Familles, amis et connaissances

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Terme
CAZIN, jean-charles

CAZIN, Jean-Charles (1840-1901), peintre et céramiste français, originaire du Pas-de-Calais. Ami de jeunesse d’Édouard Manet, admirateur de Puvis de Chavannes, il a voyagé en Angleterre, où il a subi un temps l’influence des préraphaélites, avant de s’installer à Paris. Il a commencé par de la peinture religieuse (La Fuite en Égypte, 1877, Le Voyage de Tobie, 1878, Tobie et l’ange, 1880, Ismaël, 1880) et a connu le succès avec Agar et Ismaël au Salon de 1879, puis avec La Chambre mortuaire de Gambetta, en 1883. Il a aussi exécuté des toiles intimistes et de genre et de nombreux paysages, du Nord et de Paris (Un moulin d’Artois, Les Quais), avec une prédilection pour les couchers de soleil. En 1892, il est devenu vice-président de la Société Nationale des Beaux-Arts et, en 1893, s’est rendu aux États-Unis pour y exposer 180 toiles.

Mirbeau n’a entretenu avec Cazin que des relations épisodiques, mais amicales au début (ils participent tous deux aux Dîners des Bons Cosaques), et ne lui a manifesté qu’une admiration mesurée, qui est allée en décroissant au fil des ans. En 1885, il voit en lui « un vrai, un délicat, un personnel artiste », qui n’appartient à « aucune école, à aucune coterie » et il loue un de ses paysages : « Il faut vraiment une âme de poète et un esprit de profonde intuition, pour expliquer, pour commenter, comme le fait M. Cazin, l’âme de la nature immortelle » (La France, 31 mars 1885). Mais, quelques semaines plus tard, il jugera ses productions seulement « estimables », bien ternes et tristes « à côté des lumières vibrantes de Claude Monet », et il terminera son article par ce pronostic lapidaire : « Le Cazin, si aimable, si enveloppé de subtilités charmantes qu’il soit, passera. Le Monet restera » (La France, 20 mai 1885). Dans son « Salon » de 1892, tout en reconnaissant le « noble esprit » de Cazin et son souci de « l’intellectualité », il le chicane sur ses compositions « un peu étriquées » et avoue ne pas toujours bien comprendre les idées exprimées « arbitrairement par la seule ordonnance des lignes et la seule logique des tons ». Mais il tempère sa critique par le rappel des « joies déjà anciennes » qu’il doit au peintre. En février 1894, il le sollicite pour venir en aide à la veuve du père Tanguy, et Cazin accepte très noblement : une de ses toiles est alors vendue un très bon prix (2 900 francs). Mais, en 1899, dans une lettre à Claude Monet du 16 février, Mirbeau n’en juge pas moins très sévèrement les dernières productions de Cazin : « « Quelle drôle d'idée ce pauvre Cazin a eue de venir, à côté de vous, recevoir la tape suprême ! C'est d'ailleurs, vraiment bien hideux ! Cela me fait l'effet de paysages à 6 francs la douzaine qu'on vend dans les déballages. Encore ceux-ci me paraissent-ils supérieurs en ce qu'ils n'ont pas de prétention ! »

P. M.


CEARD, henry

CÉARD, Henry (1851-1924), romancier naturaliste peu prolifique. Après avoir commencé des études de médecine, vite abandonnées, il a été d’abord employé au ministère de la Guerre, puis bibliothécaire à l'hôtel Carnavalet à partir de 1882. Il a participé au dîner chez Trapp (voir la notice), le 16 avril 1877, puis, en 1880, aux Soirées de Médan, avec « La Saignée ». Très proche de Zola pendant longtemps, et de surcroît très serviable, il était chargé de lui fournir de multiples renseignements préparatoires à ses romans. Il a été aussi critique dramatique. Comme romancier, il est l’auteur d'Une belle journée (1881), ironique récit d’un échec, et de Terrains à vendre au bord de la mer (1906), qui le situent plus dans la continuité de Flaubert que dans celle de Zola. L’évolution de ce dernier, ses aspirations académiques et sa liaison avec Jeanne Rozerot, l’ont peu à peu éloigné du maître de Médan. Nationaliste et anti-dreyfusard, Céard a alors violemment renié Zola, ironisé méchamment sur son compte et adhéré à la Ligue de la Patrie Française. Il sera élu à l’Académie Goncourt en 1918.

Mirbeau n’a eu que peu de relations avec Céard, qu’il connaissait et estimait, mais ne fréquentait guère. Il voyait en lui un représentant de ce naturalisme mortel pour l’art et la littérature et qui, écrit-il en 1885, « n’a, jusqu’ici, produit que M. Paul Alexis et M. Henry Céard – de quoi, j’imagine, il n’y a point lieu de se vanter » (« Émile Zola et la naturalisme », La France, 11 mars 1885). Mais il reconnaît que Céard, en tant que critique, fait partie des rares « nobles esprits » de la profession (« Gustave Geffroy », L’Écho de Paris, 13 décembre 1892). L’intéressé lui est alors très reconnaissant de son « estime intellectuelle ». Mais l’affaire Dreyfus va les séparer définitivement. En 1907, lorsqu’il s’est agi, au sein de l’Académie Goncourt, d’élire un successeur au fauteuil de Huysmans décédé, Céard s’est porté candidat, avec le soutien de son vieil ami Léon Hennique, alors président de l’académie, mais Mirbeau, partisan de Jules Renard, s'est opposé vigoureusement, et avec succès, à sa candidature et a même démissionné pour faire élire son protégé, le 31 octobre 1907.

P. M.

 


CEZANNE, paul

CÉZANNE, Paul (1839-1904), peintre, dessinateur et aquarelliste français. Fils d’un banquier d’Aix-en-Provence, il décide, en dépit des réticences paternelles, de se consacrer à la peinture. Après avoir commencé des études de droit, il arrive en 1861 à Paris, où il rejoint Émile Zola, l’un de ses amis d’enfance. Refusé à l’École des Beaux-Arts, il fréquente l’Académie Suisse et le Louvre, admire les maîtres anciens, Delacroix et Manet. Ses premières œuvres, empreintes d’une sensibilité romantique exacerbée, traitent de sujets violents et dramatiques : Les Assassins, L’Orgie, L’Enlèvement. C’est ce que le peintre appelle « sa manière couillarde », qui l’écarte du Salon. Après 1870, il est initié aux techniques impressionnistes par Pissarro, avec lequel il peint sur le motif à Auvers-sur-Oise et à Pontoise (La Maison du Pendu, Musée d’Orsay). Il participe aux expositions impressionnistes de 1874 et de 1877 où il est particulièrement vilipendé. Mais, voulant « refaire du Poussin sur nature », il se sépare assez rapidement de ses camarades. Son univers n’est pas celui de la vibration et des reflets changeants, des images fugitives et des constantes métamorphoses du paysage : il est à la recherche de « quelque chose de solide et de durable comme l’art des musées ». Refusé au Salon (sauf en 1882), ses œuvres ne sont visibles que chez le père Tanguy où elles sont particulièrement regardées par la jeune génération. Il n’est alors soutenu que par Huysmans et Octave Maus. Revenu dans le Midi, il s’éloigne de Zola à la suite de la publication de L’Œuvre (1886). La mort de son père le met à l’aise financièrement. Il pratique à la fois le paysage, la nature morte, le portrait, les scènes de genre. Sa série des Joueurs de cartes (1890-1895) s’inspire de Le Nain. En 1895, il entreprend le Portrait de Gustave Geffroy (Orsay), dans lequel il rompt avec le point de vue unique, mais le laisse inachevé et repart précipitamment pour Aix. Sur la recommandation de Renoir, Vollard l’expose à partir de 1895 et lui achète de nombreuses toiles. La solitude aixoise du peintre n’est brisée que par les conversations avec Joachim Gasquet et par les visites que lui font une poignée de jeunes admirateurs (Bernard, Denis, Roussel, etc.). En 1900, Maurice Denis peint un Hommage à Cézanne qui représente une nature morte du peintre, entourée des Nabis et de Vollard. À la fin de sa vie, Cézanne entreprend trois ambitieuses séries : les Montagnes Sainte-Victoire, les Grandes Baigneuses et les Portraits du Jardinier Vallier. Il dit être à la recherche d’un « art nouveau » dont il serait « le primitif ». À tort ou à raison, il passe pour le précurseur du cubisme.

Mirbeau a longtemps ignoré Cézanne. En juin 1891, alors qu’il vient de défendre Gauguin et Van Gogh, il qualifie Cézanne de « pauvre inconnu de génie » (« Rengaines », L’Écho de Paris, 23 juin 1891). À l’automne 1894, Cézanne est invité chez Monet, à Giverny. Le 28 novembre, Mirbeau le rencontre dans ce contexte, en compagnie de Clemenceau, Geffroy et Rodin. Sensible aux outrages que le peintre a subis, Mirbeau va désormais mentionner fréquemment son nom. Il le fait dès le mois suivant, dans un article du Journal consacré au legs Caillebotte (24 décembre 1894). Le peintre, immédiatement, le remercie par lettre. En 1902, il intervient pour lui faire obtenir la Légion d’Honneur. En 1904, au retour de Menton, il s’arrête à Aix pour lui rendre visite. Puis, il écoule auprès des Bernheim la vingtaine de Cézanne de la collection Pissarro, afin que la cote du peintre ne chute pas brutalement.

En 1905, dans La Revue du 15 avril, il se livre à une attaque en règle contre la politique culturelle de l’état. Il prend l’exemple de Cézanne qui vient d’être refusé d’exposition par les membres de l’Institut : « Un tableau de Cézanne, le peintre des peintres, refusé par ces infimes et insolents barbouilleurs !... Cézanne, l’expression la plus haute, la plus pure, la plus noblement émouvante, la plus extraordinaire, la plus peintre de notre art français d’aujourd’hui !... Cézanne, âme naïve et somptueuse, tourmenté du besoin déchirant de la perfection, ouvrier inflexible et ingénu comme un Primitif artiste, savant, imaginatif et splendide comme un Michel-Ange, un Giorgione, un Véronèse, un Rubens, un Delacroix !... » L’éloge se poursuit avec l’énumération de tous les mérites du peintre : « prodigieux renouveleur d’idéal, inventeur logique d’harmonies », etc. Après la mort de l’artiste, Mirbeau vante à Paul Gsell l’un des Cézanne de sa collection : « Quelle lumière ! […] Il y a une heure de la journée que Cézanne rend à merveille, c’est l’heure bleue. […] Est-ce transparent ? Et ce métier ! » (La Revue, 15 mars 1907). Dans sa Préface du catalogue du Salon d’automne de 1909, Mirbeau le nomme « le plus peintre de tous les peintres ». Ses lignes résonnent comme un éloge funèbre : « Jamais [il] n’embarrassa son œuvre de préoccupations étrangères à la peinture, [il] répudia comme une malhonnêteté tous les vains et faciles ornements, tous les escamotages, tous les trucages, et [il] respecta la nature jusqu’au point de paraître comme elle, quelquefois, enfantin, naïf et impuissant. Il chercha dans la vérité innombrable la source unique de son inspiration, et fit son unique et merveilleuse joie d’une discipline et d’un travail acharné. » Puis, il sépare Cézanne de certains symbolistes qui tentèrent de l’annexer : « De son art, ils donnèrent des interprétations extravagantes, presque cabalistiques, comme s’il se fût agi d’un auteur difficile, nébuleux ou démoniaque, alors que Cézanne n’était que simplicité, limpidité, harmonie. » Était-il impressionniste ? Non, répond Mirbeau : « On l’a enrégimenté […] et, justement, il fut le contraire d’un impressionniste, lui qui s’efforça toujours d’atteindre à la pureté, à la perfection classique. »

La collection Mirbeau comprenait quinze œuvres du peintre.

C. L.

 

Bibliographie : Gustave Geffroy, Paul Cézanne et autres textes, édition établie, présentée et annotée par Ch. Limousin, coll. « Carré d’art », Séguier, Paris, 1995 ; Octave Mirbeau, Combats esthétiques, tomes 1 et 2, Séguier, 1993 ; Octave Mirbeau, « Cézanne », préface du catalogue de l’exposition Cézanne chez Bernheim, 1914 ; Pierre Michel, « Cézanne et Mirbeau - Une lettre inédite de Cézanne à Mirbeau »,  Cahiers  Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 228-235.

 


CHAMPSAUR, félicien

CHAMPSAUR, Félicien (1858-1934) est un journaliste et un écrivain relativement méconnu aujourd’hui. La postérité n’a retenu que ses articles acerbes et les scandales qui l’entourent. Provincial provençal audacieux, issu d’une famille modeste, il écrit à Louis Blanc, en 1876, pour obtenir une place de journaliste à Paris. L’année suivante, il débute sa carrière dans la revue du caricaturiste André Gill, La Lune rousse. Il fait ainsi son entrée dans les revues illustrées de la Bohême parisienne, entre le Quartier latin et Montmartre : L’Hydropathe, Panurge, Le Chat noir… Mais, toujours plus ambitieux, il se met à dos ses amis de la Bohême en collaborant aux grands quotidiens : Le Figaro, L’Événement, La Presse, Le Gaulois, Le Journal, Le Voltaire… Il s’illustre dans la critique littéraire, théâtrale, artistique et mondaine. Il est le premier à défendre des artistes controversés tels que Félicien Rops ou Auguste Rodin. C’est certainement dans la rédaction des quotidiens qu’il a rencontré Octave Mirbeau, qui, comme lui, se partage entre articles mondains et œuvres littéraires. Il publie son premier roman en 1882 et déclenche un scandale : Dinah Samuel est un roman à clés, dans lequel Sarah Bernhardt notamment apparaît sous les traits d’une comédienne de génie, mais cruelle et corrompue par l’argent. Il y dévoile leur aventure intime, qui s’est soldée par une rupture prompte et une haine réciproque. En 1885, il publie son premier livre illustré, Entrée de clowns, recueil de nouvelles parues dans les journaux et accompagnées d’une « ribambelle » de dessins de clowns dus aux illustrateurs les plus réputés de Montmartre : Jules Chéret, qui signe les deux plats de couverture, Théophile-Alexandre Steinlen, Albert Robida, ou encore Adolphe Willette, met en pratique son concept de « roman plastique ». Outre l’association texte-image, il essaye toutes les hybridations possibles : il greffe des nouvelles, des articles, des pièces de théâtre, des ballets ou des pantomimes dans ses romans à clés, de mœurs ou de science-fiction, mêlant les écritures et les genres. Il invente ainsi une littérature « moderniste » hybride, qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de Mirbeau.

On ne sait pas dans quelle mesure les deux hommes se sont fréquentés et ont échangé leurs points de vue artistiques, mais deux documents attestent de leur estime mutuelle : un article élogieux de Champsaur sur Le Calvaire d’Octave Mirbeau, publié dans L’Événement le 25 novembre 1886, et une lettre de Mirbeau à Champsaur le félicitant pour son recueil de nouvelles L’Amant des danseuses, que Champsaur reproduit dans la préface de la réédition (1926). Champsaur et Mirbeau partagent donc des modalités d’écriture similaires, qu’ils ont tous deux élaborées dans l’exercice du journalisme. Ces deux écrivains-journalistes, « mutants des lettres », ainsi que Marie-Françoise Melmoux-Montaubin désigne Mirbeau, pourraient bien avoir travaillé ensemble. L’une des découvertes de Pierre Michel en témoigne : les deux hommes pourraient avoir collaboré à l’écriture de la pièce de théâtre La Gomme. Mirbeau aurait-il été le « nègre » de Champsaur ? Il subsistent encore beaucoup d’interrogations au sujet de Félicien Champsaur et de son réseau de connaissances. Ce personnage cocasse est, comme Mirbeau, un témoin de cette époque passionnante qu’est le passage au XXe siècle.

D. P-R.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau, Champsaur et La Gomme », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010 ; Dorothée Raimbault, « Mirbeau, Champsaur et Rimbaud », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010 ; Félicien Champsaur, Dinah Samuel, « Collection la Bibliothèque décadente » dirigée et accompagnée d’une présentation et d’annexes de Jean de Palacio, Séguier, Paris, 1999.


CHARPENTIER, georges

CHARPENTIER, Georges (1846-1905), célèbre éditeur français. Fils de Gervais Charpentier (1805-1871), qui a été considéré souvent comme le fondateur de l'édition moderne avec ses collections bon marché (trois francs cinquante), Georges Charpentier était détesté par son père, à la fois à cause de sa vie de bohème et des doutes sur la légitimité de sa naissance. En dépit de la volonté manifestée par Gervais de ne pas voir son fils lui succéder, un arrangement familial l'installe à la tête de l'entreprise en 1871, alors que la maison a été rudement affectée par la guerre et la Commune. La signature providentielle d'un traité avec Émile Zola, en 1872, puis avec Flaubert, Théophile Gautier, Edmond de Goncourt et les petits naturalistes, lui a permis de donner à son affaire une grande extension. Néanmoins, une gestion hasardeuse l'oblige, en 1883, à faire appel aux banques, à vendre des terres et à signer avec Marpon et Flammarion, le 11 mai, un accord par lequel les nouveaux associés participent pour moitié au capital de l'entreprise, fixé à un million. Par le contrôle qu'ils ont de la diffusion, ils s'assurent du même coup un droit de regard sur la publication des nouveautés. À la mort de Charles Marpon en 1890, son gendre Eugène Fasquelle devient l’associé de Georges Charpentier, qui se retire définitivement des affaires en 1896 en lui cédant la totalité de son entreprise. Marié à Marguerite Lemonnier (1848-1904), qui a tenu longtemps un salon réputé, qui était fort appréciée de Mirbeau et qui a été peinte par Renoir, Charpentier ne lui survivra pas longtemps. Son image de marque est ambivalente : d’un côté, il incarne un éditeur à l’ancienne, qui entretient des liens d’amitié avec ses auteurs et qui tente de donner à sa maison et à ses collections un prestige international ; de l’autre, il était quelque peu flegmatique et sa gestion était souvent mise en cause par les écrivains pour son supposé manque de sérieux en affaires.

Nous ignorons à quelle date ont commencé les relations amicales entre Mirbeau et Charpentier. Toujours est-il que c’est vers ce dernier que, fin 1887, se tourne Alice Mirbeau, soutenu par Octave, pour publier La Famille Carmettes. Un an plus tard, le 22 octobre 1888, renonçant aux liens exclusifs qu’il avait eus jusqu’alors avec Ollendorff, Mirbeau décide de changer de crèmerie et de passer chez un éditeur moins commercial et plus prestigieux. Ce jour-là, il signe avec Charpentier un contrat d’un type nouveau, qui l’engage pour cinq romans... dont il n’a pas encore écrit une ligne ! La chose était alors fréquente pour des écrivains vivant de leur plume, à l’instar de Catulle Mendès, qui avait signé avec Dentu un contrat portant sur dix volumes, et avec Charpentier un deuxième contrat portant sur trois romans... Le pourcentage de droits d’auteur est un peu moindre que celui signé avec Ollendorff pour L’Abbé Jules, paru six mois plus tôt. Mais du moins le contrat offre-t-il au romancier endetté 4 050 francs dès la signature du contrat et, surtout, des garanties pour l’avenir. Dès lors Mirbeau se lie durablement d’amitié avec Georges et Marguerite Charpentier, mais il lui arrive souvent de râler contre cette « désolante » maison et de se plaindre des lenteurs et du manque de réactivité de son éditeur, chez qui il ne publiera finalement que Sébastien Roch (1890) et Contes de la chaumière (1894), les œuvres suivantes paraissant sous le règne d’Eugène Fasquelle, successeur de Charpentier.

P. M.



Bibliographie : Virginie Meyer, « Les lettres d’Octave et Alice Mirbeau à Georges Charpetier : deux auteurs, un éditeur,une amitié », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007, pp. 197-206.

 

 

 

 


CHARRON, fernand

CHARRON, Fernand (1866-1928), né à Angers, s’est illustré dans la compétition cycliste en gagnant plusieurs centaines d’épreuves avant de devenir un des plus grands pilotes de course automobile de son temps. Entre plusieurs dizaines de victoires, son nom reste attaché à la première coupe Gordon-Bennett q u’il remporte en 1900 sur une Panhard-Levassor. Il devient, grâce à d’audacieuses méthodes commerciales, le principal vendeur de cette marque avec ses associés, les champions Léonce Girardot et Émile Voigt, avant de créer avec eux C.G.V., qui construit à Puteaux des véhicules de grand renom, dont la voiture de fonction de Rouvier, président du Conseil lors de l’adoption de la loi de 1905 sur la loi de Séparation des Églises et de l’État. Il imagine l’emblématique carrosserie « Roi des Belges » de Léopold II et de sa maîtresse Cléo de Mérode, qui sera copiée  par Rolls-Royce pour habiller en 1907 sa légendaire Silver Ghost, mais aussi la première automitrailleuse de l’histoire militaire, un moteur huit cylindres, une boite de vitesses automatique. Un des inventeurs de la publicité moderne avec l’illustrateur Gus Bofa,  il a créé la marque Charron après la dissolution de C.G.V. en 1906 et un passage chez Clément-Bayard, la firme de son beau-père, puis l’Alda, qui sera une des  firmes  désignées pour représenter en 1914 notre pays face à Mercedès-Benz, entre autres, dans la dernière compétition avant la Grande Guerre. Passionné comme Ettore Bugatti par le cheval, Charron, qui a fait courir sous sa livrée, meurt à Maisons-Laffitte en 1928. Il est enterré à Angers, sa ville natale.

Les historiens anglo-saxons contemporains, pourtant avares d’éloges sur les étrangers, pensent que ce constructeur figure parmi les cinquante personnalités ayant le plus apporté à l’automobile depuis ses débuts. Dès 1907, avec cette clairvoyance prophétique qui nous est familière pour les arts, Mirbeau parle du « génial Charron » auquel il dédicace La 628-E8, se référant à un véritable coup de foudre lors de leur première rencontre en 1902, à l’occasion de la présentation du premier modèle de C.G.V. et à son grand voyage en Belgique, en Hollande et en Allemagne dans une de ces C.G.V.   capables de rivaliser en prestige, en performances et en fiabilité avec les Mercedès de l’époque (ce qui donne à penser sur le déclin, un siècle après, de notre industrie nationale) et commercialisées aux U.S.A. par une filiale. Cet éloge de la firme C.G.V., dont Mirbeau aura  acquis successivement trois modèles,  paraîtra après la fin de sa brève existence. Il contribue magnifiquement à la gloire posthume de Fernand Charron, ce grand Angevin, au-delà  du  cercle des spécialistes qui l’a admis depuis toujours dans son Panthéon.

A. Ge.

 

Bibliographie : Alain Gendrault, « Octave Mirbeau et Fernand Charron », Cahiers Octave Mirbeau, n° 2, 1995, pp. 221-226.

 

 


CLARETIE, jules

CLARETIE, Jules (1840-1913), romancier et journaliste très prolifique. Il a publié de nombreux volumes dédaignés par Mirbeau et Zola, parmi lesquels Monsieur le ministre (1881), Brichanteau comédien (1896), adapté au théâtre par Maurice de Féraudy, et plusieurs ouvrages sur la guerre de 1870 et la Révolution. Il a été élu à l’Académie Française en 1888 et, pendant l’affaire Dreyfus, a été un des très rares académiciens à être dreyfusistes. De 1885 à sa mort, il a été l’inamovible administrateur de la Comédie-Française, où, devenu seul maître à bord, en octobre 1901, il s’est empressé de recevoir la grande comédie de Mirbeau Les affaires sont les affaires, qui n’avait été reçue qu’« à corrections » par le comité de lecture.

Si Mirbeau n’a que mépris pour l’écrivain, il a accueilli avec faveur sa nomination à la tête de la Maison de Molière, comme en témoigne sa « Chronique parisienne » du 23 octobre 1885, dans La France : « Je ne suis pas suspect de partialité envers M. Jules Claretie, à qui j’ai souvent et franchement exprimé mon opinion sur sa littérature, mais je suis forcé de déclarer que, dans le temps présent, on ne pouvait faire un meilleur choix. M. Claretie est un homme aimable, travailleur, bienveillant, et qui a “des clartés de tout”. Je le crois très supérieur à ses œuvres, qui sont pourtant très nombreuses et très variées. Ce n’est pas un audacieux, mais ce n’est pas non plus un sectaire, et il possède le goût des lettres, sans parti-pris d’écoles. » Il a eu l’occasion de faire plus amplement connaissance avec Claretie, lors du procès d’Alfred Dreyfus, à Rennes, dont l’administrateur  faisait des comptes rendus, signés du pseudonyme de Linguet, pour le compte du Temps. C’est à ce moment-là que Claretie lui a suggéré d’écrire une pièce pour la Comédie-Française, dont le polémiste avait pourtant dit force mal. Fort de ces encouragements, Mirbeau a rédigé Les affaires sont les affaires dans un état d’esprit quelque peu euphorique et fort inhabituel et, le 29 mars 1901, a lu sa pièce à l’administrateur qui, enchanté, a immédiatement convoqué le comité de lecture et lui en a parlé favorablement. Mais, à en croire les Comédiens-Français du comité, dans leur « procès-verbal » du 18 octobre suivant, Claretie aurait joué double jeu, en poussant deux d’entre eux à voter « à corrections », plutôt que pour une réception pure et simple, ce qui a amené Mirbeau à retirer sa pièce et, à la suite du scandale provoqué par ce refus mal déguisé de sa grande comédie, a entraîné la suppression du comité de lecture. Furieux d’avoir été floués et d’avoir perdu tout pouvoir, les comédiens informèrent Mirbeau de la duplicité de leur patron. Il s’ensuivit une entrevue orageuse, le 27 octobre. Mais le dramaturge ne put obtenir pour autant que sa pièce fût jouée rapidement, comme il l’aurait souhaité, en échange de son généreux pardon... Après la répétition générale, si l’on en croit Mirbeau, Claretie lui aurait demandé instamment de chambouler complètement le dénouement de sa pièce, mais il s’y serait refusé. En fait, il a bien procédé à des modifications avant la première, le 20 avril 1903, afin de le rendre moins difficile à digérer. L’énorme succès des Affaires à travers le monde atténua les rancœurs et facilita le rabibochage entre les deux hommes.

Mais de nouveaux différends surgirent en 1906, lorsque Mirbeau, associé à Thadée Natanson, proposa à Claretie de recevoir Le Foyer. Effrayé par les audaces de la pièce, l’administrateur commença par refuser, malgré la (molle) pression d’Aristide Briand, le ministre compétent sollicité par Mirbeau. Il finira néanmoins par accepter, en décembre 1906, mais avec la conviction de parvenir à escamoter toutes les audaces au cours des répétitions. Comme il n’en fut rien, de plus en plus épouvanté au fur et à mesure qu’approchait l’échéance, il finit par interrompre les répétitions, le 4 mars 1908, et engagea la Comédie-Française dans un procès qu’elle perdit et qui fut coûteux pour elle. C’est donc, paradoxalement, grâce à une décision de justice que Le Foyer put être représenté à la Comédie-Française, le 8 décembre 1908, contre la volonté de l’administrateur de la maison ! Mais Mirbeau n’obtint pas pour autant que Claretie se vît retirer ses fonctions par son ami Clemenceau, alors président du Conseil, en guise de punition. Il finit néanmoins par se réconcilier de nouveau avec lui en 1913, peu avant sa mort, et lui fit même accepter une pièce de son nouveau protégé, Sacha Guitry, Les Deux couverts.

Voir aussi les notices Comédie-Française, Les affaires sont les affaires et Le Foyer.

P. M.


CLAUDEL, camille

CLAUDEL, Camille (1864-1943). Camille naît le 8 décembre 1864  à Fère-en-Tardenois, sa mère n’étant pas remise de la mort prématurée d’un petit Charles-Henri ; suivront une sœur, Louise, et Paul. Camille sera la mal-aimée. Dès la mort du père, fier du génie de Camille et de Paul, la mère en mars 1913, fait séquestrer sa fille conformément à la loi du 30 juin 1838. Au bout  de 30 ans, quand la mort la délivre, elle n’aura eu que 12 visites de son illustre frère, qui abandonne ses restes. Pourtant, « petit Paul» avait été son complice, son modèle. De « cette superbe jeune fille, dans l’éclat triomphal de la beauté », il garde la nostalgie, non sans remords.  Mais jusqu’aux années 80, la vieille «tante folle», dont quelques œuvres traînent dans la famille, reste un sujet tabou. Les dictionnaires l’ignorent, ou la situent : « 1856-1920 ».

Or, dès 1893, Mirbeau, « seul prophète de ce temps» (Cor,III,955), détectait le génie de la jeune inconnue. Il la situe dans la lignée de Rodin, Maître et amant, et du «génie encore confus», mais évident du frère cadet, Paul, l’auteur de Tête d’Or et de La Ville. Pourtant, déjà l’amour va vers la mort. Ces Valseurs,  « êtres aériens» touchent au vertige. Car exposés avec Clotho, « où vont-ils, éperdus dans l’ivresse de leur âme et de leur chair ?» Sur cet amour  « plus triste encore que la mort » (C.E.,II,34), «bat comme un suaire». En effet, la liaison impétueuse de 1883 à 92 subit de douloureux à-coups. Mirbeau, très  tôt confident du Maître, compatit aux peines de cœur de son «dieu». Peu après sa première lettre à Rodin, du 18 février 1885, il le met en confiance le 10 juin 1885 : « vous m’avez fait bien de la peine [mais] on peut  tout dire à un ami. » De fait, avant et après la rupture définitive de 1898, l’ami réconforte l’amant effondré lors de séjours bretons à Kérisper ( septembre 87, et juin 98 ).

Deux ans après l’analyse prémonitoire du 12 mai 1893 un second article sur « le petit groupe en plâtre », les Causeuses, et d’autres œuvres dont le buste de Rodin, exalte le «génie»—le mot, répété cinq fois— la «virtuosité» de la sculptrice pour son «interprétation de la nature vraiment miraculeuse». (C.E, II,92). Mirbeau, atteint de neurasthénie de 1891 à 94, se garde de mentionner les frustrations affectives, l’amour trahi, deux avortements. Il  s’indigne de  la mise à mort sociale, «rugit» (sic) :« et l’État n’est pas à genoux devant elle !» (ibid.). Car ces artistes refusés, non académiques comme ses amis «impressionnistes », toutes «ces natures ardentes », ces «âmes bouillonnantes» sont à son image. Ainsi, le « cri de douleur» qui jaillit de ses œuvres part d’un cœur fraternel qui peut, comme pour Maeterlinck, ouvrir le chemin de la gloire. L’article de 1895 ne fut pas sans effet : le 25 juillet, Poincaré, le Ministre interpellé, passe commande de l’Âge mûr. Mais peu après, refus de sa traduction en bronze ou en marbre :l’autobiographie, impliquant Rodin, est trop transparente. À Fère, quand le Conseil Municipal apprend que Camille est une femme, on annule le buste prévu. Pourtant un cercle d’amis soutient Camille : Rodin-Mirbeau-Schwob,Geffroy. Tout heureux d’un «projet» pour elle, Mirbeau écrit à Rodin, invite le couple (lettre du 27 avril 1895). Camille ne le rencontrera qu’en 1897, à propos de son marbre  l’Hamadryade. (Cor,III,337). Mais le 13 mai 1895, Mourey remercie Rodin de l’« avoir initié à cette belle œuvre, si débordante de vie de Mlle Claudel. » Par retour, le sculpteur l’invite à « faire quelque chose pour cette  femme de génie (le mot n’est pas de trop) que j’aime tant». Mourey va donc louer «son merveilleux talent » par deux fois en 1899. Mirbeau et quelques amis sont donc, comme Geffroy à qui Camille exprime sa reconnaissance : cette «  main bienfaisante qui tire les vrais artistes de leur linceul et qui ouvre tout doucement la tombe, où sans vous, ils s’ensevelissent ».

Un troisième article de Mirbeau, le 27 avril 97, reprend l’éloge de cette «héroïne d’art» guettée par la misère.Les « Causeuses » et  « ces adorables petites femmes qui dansent sous l’énorme Vague », sculptées à même l’onyx, avec « tant de souplesse…tant de virilité pour une femme », témoignent d’un génie qu’il faudrait couvrir «d’honneurs et d’argent» ! (C.E.,II,181). Ce combat se poursuit. Le 4 juin 1897 Camille assiste à un récital de Georgette Leblanc, compagne de Maeterlinck : «les deux seules femmes de génie de la France». Mirbeau veut les recevoir   pour saluer leur digne «sœur d’Italie », la Duse, invitée en France par «la Divine» Sarah. (Cor, III,302). Très sensible à ce soutien, Camille invite son admirateur pour voir   chez Bing son Hamadryade et lui «  transmettre (son) appréciation et celle de m.Rodin». Cette lettre de septembre 97, la seule de l’artiste au critique fut sans doute suivie d’effet .

1898 marque un tournant. Camille rompt définitivement avec Rodin, et l’Affaire Dreyfus, où Mirbeau défend son ami Zola, crée sans doute une certaine distance. Camille s’éloigne aussi de son ami Morhardt, et  premier biographe. Quand Geffroy, autre ami commun, lui propose  de créer le Monument de Blanqui dont il finit la biographie —elle paraîtra en 1897 sous le titre l’Enfermé— Camille dès mars 1905  répond positivement.  Elle se reconnaît dans ce «révolté d’instinct», ses débats dramatiques dans «la grande lutte». Mais, trop souffrante, elle renonce bientôt. 

Ainsi, Camille, ne sait pas cultiver cette convivialité vitale chère à  Mirbeau. À partir de 1905, elle s’isole. Dans le grand marbre de Persée décapitant la Gorgone son génie se déploie encore en 1902. Mais en 1906, La Niobide blessée, sera l’œuvre testamentaire. Paul vite marié est reparti en Chine. Exclue de la famille par une mère haineuse, elle s’enferme dans sa dépression, voire la clochardisation. À mesure que le «monstre», Rodin, est glorifié, ses frustrations et griefs s’amplifient en fantasmes obsessionnels. Paul avait su, quant à lui, édifier des garde-fous contre « l’excitation et l’agitation des  Claudel, leur grain de folie. » ( J,I,785). Vu sa position, il est tout désigné pour mettre fin au scandale social de « cette folle enragée » dont la mère ne veut plus entendre parler. C’est chose faite, le 10 mars 1913.

Mirbeau avait un siècle d’avance sur les Jardiniers de la folie  (E.Zarifian, éd.O. Jacob, 2000). Certes, le «millionnaire rouge», joue au touriste avec chauffeur dans sa Charron «628 E-8», descend dans les bons hôtels, tandis que la miséreuse, s’apprête à «mourir de faim», lance vers son généreux ami Eugène Blot  des «cris désespérés», et ironise : « les affaires sont les affaires» ! Mirbeau réussit. mais il sait le cas du « Raté », « nègre » ou « prolétaire des lettres » Dans le ciel, en 1892-93, décrit ce qui fut le drame d’un Van Gogh. Dans «L’Enfermé», du 9 octobre 1898, il relate le calvaire d’un praticien de Rodin victime du système socio-médical. Par cette « crise », ce « surmenage intellectuel » (C.E.,II,218), « tous, plus ou moins, nous [y] avons passé ». Médicalement, c’est «du verbiage délirant». Traité par la séquestration affective, avec des brutes pour gardiens, on meurt vite dans «ces étranges maisons de convalescence», ou «  de fous », véritables  « maisons de torture.»  En 1901 il publie « les 21 jours d’un neurasthénique », et ironise sur les « traitements ». Or Mirbeau, « de sens clair quand il écrit, a toujours en parlant quelque chose de fou », note J.Renard.(Journal, 12 nov.1907).   Le portrait vaut pour Camille dont les propos seront qualifiés de « délires paranoïdes ». Enfin, 1913, année de sa séquestration, voit la parution de Dingo, dernier livre de Mirbeau. 

Si donc Gorgô, pour Claude Herzfeld,   «assure unité et authenticité» à l’œuvre de Mirbeau, lequel, «nouveau Persée», invite à «regarder Méduse en face», Camille aurait pu lui sculpter un portrait fraternel. Aujourd’hui, par leurs Amis, leurs oeuvres rayonnent, et les sauvent, avec nous, d’un péril similaire : la pétrification.

M.B.

Bibliographie : Reine-Marie Paris : Catalogue raisonné de l’œuvre de Camille Claudel, Aittouarès, 2004 ;  A.Rivière et B.Gaudichon : Camille Claudel, Correspondance, Gallimard, 2008 ;  Claude Herzfeld, Le monde imaginaire d’O.M., Sté O.Mirbeau, Presses de l’Université d’Angers,2001 ; P.Michel : O. Mirbeau,Combats Esthétiques,t. II, Séguier, 1993 ; P.Michel :Correspondance Générale, l’Âge d’ Homme, t.II & III.


CLAUDEL, paul

CLAUDEL, Paul, Louis, Charles (1868-1955), né le 6 août à Villeneuve/ Fère-en-Tardenois, garde  de ce village isolé, riche en haines féroces, une violence, qui suscite les premiers drames de notre «dernier poète paysan» : Une mort prématurée, Tête d’Or, la Jeune Fille Violaine (1892), future   Déraciné à Paris, il asphyxie dans ce « bagne matérialiste» et sa doctrine positiviste. À 18 ans, première fissure grâce à Rimbaud, puis le choc émotionnel de Noël, à Notre-Dame  , déclenche sa «Conversion». Mais dans «l’enfer du génie», «l’homo duplex»  ne cessera de livrer «bataille d’âme». Les personnages issus de ses «boyaux» (sic), transcrivent cette lutte du «poëte catholique».

1890. Reçu au concours des Affaires Étrangères, il publie en novembre Tête d’Or, sans nom d’auteur : une véritable «bombe» ! Maeterlinck, révélé par Mirbeau dans le Figaro du 24 août lui écrit  le 21 décembre : « tous vous prendront pour un fou, simplement, mais  je commence à croire que c’est le génie sous la forme la plus irrécusable qu’il ait jamais revêtue». (CPC,I,138).  En février 1892, seulement, par Marcel Schwob, Mirbeau prend connaissance de ce «fameux bouquin», «touffu, barbare, et magnifiquement génial» : il en reste «secoué jusque dans les entrailles.»(Cor.II,556 & 561). Après relectures, il renvoie à Schwob « ce drame violent, incohérent et génial», ébloui par un «génie» capable de créer « du charme aussi dans (la) barbarie» contemporaine. Avide de rencontrer Claudel, il le réclame encore début 93. Mais Paul, nommé Vice-Consul , part pour New-York en février. Son nouveau drame : La Ville, vient de sortir. Le critique n’y capte plus cette «coulée bouillonnante qui menait Tête d’Or à la mer du génie» (Cor.II,703). L’inspiration ne vient pas. Car «l’appel farouche du prophète clamant à travers un monde opprimé… l’annonciation  des  temps nouveaux » (id.562)  sensible dans Tête d’Or, s’ouvre désormais sur la transcendance. La religion du  Progrès, les politiciens, l’amour même, tout est illusion ! Dans ce néant, le vide appelle Dieu : Coeuvre, le poète, devient évêque. Ce glissement vers le sacré peut-il séduire un athée ?

Tête d’Or a consacré ce nom de Claudel, mais par lettres. En 1892, Mirbeau, bouleversé, répétait de l’auteur: un «bougre qu’il faut suivre…». Personne, « avant lui [n’a] plongé plus avant dans les ténèbres de l’inconnaissable. Et il y a, à chaque instant des phrases qui contiennent des mondes» (à Gille,Cor,II,557).   Le 12 mai 1893, dans le Journal, sans prudence diplomatique, il exalte Camille Claudel qui expose La Valse et Clotho « ce qu’il y a de vraiment supérieur en cette exposition». (C.E.,34), mais, simultanément, il révèle le génie de Paul. Outre l’influence de Rodin, le Maître, c’est «  l’intimité intellectuelle » avec l’auteur de Tête d’Or qui explique cet art « très haut, très mâle» (C.E.,34). Oui, au cœur d’une société  «mortifère», renaît l’émotion vraie, qui purifie des «grimaces». Le «cœur est touché»,  enfin.

Marcel Schwob, toujours en contact avec son condisciple de Louis-le-Grand, lui transmet ces éloges. De New-York, le 3 juin 1893, Claudel remercie doublement Mirbeau, « des belles choses que vous avez dites de ma sœur et de moi […] reconnaissant plus encore pour ma sœur…[et sa] qualité d’imagination admirable ! » (Cor,II,756). Ce fut sa seule lettre au critique. L’éloignement professionnel n’est pas seul en cause. Rapprochons ces deux bilans : Mirbeau : «toute mon œuvre respire la haine de l’amour »[Cor,I,68]. Et Claudel : «…j’ai même un certain mépris pour la Littérature… Je suis beaucoup plus Prêtre qu’écrivain ou artiste !» (S,III,275). 

M.B.

 

Bibliographie :Cahiers P.Claudel, Gallimard 1959, N°1 ;   G.Antoine : P.Claudel ou l’Enfer du Génie, R.Laffont, 1988, 2004 ; P.Michel :Mirbeau :Combats Esthétiques, t.II, Séguier, 1993 ; P. Michel : Mirbeau :Correspondance, L’Âge d’Homme,2005,t.II.

 

       

 

 

 


CLEMENCEAU, georges

CLEMENCEAU, Georges (1841-1929), célèbre homme politique et journaliste. Quoique vendéen, il était farouchement attaché à la République et a mené une très longue carrière : maire du XVIIIe arrondissement après le 4 septembre 1870, il a été député presque sans interruption à partir de 1871 (mais il a été battu dans le Var en 1893, au terme d’une campagne fort agitée, où il a été victime de la diffamation orchestrée par les nationalistes sur la base de faux documents, ce qui lui a valu la sympathie de Mirbeau). Il a siégé parmi les radicaux, à l’extrême gauche parlementaire de l’époque, et a fait tomber nombre de ministères. Ardent dreyfusard, il est directeur politique de L’Aurore pendant l’Affaire, y fait paraître le J’accuse de Zola le 13 janvier 1898, et y publie de remarquables chroniques quotidiennes, recueillies en sept volumes, dont le premier, L’Iniquité, est salué par Mirbeau. Président du Conseil en 1906, il reste au pouvoir pendant trois ans. Il nomme bien Picquart ministre de la Guerre, ce qui le situe symboliquement dans la continuité de la bataille dreyfusiste. Mais il  se révèle un homme d’ordre et se proclame le « premier flic de France » : il réprime les grèves ouvrières, infiltre les syndicats, envoie la troupe contre les vignerons du Midi. Pendant la guerre, il est jusqu’au-boutiste et on le surnomme « le Père la Victoire ». Clemenceau a publié en 1895 La Mêlée sociale, admiré par Mirbeau, en 1896 Le Grand Pan, en 1898 un roman, Les Plus forts, et en 1901 une pièce, Le Voile du bonheur, qui a consterné Mirbeau par sa médiocrité.

Ses préoccupations sociales – dont témoignent notamment ses deux très élogieux comptes rendus des Mauvais bergers, le 16 décembre 1897 et le 20 mars 1898, dans L’Aurore –, son anticléricalisme intransigeant, son dreyfusisme ardent et son admiration durable pour Claude Monet ont rapproché Clemenceau de Mirbeau, mais l’exercice du pouvoir l’en a quelque peu éloigné. C’est Gustave Geffroy, leur ami commun, qui a servi de trait d’union. En 1895, alors que Clemenceau n’est plus député et voit sa carrière politique compromise, Mirbeau se réjouit que « l’ingratitude humaine » ait eu pour effet positif de susciter un écrivain (« Clemenceau », Le Journal, 11 mars 1895) : « Car nous avions compris que cet échec apparent n’était, au fond, qu’une délivrance, qu’il aboutissait à quelque chose de beau, et que, si nous perdions un député, nous gagnions un admirable écrivain. » Tout en se réjouissant – prématurément – de voir Clemenceau « sortir de la politique active », il rappelle qu’il a été le seul, lors du massacre de Fourmies (1er mai 1891), à faire entendre à la Chambre « un cri de pitié humaine ». Puis il présente La Mêlée sociale, « œuvre maîtresse, forgée de nobles pensées et fleurie de beauté artiste », où « tout lui est prétexte à philosopher » : « Il connaît la signification des choses, et leur fatalisme dans la nature terrible et belle, la destinée des êtres, en proie au mal de l’universel massacre. Il sait de combien de morts accumulées est faite l’herbe qu’il foule, la fleur qu’il respire, de combien d’injustices, de violences et de rapts sanglants, la douleur humaine, dont il compte le martyrologe, qui ne cessera, hélas ! qu’avec l’univers. [...] C’est à la Vie seule qu’il s’en prend. Il l’interroge partout où il la rencontre et il la rencontre partout, dans la rue, parmi les foules, dans les taudis du pauvre et les salons du riche. Il la suit dans les champs, dans les mines, dans les forêts lointaines, à l’atelier, au musée, à la prison, au pied de l’échafaud. »

Son compte rendu de L’Iniquité (L’Aurore, 2 février 1899), rédigé en pleine affaire Dreyfus (voir la notice) est tout aussi élogieux : « C est plus que de la polémique, c’est de l’histoire, de la forte, grande et tragique histoire. [...] Bien qu’écrit au jour le jour, selon l’accident de l’heure, et le coup de théâtre de la journée, il a, par la pensée directrice qui l’anime, par l’esprit philosophique qui en relie, l’une à l’autre, les feuilles éparses, il a une valeur d’unité, une ampleur de synthèse qui étonne, qui passionne et qu’on admire. » Après le procès de Rennes et la grâce accordée à Alfred Dreyfus (voir la notice), Mirbeau et Clemenceau n’ont pas adopté exactement la même position. Leurs relations, bien que distendues, sont néanmoins restées amicales. Lors de la bataille du Foyer (1906-1908), Mirbeau a jugé son ami bien timoré, ayant espéré en vain qu’il profite de l’occasion pour se débarrasser de Jules Claretie, l’administrateur de la Comédie-Française.

P. M.


COMBES, émile

COMBES, Émile (1835-1901), homme politique français. Ancien séminariste, il a perdu la foi et a entrepris des études de médecine. Installé à Pons, en Charente-Maritime, il a adhéré à la franc-maçonnerie, est devenu maire de la ville en 1876, puis sénateur radical en 1885 et ministre de l’Instruction Publique en 1895. Le 7 juin 1902 il est devenu président du Conseil et a mené une politique visant à réduire le danger du cléricalisme en réglementant et contrôlant les congrégations religieuses, auxquelles la loi du 7 juillet 1904 a interdit l’enseignement ; celles qui n’étaient pas autorisées ont été peu à peu expulsées. Il a aussi fait retirer les crucifix des écoles primaires et a rappelé l’ambassadeur de France auprès du pape. C’est lui qui a préparé le terrain à la loi de séparation des Églises et de l’État, mais elle  ne sera votée qu’après sa démission, le 18 janvier 1905, suite à l’affaire dite « des fiches ». À cause de sa politique anticléricale, « le petit père Combes » a été l’objet de très violentes attaques et calomnies en tous genres de la part des catholiques et des conservateurs. En revanche, Anatole France et Octave Mirbeau lui ont apporté un ferme soutien.

S’étant élevé « avec indignation contre la liberté d’enseignement, qui est la négation même de la liberté tout court », puisqu’elle reviendrait, « sous prétexte de liberté », à « jeter du poison dans les sources » (« Réponse à une enquête sur l’éducation », Revue blanche, 1er juin 1902), Mirbeau ne pouvait en effet que soutenir la politique de Combes en vue de laïciser l’école et de réduire la capacité de nuisance de l’Église catholique, tout en déplorant la mollesse du ministre de l’Instruction Publique, Chaumié. Il s’y emploie notamment dans deux articles de L’Humanité, « Propos de l’instituteur » (17 et 31 juillet 1904). Quant à Émile Combes, il le défend vigoureusement dans une autre chronique du quotidien de Jaurès qui lui est entièrement consacrée, « Le Petit homme des foules » (L’Humanité, 19 juin 1904) : pour lui, ce « petit homme » qui n’a l’air de rien et qui a été « le plus injurié, le plus salement trahi », est en réalité un homme « admirable et fort » et un  « citoyen énergique et résolu », qui s’est engagé courageusement dans « la plus formidable bataille entre toutes les forces mauvaises du passé et toutes les forces radieuses de l’avenir ». Dithyrambique et éloquent, il s’adresse à lui en ces termes : « Petit homme, si humble qu’elle soit, je veux vous apporter toute mon admiration, et toute ma ferveur. [...] Qu’importe que vous ayez souffert, que vous souffriez encore, puisque vous êtes celui qui devez délivrer, un jour, les mille consciences rivées au carcan de l’Église, qui devez rendre, à toutes ces âmes desséchées par un idéal meurtrier, la paix, la raison, la confiance, la joie, l’amour. »

P. M.

 


COOLUS, romain

COOLUS, Romain (1862-1952),pseudonyme de René Weill, ancien normalien et professeur de philosophie, qui l’a emprunté à une station de chemin de fer de la ligne Paris-Rouen – était un auteur dramatique fécond et original, qui ne se prenait surtout pas au sérieux. Outre Le Ménagé Brésile, qui a fait scandale par son apparent cynisme, en 1893), il est notamment l’auteur de L’Enfant malade (1897), Les Amants de Sazy (1901), Antoinette Sabrier (1903), L’Enfant chérie (1906), Petite peste, Les Bleus de l’amour, Le Risque (1909), La Cote d’amour (1912), L’Éternel masculin (1920). Son Théâtre complet a été publié en 1925, en sept tomes. Il a tenu la rubrique des Théâtres à la Revue blanche de 1894 à 1897 et y a également donné des fantaisies et des contes, notamment « L’impasse des Hatons », admiré par Mirbeau, à qui il était dédié. Il a aussi collaboré à l’hilarant Chasseur de chevelures de la Revue blanche, aux côtés de Pierre Veber.

            Mirbeau a apprécié l’esprit et le non-conformisme de son jeune confrère, voyant un esprit fraternel en ce « un très jeune homme, d’un talent sévère et charmant, et qui croit que le théâtre n’est pas seulement une forme d’amusement nocturne, mais l’art d’exprimer, avec plus de vie, de la pensée et de la passion » (dans un article du Journal sur « Sarah Bernhardt », le 20 avril 1898). Il l’a reçu dans sa résidence estivale d’Honfleur, en 1900, et, en 1905, il a fait de lui son compagnon de voyage, sur les routes de Belgique et de Hollande, lors du périple en automobile évoqué dans La 628-E8 (1907). Il semble cependant que l’évolution de son protégé vers le boulevard et le simple divertissement ait déçu ses espérances, comme il ressort de son interview par Paul Gsell, dans La Revue du 15 mars 1907, où il parle de l’ « odieux caquetage qui sévit aujourd’hui chez les jeunes écrivains eux-mêmes », en citant Coolus –  dont, prudemment, Gsell n’indique que les initiales.

            De son côté, Romain Coolus a manifesté plusieurs fois son admiration pour son aîné, notamment en 1900, quand il a fait paraître deux articles élogieux sur Le Journal d’une femme de chambre, dans Iris (août 1900) et Le Cri de Paris (29 juillet 1900). Il y défendait notamment le romancier contre l’accusation d’immoralité et de pornographie (« Rien n’est moins érotique, ») et affirmait que son « seul crime est d’être sans hypocrisie » et de perturber la « quiétude » des satisfaits en apprenant « à ceux qui servent le mépris de ceux qu’ils servent ».

 P. M.


COPPEE, françois

COPPÉE, François (1842-1908), poète populiste et auteur dramatique, qui a curieusement commencé sa carrière littéraire en collaborant au Parnasse.  Il est l’auteur de recueils de vers, fort prosaïques, où il chante les petites gens en un langage familier : Intimités (1868), Les Humbles (1872), Le Cahier rouge (1874). Au théâtre, il a triomphé avec une courte pièce en vers, Le Passant (1869), puis avec Le Luthier de Crémone (1874) et deux grands drames historiques en vers, Severo Torelli (1883) et Les Jacobites (1885). Il a été élu à l’Académie Française en 1884, mais la génération suivante, de la mouvance symboliste, n’avait que mépris pour sa poésie vieillotte et triviale et, de son propre aveu, le traitait de « vieux con » (cité par Goncourt le 7 mars 1894). Converti au nationalisme et à la bien-pensance catholique et antisémite, il sera membre fondateur de l’anti-dreyfusarde Ligue de la Patrie française, fondée le 31 décembre 1898, alors que son amour proclamé des humbles et sa pitié pour les pauvres, les ressorts de sa poésie, étaient de nature à laisser supposer qu’il serait aux côtés de l’innocent capitaine.

Dans Les Grimaces, Mirbeau traçait un portrait plutôt favorable de Coppée critique dramatique, dont la bienveillance apparente traduisait en réalité une profonde indifférence « pour des œuvres n’appartenant ni à la littérature, ni à la poésie », et il terminait son « portrait de critique » par ces lignes appréciatives : « J’honore infiniment le talent sincère et délicat de M. François Coppée, ce talent si souple qui a produit des volumes de vers exquis et familiers ; des contes tristes ou gais d’une observation parfois cruelle, et des pièces de théâtre, dont l’une, Le Luthier de Crémone, est un petit chef-d’œuvre de grâce et d’émotion, et l’autre, Severo Torelli, une œuvre enflée d’un grand souffle et portée par un grand et noble effort » (Les Grimaces, 1er décembre 1883). Au fil des années, c’est l’agacement qui prendra le pas sur l’estime, au point que, à en croire Edmond de Goncourt, Coppée serait devenu sa « bête noire », en 1896. Il s’amuse alors à le parodier – « Mon pantalon », « Mes sabots » – et raconte sur son compte de méchantes anecdotes. Deux ans plus tard, pendant l’affaire Dreyfus, il brocarde impitoyablement le nationalisme grotesque du vieil académicien. Dans une désopilante interview imaginaire de L’Aurore, où, entre autres insanités, il lui fait déclarer qu’il ne conçoit « la beauté, la gloire, la vie d’un pays que sous la forme militaire », il le présente bien étrangement affublé : « Comme je cheminais, tristement, le long des quais, je vis, tout d’un coup, s’arrêter, devant le Palais-Mazarin, un fiacre. Un militaire en descendit. Je pensai, tout d’abord, que ce militaire était étranger. Outre qu’il semblait gauche d’allure et très embarrassé de son sabre, je ne reconnaissais point son uniforme pour appartenir à notre belle armée nationale. Il était coiffé d’un haut képi, à palmes vertes. Un dolman noir, orné de passementeries vertes et bordé d’astrakan, teint en vert, lui moulait le buste. Des bottes de maroquin vert étranglaient, au genou, une culotte bouffante sur laquelle une large bande verte était appliquée, qui rappelait les sévères motifs palmoïdes du képi. Ma surprise s’augmenta de constater que, en guise d’éperons, des plumes d’oie, d’un acier brillant, étaient vissées au talon de ses bottes. Quant au sabre, très long, très terrible, qui complétait cet étrange accoutrement, il commençait en croix, se poursuivait en cierge, et finissait en goupillon » (L’Aurore, 5 janvier 1899 !).

P. M.  


COQUELIN, constant

COQUELIN, Constant (1814-1909), dit Coquelin aîné, célèbre acteur français. Entré à la Comédie-Française en 1860, sociétaire quatre ans plus tard, il l’a quittée en 1886, y est revenu comme pensionnaire en 1890, puis a joué au théâtre de la Renaissance, avant de prendre la direction du théâtre de la Porte Saint-Martin. Il a fait de nombreuses tournées à l’étranger, y compris en Allemagne et aux États-Unis, et y a connu de vifs succès. Il s’est notamment illustré dans Tartuffe, Ruy Blas, Thermidor, de Sardou, Scarron, de Catulle Mendès, L’Aiglon et, surtout, Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand (1897). Il s’est aussi spécialisé dans les monologues et a publié un Art de dire le monologue. En 1903, il a lancé le projet d’une maison de retraite pour vieux comédiens, à Couilly (Seine-et-Marne) ; ouverte en 1905, elle fonctionne encore aujourd’hui.

Coquelin est une des cibles favorites de Mirbeau, parce que c’est lui qui incarne le mieux, à ses yeux, le grand comédien, « celui dont on dit qu'il est un artiste, à qui les femmes écrivent des lettres d'amour, qui va dans le monde, non point comme un salarié de plaisir, mais comme un visiteur de luxe dont on s'enorgueillit ; qui gagne 100 000 francs par an, comme un président de la Chambre, et dont la critique, complaisamment et durant trois colonnes de feuilleton, vante chaque semaine les talents variés, la voix géniale, le geste sublime » (« Le Comédien », Le Figaro, 26 octobre 1882). Aussi Coquelin a-t-il été au premier rang de ceux qui ont stigmatisé le pamphlet de Mirbeau contre la cabotinocratie : dans la publication en brochure de l’article du Figaro, Le Comédien, c’est sa réponse qui est reproduite tête-bêche. Un an plus tard, Mirbeau accusait « ce Scapin vantard, tapageur et brouillon » de s’être « introduit » dans une pièce de Daudet, oubliant que « le métier des Coquelins, c’est de jouer les pièces et non de les faire » : « Impuissants à créer, ils ne peuvent qu’obéir. Ils ne sont pas des artistes, ils ne sont que des agents subalternes de l’art » et ils ne « ne comptent pas plus que le lamentable bobèche, qui amuse les foules grossières, du haut de ses tréteaux de la foire de Neuilly » (« Coquelin Daudet et Cie »,  Les Grimaces, 8 décembre 1883). Voyant en Coquelin « notre grand Cabotin national », Mirbeau tourne volontiers en dérision son narcissisme extravagant (il le décrit entouré de milliers de bustes et de portraits...) et lui prête des propos d’une insondable prétention : « Je suis le centre, le pivot, l’âme même de la patrie » ; « j’incarne la France et la France m’incarne : nous sommes consubstantiels l’un à l’autre » ; « Je n'entreprends ce voyage [en Allemagne] que dans le but de faire rayonner ces nouvelles vérités sur le monde... »  (« Dies illa », Le Journal, 17 juin 1894). Dans Le Jardin des supplices (1899), Mirbeau trouvera encore le moyen de dauber sur Coquelin : à Ceylan, un faux savant, sir Oscar Terwick, montre à l’anonyme narrateur un de ses innombrables bustes et le considère comme un grand naturaliste, à l’instar de Darwin et Haeckel...

Cela n’empêchera pourtant pas Mirbeau, réconcilié tardivement avec les acteurs de la Comédie-Française, de se rallier au projet de maison de retraite pour les vieux comédiens dont Coquelin a pris courageusement l’initiative et de lancer, à sa demande, un grand appel à la générosité publique pour trouver les 100 000 francs qui manquent pour mener l’entreprise à son terme. À cette occasion, Mirbeau rend hommage à l’« activité inventive, obstinée, prodigieuse », de Coquelin, et à sa « foi héroïque qui déplace les montagnes » (« Pour les comédiens », Le Figaro, 20 avril 1903).

P. M.

 

 

 

 

 


COROT, camille

COROT, Camille (1796-1875), peintre et dessinateur français. Il est l’auteur d’une œuvre diverse, dans laquelle on a tendance à ne retenir que les paysages. De formation académique, il a toujours réservé pour le Salon officiel des paysages dans la tradition de Poussin. À ces paysages de nulle part, où des personnages traditionnels (nymphes et faunes) interprètent une scène, s’opposent les vues prises sur le motif et plus ou moins retravaillées à l’atelier dans lesquelles, grâce à une facture de plus en plus souple et libre, il délivra le paysage des préventions et libéra la peinture de l’illustration (Le Pont de Narni, Louvre). Par ailleurs, il renouvela l’allégorie en créant, dans les années 1860, le genre du Souvenir, où triomphe son goût pour les étangs entrevus à travers les arbres, le tout baignant dans une atmosphère blonde et vaporeuse (Souvenir de Mortefontaine, 1864, Louvre). Il fut très tôt considéré comme un précurseur majeur des impressionnistes par les peintres eux-mêmes (Berthe Morisot a été son élève) et par les critiques (Duret).

Corot figure au Panthéon pictural de Mirbeau. L’écrivain a continûment loué sa « sensibilité frémissante » (Combats esthétiques, I, 93). Il a constamment dénoncé la bêtise de Cabanel proclamant : « Les Corot !...Ah ! oui, les Corot !... ça se fait avec les grattages de nos palettes. » Dans sa première Note sur l’art (3 octobre 1884), il rapproche les noms de Corot et de Delacroix, « ces deux génies d’une sensibilité et d’une vision différemment souffertes ». Il ajoute : « J’ai revu Le Lac de Corot, si clair, si léger, si frissonnant dans sa brume matinale qu’il éteint tout ce qui l’entoure et qu’on ne voit que lui » (Combats esthétiques, I, 56). Un peu plus tard, il proclame : « Il n’y a que Corot, l’immense et sublime Corot à côté de qui on puisse » placer Monet. « Corot et Monet, ce sont les deux plus belles pages, les deux plus éloquentes expressions de l’art du paysage. » (Combats esthétiques, I, 85). Au début des années 1890, Mirbeau associa Turner, Corot, Pissarro et Monet pour avoir révolutionné l’art du paysage et, plus largement, l’art de voir (Combats esthétiques, I, 460). 

C. L.

 

Bibliographie : Sophie Monneret, L’Impressionnisme et son époque, Dictionnaire international, Robert Laffont,  1987 ; Peter Galassi, Corot en Italie, Gallimard, 1991 ; Corot, catalogue de la rétrospective du Grand Palais, RMN, 1996 ; Corot : le génie du trait, BNF, 1996 ; De Corot à l’art moderne, catalogue du Musée de Reims, Hazan, 2009.


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