Thèmes et interprétations

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UNIVERSITES POPULAIRES

Par leur lien avec le mouvement plus vaste de l’éducation populaire, leur vocation citoyenne, sociale et politique, les Universités Populaires sont indéniablement proches de la pensée de Mirbeau. Elles sont associées à la bataille pour Dreyfus – on date leur apparition en 1898 – et au courant anarchiste, qui sont également au cœur des convictions mirbelliennes. L’Université Populaire fait écho aux revendications ouvrières en matière de salaires et de temps de travail.

Le fonctionnement d’éducation mutuelle pour adultes renvoie au contexte de la IIIe République et à ses grandes lois scolaires. Face au constat d’absence de formation pour les adultes, les Universités Populaire proposent une formule originale, couplant les compétences des intellectuels et les besoins des travailleurs, une « amitié entre intellectuels et manuels », selon Gabriel Séailles (Éducation ou Révolution, 1914).

Ainsi, en dehors des conférences, des cours théoriques et pratiques, la culture et sa démocratisation sont pris en compte. Dans ce cadre, des groupes théâtraux amateurs se créent et des représentations sont offertes au public d’adhérents. Les pièces de Mirbeau s’inscrivent immédiatement dans les répertoires, en particulier ses pièces sociales telles que Les Mauvais Bergers, L'Épidémie ou Le Portefeuille. Outre celles-ci, Scrupules et Vieux ménages figurent encore au programme de l’Université Populaire de la Coopération des Idées, l’une des plus actives en matière de spectacles. Mirbeau est d’ailleurs cité par le fondateur de cette Université Populaire, Georges Deherme, comme l’un des auteurs à jouer, en raison des qualités esthétiques comme politiques de son œuvre, afin de contrer les auteurs de boulevard proposés par certaines Universités Populaires (Revue des Deux Mondes, 15 septembre 1904).

Pour l’auteur, toucher un public ouvrier qui n’est pas celui des scènes régulières, mais qui est le véritable public concerné par son théâtre qualifié de « social », constitue un atout. Lorsque Deherme considère les Universités Populaires comme les « cathédrales de la démocratie » (La Coopération des Idées, 1892), il se trouve en harmonie avec les prises de position artistiques et politiques de Mirbeau.

Dans la lignée de son engagement en faveur du théâtre populaire, Mirbeau encourage le mouvement des Universités Populaires et assiste à plusieurs représentations. Il souligne alors le bon goût du peuple en matière de théâtre, opposé au théâtre bourgeois, commercial et boulevardier (La Revue bleue, 12 avril 1902). Une voie à suivre, selon lui, pour l’avenir dramatique comme pour l’avenir social.

N. C.

 

Bibliographie : Nathalie Coutelet, « Le Théâtre Populaire de la Coopération des Idées », Cahiers Octave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 139-150. 

 


UTOPIE

UTOPIE

 

            En matière d’organisation de la société, Mirbeau se méfie particulièrement de deux dangers : l’un consiste à s’accommoder du réel, dans toute son absurdité et toute son horreur, sous prétexte que rien d’autre n’est envisageable, que l’homme est incorrigible et que, tout bien pesé, le mieux espéré se révèle toujours pire que ce qu’on a ; l’autre consiste à élaborer in abstracto le plan de la cité idéale, non comme une boussole indiquant la direction à suivre, mais  dans l’espoir insensé de la réaliser hic et nunc. Aussi l’utopie présente-t-elle à ses yeux un double visage : d’un côté, elle est le moteur de l’action, la part de rêve sans laquelle il serait bien difficile de s’engager dans des combats éthiques ou politiques et de prendre des risques ; de l’autre, elle est un danger potentiel, pour peu que des illuminés, facilement manipulés et fanatisés, prennent leurs rêves au pied de la lettre et veuillent les imposer à leur communauté. La lucidité exige de tenir compte des réalités si l’on veut élaborer des projets qui tiennent un tant soit peu la route.

            Deux exemples peuvent illustrer la face positive de l’utopie.

* Dans une chronique de 1883, Mirbeau rêve qu’il est devenu roi d’une île isolée, où ses sujets vivraient « en paix », « dans une douce ignorance de tout, mais avec une notion exacte et tranquille des choses de la vie » : point de ministres, ni d’administration, ni de parlement, ni de tribunaux, ni de Bourse, ni de cafés-concerts, ni de courses de chevaux, ni d’académies, ni de breloques décoratives, bref la sérénité garantie à tous... jusqu’au jour où, l’ennui du monarque l’incitant à s’entourer d’une cour et de tout ce qui s’en suit, ce fut vite la fin (« Royaume à vendre » (Le Gaulois, 29 avril 1883). Bien avant de se rallier officiellement à l’anarchisme, en 1890, et alors qu’il travaille encore pour Arthur Meyer et la cause monarchiste, Mirbeau imagine déjà une société qui se passerait avantageusement de toutes les institutions qu’il exècre : bref, l’anarchie idéale, du moins sur le papier. Mais il sait pertinemment qu’il s’agit d’une utopie irréalisable et qu’elle est tout juste bonne à indiquer le sens de l’action à venir en vue d’un idéal moins inaccessible : réduire l’État « à son minimum de malfaisance ».

* Deuxième exemple d’utopie : l’émancipation des prostituées et leur reconnaissance sociale. Il rêve qu’un jour viendra, où « les femmes qui se vendent relèveront enfin la tête » et « s’uniront pour se protéger contre l’humiliation des passants, contre le vol, le risque de maladie, la soumission, l’esclavage, contre les tenanciers de maisons closes, les hôteliers, les usuriers, les voyous », et où elles seront enfin reconnues et respectées pour les services admirables rendus à la société. Oui, mais Mirbeau ne se fait aucune illusion sur les chances de voir ce rêve se réaliser rapidement, comme en témoignent les dernières lignes de L’Amour de la femme vénale (publié en 1994) : « Périssent des vies et des civilisations plutôt que ces préjugés, tel est le cri de la société… » L’utopie sert du moins à indiquer un chemin : celui qui vise à assurer le plus vite possible aux personnes prostituées les mêmes droits qu’aux autres prolétaires et à leur accorder le respect que l’on ne refuse même pas aux « balayeurs des rues » et aux « vidangeurs de fosses d’aisance ». Objectif certes modeste, mais qui a du moins pour effet de mettre tous les travailleurs, y compris les « pauvres putains », sur un pied d’égalité.

Mais l’utopie bifrons peut devenir extrêmement dangereuse si on perd le sens des réalités. Deux exemples le confirment aux yeux de Mirbeau :

* Le collectivisme : Alors que les socialistes français préconisent une extension du pouvoir de l’État, honni par les anarchistes, dans l’espoir de réduire les injustices sociales, Mirbeau se déchaîne contre ce qu’il appelle le « collectivisme », car il n’y subodore qu’« une effroyable aggravation de l’État » et « la mise en tutelle violente et morne de toutes les forces individuelles d’un pays, de toutes ses énergies vivantes, de tout son sol, de tout son outillage, de toute son intellectualité, par un État plus compressif qu’aucun autre, par une discipline d’État plus étouffante et qui n’a d’autre nom, dans la langue, que l’esclavage d’État » (« Questions sociales », Le Journal, 20 décembre 1896). Il a comme une prémonition de ce que sera le stalinisme ! Et cette utopie-là lui fait terriblement peur.

* La « propagande par le fait » : On sait que le dégoût de la pseudo-République anti-sociale était tel, dans les milieux anarchistes, qu’il a incité certains révoltés à commettre des attentats, dans le cadre de ce qu’ils appelaient « la propagande par le fait ». Mirbeau a partagé leur écœurement, il a souhaité lui aussi que « le vieux monde croule sous le poids de ses propres crimes », puisque c’est la condition préalable à la reconstruction espérée et au « rêve d’universelle harmonie », et c’est bien pourquoi il a fait preuve de compréhension à l’égard d’un Ravachol, par exemple, pur produit de la société moribonde qui récolte ce qu’elle a semé (voir « Ravachol », L’Endehors, 1er mai 1892). Mais lorsque Émile Henry jette « son inexplicable bombe au milieu de tranquilles et anonymes personnes venues dans un café pour y boire un bock », cet acte est tellement contraire à son éthique (« J’ai horreur du sang versé »), et de surcroît tellement inepte et contre-productif politiquement, qu’il aimerait pouvoir l’attribuer à « un ennemi mortel de l’anarchie » et à une manipulation policière, plutôt qu’à la simple « folie » d’un anarchiste proclamé qui dessert gravement la cause qu’il prétendait faire avancer (« Pour Jean Grave », Le Journal, 19 février 1894). Si bombe il doit y avoir, pour faire sauter « le vieux monde », « elle contiendra de l’Idée et de la Pitié, ces deux forces contre lesquelles on ne peut rien » (« Ravachol »). Plus d’un siècle après, le vieux monde est toujours là...

Les deux faces de l’utopie telles qu’il les perçoit correspondent, chez Mirbeau, à l’équilibre entre le pessimisme de sa raison et de sa lucidité, d’un côté, et, de l’autre, l’optimisme de sa volonté, qui le pousse à se battre constamment pour ses valeurs.

P. M.

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau : les contradictions d’un écrivain anarchiste », Actes du colloque de Grenoble, Littérature et anarchie, Presses de l'Université du Mirail, Toulouse, 1998, pp. 31-50 ;  Robert Ziegler, « Utopie et perversion dans Le Jardin des supplices »,  Cahiers Octave Mirbeau, n° 11, mars 2004, pp. 91-114

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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