Pays et villes

Il y a 116 entrées dans ce glossaire.
Tout A B C D E F G H I L M N P R S T U V Y Z
Terme
TCHECOSLOVAQUIE

Pour Mirbeau, la Tchécoslovaquie, sous les trois régimes qui se sont succédé, a été une terre relativement accueillante. Beaucoup plus, à vrai dire, la Tchéquie, traditionnellement laïque et progressiste, que la Slovaquie, catholique et  plus conservatrice, où seul Le Journal d’une femme de chambre a trouvé grâce à deux reprises : Denník komornej, traduit par Ruzena Jamrichová, a paru d’abord en 1969 à Bratislava, chez Smena, dans la collection « Eva » (réédition l’année suivante (301 pages) ; puis en 1992, dans la Slovaquie indépendante, à Bratislava, aux Éditions Q 111 (215 pages).

En revanche, les traductions tchèques ont été assez nombreuses. On a ainsi la surprise de constater que, dès 1892, dans l’empire austro-hongrois, paraît, chez August Geringer (né en 1842), une traduction de L’Abbé Jules, Páter Julius, sous-titré Svobodomyslný román [“roman d’un libre-penseur”], ce qui laisse subodorer l’anticléricalisme militant de l’éditeur (228 pages). Sous le même titre, une nouvelle traduction, due à M. Ulrychova, paraît en 1924 à Prague, chez un éditeur visiblement engagé, Komunist. knihkup. a naklad., dans une collection curieusement intitulée « Lidové romány » [“romans d’amour”] (247 pages). Le même éditeur a publié la même année la traduction du Calvaire par Marie Majerová (1882-1967), Kalvarie (232 pages), qui avait déjà paru en 1906 à Vídeň, chez un éditeur inconnu (264 pages). Un extrait du chapitre II, traduit par Jaromir Berák, a aussi été publié à part, dans un hebdomadaire pragois, Kmen, Literarny tydennik, le 18 mars 1920.

De son côté Le Jardin des supplices, Zahrada muk, a connu quatre éditions : la première, probablement limitée à la première partie du roman, en 1910 ou 1911, à Prague, chez J. Otto, dans la collection « Svetová knihovna » [“bibliothèque mondiale”] (136 pages) ; la seconde en 1918, également à Prague, aux éditions Vlastnim Nakladem Vydal Otto V Praze, dans une traduction de Marie Majerová, qui a aussi rédigé une longue et dithyrambique introduction (284 pages) ; la troisième en 1924, à Brno, chez Trill, dans la collection « Knihovna galantní Detby » [“Bibliotheque des lectures galantes”], ce qui indique une lecture très orientée, dans une nouvelle traduction due à J. Stanek, avec des illustrations de  J. Stanka ; la quatrième, en 2002, à Prague, chez Clinamen, avec des illustrations de Medek Kopaninský. Il est à noter qu’aucune édition n’a paru sous le régime communiste.

Le Journal d’une femme de chambre a également connu quatre éditions tchèques : dès 1900, sous le titre de Denik panské [“journal d’une soubrette”], à Pilsen, chez Benisko a Jerab, dans une traduction d’Arnošt Procháska, rééditée en 1925 (377 pages) ; en 1905, sous un nouveau titre, Dennik hezké komorné [“journal d’une belle femme de chambre”], à Prague, chez Kober, dans la collection « Eros », n° 2, dans une nouvelle traduction de K. Petřík, qui pourrait bien n’être pas complète (268 pages) ; en 1970, sous un nouveau titre, Denik komorné, chez Smena ; puis en 1979, à Prague et Bron, chez Melantrich, dans une nouvelle traduction de Radovan Krátký, accompagnée d’une longue postface de Vladimir Brett, « Octave Mirbeau - Jizlivy satirik » [“satiriste plein de vie”] (333 pages) ; enfin, en 1993, à Prague, aux éditions V nakl. Svoboda-Libertas, réédition de la traduction de Krátký (325 pages).

Le théâtre de Mirbeau a également eu droit de cité en tchèque. C’est ainsi que Les Mauvais bergers , Špatni pastyri, a été édité à trois reprises, pour des raisons probablement plus politiques que littéraires : en 1905, à Kral, chez Vinohrady ; en 1906, à Prague-Olšany, aux éditions V Praze - Kamilla Neumannová, dans la collection “Knihy dobrých autorů”, n° 13,  dans une traduction de Karel Pudlac, adornée d’une illustration d’Alexandre Steinlen (101 pages) ; puis en 1921, de nouveau à Prague, chez Zora, collection « Çeské divadlo »  [“théâtre tchèque”], n° 30, dans une nouvelle traduction de Maryša Bártova, (121 pages). Les affaires sont les affaires, Obchod je obchod, traduit par Olga Fastrová, a paru en 1907 à Prague, chez  Knapp, 1907 (171 pages) et a été représenté à Prague en 1909, sur la scène de Vinohradske Divadlo. Vieux ménages a été traduit par Antonin Bernašek, sous deux titres différents : Staré manzelstvi  (1922) et Stará domácnost  (1926). Il semble qu’en même temps ait été publiée la traduction de Scrupules, rebaptisé Zlodej filosof  [“le voleur philosophe”].

Les contes de Mirbeau n’ont pas non plus été négligés. En l’absence d’une recension systématique, qui n’a pas été entreprise,  des contes parus dans la presse, signalons seulement une traduction de « La Chambre close », Zavřená světnice , en 1895, de « La Tristesse de Maît’ Pitault », Zármutek kmotra Pitauta, en 1915, et de deux autres contes non identifiés en 1911 et 1924.  Et surtout, en 1999, la publication d’un recueil de contes drôles paru en France en 1992, Le Concombre fugitif , et qui, traduit par  Dana Melanová, a été édité par Talpress, à Prague, sous le titre Prchajici okurka (163 pages). Mais le plus étonnant, c’est une brochure de 29 pages, parue en 1924, à Prague-Vršovice, aux éditions Nakladatel Jan Toužimský, dans la collection « Venušiny povídky » [“les contes de Vénus”], sous le titre de  Z deníku dcery prostitutky [“dans le journal de la fille d’une prostituée”]. Ce petit volume comporte trois textes : d’abord, le chapitre V du Journal d’une femme de chambre, où la « fille de la prostituée » du titre n’est autre que Célestine ; et deux contes inconnus en français, intitulés « Hnizdecko lasky [“un petit nid d’amour”] et « Vecne » [“éternité”]. Nous ignorons comment ces contes ont bien pu arriver à Prague sept ans après la mort de l’écrivain, et s’ils ont paru en français dans une publication qui n’a pas encore été dépouillée.

De ce bref relevé, il ressort que la majorité des publications mirbelliennes date du vivant de Mirbeau ou des années qui ont suivi sa mort ; que la période communiste a été particulièrement pauvre, puisque seul un roman a été traduit dans les deux langues du pays, alors unifié ; et qu’une partie non négligeable de la production romanesque de Mirbeau reste encore à découvrir.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Deux contes inconnus de Mirbeau traduits du tchèque » , Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 181-191.

 


TOMBOUCTOU

Ville actuellement située au Mali et peuplée de 30 000 habitants, Tombouctou a connu une grande prospérité aux XVe et  XVIe siècles, a alors compté près de 100 000 habitants et possédé une prestigieuse université. Le premier blanc à y pénétrer – ou, plutôt, à en revenir vivant – a été René Caillié en 1828, mais à un moment où la ville était déjà tombée en décadence. Laissée à l’abandon depuis quelques décennies par le sultan du Maroc, elle a été occupée par les Français en 1893.

Au cours d’une campagne qu’il mène dans les colonnes du Gaulois contre Félix Faure, sous-secrétaire d’État aux colonies, sans doute à la demande de son ami François Deloncle (voir la notice),  Mirbeau consacre une chronique à déboulonner la ville mythique, à l’occasion de la réception, fort coûteuse, donnée en l’honneur d’un prétendu « ambassadeur de Tombouctou » inconnu par ailleurs et dépourvu de lettres de créance authentifiables. Démythifiant cette mystérieuse cité perdue,  il affirme d’entrée de jeu que « Tombouctou n’existe pas » et que, de cette ville qui a a tant fait rêver, il ne reste plus qu’un « tout petit village perdu dans le sable », en plein désert et loin de tout : « Trois ou quatre masures abandonnées, des murs écroulés, quelques tentes déchirées, un pauvre petit marabout en ruine décoré du nom de mosquée », voilà à quoi, à l’en croire, se réduirait la légende forgée par les Portugais et confortée par quelques voyageurs plus poètes que géographes (« Tombouctou », Le Gaulois, 27 janvier 1885).

P. M.


TONKIN

Mirbeau n’a pas mis plus les pieds au Tonkin qu’en Inde ni qu’en Chine. Mais il n’en a pas moins évoqué à plusieurs reprises cette région, située au nord de l’actuel Vietnam, aux confins de la Chine.

Tout d’abord, en 1885. Comme beaucoup pour les raisons les plus diverses, il s’interroge d’abord sur la nécessité d’envoyer nos soldats se faire tuer là-bas pour « les pépites du Tonkin », puis il s’indigne des conséquences du désastre de Lang-Son, ville frontière que l’armée française dut abandonner en catastrophe face aux Chinois, ce qui eut pour effet d’entraîner la chute du gouvernement de Jules Ferry, surnommé « le Tonkinois », le 30 mars 1885. Le surlendemain,  Mirbeau évoque avec émotion les « héroïques petits soldats » qui, là-bas, au Tonkin, « sans secours, sans espoir, attendent peut-être la mort », cependant qu’à Paris « les hommes de plaisir se ruent au plaisir sans pitié et les hommes de proie aux proies honteuses » : il aurait alors souhaité que des mitrailleuses abattent tous ces « chacals » (« Les Chinois de Paris », La France, 1er avril 1885). Cinq jours plus tard, dans « La Déroute » (La France, 6 avril 1885), il se sert de la sanglante retraite de Lang-Son et du risque d’expansion chinoise pour stigmatiser les politiciens de la Chambre, qui étaient « complices » de Jules Ferry et qui, en le renversant, n’ont obéi qu’à de bas « calculs d’intérêt personnel », cependant que « nos soldats rétrogradaient, débandés, dans les défilés du Tonkin » : « Ce pays qui fut si grand, qui fut si beau, ce pays qui se chauffa à tous les soleils de la gloire, sombre dans la honte. »

Ce n’est plus d’une approche politico-patriotique du Tonkin, mais touristico-cynégétique, qu’il est question dans Le Jardin des supplices (1899) et Les affaires sont les affaires (1903). Dans la première partie du Jardin des supplices, l’anonyme narrateur fait la connaissance d’un «  gentilhomme normand qui se rendait au Tonkin » et qui, « chasseur passionné », manifestait un enthousiasme communicatif pour cet « admirable pays de chasse », tel qu’il n’y a nul pays au monde qui soit « plus amusant que le Tonkin » : « Au Tonkin, il y a de tous les gibiers en abondance… Mais surtout des paons… Quel coup de fusil, monsieur !… Par exemple, c’est une chasse dangereuse… » Non pas que les paons y soient « féroces »,  mais parce que « là où il y a du cerf, il y a du tigre… et là où il y a du tigre, il y a du paon » : « Le tigre mange le cerf… et… quand le tigre est repu du cerf, il s’endort… puis il se réveille… se soulage et… s’en va… Que fait le paon, lui ?… Perché dans les arbres voisins, il attend prudemment ce départ… alors, il descend à terre et mange les excréments du tigre… C’est à ce moment précis qu’on doit le surprendre… Ah ! quels paons !… Vous n’en avez pas la moindre idée… [...]  Jamais un coup de fusil ne me procura une émotion aussi vive que ceux que je tirai sur les paons… Les paons… monsieur, comment vous dire ?… c’est magnifique à tuer !… » Il se vante aussi d’y avoir massacré des milliers de poules extraordinaires, telles qu’on n’en voit pas non plus en Europe, mais qui ne valent tout de même pas les paons tonkinois. Dans Les Affaires, à l’acte III, le souvenir de cette information curieuse, glanée sans doute dans quelque revue, sert à rompre la glace et à alimenter la conversation, au début de la difficile entrevue entre Isidore Lechat et le marquis de Porcellet. Celui-ci parle ainsi de son fils explorateur : «  — Il est revenu enthousiasmé du Tonkin... Il dit que c’est un admirable pays de chasse... Il parait que la chasse au paon, surtout, est très amusante. Dangereuse... par exemple... mais d’autant plus amusante... / — Ils sont donc féroces... les paons... par là ? / — Pas les paons, naturellement... mais les tigres... car on ne trouve les paons que dans les parties de forêts fréquentées par les tigres... Au Tonkin... là... où il y a du cerf... il y a du tigre... et là... où il y a du tigre... il y a du paon... Robert assure que le paon est quelque chose de magnifique à tuer... »

P. M.

 

 

 


TOULOUSE

Métropole universitaire et industrielle du sud-ouest, située sur les bords de la Garonne et surnommée « la ville rose », Toulouse est la quatrième commune de France, peuplée de 440 000 habitants (860 000 dans l’agglomération). Elle n’en comptait que 150 000 en 1900 et a connu une croissance démographique très rapide.

Au cours de l’affaire Dreyfus, Mirbeau s’est rendu à Toulouse, en compagnie de Francis de Pressensé, vice-président de la toute nouvelle Ligue des Droits de l’Homme, et du poète Pierre Quillard, pour y tenir un meeting dreyfusiste dans la salle du Pré Catelan, réservée à sa demande par le poète toulousain Marc Lafargue. Le 17 décembre 1898, il confie à Claude Monet que, « à Toulouse, la bataille sera chaude », parce que les nationalistes y sont en nombre et très motivés. De fait, explique Pierre Birnbaum, « des affiches menaçantes sont collées sur les murs de la ville, de couleur tricolore : placardées par la Ligue antisémitique, elles invitent la population à protester contre l’emprise des Juifs. On reproduit un violent article de La Libre parole contre Mirbeau. » Aussi la réunion se déroule-t-elle dans une ambiance extrêmement tendue : les orateurs sont physiquement menacés par les sbires nationalistes et antisémites du colonel Perrossier, protégés de fait par la flicaille, aux ordres du gouvernement de Charles Dupuy. Le 23 décembre, Le Télégramme de Toulouse précise : « Arrivés devant la porte du Pré Catelan, les révisionnistes sont protégés par la gendarmerie à cheval qui les entoure. C’est alors que se produit une manœuvre qui serait véritablement odieuse si elle était préméditée. Les gendarmes saisissent un à un tous les amis de Mrs. de Pressensé, Mirbeau et Quillard et les laissent sans défense aux mains des antisémites. »

Le soir même, Mirbeau, Pressensé et Quillard adressent une lettre ouverte au président du Conseil, Charles Dupuy, qui paraît le 24 décembre dans L’Aurore. Ils y font le récit de la houleuse soirée et mettent en cause le gouvernement, jugé complice des factieux : « Depuis quelque temps, les bandes antisémites vociféraient du dehors leurs hurlements ordinaires de “Vive l’armée ! Mort aux Juifs !”, et des pierres tombaient sur le toit de la salle. Vos amis n’étaient pas loin. Ils envahirent bientôt la salle, où l’on n’accède que par un couloir étroit et long qui donne sur les allées Lafayette et qui débouche dans un jardin intérieur. Il eût été facile d’interdire l’accès du couloir à la meute des assassins. / Selon vos ordres, il en fut autrement : les assassins entrèrent, précédés d’une drapeau, et soufflant à pleine gueule dans un clairon national. Ils occupèrent, devant le commissaire de service et le commissaire central, les gradins du fond, qui avaient été laissés libres, toujours selon vos ordres, en vertu des seules combinaisons stratégiques où excellent les chefs actuels de l’armée et qui ont pour unique objet de massacrer sans péril de paisibles citoyens dans l’exercice de leur droit. / Au lieu de faire expulser les hordes – après avoir saisi ce prétexte pour dissoudre la réunion –, le commissaire de service les engageait du geste à faire l’assaut de la tribune. Mais la lâcheté naturelle des défenseurs de l’armée est telle que nous trois, résolus à continuer la réunion et à parler, nous avons pu traverser seuls les cinquante mètres de l’hémicycle et aller affronter les bêtes féroces qui se déclaraient disposées, non à discuter, mais à nous supprimer. […] Les gendarmes se ruèrent sur nous avec une férocité particulière, nous précipitèrent de la tribune, haute d’un mètre vingt, séparant Octave Mirbeau, arraché par le bras droit, de Pressensé, plus spécialement visé, et de Pierre Quillard qui put ne pas quitter le bras de Pressensé. Ce fut un écroulement dans les bancs et les chaises, on espérait nous briser bras et jambes ; et, tandis que, par fortune, Octave Mirbeau sortait, malgré les gendarmes, par une porte de derrière, Francis de Pressensé était jeté à travers la salle, de mains en mains, au milieu des projectiles, vers le jardin. Là les coups de canne portés par derrière brisèrent son lorgnon sur ses yeux, lui contusionnèrent le front, en même temps qu’ils lui enlevaient son chapeau pour mieux désigner sa tête presque blanche aux coups de vos assom­meurs. Même scène dans les couloirs. […] Pendant ce temps, Mirbeau, à qui vos mouchards avaient fait croire que F. de Pressensé et P. Quillard étaient arrêtés, allait chez le commissaire de police les réclamer ou demander à être arrêté comme eux. Il lui fut répondu avec la goujaterie de style. Puis, pendant que vos gens allaient boire ou se coucher, nos amis, redevenus maîtres de la rue, venaient, en foule compacte, acclamer sous les fenêtres de l’Hôtel Tivolier ceux à qui vous aviez si habilement fermé la bouche. Mirbeau, seul rentré alors, leur lança du haut du balcon le cri qui demeurera le nôtre de  “Vive la Révolution !” et ils se répandirent dans la ville en répétant ce cri que vous entendrez demain à Paris si vos provocations continuent. »

Pour ne pas rester sur l’échec d’un meeting avorté, les dreyfusistes de Toulouse – « la totalité des groupes avancés de la grande démocratie toulousaine », comme dit Francis de Pressensé – demandèrent aux trois compagnons de retourner à Toulouse pour y tenir un nouveau meeting, le 14 janvier 1899. Ils acceptèrent « sans hésitation », parce que, comme l’écrira Pressensé dans L’Aurore du 15 janvier 1899, il « valait la peine de braver l’outrage, la calomnie, la menace, les lâches coups portés par derrière, les coups de revolver eux-mêmes, pour empêcher le supplice d’un innocent, le martyre d’un héros, le déshonneur du pays ». Mais le projet ne se concrétisa pas, faute de salle disponible : en effet, les propriétaires des salles du Pré Catelan et du Tivoli, pourtant retenues successivement et dûment payées, prirent peur face aux menaces de représailles du colonel Perrossier, qui annonça dans Le Messager de Toulouse du 10 janvier que les « patriotes » s’apprêtaient à donner une nouvelle leçon aux « commis-voyageurs de la trahison et de l’anarchie », qui ne sauraient échapper « à la correction qui leur est due ».

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, « Le Guet-apens de Toulouse », L’Aurore, 24 décembre 1898.


TREVIERES

Trévières est une petite commune du Calvados, située dans le Bessin, région de bocages et de grandes exploitations, à 17 km de Bayeux. Elle est aujourd’hui peuplée d’un millier d’habitants, comme en 1900. Lorsque Mirbeau y est né, le 16 février 1848, la commune était administrée par Jacques Guilbert-Duclos, dont l’un des prédécesseurs n’était autre que Marc-Antoine Dubosq (1787-1841), notaire du bourg depuis 1818 et grand-père de l’écrivain, qui a été maire de 1826 à 1831. La mère d’Octave, Eugénie-Augustine Dubosq, fille de Marc-Antoine, est née à Trévières, en 1825, ainsi que sa sœur Marcienne, en 1831. C’est aussi à Trévières qu’elle a épousé Ladislas Mirbeau, « officier de santé » originaire de Rémalard, dans l’Orne, le 8 novembre 1843 : le marié apportait une dot de 6 000 francs et la mariée 3 500 francs, plus les droits sur la vente de l’étude paternelle. Les époux Mirbeau ont vécu six ans dans la maison Dubosq, qui remonte peut-être au XVIIe siècle et qui est toujours debout. C’est là que sont nés leurs deux premiers enfants : Marie en 1848 et Octave en 1848. Mais dès septembre 1849, Ladislas est retourné s’installer à Rémalard, et il n’est pas sûr qu’Octave soit jamais retourné sur les lieux de sa naissance. Toujours est-il qu’il n’en parle nulle part, faute d’en avoir gardé aucun souvenir. Le 11 septembre 1932, à l’initiative de la première et éphémère Société des amis de Mirbeau, et grâce à la générosité de Sacha Guitry, a été posée, sur sa maison natale, une plaque, toujours visible, en hommage au grand écrivain. La cérémonie a donné lieu à plusieurs comptes rendus dans la presse nationale et régionale.

P. M.

Bibliographie : Roger Jouet, « Octave Mirbeau et Trévières », in Colloque Octave Mirbeau, Éditions du Demi-Cercle, 1994, pp. 11-18.

TRIEL-SUR-SEINE

C’est à la fin de l’année 1909 qu’Octave Mirbeau s’installe avec son épouse à Triel-sur-Seine, petite commune de Seine-et-Oise (aujourd’hui des Yvelines), qui comptait à l’époque 3 000 habitants. (11 000 aujourd’hui). Située principalement sur la rive droite de la Seine, à 30 km à l’ouest de Paris, entre Poissy et Meulan, Triel est à quelques kilomètres de Médan où se trouve la célèbre demeure d’Émile Zola. Contemplé de la rive gauche de la Seine, le site offre une vue magnifique avec ses demeures bourgeoises en meulière, son église des XIIe et XVIe siècles de style gothique flamboyant et la verdoyante forêt de l’Hautil qui coiffe ce paysage ayant inspiré les peintres Dunoyer de Segonzac, Loiseau, Marquet… À l’ouest de la commune s’étend une vaste plaine qu’exploitaient, jusqu’à la fin des années 1970, des petits agriculteurs en cultures maraîchères et arboricoles très variées : poiriers, cerisiers, pruniers, abricotiers côtoyaient artichauts, petits pois, haricots verts… La plaine est limitrophe de Carrières-sous-Poissy où résida Mirbeau de 1893 à 1898.

C’est en fait au lieu-dit de Cheverchemont, sur les hauteurs de Triel, à mi-chemin entre Triel-Bourg et le hameau de l’Hautil, que Mirbeau fit construire une jolie villa au milieu d’un parc planté de peupliers. On peut penser que Mirbeau avait été inspiré par Zola pour le choix de ce lieu, car, à 300 mètres de sa demeure, se situe la villa « Les Framboisiers » que Zola avait louée de 1892 à 1895 pour y loger sa maîtresse Jeanne Rozerot et leurs enfants.

L’écrivain franco-égyptien Albert Adès (1893-1921), ami fidèle et intime d’Octave Mirbeau et lui-même Triellois, avait écrit dans un article intitulé « La dernière physionomie d’Octave Mirbeau »

 publié dans « La Grande Revue » de mars 1917 : « La maison qu’il s’était fait construire à Cheverchemont révélait bien sa recherche de lumière. Au milieu d’un jardin plein de roses et bordé de peupliers, c’est la maison la plus claire du pays.

            — Regardez comme c’est beau, disait le Maître en indiquant de la main la vallée et les iles de la Seine, Triel et son église, le cimetière dont on découvrait les tombes, au loin Vernouillet et les quatre rangées de collines vertes, dont les dernières s’effaçaient dans le bleu du ciel. […]

Lorsqu’il commençait à faire frais, nous entrions dans la maison. Elle était une émanation de lui-même. Tout y avait été choisi minutieusement et minutieusement contrôlé dans la suite. Ce qui ne lui plaisait plus était mis au grenier. Il préférait un mur vide au mur orné d’une œuvre dont il ne tirait plus une jouissance d’art particulière.

Le sentiment était étrange qui vous saisissait à voir toutes ces toiles : les Cézanne, les Monet, les Van Gogh, les Pissarro, les Renoir, les Marquet, et ces sculptures : les Rodin, les Maillol – parmi les meubles de ces chambres claires-immobiles dans leur sérénité d’immortels chefs-d’œuvres, reconnus comme tels par toute une génération d’hommes. Car on savait que ces merveilles étaient entrées dans la maison d’Octave Mirbeau, ignorées du public, méprisées de l’élite. […] Il avait donc la gloire, une maison claire, un jardin plein de roses, un potager plein de légumes, des murs et des meubles couverts d’objets qu’il admirait.  »

Durant ses dernières années à Triel, les ennuis de santé de Mirbeau se sont aggravés et il dut faire appel à la collaboration de Léon Werth, qu’il hébergea dans sa propriété de Cheverchemont en juin et juillet 1912, pour achever Dingo.

A sa mort, Alice Mirbeau fit don posthume de la propriété de Cheverchemont à la Société des Gens de lettres pour y fonder une maison de repos réservée aux écrivains peu fortunés. Sur des photos de l’époque, on peut d’ailleurs lire sur le portail de la propriété « Fondation Mirbeau ». Mais la Société des Gens de Lettres n’a pas tenu sa parole et la demeure de Cheverchemont a été revendue en 1941 à un approvisionneur triellois dont les héritiers en sont encore aujourd’hui les propriétaires.

Durant la dernière guerre mondiale, la maison fut occupée par les SS et, dans les années 70-80, elle fut louée par la famille de l’ingénieur général Pierre Soufflet, qui est à l’origine du lancement du premier satellite français par la fusée Diamant, l’ancêtre d’Ariane.

À Triel-sur-Seine une rue porte le nom d’Octave Mirbeau … N’essayez pas de l’emprunter en automobile par son accès rue de l’Hautil, car elle commence par un escalier escarpé d’une centaine de mètres, se poursuit en chemin, puis se transforme en allée très pentue, pour déboucher sur une étroite voie où l’on peut distinguer, au n° 21, à travers la végétation dense et sauvage, la propriété Mirbeau. La rue Octave Mirbeau traverse ensuite la rue du Général Leclerc, pour se poursuivre en chemin grossièrement goudronné et déboucher sur un chemin forestier qui s’enfonce dans les bois de l’Hautil.

À noter également que, depuis 1996, l’ancien gymnase de Triel transformé en un charmant petit théâtre de 160 places, a été baptisé Théâtre Octave Mirbeau.

P. P.

           

 

 

           

 


TURQUIE

Si modeste qu’elle ait été, la présence de Mirbeau en Turquie est loin d’avoir été nulle. Comme c’est souvent le cas, ce sont les trois œuvres les plus célèbres qui ont été traduites, et deux d’entre elles sont encore dans le commerce.

Le Jardin des supplices l’a été deux fois : en 1955, sous le titre Skenceler Bahçesi, Istamboul, chez Yeni Matbaa (152 pages), dans une traduction de Refii Cevad Ulunay, qui signe également une très brève introduction de douze lignes ; et en 2007, sous un titre nouveau,  İşkence Bahçesi, à Istanbul, chez Ayrinti Yayinlan et Yeralti Edebiyati Dizisi (255 pages), dans une nouvelle traduction due à Yildiz Ademoglu Atlan.  

Le Journal d’une femme de chambre  a eu droit à trois éditions. La première, Bir hizmetçi kýzýn hatýralarý  (382 pages), ornée d’une couverture supposée aguichante, a paru en 1948 à Istanbul, aux éditions Nebioðlu Yayýnevi, dans une traduction de Reþit Baran, et a été tirée à 3 000 exemplaires. La seconde édition, parue en 1963 chez le même éditeur stambouliote, reprend la traduction de Reþit Baran, mais comporte une très brève introduction biographique, signée Cevdet Perin. La troisième, intitulée Oda Hizmetçisinin Günlügü, a paru en 2004, également à Istanbul, aux éditions Ayrinti Yayinlari, dans une nouvelle traduction de Sevgi Terlemez (319 pages) ; elle comporte une brève présentation de l’auteur et une trentaine de notes explicatives.

Les affaires sont les affaires a été publié à Istamboul en 1932, sous le titre Is adami [“l’homme d’affaires”], chez Nasiri Ikbal Kütüpanesi sahibi Hüseyni (104 pages), dans une traduction de Güntekin Resat Nuri. Malencontreusement, sur la couverture, le nom de l’auteur est orthographié, en majuscules, OCTAVE MIRABEAU...

Pour ce qui est des autres œuvres, en l’absence de toute recension systématique dans la presse turque, nous ne pouvons en signaler que deux. Le Portefeuille a paru sous le titre İhtiyar Serseri [“le vieux clochard”], vers 1925, sans que nous sachions s’il s’agit de la farce ou du conte homonyme.  En 1939, a paru à Istanbul, chez Yeni Türk, une mystérieuse brochure de 24 pages, intitulée Kadın değil baş belası [“ce n'est pas une femme, c'est un problème”], dans une traduction de Kemal Emin. Nous n'avons pas identifié ce texte et ignorons s'il s'agit d'un conte – ou d'un recueil de quelques contes –, ou d'une farce en un acte, ou encore d'un autre texte encore inconnu en français.

Le seul texte critique que nous ayons trouvé est dû à Osman Çakmaci et a paru dans le journal Radikal, le 21 janvier 2005 : « Burjuva yaşamına 'sızmak' » [“la vie bourgeoise est ‘suintante’”]. Le travail de recension reste à effectuer. 

Mirbeau a peu parlé de la Turquie. Mais il a fait partie, avec Pierre Quillard et Anatole France, des intellectuels qui ont vivement dénoncé la sanglante dictature incarnée par le sultan Abdul Hamid, « la bête rouge », comme il l’appelle : il a accepté, en 1902, de préfacer Les Sultanades, poèmes de Handrey et Loris ; et il a stigmatisé les massacres des Arméniens et la complicité du ministre français des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux, à qui il fait dire, dans une interview imaginaire de L’Aurore, en pleine affaire Dreyfus : « Les Arméniens aussi étaient innocents [comme Dreyfus]… Et je les ai laissé massacrer par centaines de mille… »  (« Dans les ruines », L’Aurore, 26 mars 1899).  

P. M.

 

 


Glossary 3.0 uses technologies including PHP and SQL