qui s’agrandit au détriment du verger, tandis que Jean-Pierre, botanise dans le Vernonnais avec l’abbé Anatole Toussaint, excellent connaisseur de la flore locale ; ils créent un nouveau pavot, le Papaver x Monetii (Touss. & Hoschedé). Les filles servent de modèles au peintre (notamment Suzanne et Germaine), tandis que Blanche aide son beau-père, lorsqu’il va, tôt le matin, au motif, et deviendra elle-même peintre impressionniste. C’est dans ce climat constructif que Monet peint le paysage environnant jusqu’en 1899. Puis progressivement, il va concrétiser l’idée d’inventer son jardin comme motif essentiel de ses nouvelles séries jusqu’au soir de sa vie (1926).

En 1884, Monet et Mirbeau font connaissance par l’intermédiaire du galeriste Paul Durand-Ruel. C’est le début d’une longue et fidèle amitié de plus de trente ans. Octave Mirbeau est le premier écrivain et journaliste à donner une description du jardin floral de Monet. Mirbeau n’est pas le chantre de son ami Monet exclusivement pour son œuvre peinte, mais aussi pour son talent de jardinier. En effet, En effet, tous deux conçoivent le jardinage comme un art de vivre et comme une forme d’art rustique caractérisé par la  recherche permanente de l’harmonie des couleurs, le goût des fleurs simples et l’exigence d’une profusion florale (Monet avait 200 000 plantes annuelles et vivaces) qui se renouvelle au fil des saisons. L’article intitulé « Claude Monet », paru dans L’Art dans les deux mondes du 7 mars 1891, témoigne, avec poésie et exubérance, du bonheur qui règne à Giverny : « C'est là, dans cette perpétuelle fête des yeux, qu'habite Claude Monet. Et c'est bien le milieu qu'on imagine pour ce prodigieux peintre de la vie splendide de la couleur, pour ce prodigieux poète des lumières attendries et des formes voilées, pour celui qui fit les tableaux respirables, grisants et parfumés, qui sut toucher l'intangible, exprimer l'inexprimable, et qui enchanta notre rêve de tout le rêve mystérieusement enclos dans la nature, de tout le rêve mystérieusement épars dans la divine lumière. » À cette époque, Mirbeau habite non loin de Giverny, aux Damps, sur une boucle de la Seine. Cela  lui donne l’occasion de venir souvent au Clos normand  et d’avoir le rare privilège d’être reçu par son ami Monet, qui ne manque pas de lui pardonner son côté possessif. Avec un réalisme saisissant Eva Figes a bien restitué cette parfaite complicité dans son récit Lumière, qui, en juillet 1900, réunit à l’occasion d’un déjeuner Alice Hoschedé, Claude Monet, plusieurs de leurs enfants, Anatole Toussaint (le curé botaniste) et Octave Mirbeau.

Au printemps 1892, époque des Cathédrales et de la construction du pont japonais, Monet, à la recherche d’un jardinier pour faire face à la croissance et à la multitude des tâches de jardinage ainsi qu’à ses propres exigences quotidiennes ne manque pas de solliciter Mirbeau, qui connaît l’importance de s’entourer de jardiniers consommés, tel Lucien qui tient son jardin des Damps, pour recueillir des renseignements sur le candidat Achille Savoir. Celui-ci est connu de Lucien comme négligent, paresseux « et de plus, il boit » ! (lettre à Claude Monet, avril 1892). Finalement, en juillet, Mirbeau  procure à Monet son futur chef-jardinier en la personne de Félix Breuil, fils du jardinier de son père, à Rémalard, dans l’Orne. Jean-Pierre Hoschedé témoigne qu’il fit merveille, avec quatre ou cinq aides sous ses ordres » (Claude Monet ce mal connu, Pierre Cailler, Genève, 1960, t. I, p. 64). Il restera vingt ans au service de Monet.

En 1893, trois ans après être devenu propriétaire de la maison au crépi rose du Clos normand, Monet achète une nouvelle parcelle située sur le bord de du Ru, petit bras de l’Epte, de l’autre côté de la route Vernon-Gisors et de la ligne de chemin de fer. Il a le projet d’y établir son jardin d’eau. Sa demande visant à détourner un bras du petit affluent de la Seine et à construire deux passerelles pour accéder à son nouveau jardin est refusée : « Merde pour les naturels de Giverny, leurs ingénieurs », écrit Monet à Alice, lorsqu’il apprend la réticence des élus. Mirbeau intervient alors auprès de Monsieur le Préfet au nom de son ami Claude Monet, pour décrocher une autorisation : « Vous me rendrez bien heureux, en l’accordant, pour lui, d’abord, qui a la passion des fleurs, pour moi ensuite, car, lorsque je viens à Giverny, c’est une joie de voir ce coin de féerie. » Quelques jours après, deux arrêtes préfectoraux permettent à Claude de réaliser le rêve de sa vie.

En mai 1894, Monet reçoit en gare de Vernon ses premiers nymphéas, commandés à Joseph Bory Latour-Marliac, de Temple sur Lot. Ce grand collectionneur de bambous en France a réussi à hybrider une trentaine de nymphéas rustiques. C’est aussi l’époque où, de façon informelle, Gustave Geffroy est à l’origine du cercle de Giverny, censé réunir autour de Claude Monet ses amis les plus proches : Octave Mirbeau, Georges Clemenceau, Auguste Rodin, Paul Cézanne et l’instigateur du cercle. Cézanne, « si singulier, si craintif de voir des nouveaux visages » (lettre de Geffroy à Monet), et  qui ne voit plus Monet depuis des années, accepte l’invitation de Geffroy pour le 28 novembre 1894. Il est déjà, depuis quelques jours, à Giverny, pour peindre les environs.

Les premières peintures du  jardin d’eau datent de 1895. En 1897, Monet crée son deuxième atelier et ses premières serres chaudes. En 1898-1899, année du Jardin des supplices, Monet commence ses premières séries des Bassins aux nymphéas, qui sont exposées fin 1900. L’année suivante, il entreprend d’acheter un nouveau terrain, de redessiner son étang et de demander l’autorisation de détourner un bras communal de l’Epte pour cultiver ses plantes d’eau à une plus grande échelle, ce qui lui est accordé. Il entoure une partie du nouveau bassin de grands bambous et de saules pleureurs pour filtrer la lumière sur les nymphéas et se préserver du regard des curieux qui se font de plus en plus nombreux aux grilles clôturant le jardin d’eau le long du chemin du Roy.

En 1908 Monet écrit à son ami Geffroy : « Ces paysages d’eau et de reflets sont devenus une obsession. C’est au-delà de mes forces de vieillard, et je veux cependant arriver à rendre ce que je ressens. J’en ai détruit… J’en recommence… et  j’espère que de tant d’efforts, il sortira quelque chose » (Wildenstein, lettre 1561).

C’est probablement grâce à Gustave Geffroy que Monet reçoit également Georges Clemenceau, qui a une résidence à Bernouville. À partir de 1909, les visites dominicales du Tigre à Giverny  sont de plus en plus rapprochées. Cette amitié aidera Monet à surmonter le décès d’Alice Hoschedé (1911) et à poursuivre jusqu’à la fin de sa vie ses séries. Clemenceau, retiré de la vie publique (1920), contribue activement à l’installation des Grandes décorations au Musée de l’Orangerie. L’ensemble des œuvres des nymphéas représente plusieurs centaines de variations sur le même thème et c’est une parcelle de Giverny qui est représentée dans le monde entier.

C’est à partir de 1914 que Monet lance la construction d’un grand atelier afin de poursuivre son idée des Grandes décorations. Les travaux d’aménagement prennent fin en juillet 1916, quelques jours après la visite de Mirbeau, Geffroy, Descaves, Hennique et J.-H. Rosny. Ils ont pu admirer les premières Grandes décorations. À cette occasion, le peintre de la lumière confie à Lucien Descaves : « J’en ai encore pour cinq ans environ. »

Parmi les autres amis fidèles de Giverny, Sacha Guitry, tant aimé d’Octave Mirbeau et du grand peintre, nous offre, en 1916, dans  son courageux et novateur film Ceux de chez nous, un portrait du « silencieux au regard parlant » (E. de Goncourt), qui témoigne du bonheur qu’il a vécu dans la féerie de son jardin. En écho à cette séquence, le comédien, improvisé cameraman et excellent photographe, a filmé le « Don Juan de l’idéal » (Georges Rodenbach) avec sa stature de condottiere et  le feu de son doux regard rayonnant dans son jardin de Cherverchemont. Au soir de sa vie, Octave revient une dernière fois à Giverny ; le « Génie apparu des jardins » (Paul Hervieu) peut quitter sans regrets les jardins des délices et des supplices dans les bras de son jeune ami Sacha Guitry.

Monet rend son dernier souffle à Giverny le 6 décembre 1926, dans les bras de Clemenceau, qui le veillera jusqu’à son ensevelissement. : « Non, non ! Pas de noir pour Monet, voyons ! Le noir n’est pas une couleur », s’est écrié Clemenceau en arrachant un rideau de fleurs pour recouvrir le cercueil, rapporte Sacha Guitry. « Mirbeau aussi aimait les fleurs », avait confié le peintre de la lumière à Marc Elder quelques années auparavant, en regardant Alice Hoschedé disposer sur la table un bouquet de soucis.

J. C.

 

Bibliographie : Georges Clemenceau, Claude Monet, Plon, 1928 (réédition Perrin, Paris, 164 p.) ; Marc Elder, À Giverny chez Claude Monet, 1924 (réédition Le Livre d’histoire-Lorisse, Paris, 2009) ; Gustave Geffroy, Monet, sa vie, son œuvre,  Crès, 1928 (réédition Macula, Paris, 1980, 556 p.) ; Jacqueline et Maurice Guillaud, Claude Monet au temps de Giverny, ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition Monet  au Centre Culturel du Marais par les auteurs en 1983, Paris, 318 p. ; Sacha Guitry, Cinquante ans d’occupation, Presse de la cité, coll. Omnibus, Paris, 1993, 1326 p. (passim) ;  Le Jardin de Monet à Giverny, l’invention d’un paysage, Musée des impressionnismes, Giverny, 2009, 144 p. ; Marianne Alphant, Claude Monet, une vie dans le paysage, Hazan, Paris, 1993, 710 p. ; Eva Figes, Lumière, traduit de l’anglais par G. Bardebette, Éditions Rivages, Paris, 1985, 115 p. ; Daniel Wildenstein, Monet ou le triomphe de l’Impressionnisme, Taschen Wildenstein Institut, Cologne, 2003, 480 p.

 


GIVET

 

            Givet est une petite ville des Ardennes, peuplée d’environ 7 000 âmes, et située à la frontière de la Belgique, dans la vallée de la Meuse, dans une pointe qui s'avance profondément dans l'Ardenne belge. Charles-Quint y a fait construire une forteresse qui porte son nom, Charlemont.

            Mirbeau est apparemment passé à Givet en avril 1905, lors de son périple en automobile vers la Belgique et les Pays-Bas. Dans La 628-E8 (1907), il évoque avec beaucoup d’humour l’impressionnante forteresse, qui semble destinée à protéger la ville et le pays des attaques de la terrifiante armée belge :

« Quelle folle terreur ont donc su nous inspirer les Belges, que Givet soit une telle forteresse ? La ville disparaît presque sous l'accumulation des défenses militaires... Forts tapis au haut des pics, terrasses armées, enceintes bastionnées, casemates blindées, fossés remplis d'eau, pont-levis, mâchicoulis, échauguettes, demi-lunes, chemins de ronde, tout ce qu'inventa, pour la sécurité des frontières, la science ancienne et moderne de la fortification, Givet en est pourvu... Par les poternes et les chemins couverts, on s'attend à voir, tout d'un coup, débusquer des hommes d'armes, bardés de fer... Ah ! les Belges doivent être fiers d'être Belges, en regardant Givet... Ils savent ainsi tout ce que leur puissance militaire a de redoutable... J'imagine aisément que Givet soit, pour eux, la meilleure école où se fortifie leur arrogance nationale. Le dimanche, les pères doivent conduire leurs enfants à Givet, et je les entends qui leur disent :

Voyez, comme nous faisons trembler le monde !

De son côté, un officier français, devant qui je m'étonnais de ce luxe guerrier, m'a expliqué ceci :

Il ne faut plus, au cours des luttes futures, qu'on puisse encore s'écrier : “Ah ! voici les Belges. Nous sommes foutus !”

Et que de casernes!... Quelles immenses esplanades pour l'évolution des troupes !... Que de soldats !

J'ai vu défiler des bataillons et des bataillons d'infanterie. En tenue de campagne et clairon sonnant, sans doute ils revenaient d'une reconnaissance, peut-être d'un combat. Et j'ai admiré leur allure martiale, leur souple entraînement... Nous sommes bien gardés, allez !... Tout me fait croire aujourd'hui que, devant un tel déploiement de forces, un tel hérissement de défenses, l'armée belge nous laissera tranquilles, désormais... »

P. M.

 


GORINCHEM

 

            Gorinchem est une jolie petite ville hollandaise, située sur la Meuse, au croisement de plusieurs routes fluviales. Elle était peuplée de 12 000 habitants vers 1900 (35 000 aujourd’hui).

            Arrivant de Belgique en automobile, Mirbeau y est passé en avril 1905 et, séduit d’emblée, il y a connu la « première joie » de son voyage aux Pays-Bas en découvrant cette « petite ville presque inconnue des touristes, et qui, de très loin, de l'autre côté de l'eau – c'est le Rhin et la Meuse qui coulent là, confondus –, me parut si pimpante et me ravit bien davantage dès que nous eûmes circulé, quelque temps, lentement, dans ses rues étroites, pleines de promeneurs... J'en étais enchanté, comme un enfant d'un joujou. Elle avait bien l'air d'un joujou luisant, tout neuf – quoiqu'elle fût très vieille – et sa nouveauté, c'était sa propreté...[...] Délicieuse petite vieille, que Gorinchem !... On pouvait, de l'auto, sans effort, toucher les façades peintes, lavées, vernies. Les rues, où nous glissions entre ces habitations à pignons historiés, étaient lavées aussi, lavées comme les carreaux des intérieurs que peignit Pieter de Hoogh, et dallées, me sembla-t-il, de ces mêmes mosaïques de couleur, dont beaucoup de maisons avaient leurs façades revêtues. Et des étalages de fruits exotiques, des vitrines où se montraient des dentelles, des draps brodés, de lourds bijoux d'argent, paraient les devantures d'un luxe choisi... C'était la première petite ville des Pays-Bas qui mirât dans ses canaux sa coquetterie, avec placidité... »

            Il apprécie beaucoup aussi le paysage offert par les canaux, qui, à ses yeux, a quelque chose d’oriental, ce qui lui permet de passer aussitôt après au récit de la découverte que fit Claude Monet des estampes japonaises quelques décennies plus tôt, à Zaandam : « J'admirai délicieusement les petits ponts, enjambant les filets d'eau, où l'élan de leur arche unique de bois se referme par son reflet ; petits ponts tout ronds, comme sont ceux du Japon, sur les estampes, et qui, partout, en Hollande, protègent et défendent chaque maison... Et les petites grilles, basses, ouvragées, qui s'ouvrent sur les petits parterres de ces fleurs qui ont un éclat unique, en ce pays mouillé, où la lumière irisée les imprègne, les caresse et les aime. »

P. M.

 


GRANVILLE

Granville est un port et une station balnéaire du Cotentin, situé dans le département de la Manche. La population, d’environ 13 000 habitants, n’a pas changé depuis l’époque de Mirbeau.

Aucune visite de Mirbeau à Granville n’est attestée, mais il serait étonnant qu’il n’y fût jamais passé au cours de ses pérégrinations à travers la Normandie. Quoi qu’il en soit, c’est à Granville qu’il situe deux de ses contes drôles, « Le Concombre fugitif » et « Explosif et baladeur ». C’est en effet à Granville qu’habite le jardinier qui en est le héros, et que Mirbeau nomme malicieusement Hortus : grand amateur de « plantes qui font des blagues », il est le maître et le créateur du célèbre « concombre fugitif », « insaisissable et diabolique », plaisamment baptisé comex vadrouillator par Alphonse Allais. À en croire Hortus, ce facétieux concombre baladeur aurait pu bénéficier, pour s’évader, de la complicité de ce même Alphonse Allais, lequel aurait à Granville des « ramifications ténébreuses ». Aussi bien est-ce en vain que Hortus a fait « tambouriner le concombre fugitif dans les rues de Granville »...

P. M.  


GRECE

 Dès le milieu du dix-neuvième siècle, la littérature française et francophone occupe une place prépondérante parmi les lettrés grecs, à la fois dans le pays officiel et dans la région orientale de l’hellénisme. Dans ce cadre, le premier contact de la Grèce avec Mirbeau se situe officiellement en 1900 par la publication en grec du conte « Τα δύο ταξίδια» (« Les deux voyages ») dans le journal Αλήθεια ["Vérité"] à Lemesos. Pendant les trois premières décennies du vingtième siècle, huit contes de Mirbeau sont publiés dans la presse, surtout de l’hellénisme majeur, dont le public est très cultivé. Si Smyrne se trouve à la fin de son apogée, avant le désastre militaire de 1922, Chypre commence son développement dans la deuxième décennie, et Alexandrie achève son épanouissement intellectuel jusqu’en 1930. Le conte suivant, qui s’intitule « Κοιμήθηκαν!» [“Ils ont dormi”] a été initialement traduit en langue vulgaire par L. Th. dans Κόσμος [“Monde”] à Smyrne en 1911, et ensuite en langue pure « Εκοιμήθησαν» (“Ils ont dormi”), dans Φάρος [“Phare”], à Alexandrie, en 1922. « Ο θάνατος του σκύλου » (« La Mort du chien »), traduit par un collaborateur, apparaît dans Απ’όλα [“De tout”] à Constantinople, en 1912. De nouveau à Lemesos, « Η τρελλή » (« La Folle ») est traduit dans le journal Σάλπιγξ [“Trompette”]  par Aim. Chourmouzios, en 1924.

À la différence de l’hellénisme majeur, la presse athénienne n’accorde qu’une place médiocre à Mirbeau. C’est seulement en 1926 que paraît « Πιεντάνα » (« Piédanat »), traduit par Takis Pedelis dans la revue littéraire bimensuelle Όρθρος [“L’Aube”], et l’année suivante un texte, dont le titre n’a pas pu être repéré, a été traduit dans la revue semestrielle, littéraire, artistique et sociale Κυριακή του ελεύθερου βήματος [“Dimanche de la marche libre”], selon l’étude intitulée Dans les Revues de Lettre et d’Art rédigée par Lefteris Papaleodiou. Enfin, le dernier conte mirbellien intitulé « Στον κάμπο» [“Dans le champ”], qui figure dans la presse de l’hellénisme majeur, est publié dans Νεοελληνικόν Ημερολόγιον [“Journal néo-hellénique”], à Alexandrie, en 1929. Notons qu’à part les deux journaux signalés en tant que tels, les autres traductions figurent dans des imprimés de contenu littéraire dont la forme exacte n’est pas connue. En effet, la traduction d’un conte en langue vulgaire, au lieu d’un roman, s’inscrit dans le cadre de l’épanouissement de la presse littéraire à cette époque-là, qui favorise l’établissement de la langue populaire (démotique). De plus, les intérêts thématiques et les normes esthétiques particulières des romanciers grecs ne favorisent pas la traduction autonome des livres mirbelliens, imprégnés des idées progressistes et d’un réalisme mordant.

Cependant, après cette date, qui clôt la première étape de la réception mirbellienne en Grèce, l’intérêt pour l’auteur s’atténue. Un grand décalage s’ensuit jusqu’en 1972, qui reflète les orientations différentes des lettrés grecs, gravement marqués par la deuxième guerre mondiale et la guerre civile qui a suivi. La réapparition de Mirbeau coïncide avec la génération des années 70’, qui semble disposée à contester le fondement des institutions sociales. Après le passage d’une cinquantaine d’années, le contexte sociopolitique grec apparaît propice à recevoir la critique austère et caustique de la société, les idées démocratiques et socialistes, et même la défense des idéaux humanitaires qui composent la philosophie mirbellienne. Dans cette deuxième étape, figurent les traductions autonomes d’œuvres de Mirbeau, repérées actuellement dans des bibliothèques publiques, mais épuisées dans les librairies depuis longtemps. Le premier roman traduit en 64 pages, qui s’intitule Απομνημονεύματα ενός φτωχού διαβόλου (Souvenirs d’un pauvre diable), apparaît dans la Nouvelle Collection des petits chefs-d’œuvre de la littérature internationale intitulée « Des petits élus », n° 4, et publiée par les éditions Labropoulou, à Athènes, en 1972. Il s’agit d’une traduction anonyme sans introduction, qui se contente de citer une courte biographie de Mirbeau. La deuxième traduction autonome, Ο κήπος των μαρτυρίων  (Le Jardin des supplices), est réalisée par Alina Paschalidi, pour le compte des éditions Estia, à Athènes, en 1989. L’approche critique approfondie du roman par la traductrice attire la curiosité du public et permet pour la première fois une meilleure connaissance de la personnalité de l’écrivain. Enfin,  Το Ημερολόγιο μιας καμαριέρας (Le Journal d’une femme de chambre), qui est traduit par Babis Lycoudis, aux éditions Kastaniotis, Bibliothèque de l’Amour, à Athènes, en 1995, renouvelle l’intérêt qu’a provoqué le film de Luis Buñuel en 1964. À la différence de la première de ces traductions, les deux suivantes sont bien soignées et comportent, dans leur introduction, une biographie détaillée de Mirbeau. Par ailleurs, à travers une analyse critique, les traducteurs initient le lecteur à la pensée mirbellienne, perspicace et satirique, exprimée dans ses ouvrages de dénonciation sociale. À propos du Journal, Lycoudis remarque que le roman traite du fossé et de la dialectique développée entre le maître, qui est attiré par la spéculation et les idées totalitaires dans une société malsaine, et l’esclave, qui, loin d’en faire partie intégrante, est corrompu à l’image de ses patrons. À son tour Alina Paschalidi, dans Le Jardin, peint Mirbeau comme une personnalité discutée, exubérante et explosive, et souligne son rôle majeur d’accusateur furieux de la corruption sociale et politique grâce à son humeur sarcastique et parfois drôle.

Mirbeau est donc connu chez les Grecs plutôt en tant que romancier et moins en tant que journaliste. Quant à son rôle de dramaturge, il est très tôt reconnu en Grèce, comme la compagnie Lorandos Petalas a monté en 1900 Οι κακοί ποιμένες (Les Mauvais bergers), un drame imprégné par le sens de la protestation sociale et donc strictement lié au développement du courant ouvrier en Grèce. Sa traduction en judéo-espagnol, Los negros pastores, publiée à Salonique par les éditions « El Avenir » en 1912, témoigne de la place considérable qu’occupe Mirbeau chez les Juifs hispanophones qui habitaient en Grèce à cette époque et dont la culture séfarade vivace s’intéressait à la littérature française. Par ailleurs, la pièce Les affaires sont les affaires a été montée plusieurs fois à Athènes sous le titre Χρηματιστής [“Le Financier”], et aussi dans l’île de Syros en 1909, ce qui révèle sa grande répercussion non seulement dans la capitale grecque, mais aussi dans une province insulaire. Enfin, Το Πορτοφόλι  (Le Portefeuille) a été joué en 1904 par la compagnie Nea Skini à Athènes. La préférence du public grec pour les pièces citées est évocatrice de ses préoccupations et aspirations socio-économiques à cette époque, marquée par une crise intérieure politique profonde. L’adaptation de ces œuvres sur les scènes grecques trahit la reconnaissance, même partielle, de Mirbeau chez les spectateurs grecs.

Malgré l’accueil favorable du théâtre de Mirbeau, son impact paraît restreint sur les romanciers grecs, en raison de la connaissance incomplète de son œuvre, qui se réduit aux introductions critiques de deux romans. Si les articles littéraires y font défaut, il existe cependant des références biographiques de Mirbeau, dans plusieurs encyclopédies grecques, de 1961 jusqu’à nos jours.

A. S.

 

Bibliographie : Antigone Samiou, « La Réception de Mirbeau en Grèce », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 112-118.


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