Pays et villes

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CAEN

            Le jeune Octave Mirbeau est arrivé à Caen en janvier 1865, à l’approche de ses dix-sept ans, pour y préparer « l’impitoyable bachot » dans un « moule à bachot », la pension Delangle. L’atmosphère, familiale, le petit nombre de pensionnaires, l’absence de surveillance, la bonne nourriture et les sorties du dimanche dans une famille amie, les Roger, rendent son séjour infiniment moins pénible que chez les jésuites de Vannes ou à la pension Saint-Vincent de Rennes. Il se sent bien et travaille donc avec ardeur. Mais l’approche du baccalauréat l’angoisse et finit par le paralyser quelque peu : il échoue à l’oral, le 28 août 1865. Nouvel échec, démoralisant, en novembre. Il lui faudra attendre le 6 mars 1866 pour être enfin reçu, à dix-huit ans, et pouvoir entamer des études de sciences, vite interrompues, puis aller à Paris y poursuivre des études de droit.

Il se souviendra sans doute de la pension Delangle pour imaginer la fictive pension Tampon de « Mon pantalon » (Le Journal, 2 février 1896). 

P. M.


CALAIS

Calais est un port du Pas-de-Calais, peuplé de 75 000 habitants (60 000 en 1900) et situé sur la Mer du Nord, en face de la côte anglaise. Possession anglaise pendant plus de siècle, Calais a été rendu célèbre par un épisode de la guerre de Cent ans : en 1347, lors du siège de la ville par le roi d’Angleterre Édouard III, six bourgeois auraient accepté, de se sacrifier pour  que le reste des habitants ait la vie sauve et se seraient rendus, en chemise et la corde au cou, auprès du roi pour lui remettre les clefs de la ville. Selon Froissart, Édouard III les aurait graciés. C’est cet épisode qu’Auguste Rodin a immortalisé dans un monument en bronze, commandé par la municipalité de la ville et qui a été inauguré à Calais le 2 juin 1895, en l’absence des deux ministres concernés, Georges Leygues et Raymond Poincaré.

Octave Mirbeau devait accompagner son ami lors de l’inauguration. Mais un empêchement de dernière minute, l’arrivée impromptu de ses neveux Petibon, venus passer quelques jours de vacances scolaires au Clos Saint-Blaise, le retient à Carrières-sous-Poissy, comme Alice en informe Robert de Montesquiou le 6 juin. On peut cependant se demander si cette raison est vraiment recevable et s’il ne s’agirait pas plutôt d’une excuse diplomatique pour échapper à des cérémonies officielles qui ne pourraient que l’agacer. Quoi qu’il en soit, à défaut de présence physique, il fait paraître le même jour, dans Le Journal, un article intitulé «  Auguste Rodin », où il écrit notamment, à propos du monument : « Pour donner une idée de cette beauté d’art, grandie encore par une admirable vision d’histoire, il me faudrait de longues pages, car tout est à étudier, à retenir, en cette œuvre puissante, la plus belle, la plus complètement belle, de la sculpture française, et l’originale simplicité de la composition, et la vie si intense qu’elle exprime, et la majesté tragique qui l’enveloppe comme d’une atmosphère de terreur, et surtout la maîtrise d’un métier dont M. Auguste Rodin est peut-être le seul aujourd’hui à connaître les perfections les plus secrètes. Sur la place publique de la ville vaincue, affamée et sans armes, les six bourgeois ont délibéré. Pour sauver la ville de la ruine, et leurs concitoyens de la mort, ils ont fait le sacrifice de leur existence et ils vont se livrer au roi d'Angleterre. Le monument de M. Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme unanimement accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la différence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes hautaines, presque provocantes, ou se résignent noblement ; les jeunes se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le regret de cette vie à peine commencée et dont ils n'ont connu que les joies. Et derrière le groupe prêt à se mettre en marche, l'on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage et pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul souci du groupement scénique ; aucune allégorie, pas un attribut dont se servent les sculpteurs, pauvres d'idées, pour exprimer l'illusion de l'idée. Il n'y a que des attitudes, des expressions, des états d'âme. Les bourgeois partent. Et le drame vous secoue de la nuque aux talons. »  

            P. M.


CANADA

Mirbeau n’a jamais mis les pieds au Canada et ne semble pas en avoir jamais parlé dans ses écrits. Il n’y est pas pour autant totalement méconnu.

Tout d’abord, au Québec, deux de ses œuvres ont été éditées :

* Le Jardin des supplices a paru à Montréal en 1970, chez Quintal Associés, dans la collection « Éros », n° 118.

* Quant au Journal d’une femme de chambre, il a eu droit à deux éditions, à Montréal : en 1967, aux Éditions du Bélier, dans la collection « Aries », n° 110 ; puis en 1994, chez Phidal, dans la collection « Classiques français » (mais ce n’est que la reprise à l’identique de la minable version de Booking International, parue en France un an plus tôt). En 1998, le journal de Célestine a été enregistré, sur bandes magnétiques, par la Magnétothèque de Montréal, à destination des personnes souffrant d’une « déficience perceptuelle ». La même année, Bibliopolis en a tiré un CD-Rom, accessible  en ligne sur abonnement.

Mais plus importantes que les versions papier sont les éditions électroniques fournies par la Bibliothèque électronique du Québec (BeQ), qui a publié quatre romans (La Maréchale, Le Calvaire, Sébastien Roch et Le Journal d'une femme de chambre) et quatre volumes de contes, également accessibles en ligne sur Scribd et sur Calameo. Ces œuvres ainsi accessibles gratuitement reçoivent énormément de visites.

Du côté universitaire, le Canada n’est pas en reste, puisqu’on lui doit la première thèse vraiment sérieuse consacrée à Mirbeau : celle de John Walker, L'Ironie de la douleur - L'Œuvre d'Octave Mirbeau (514 pages), qui a été soutenue en 1954 à l’Université de Toronto, et qui est tout à fait remarquable. Depuis quelques années, Anna Gural-Migdal, d’Edmonton, a consacré à Mirbeau plusieurs articles et communications universitaires. Signalons encore deux mémoires dactylographiés (mais une recension plus poussée en révèlerait sans doute d’autres) : Geneviève Richards, Octave Mirbeau : un Don Quichotte romantique de l'époque naturaliste, Université de Calgary, 1971, et Hélène Trépanier, Le Mythe de Van Gogh dans la littérature, chez Octave Mirbeau, “Dans le ciel”, Antonin Artaud, “Le Suicidé de la société”, Paul Nizon, “Stolz”, Université de Laval, Québec, 1992.

Il convient enfin de signaler qu’une importante revue littéraire canadienne, les  Dalhousie French Studies, de Halifax, ont publié plusieurs articles sur Mirbeau, signés Pierre Michel, Ioanna Chatzidimitriou et surtout Robert Ziegler.

P. M.


CANNES

Cannes est une grande station balnéaire de la Côte d’Azur, située dans les Alpes-Maritimes et aujourd’hui peuplée de 71 000 habitants (30 000 en 1900). Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, elle a été mise à la mode par l’aristocratie européenne, qui y a édifié de somptueuses résidences secondaires pour y villégiaturer l’hiver, et elle a connu une croissance rapide liée au tourisme.

Mirbeau a certainement eu l’occasion de venir à Cannes dans les années 1870 et au début des années 1880, mais ces premières visites ne sont pas attestées. Pas davantage lors d’un premier séjour à Menton, en 1889 ; mais, comme il souhaitait y rencontrer Maupassant, il est plausible qu’il y soit venu en voisin. En revanche, au cours de l’hiver 1890, alors qu’il séjourne à Nice, une visite est bien documentée : il est venu à Cannes, le 2 février, pour y revoir Paul Bourget, qu’il avait vilipendé outrageusement dans un article du 11 mai 1889, et y retrouver Maupassant sur son yacht le Bel Ami, ultime rencontre dont il a fait le récit dans La 628-E8 (voir la notice Maupassant). En décembre 1900, Mirbeau a séjourné à Cannes, dans l’espoir d’y trouver un peu de chaleur et d’aider Alice à se remettre de sa neurasthénie : d’abord au Grand Hôtel, ensuite à la Villa des Anglais. Il y a travaillé d’arrache-pied à sa grande comédie Les affaires sont les affaires. Il a très certainement eu l’occasion de retrouver à Canes Thadée et Misia Natanson, qui séjournaient alors au domaine de la Croix des Gardes et y recevaient beaucoup d’amis. Thadée lui a alors fourni des informations techniques pour l’affaire de la chute d’eau évoquée dans Les Affaires. C’est à Cannes que Mirbeau situe son « Paysage de foule », qui paraît, pendant son séjour sur la Côte d’Azur, dans Le Journal du 30 décembre 1900. Au bout de quelques semaines, les Mirbeau ont quitté Cannes pour Nice, dans le courant du mois de janvier 1901.

P. M.

 


Carrières-sous-Poissy

 

Se sentant trop éloigné de Paris lorsqu’il habite Les Damps, près de Pont-de-l’Arche dans l’Eure, Octave Mirbeau décide de s’installer à Carrières-sous-Poissy, dans une propriété située à quelque cinq cents mètres de la route Paris-Rouen. Il est ainsi à 25 km de Paris et il peut également, à environ 2 km, prendre le train en gare de Poissy.

Carrières-sous-Poissy, ville de près de 15 000 habitants aujourd’hui, n’est, en 1893, lorsque Mirbeau s’y installe, qu’un village d’environ 700 habitants. Bâtie sur le flanc du coteau qui domine la rive droite de la Seine, la ville doit son nom aux carrières d’où l’on extrait des moellons de pierre tendre. Par contre elle ne mérite guère son qualificatif de « sous », puisque plus élevée en altitude (un modeste 40 m.) que le centre de Poissy. Imméritée également l’idée de dépendance que ce qualificatif peut impliquer car,  jusqu'au début du XIXe siècle, alors que Poissy dépendait du diocèse de Chartes, Carrières, qui dépendait du diocèse de Rouen, était rattachée à la paroisse de Triel-sur-Seine où Octave Mirbeau s’installera plus tard.

Avant qu’une église ne soit construite à Carrières avec son desservant, c’est-à-dire jusqu'au XVIIIe siècle, toutes les formalités religieuses et civiles devaient se faire à Triel. Le chemin le plus direct pour y parvenir, et que Mirbeau a peut être parcouru, s’appelait jusqu’à une époque récente, Chemin des trépassés.

Sur les pentes et dans les lieux bien exposés on cultive la vigne, comme l’atteste le nom de la ville voisine, Chanteloup-les-Vignes, mais sur la plaine ce sont surtout des cultures maraîchères, qui vont peu à peu devenir primordiales dans l’économie du village. En effet, en 1894, dans le cadre de l’assainissement  du département de la Seine, on décide l’épandage des eaux d’égouts dans cette région que le sol sableux  pourra assainir, tout en permettant l’irrigation des cultures.

Sa maison construite au sommet du coteau et tournant le dos à la plaine, Mirbeau n’a pas eu à souffrir des odeurs peu agréables de ces champs d’épandage. Des ses balcons du premier ou du second étage il préférait sans doute admirer le vaste panorama qu’il avait à ses pieds. D’abord la route de Rouen,  qui venant de Poissy, avait traversé la Seine sur un pont (détruit en partie en 1940), dont on fait remonter la construction à l’époque de Saint Louis. Au-delà, un quartier dépendant de Carrières, que l’on appelle aujourd’hui encore «  Les Grésillons » ou «  Saint Louis », une légende locale y faisant accoucher Blanche de Castille, qui aurait fuit le tintamarre des cloches de Poissy. Peut-être y  a-t-il vu galoper des chevaux sur le champ de courses que M. Lemercier venait  d’y aménager et qui sera plus tard la propriété de William-Kissam Vanderbilt. Plus loin encore il pouvait, entre les frondaisons des arbres  bordant la Seine, deviner Villennes et Médan où habitaient ses amis Émile Zola et Maurice Maeterlinck.

Mais c’est peut-être plus près qu’il regarde, sur ce coteau en pente douce qui descend jusqu’à la route, car c’est là qu’est son jardin, un jardin qui est une source d’émerveillement pour tous ses visiteurs. Pour le journaliste Jean Lorrain, qui vint avec Mme Duval déjeuner chez Mirbeau le 31 mai 1896. Pour Mallarmé, auquel, après avoir visité le jardin, Mirbeau offrit du stout. En buvant cette bière anglaise Mallarmé, euphorique, s’écria : « Ah, on sent que cela vient directement d’Angleterre ! » Cela venait de chez Potin, mais Mirbeau, souriant, se garda bien de le détromper.

Est-ce pour l’installation de ce jardin qu’il a connu des déboire ? Léon Werth dans l’introduction qu’il écrit pour Les 21 jours d’un neurasthénique dans l’édition des Belles Lectures de 1954, cite une lettre que Mirbeau adresse à Claude Monet et dans laquelle il se lamente sur l’état de son jardin. Il en accuse l’ancien propriétaire : « Cet homme a trop détesté les fleurs…Elles se vengent aujourd’hui en ne poussant plus du tout. » Comme cette lettre a été écrite, d’après Léon Werth, après 1890, c’est peut-être l’installation de son jardin à Carrières qui fut difficile.

Mirbeau quitta Carrières en 1898, la maison changea sans doute plusieurs fois de propriétaires, mais on la retrouve occupée dès avant la guerre de 39-45 par une communauté protestante. Le pasteur de Poissy, Freddy Durlemann, fonda en 1920 un mouvement d’évangélisation appelé “La Cause”, avec un service de solidarité, mais surtout une aide pour les mal-voyants, avec bibliothèque sonore et Braille. C’est sous ce nom de “La Cause” que les habitants de Carrières désignèrent alors l’ancienne demeure d’Octave Mirbeau. Cela jusqu’en 1983, lorsque la maison fut mise en vente et que la municipalité exerça son droit de préemption pour l’acquérir. “La Cause” resta à Carrières, mais s’installa dans un lieu mieux adapté ; la maison fut détruite et remplacée par l’Hôtel de Ville actuel, l’ancienne mairie ne correspondant plus aux besoins d’une ville de plus en plus peuplée. Le jardin de Mirbeau, avec ses arbres maintenant centenaires et des pelouses qui remplacent les massifs de fleurs, s’appelle aujourd’hui Square Freddy Durlemann.

Près de l’Hôtel de Ville, où les pavillons d’habitation se sont multipliés, passe la rue Octave Mirbeau. C’est aussi le nom que porte la modeste bibliothèque, autrefois Blanche de Castille. Enfin, remplaçant des champs d’épandage de naguère, les rues de tout un quartier portent les noms de Claude Monet, de Pissarro et d’autres peintres impressionnistes !

Octave Mirbeau aurait aimé !

P. C.


CATALOGNE

La Catalogne est une région industrielle qui a connu un rapide développement du syndicalisme ouvrier et qui a été profondément marquée par les aspirations républicaines et par la lutte contre le cléricalisme. Le mouvement libertaire catalan a été très actif et influent et a été réprimé dans le sang à la fin du XIXe siècle (Mirbeau évoque cette répression sanglante dans Les Mauvais bergers, 1897). Aussi la Catalogne a-t-elle été pour lui une terre relativement accueillante. Nombreux en effet ont été les groupes de théâtre, amateurs ou professionnels, à avoir utilisé les pièces de Mirbeau pour leur agit-prop, depuis le début du vingtième siècle jusqu’à la victoire du franquisme. Chose curieuse, c’est presque exclusivement le théâtre qui a donné lieu à des traductions ou adaptations en catalan.

Nous n’avons pas trouvé de traces de représentations de Les affaires sont les affaires (Els negocis són negocis), ni du Foyer, mais il n’est pas sûr pour autant qu’il n’y en ait point eu. En revanche, Les Mauvais bergers (Els Mals pastors), a bien été traduit (par Felip Cortiella, voir la notice) : la pièce a paru d’abord en feuilleton dans La Revista blanca (du° 63, 1er février 1901, pp. 467-474, au n° 72, 15 juin 1901, pp. 735-755), avant d’être publiée en volume à Barcelone, aux éditions de « l’Avenç ». La première représentation a été donnée le 5 janvier 1901, au théâtre Lope de Vega de Barcelone, par un « groupe dramatique d’ouvriers enthousiastes » et a été suivie de beaucoup d’autres à travers la Catalogne. LÉpidémie (L’Epidèmia) a également été traduit (par Virgili Ambròs), et a été représenté en Catalogne pendant la guerre civile, par le théâtre de l'armée républicaine ; mais il ne semble pas y avoir eu de publication en volume. Scrupules (Escrúpols), traduit par Carles Costa – également traducteur de la pièce en espagnol – a paru en 1909 à Barcelone, chez Teatro Mundial.  Enfin Le Portefeuille (La Cartera) a paru en 1910, toujours à Barcelone, chez Vda. de J. Cunill, dans la collection « Biblioteca teatralia » et dans une traduction de Carles Costa, qui a aussi traduit la pièce en castillan ; la première représentation a eu lieu au Teatro Romea, à Barcelone, le 3 mars 1910, sous la direction d’Adrià Gual. Une nouvelle édition a paru en 1937, à la Llibreria Millá, dans la collection « Catalunya teatral », couplée avec  El Secrét, de Ramón Sender. Le seul roman de Mirbeau qui ait été acclimaté en catalan est Le Journal d’une femme de chambre (Diari d'una cambrera). Seulement il ne s’agit pas d’une traduction, mais d’une adaptation théâtrale. Elle n’a pas été publiée en volume : le texte, tapuscrit, œuvre d’Angels Bassas, Antonio Simón Rodriguez et Santiago Sans, a simplement servi aux représentations données par Angels Bassas en 1993-1994.  

Aux traductions catalanes stricto sensu il convient d’ajouter nombre de traductions en espagnol, publiées à Barcelone chez des éditeurs catalans : El Calvario, par les Publicaciones Mundial, dans la « Biblioteca social » (19 ?) ; El Jardín de los suplicios, par la Casa Editorial Maucci (1900) et par Libros y Publicaciones Periódicas, collection « La sonrisa vertical » n° 36 (1984) ; Memorias de una doncella par la Casa Editorial Maucci (1901) ; Diario de una camarera, par l’Editorial Bruguera, collection  « Libro amigo » (1974) ; Los Malos pastores, par les Ediciones económicas Avenir (1903) et par la Casa editorial Maucci, collection « Teatro mundial » (1904) ; La Epidemia, également par les Ediciones económicas Avenir (1904) et par l’Imprenta « Germinal », Biblioteca de Tierra y Libertad (1917) ; et En el cielo, par les Ediciones Barataria, collection « Bárbaros » (2006). Mais le plus étonnant est la publication, toujours à Barcelone, de deux recueils de textes de Mirbeau d’inspiration libertaire et majoritairement non recueillis en volume en français à cette époque : El Alma rusa, par Alfredo M. Roglan, dans la collection « Biblioteca popular Progreso » (1921), et  La Guerra, par l’Editorial Moderna, dans la collection « Inquietud » (1922). Ajoutons encore que c’est un écrivain catalan, Luis Maria Todó, qui a récemment traduit en espagnol Les Mémoires de mon ami, sous le titre curieux de Memoria de Georges el amargado (Impedimenta, 2009), et Le Jardin des supplices (Impedimenta, 2010).

Pour ce qui est de la réception de Mirbeau en Catalogne, l’étude reste à faire. Signalons seulement Interpretacions i motius (1919), de l’écrivain anarchiste et pacifiste Alfons Maseras i Galtes, qui  consacre un dithyrambique chapitre à Mirbeau, dont il loue le stoïcisme et qu'il compare aux prophètes de la Bible.


P. M.


CEYLAN

Bien que Mirbeau n’ait jamais mis les pieds à Ceylan, il a évoqué l’île à plusieurs  reprises : en 1885 dans ses pseudo-Lettres de l’Inde du Gaulois, signées Nirvana ; en 1892 dans « Colonisons » (Le Journal 13 novembre 1892) ; en 1896 dans la fantaisie intitulée « Macrobiologie » (Le Journal, 16 février 1896) ; et en 1899 dans le chapitre VIII de la première partie du Jardin des supplices.

C’est dans trois de ses Lettres de l’Inde que Mirbeau s’attarde le plus sur Ceylan, bien à l’abri de la mystification d’un reporter qui, en réalité, expédie ses articles depuis sa résidence normande du Rouvray (voir la notice Laigle). Il est alors de son devoir de “nègre” de mettre en forme littéraire les rapports de son ami François Deloncle (voir la notice) : aussi introduit-il le poétique et le pittoresque dans des descriptions qui doivent donner l’illusion du vécu et de l’observé tout en restant attrayantes. Ainsi l’arrivée en bateau donne-t-elle lieu à une « vision magique » : « L’horizon se crève sous un jet de lumière verte, et Ceylan, la reine des îles, mollement couchée sur le coussin mouvant de ses ondes, apparaît, radieuse, sous son manteau brodé de pierres précieuses. […] Rien de notre pauvre végétation ne saurait donner une idée de la magnificence de cette nature cinghalaise. Ce sont des couleurs nouvelles que nul de nos artistes n’a jamais entrevues ; il semble que des profondeurs de la mer, et sous le ciel embrasé, aient jailli des fusées de rubis, de saphirs, d’émeraudes, de topazes et d’aventurines, aux tons à la fois crus et fondus et d’une analyse indéfinissable. Des buées éclatantes traînent aux creux des vallons, des flocons lumineux flottent comme des écharpes, et le Pic d’Adam monte, tout blanc, dans le ciel, d’une blancheur de neige que le soleil irise. »  Puis le faux reporter décrit le pittoresque de l’arrivée dans le port, où le bateau est « pris d’assaut » par les indigènes, et l’hôtel confortable, où il goûte au farniente, avant que d’aller interviewer Arabi Pacha, puis le bonze Sumangala, et de mettre dans leur bouche les propos souhaités par son commanditaire Deloncle. La lettre IV, datée du 5 février 1885, nous emmène à Kandy, « voyage inoubliable, à travers une plaine immense de palmiers, puis dans la montagne » : « De quelque coté que l’œil se repose, partout une verdure intense et profonde, un surnaturel assemblage de toutes les essences tropicales, une vie surabondante qui ne permet point d’apercevoir un bout de terre. Ici ce sont des coteaux entiers couverts de plantations de café […]. Là des champs de citronnelles, des bois de muscade, des layons de canneliers qu’entrecroisent et coupent le quinquina, l’indigo, le poivre, tandis que des fossés séparent la canne à sucre et le manioc. » Mais, hors la pagode contenant la Dent de Bouddha et devant laquelle a été assassiné « le dernier prince » Modéliar, la cité même de Kandy, sur laquelle planent de sinistres oiseaux de nuit dont les ululements sont « comme les plaintes des âmes errantes », se révèle bien décevante : « une ville déserte et morte », sur laquelle est braqué « un canon anglais ».  

Dans « Colonisons », article signé du pseudonyme de Jean Maure, Mirbeau veut surtout mettre en lumière les horreurs des conquêtes coloniales anglaises : « Je me rappelle l’étrange sensation de “honte historique”, que j’éprouvai, quand, à Candy, l’ancienne et morne capitale de l’île de Ceylan, je gravis les marches du temple, où les Anglais égorgèrent les petits princes Modéliars, que les légendes nous montrent si charmants et pareils à ces icônes japonaises, d’un art si merveilleux, d’une grâce si hiératiquement calme et pure, avec leurs mains jointes, et dans leur nimbe d’or. Je sentis qu’il s’était accompli là, sur ces marches sacrées, non encore lavées de ce sang par quatre-vingts ans de possession violente, quelque chose de plus horrible qu’un massacre humain, quelque chose de plus bêtement, de plus lâchement, de plus bassement sauvage : la destruction d’une précieuse, émouvante, innocente Beauté. […]Ah ! que la petite ville morte de Candy me sembla triste et poignante ce jour-là. Dans le soleil torride, un lourd silence planait, avec les vautours, sur elle. De noirs corors, fouillant les tas d’ordures matinales, défendaient les approches des rues. »

Dans Le Jardin des supplices – dont la première mouture d’« En mission » paraît en feuilleton dans L’Écho de Paris en 1893 –, Ceylan, qui devait en principe être la destination finale du pseudo-embryologiste expédié en mission, n’est plus qu’une brève étape sur la route de la Chine, marquée au coin du grotesque et de la caricature. Le narrateur ne s’attarde pas dans des descriptions pittoresques, qui ne sont pas vraiment de la compétence de sa plume, et son évocation ne rend compte que de son ennui et de son indifférence : « Colombo me parut une ville assommante, ridicule, sans pittoresque et sans mystère. Moitié protestante, moitié bouddhiste, abrutie comme un bonze et renfrognée comme un pasteur. […] À Slave-Island, qui est le Bois de l’endroit, et à Pettah, qui en est le quartier Mouffetard, nous ne rencontrâmes que d’horribles Anglaises d’opérette, fagotées de costumes clairs, mi-hindous, mi-européens, du plus carnavalesque effet ; et des Cinghalaises, plus horribles encore que les Anglaises, vieilles à douze ans, ridées comme des pruneaux, tordues comme de séculaires ceps de vigne, effondrées comme des paillotes en ruine, avec des gencives en plaies saignantes, des lèvres brûlées par la noix d’arec et des dents couleur de vieille pipe… Je cherchai en vain les femmes voluptueuses, les négresses aux savantes pratiques d’amour, les petites dentellières si pimpantes, dont m’avait parlé ce menteur d’Eugène Mortain, avec des yeux si significativement égrillards… Et je plaignis de tout mon cœur les pauvres savants que l’on envoie ici, avec la problématique mission de conquérir le secret de la vie. » Rendant visite à un autre pseudo-savant, du nom d’Oscar Terwick, il signale, platement et pour mémoire, le « faubourg appelé Kolpetty et qui est, pour ainsi dire, le Passy de Colombo » : « Là, au milieu de jardins touffus, ornés de l’inévitable cocotier, dans des villas spacieuses et bizarres, habitent les riches commerçants et les notables fonctionnaires de la ville. »

Voir aussi les notices Lettres de l’Inde, Colonisons et Bouddhisme.

P. M.


CHERBOURG

Une seule visite de Mirbeau à Cherbourg est attestée, mais il est fort probable qu’il a eu l’occasion d’y passer, que ce soit auparavant pour un reportage ou, par la suite, au cours de ses périples en automobile à travers la France. Toujours est-il que, début octobre 1896, il a fait, en compagnie de Claude Monet, une traversée exceptionnelle, qui les a conduits du Havre à Cherbourg, à bord du Normandie, à l’occasion de la visite en France du tsar Nicolas II, qui devait débarquer dans le port du Cotentin le 5 octobre. Il rappellera ce bref voyage en bateau lorsqu’il consacrera un article au commandant du navire, Louis Deloncle, avec qui il avait alors noué connaissance et amitié, à l’occasion du tragique naufrage de la Bourgogne, que commandait cet officier de marine fort lettré. C’est sans doute pour convaincre Monet de l’accompagner qu’il lui décrit ainsi l’environnement de la ville : « Dans cette région de Cherbourg, on se croirait déjà en Bretagne. Les collines se couvrent de chênes, des torrents dégringolent sur les pentes de granit ; et les landes apparaissent. Elles occupent de vastes surfaces autour de Lessay et sous le ciel gris où les nuages courent, chassés par le vent, on a déjà sur le sombre tapis de bruyères et d'ajonc le sensation poignante et douce à la fois que laissent à l'esprit les landes solitaires de la Bretagne mélancolique. Au centre de la presqu'île, dans le pays de Coutances et Saint-Lô, le herbages complantés de pommiers se dérobent derrière les hauts talus boisés de chênes. »

Dans le dernier chapitre du Journal d’une femme de chambre, Célestine se retrouve mariée à l’ancien jardinier-cocher Joseph, qui, grâce au vol de l’argenterie des Lanlaire, a pu ouvrir à Cherbourg, sur le port,  le « petit café » de ses rêves. Doté d’une enseigne « À l'armée française ! », en pleine affaire Dreyfus, le café est vite devenu « le rendez-vous officiel des antisémites marquants et des plus bruyants patriotes », qui « viennent fraterniser là, dans des soulographies héroïques, avec des sous-officiers de l'armée et des gradés de la marine ». Célestine, elle, tient la caisse et trône au comptoir, et elle s’y dit heureuse : « Ce ne sont plus les paysages désolés d'Audierne, la tristesse infinie de ses côtes, la magnifique horreur de ses grèves qui hurlent à la mort. Ici, rien n'est triste ; au contraire, tout y porte à la gaîté... C'est le bruit joyeux d'une ville militaire, le mouvement pittoresque, l'activité bigarrée d'un port de guerre. L'amour y roule sa bosse, y traîne le sabre en des bordées de noces violentes et farouches. Foules pressées de jouir entre deux lointains exils ; spectacles sans cesse changeants et distrayants, où je hume cette odeur natale de coaltar et de goémon, que j'aime toujours, bien qu'elle n'ait jamais été douce à mon enfance... »  

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau, Louis Deloncle et le naufrage de La Bourgogne », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 221-227; Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Charpentier-Fasquelle, 1900.


CHINE

Mirbeau et la Chine

Dans Le Jardin des supplices, Octave Mirbeau reprend des images de la Chine véhiculées par la littérature de voyage et les journaux de son époque. Il aborde aussi l’art et la pensée chinoise dans sa critique esthétique.


1. Une civilisation en décomposition

Dans Le Jardin des supplices, la Chine, c’est d’abord la ville et ses alentours. La vision dépeinte est celle de l’Enfer. Le feu et la souffrance sont omniprésents. Les lieux sont attaqués par la pourriture. La saleté des lieux et la pourriture sont soulignées dans les récits de voyage, et il en va de même de l’image des Chinois reprise par Mirbeau : ils sont décrits en osmose avec la pourriture ambiante, ils ont perdu leur humanité. Les scènes de la vie quotidienne sont un théâtre de l'horreur et de la souffrance. La dégradation des Chinois est aussi bien physique que morale : ce sont des êtres infernaux, des voleurs, ils sont même comparés à des animaux dans son récit. Cette décomposition est confirmée par le bourreau : « Nous vivons, dans une époque de désorganisation... Il y a en Chine, Milady, quelque chose de pourri... »


2. Une justice cruelle

Les condamnés sont envoyés au bagne, où ils subissent leur peine. C’est un lieu où règnent la torture et la souffrance. Le raffinement dans les supplices apparaît dans les méthodes employées : combinaison de supplices, détournement d’un acte afin qu’il entraîne le plus de souffrance possible (par exemple, l’acte de manger est transformé en torture), ou bien encore utilisation des organes du plaisir pour faire souffrir (supplices du rat et de la caresse). Le supplice est total, permanent : il agit sur le corps et sur l'esprit. Des représentations de supplices sont placées en face des cellules. Mirbeau reprend là des éléments du récit de Catherine de Bourboulon qui décrit la « pagode des supplices ».


3. Un art sublime

Le jardin fait cohabiter la beauté et l'horreur. Il apparaît d'abord comme un paradis, puis comme un enfer. Le nombre des fleurs, leur rareté et leur beauté, font de ce jardin une image du paradis. Cet art du jardin a fasciné les Européens. Mirbeau souligne la supériorité des jardiniers chinois sur les « grossiers horticulteurs » européens : pour lui, les Chinois sont de « parfaits artistes ». Dans sa critique esthétique, son enthousiasme et son excès le conduisent à écrire que « cet art chinois [est] le plus parfait qui ait jamais fleuri sur la terre !...». Il parlera des peintres japonais d’estampes dans les mêmes termes : « Ce sont les rois des artistes ! ». On retrouve ici un des éléments du Beau d’Octave Mirbeau : faire ressentir la vie à travers l’œuvre.

4. La pensée chinoise

L'initiation du narrateur dans Le Jardin des supplices permet de mettre en scène le sacré et de décrire certains rites, par exemple : « Des jonchées de fleurs, des corbeilles de fruits couvraient le socle du monument d'offrandes propitiatoires et parfumées. Une jeune fille, en robe jaune, se haussait jusqu'au front de l'exorable dieu, qu'elle couronnait pieusement de lotus et de cypripèdes. » Dans le tantrisme, le corps humain est une image du cosmos, d’où de nombreuses représentations de l’acte sexuel qui symbolise les transferts d’énergie du cosmos. Ces représentations ont interpellé les occidentaux qui les ont souvent interprétées comme des orgies. Mirbeau, reprend ces fantasmes lorsque, dans Le Jardin des supplices, le narrateur les décrit : « D’abord, je ne vis que des femmes […] qui se livraient à des danses frénétiques, à des possessions démoniaques, autour d’une sorte d’Idole. […] Je reconnus que c’était l’Idole terrible, appelée l’Idole aux Sept verges… […] à l’endroit précis où le ventre monstrueux finissait, sept verges s’élançaient. […] Criant hurlant, sept femmes, tout à coup, se ruèrent aux sept verges de bronze ». Dans l’art tantrique, il y a de nombreuses représentations de dieux et de déesses en accouplement. Ils ont souvent l’aspect effrayant décrit précédemment.

Si Le Jardin des supplices met en scène des rites chinois, il faut se pencher sur l’œuvre critique d’Octave Mirbeau pour découvrir un article sur un « homme, à coup sûr unique dans l'histoire de l'humanité...» : Lao-Tsé (Lao-Tseu), auteur du « plus beau livre qui, au cours de toute l’humanité, ait été écrit et pensé par un homme » et qui « connaissait le cœur des hommes, l’âme des foules, la psychologie de son peuple et des peuples, la nature, ses mystères et ses beautés, plus qu’aucun esprit humain ne les connut jamais ».

Dans son article, Sur un vase de Chine, consacré à l’art et à la pensée chinoise, Mirbeau utilise à deux reprises, ironiquement, le terme « barbare » pour parler des Chinois : il se moque ainsi de la supériorité que les occidentaux prétendent avoir sur les autres peuples dans tous les domaines. Dans Le Jardin des supplices, il renvoie dos-à-dos les Européens et les Chinois. Leurs civilisations sont également violentes, injustes, cyniques, pourries : nous sommes nous aussi des « barbares » comme eux, voire pires qu’eux. Mais dans les domaines artistiques les Chinois nous sont supérieurs depuis bien longtemps. Dans ses articles, Mirbeau, réaffirmera cette supériorité artistique, à laquelle il associera les peintres japonais, et l’étendra au domaine spirituel à travers la figure de Lao-Tseu.


F. S.

 

Mirbeau en Chine

L’étude de la réception de Mirbeau en Chine reste à faire. À défaut, force nous sera de nous contenter de dresser la modeste liste des traductions répertoriées, et, complémentairement, de signaler que des écrivains comme Pa Kin (1904-2005), qui était aussi un anarchiste ardent, comme l’indique son pseudonyme (qui associe Bakounine et Kropotkine), avant de se rallier par la suite au nouveau régime et d’en subir les vicissitudes, Ma Zong Ro (1882-1949), auteur d’une Histoire de la Révolution française, et Mo Yan (né en 1955), qui est notamment l’auteur du Supplice de santal, ont lu et contribué, chacun à sa façon, à faire connaître Mirbeau. Mais cela ne saurait suffire, en l’état actuel de nos connaissances, pour qu’on en conclue à une influence quelconque du romancier français.

Les traductions chinoises sont peu nombreuses. Curieusement, c’est une pièce de théâtre, Les affaires sont les affaires, qui a été le plus souvent traduite ou adaptée, sous au moins deux titres différents : en 1935 a paru à Shanghai 生意經 (Sheng i jing) [“le sens des affaires”], chez Shang wu yin shu kuan, dans la collection Xin zhong xue wen ku et dans une traduction de Liaoyi li Wang ; en 1941, Qu Xu a publié  à Shanghai, chez Wen kuo she, une adaptation intitulée , , 生意經 (Chun, ji, Sheng yi jing) [“Stupide, c’est-à-dire énergique en affaires”] ; en 1966 paraît, de nouveau  à Shanghai, chez Han yi shi jie ming zhu, la traduction de Wang Li 生意經, Sheng i jing, qui est republiée en 1974 chez Tai bei shi - Tai wan shang wu, de Shanghai. Sans doute la dénonciation du capitalisme et du big business  explique-t-elle ces publications dans la Chine de Mao.

Curieusement aussi, aucune traduction du Journal d’une femme de chambre ne semble avoir été publiée. En 2005, pourtant, une traduction, due à Hulin Han, était en cours, mais elle ne semble pas avoir encore abouti à une publication. En revanche au moins deux romans de  Mirbeau ont bien été traduits ces dernières années, après le retour au capitalisme sauvage : Les 21 jours d’un neurasthénique a paru en 1996, à Pékin, chez Zuo jia, sous un titre fidèle, 一个神经衰弱者的二十一天 (Yi ge shen jing shuai ruo zhe de er shi yi tian) et dans une traduction de Lú Ying ; et Le Jardin des supplices à Zhongqing (Tchounking), en 2005, sous le titre fort approximatif de 秘密花园 (Mimi huayuan) [“le jardin secret” ou “le jardin privé”], dans une traduction de Zhu Su Min, réalisée à partir de la traduction anglaise parue aux États-Unis, chez Juno, en 1989. Des farces de Mirbeau ont été également traduites dans un volume intitulé 米爾波短劇集 (Mi'erpo duan ju ji) [“courtes pièces de Mirbeau”] et publié en 1926 à  Shanghai, chez He zuo chu ban she, dans une traduction de Ying Yue, mais, comme nous n’avons pas vu le volume, nous ignorons quelles œuvres il comporte. Signalons encore qu’en 1947 un conte, « L’Homme au grenier »,  traduit par Ma Zong Rong et intitulé 仓房里的男子 (Cang fang li de nan zi) [“l’homme caché dans un grenier”] a paru à Shanghai, chez Wen hua sheng huo chu ban she, dans un recueil de contes de la collection Fan yi xiao wen ku, n° 6.

Reste à éclaircir le mystère de deux autres volumes : l’un, gros de 291 pages, comporte un titre énigmatique, 浮雲流水 (Fu yün liu shui) [“le nuage et l'eau”, ou “l’eau des nuages”], et a paru en 1940 à Shanghai, chez Hai tian shu dian, dans une traduction de Wanqing Zhang ; mais, n'ayant pas non plus vu le volume, nous ne sommes pas en mesure de savoir s’il s’agit des Affaires sont les affaires ou d’un roman. L’autre, Mi-erh-p'o tuan chï chi, 270 pages, a été publié en 1926, également à Shanghai, par Ho tso ch'u pan she, dans une traduction de Ying Yue ; nous ne l’avons pas davantage identifié.

P. M.

 

Bibliographie : Lucie Bernier, « L’Imaginaire chinois chez Octave Mirbeau », in  The Force of vision, Tokyo, International Comparative Literature Association, 1995, vol. II, pp. 448-455 ; Lucie Bernier, La Chine littérarisée : impressions- expressions allemandes et françaises au tournant du XIXe siècle, New York, Lang, 2001, pp. 8-28 ; Catherine de Bourboulon, L'Asie cavalière : De Shang-haï à Moscou, 1860-1862, Phébus, 1991 ; Auguste Haussmann, Voyage en Chine, Cochinchine, Inde et Malaisie, 3 vol., G. Olivier, 1847-1848 (in Ninette Boothroyd et Muriel Détrie, Le Voyage en Chine, Robert Laffont, 1992) ; Claire Margat, « Ensauvager nos jardins », in Les Carnets du paysage, été 2003, pp. 27-45 ; Octave Mirbeau, « Les Chinois de Paris », La France, 1er avril 1885 ; Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices, Fasquelle, 1899 ; Octave Mirbeau, « Chinoiserie », Le Journal, 15 juillet 1900 ; Octave Mirbeau, « Sur un vase de Chine », Le Journal, 4 mars 1901 ; Auguste Montfort, Voyage en Chine, Victor Lerou, 1854 (in Ninette Boothroyd et Muriel Détrie, op. cit.) ; Gianna Quach, The Myth of Chinese in the Literature of the Late Nineteenth Century, thèse dactylographiée, Columbia University, New York, 1993, pp. 107-150 ; Gianna Quach, « Mirbeau et la Chine », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 87-100 ; Fabien  Soldà, « Octave Mirbeau et Charles Baudelaire : Le Jardin des supplices ou Les Fleurs du mal revisitées », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 197-216 ; Yinde Zhang, « Octave Mirbeau et la Chine : paradoxes du jardin exotique », in Guy Ducrey et Jean-Marc Moura (dir.), Crise fin-de-siècle et tentation de l'exotisme, Presses de l’Université Lille III, 2002, pp. 85-100. 

 

 

 

 

 


COLOGNE

            Cologne est une très grande et très ancienne ville allemande, située sur les bords du Rhin et peuplée aujourd’hui de deux millions d’habitants. Elle a été presque complètement détruite par les bombardements alliés de la deuxième guerre mondiale, qui ont cependant épargné l’immense cathédrale (elle fait 157 mètres de hauteur), dont la construction a duré plus de six siècles.

            Mirbeau a dû y passer au moins deux fois : la première, à une date indéterminée (peut-être juin 1883), lui a permis, à l’en croire, de visiter longuement la ville, les musées et le zoo, où il aurait « passé d'amusantes journées » ; la seconde, en mai 1905, lors de son voyage en automobile à travers l’Allemagne wilhelminienne, a été plus brève. Logé à l’hôtel du Dom, écrasé par l’ombre de la cathédrale, il s’y serait dispensé de toute visite touristique. Il évoque Cologne, « cité opulente et active », au dernier chapitre de La 628-E8 (1907). De mauvaise humeur, il est rebuté par « la plus colossale, la plus colossalement laide cathédrale du monde » et ne se sent, dit-il,  « nullement disposé à revoir Cologne, ses églises, ses ponts, ses musées, et même son jardin zoologique ». Il juge aussi fort « agressif » le catholicisme de la ville, pire encore que celui des Flandres, qui l’obsède « de ses tours, de ses flèches, de ses croix, de ses cloches, non moins que de ses moines, qu'on rencontre partout, traînant leurs robes brunes, leurs sandales, sur les pavés, et quêtant aux portes ». Certes, il continue cependant de bien aimer les « peintres ingénus de la vieille École de Cologne » :  Bruynn le Vieux,  le maître Guillaume,  Grünewald, « le maître de La Passion de Lyversberg, et le maître de La Glorification de la Vierge, et le maître de L'Auteur de Saint Barthélemy ». Mais, dans son état d’esprit du jour, il leur a tout de même préféré « les débardeurs des quais du Rhin et les paysans qui amenaient, au marché de la ville, des troupeaux de cochons et des charretées de choux ».

C’est à Cologne que Mirbeau prétend avoir déniché, dans une libraire, un exemplaire de la Correspondance de Balzac, prétexte pour introduire les trois sous-chapitres de La Mort de Balzac, qui firent scandale, lors de la publication de La 628-E8 et que Mirbeau accepta de retirer in-extremis.

P. M. 

 


CONTREXEVILLE

            Contrexéville est une station thermale réputée, située dans les Vosges. Ses eaux minérales ont commencé à être recherchées par les curistes à la fin du XVIIIe siècle, mais la station n’a pris son essor que dans les années 1880. Au début du XXe siècle, elle ne comptait même pas mille habitants, mais on y trouvait déjà plus de trente hôtels.

            Mirbeau y a fait deux cures de trois semaines, en 1907 et 1908, pour y soigner un « catarrhe de l’estomac ». En 1907, il y séjourne à partir du 10 juillet, y met la dernière main à La 628-E8, qui doit paraître en octobre, et en profite pour parcourir l’Alsace en automobile et revoir Strasbourg. Il a aussi la mauvaise surprise d’y retrouver le nationaliste et anti-dreyfusard Lucien Millevoye, qui loge dans le même hôtel et qui, à l’en croire, se distingue au diavolo. Au cours de son deuxième séjour, en août 1908, selon ce qu’il en a rapporté à Jules Renard, il y aurait retrouvé Jean Jaurès et l’aurait baladé sur les routes des Vosges. Il aurait également rencontré un millionnaire russe qui, par précaution, aurait prétendu alimenter les caisses des partis révolutionnaires... 

P. M.

 


CORMEILLES

            Cormeilles-en-Vexin est un petit village du Vexin, situé dans l’actuel département du Val d’Oise et qui était peuplé de 660 habitants au début du vingtième siècle. Mirbeau y a habité une partie de l’année pendant quatre ans environ, de 1904 à 1908, dans un manoir acheté par Alice le 25 mars 1904, pour la coquette somme de 158 000 francs. Il s’agit d’un charmant hôtel du XVIIIe siècle, qualifié de « château » par les autochtones. Il est entouré d’un vaste parc et doté d’une terrasse offrant une vue imprenable sur le plateau de Boissy d’Aillerie et, dans le lointain, sur le Mont Valérien. Mais il est tellement immense (trois niveaux, neuf fenêtres sur le devant et à l’arrière, trois fenêtres sur les côtés), qu’il s’avère bien difficile à meubler et à habiter ; et il est si peu commode d’y accéder que les visites attendues ont été bien moins nombreuses qu’espéré. 

À Cormeilles, Mirbeau a tenté de mener la vie d’un gentleman-farmer, et il s’est livré à de multiples cultures florales et horticoles, avec l'aide d'une escouade de jardiniers, parmi lesquels un journalier du nom de Piscot, qui lui inspirera le personnage homonyme de Dingo. Il espérait sans doute naïvement être en mesure de jouer à Cormeilles le même rôle dynamique et progressiste que Voltaire à Ferney. Mais il s’est vite heurté à l’hostilité de paysans xénophobes et rétrogrades, qui ont fini par le décourager d’y demeurer plus longtemps : Alice a donc revendu le « château », le 2 juin 1908. Pas facile d’être un châtelain révolutionnaire trop en avance sur le peuple auquel l’écrivain entendait se dévouer...

Il s’est vengé de ses désillusions par la plume, dans son ultime œuvre narrative, Dingo (1913). Voici comment, au chapitre III, il y présente le village, rebaptisé Ponteilles-en-Barcis : « Ponteilles-en-Barcis, qui domine tout le vaste et gras plateau du Barcis, les jolies et vertes vallées de la Biorne, de la Siorne et de la Viorne, est bâti de chaque côté de la route de Paris à Compiègne, sur une longueur interminable de huit cents mètres. Ce n'est qu'une rue, une rue très sale, horriblement dure et cahoteuse, où s'accumulent les bouses, les crottins et les fientes, où les ordures ménagères s'éternisent au creux des pavés. À gauche, à droite, de petites venelles s'amorcent à la rue, mais, dégoûtées de leurs impuretés, elles vont se perdre tout de suite dans les champs. De vieux bâtiments affaissés, lézardés – étables, écuries, bergeries, dont les murs, sous prétexte de fenêtres, ne sont percés que d'étroites barbacanes, greniers à fourrage entièrement aveugles, en haut desquels, devant une lucarne avancée, une poulie pend, qui grince au vent comme une girouette, maisons sordides, dont les portes charretières s'ouvrent sur des cours où les tas de fumier fument et croupissent dans un bain de purin – longent ces bandes de terre battue, ourlées de chardons, de culs de bouteilles, d'excréments humains, que l'administration municipale nomme des trottoirs, et montrent irrévérencieusement leur derrière aux passants. De petites boutiques, la plupart sans devantures ni étalages, quelques habitations bourgeoises, guère plus somptueuses, mais mieux élevées, montrent leur devant et, rompant la triste et indécente monotonie de ce paysage de pierres accroupies, s'entourent de verdures fanées et d'arbres mal venus qui ne parviennent ni à l'ennoblir ni à l'égayer. »

Quant aux humains qui hantent ces tristes parages, Mirbeau en trace un portrait aussi dévastateur que jouissif, et les Cormeillois ne le lui ont pas encore pardonné, un siècle après. Sous son regard, Cormeilles-en-Vexin apparaît en effet comme un microcosme où sont savoureusement concentrées, pour notre délectation, toutes les pourritures et toutes les hideurs, celles des corps, et plus encore celles des âmes. Misonéisme, xénophobie, lâcheté, sottise superstitieuse, âpreté au gain poussée jusqu'au crime, hypocrisie, sournoiserie, cruauté, les habitants de Ponteilles-Cormeilles, paysans et notables, apparaissent comme autant de spécimens d'humanité sordide qui cumulent les vices et les tares... 

P. M.

 

Bibliographie : Roland Dorgelès, « Promenade chez Octave Mirbeau », Revue de France, 1934, pp. 703-728 (repris dans Portraits sans retouches, Albin Michel, 1952, pp. 138-150) ; Jacques Lombard, « Vingt-cinq ans après Dingo, Cormeilles-en-Vexin hait encore Octave Mirbeau », Paris-Soir, 11 septembre 1932 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau à Cormeilles-en-Vexin », in Marie-Noëlle Craissati (éd), Balades en Val-d'Oise, Paris, Éditions Alexandrines, 1999, pp. 160-173 ; Pierre Michel, « Dingo, ou De la fable à l’autofiction », préface de Dingo, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-28.

 


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