Pays et villes

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Terme
BELLE-ÎLE

C’est en novembre 1886 que Mirbeau et sa compagne Alice Regnault sont allés passer cinq jours à Belle-Île, pour rendre visite à l’ami Claude Monet, qui y travaillait à une série de toiles sur les côtes rocheuses de l’île. Arrivant de Noirmoutier, ils ont dû suivre un itinéraire un peu compliqué pour parvenir au Palais, avec plusieurs heures de retard. À cause du mauvais temps, qui va prolonger davantage encore leur voyage de retour et en faire une épreuve délicate, ils ont dû y rester deux jours de plus que prévu. Mirbeau manifestera son admiration pour les toiles de Monet, exposées en mai 1887, en affirmant qu’il a « véritablement  inventé la mer, car il est le seul qui l’ait comprise ainsi et rendue, avec ses changeants aspects, ses rythmes énormes, son mouvement, ses reflets infinis et sans cesse renouvelés, son odeur » (« L’Exposition internationale de la rue de Sèze », Gil Blas, 13 mai 1887). Pour sa part, il rapportera de ce premier séjour la matière d’une nouvelle consacrée au hameau de Kervilahouen, peuplé de quelques marins dotés d’un admirable courage auquel il rendra hommage (« Kervilahouen », Revue indépendante, janvier 1887). 

Impressionnés par la beauté sauvage de l’île, Octave et Alice sont retournés à Belle-Île à la mi-juin 1887, au lendemain de leur mariage en catimini, à Londres, en quête d’une maison où ils puissent être à l’abri des cancans parisiens. Ils n’en trouvèrent point à leur plaire, au cours des trois semaines qu’ils y passèrent,  et, pour finir, s’installèrent à Kérisper, près d’Auray. Mais, de Belle-Île, Mirbeau rapporta deux corneilles à moitié apprivoisées, qui lui inspirèrent un conte d’un profond pessimisme existentiel, « Les Corneilles » (Gil Blas, 25 octobre 1887).

P. M.


BOURBON-L'ARCHAMBAULT

 

Petite ville de l’Allier, située au cœur du bocage bourbonnais, dotée d’une forteresse et  disposant de sources thermales exploitées depuis l’antiquité. Elle comptait 3 400 habitants à l’époque de Mirbeau (2 600 aujourd’hui).

C’est à Bourbon-l’Archambault qu’a abouti la randonnée de cinq jours qu’a effectuée Mirbeau en juillet 1884 et qu’il évoque dans Sac au dos. Après «  les interminables routes » et « les fatigues épuisantes » de cette expédition pédestre, c’est dans une piscine de cette station thermale qu’il « renaï[t], à la vue de ce parc plein d’ombre, de ce château superbe qui protège la ville, de cette ville tranquille et décente où l’on a toutes les joies des stations balnéaires, sans être gêné par les insupportables promiscuités des stations de jeu ». Mais il est visiblement trop fatigué pour nous en dire plus...

P. M.


BRAY-LÛ

Bray-Lû, nommé aujourd’hui Bray-et-Lû, est un petit village du Vexin, situé dans la vallée de l’Epte, à 70 km de Paris, 17 km de Vernon et 30 km de Cormeilles-en-Vexin. On y comptait environ 400 âmes vers 1900 (750 aujourd’hui).

Mirbeau y a villégiaturé pendant l’été 1902, après avoir traversé largement la France en automobile dans le courant du mois de juillet. Arrivé sans doute début août, il y est resté, semble-t-il, jusqu’à la mi-octobre. Il n’y a pas été heureux du tout : sa  femme neurasthénique a continué de lui donner des inquiétudes, et lui-même a été bien malade, incapable de lire et d’écrire – alors qu’il espérait avancer dans Un gentilhomme –, et il a été long à se remettre. Là-dessus est arrivée la nouvelle de la mort soudaine d’Émile Zola, qui l’a vivement frappé au moral et obligé de surcroît à se rendre deux fois à Paris, pour la veillée mortuaire, le 29 septembre, et pour les obsèques, le 5 octobre, malgré son lamentable état physique et mental. Il semble alors de nouveau au fond de l’abîme : « Ah ! je vous jure que la vie ne m'a pas été souriante et, si elle devait se prolonger de la sorte, j'aimerais mieux m'en aller dans le grand tout », écrit-il à Édouard Noël.

P. M.

BREDA

Breda est une ville des Pays-Bas, située dans le Brabant septentrional et proche de la Belgique. Aujourd’hui peuplée de quelque 170 000 habitants, elle n’en comptait que 30 000 au début du vingtième siècle. Elle a été rendue célèbre par une toile de Velasquez connue sous le nom des Lances, ou La Reddition de Breda – advenue en 1624.

Mirbeau y est passé au printemps 1905, lors du périple en voiture qu’il évoque au chapitre V de La 628-E8 (1907). Arrivant d’Anvers, il est déçu par cette ville qu’il ne souhaitait visiter que dans le vain espoir d’y retrouver des traces de Van Gogh : « Breda est une ville tout à fait quelconque et tellement insignifiante qu'il m'affole de penser qu'elle ne soit pas belge... Je ne la mentionnerais pas si, dans sa cathédrale, l'emphase tout italienne d'un sculpteur bolonais ne s'était avisée de faire, au-dessus d'un tombeau, porter les armoiries de je ne sais quel petit prince de Nassau [Engelbert], tout simplement, par Regulus, Jules César, Hannibal et Philippe de Macédoine. » Mais, ajoute-t-il, au prix d’une erreur factuelle, « Breda est la ville où naquit Vincent Van Gogh » – lequel est né en réalité dans le presbytère de Groot-Zundert. Or, comme son ami Rodin, Mirbeau croit « à l'influence profonde et secrète du milieu sur la direction et la destinée d'un esprit » : « Je crois que les choses natales laissent une empreinte durable sur le cerveau et qu'il est très difficile de s'en affranchir, plus tard. » Mais c’est en vain qu’il cherche cette « empreinte » : à son grand étonnement, il  « ne trouve aucune affinité entre Vincent Van Gogh et Breda », où, d’ailleurs, personne n’a gardé le moindre souvenir du peintre. Peu après, à Rotterdam, Mirbeau apprend « qu'un parent très proche de Van Gogh vivait à Breda, entouré de la plus belle collection qui soit de ses œuvres », mais « ne porte pas le nom de Van Gogh » : « Voilà pourquoi “Van Gogh, ça ne leur disait rien” ».

P. M.



Bibliographie : Octave Mirbeau, La 628-E8, Fasquelle, 1907, chapitre V. 

 

 


BRESIL

La présence d’Octave Mirbeau au Brésil est certes modeste, mais elle n’est pas nulle pour autant. En dehors des traductions importées du Portugal, il se trouve en effet que trois de ses romans ont été traduits et publiés au Brésil même. À une date indéterminée, sans doute vers 1910, a paru, à Rio de Janeiro en même temps qu’à Lisbonne et Paris, O Padre Julio,  édité par les  Livrarias Aillaud & Bertrand, dans une traduction d’Alves Bastos, qui a l’air d’être complète ; il semble qu’il y ait eu au moins deux rééditions. Dans les années 1940 a été publiée, également à Rio, par les éditions Casa Mandarino, une traduction du Jardin des supplices, O Jardim dos suplicios, dans une traduction de A. S. Costa. En 1947, c’est au tour du Journal d’une femme de chambre, qui paraît à São Paulo sous le titre infidèle, mais aguichant, de Segredos de alcova [“Secrets d’alcôve”], aux éditions Prometeu, dans une collection significativement baptisée « Eros », et dans une traduction d’Alfredo Ferreira ; le volume a été réédité la même année 1947, puis en 1953 et en 1956, et enfin, semble-t-il, en 1998.  Plus récemment, un extrait du roman,  intitulé « A nova empregada » [“la nouvelle employée”] et traduit par Celina Portocarrero, figure dans une anthologie érotique, As 100 melhores histórias eróticas da literatura universal [“les 100 meilleures histoires érotiques de la littérature universelle”], parue en 2002 à Rio de Janeiro, aux éditions Ediouro (pp. 340-345). 

Par ailleurs, La Grève des électeurs (A greve dos eleitores), traduit par Plinio Augusto Coelho, fait partie d’une autre anthologie, anarchiste celle-là : intitulée Os Anarquistas e as eleições [“les anarchistes et les élections”], elle a paru en 2000, à Saõ Paulo, aux éditions Imaginario, dans la collection « Escritos anarquistas » [“écrits anarchostes”].

Concernant l’accueil fait à Mirbeau, il convient tout d’abord de signaler le chapitre dithyrambique que lui a consacré, en 1926, João Pinto da Silva, dans un volume publié à Porto-Alegre par la Livraria do Globo  Vultus do meu caminho : estudos e impressiões de literatura [“visages de mon chemin : études et impressions de littérature”]. L’auteur y passe en revue la galerie des caricatures mirbelliennes et voit en Mirbeau un « créateur titanique », un homme d’une bonté, d’une générosité et d’ « un amour universel » exceptionnels, et « une des plus grandes figures littéraires de ce  siècle ». Deux écrivains contemporains se sont également intéressés à Mirbeau. D’une part le poète  aveugle Glauco Mattoso : il a composé un sonnet « naturaliste » directement inspiré par Le Jardin des supplices. (voir « Soneto 104 naturalista ») ; et il a commenté le roman à deux reprises : en 2001, en traitant de l’image des prisons dans la littérature et au cinéma (« Aulas de jaulas – O que a literatura e o cinema podem dizer sobre a prisão ? ») ; puis, en 2004, en présentant l’art suprême de la torture tel que l’a évoqué Mirbeau (« Cuando o ceguinho queima a lingua »). D’autre part, l’essayiste et polémiste Janer Cristaldo : il évoque une première fois le même roman de Mirbeau dans son roman autobiographique de 1986, Ponche Verde, et il y voit une anticipation des dictatures “gorilles” d’Amérique latine ; une vingtaine d’années plus tard, revenant sur le jardin exotique imaginé par Mirbeau,  il fait un rapprochement entre les supplices chinois, jugés barbares, et les instruments de torture, bien européens, utilisés par l’Inquisition et qu’il a pu voir exposés dans un musée de Tolède (« Nosso jardim em Toledo », 2008).

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Glauco Mattoso et Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, pp. 286-290 ; Pierre Michel, « Janer Cristaldo et Le Jardin des supplices »,  Cahiers Octyave Mirbeau, n° 15, 2008, pp. 192-200.

BRETAGNE

Octave Mirbeau découvre la Bretagne en octobre 1859, à onze ans, au prestigieux collège jésuite Saint-François-Xavier de Vannes. Son père, officier de santé à Rémalard, dans le Perche, soucieux de promotion sociale et de bonne éducation pour son fils, l'y a inscrit comme interne.

Le 9 juin 1863, il est renvoyé. Officiellement pour ses mauvaises notes. Officieusement, un jésuite, son maître d'étude, aurait tenté de le violer. Mirbeau racontera trente ans après, dans son roman Sébastien Roch (1890), sa vie au collège, en pleine période de cléricalisme et d'anticléricalisme militants, sur fond de république encore fragile. Il n'oubliera jamais « ces pourrisseurs d'âmes » qui enchaînent « l'esprit de l'enfant pour mieux dominer l'homme plus tard » et qui auront pourtant, malgré eux, façonné l'esprit vengeur de notre grand polémiste. Quoi qu'il en soit, Mirbeau ne se lassera jamais de la « farouche et mystérieuse beauté » des paysages maritimes.

C'est la Bretagne qu'il choisit à la veille de Noël 1883, pour guérir de son fiasco passionnel d'avec Judith Vimmer, qu'il décrira dans un autre roman Le Calvaire (1886) : « Je vais à l'extrême pointe du Finistère dans les paysages du Raz et de Plogoff essayer de me guérir de Paris...»

Il s'installe à Audierne chez le légendaire Antoine Batifoulier « au ventre pantagruélique », avant d'élire domicile chez Bidault, « le personnage le plus laid d'Armorique ». Comme plus tard son abbé Jules pour apaiser ses sens, il passe le plus clair de son temps à marcher dans la campagne, à escalader les rochers et à regarder la mer « tragique et splendide » . Mieux que la plaine, la montagne ou la forêt, la mer est « l'amie des inconsolés ». Peu à peu, il se dégrise de « l'alcoolisme de l'amour » et retrouve le chemin des hommes. Il fréquente le café Malterre, rencontre le poète Frédéric Le Guyader, accompagne les pêcheurs en mer, visite Quimper, « la ville la plus extraordinaire du monde », et se lance même dans la politique locale aux côtés du candidat... réactionnaire, contre le républicain, qui est battu aux élections!

En juillet 1884, Mirbeau regagne Paris, pour des raisons alimentaires. Au contact de la nature bretonne, sa sensibilité s'est aiguisée. Acquis aux novateurs de la peinture impressionniste, il commence une grande carrière de critique d'art et puise largement dans ses souvenirs bretons les sujets de plusieurs Lettres de ma chaumière : « Les Eaux muettes », « Audierne », « Un poète local »...

Mirbeau retrouve la Bretagne en novembre 1886, quand il apprend que son ami Claude Monet s'est installé à Belle-Ile pour peindre des motifs nouveaux. Avec sa compagne Alice Regnault, il visite grottes et gouffres derrière Monet et admire les toiles du peintre, remplies de vagues « qui se chevauchent l'une après l'autre, crêtées d'écume » et « qui marquent dans la carrière du maître paysagiste une phase encore inconnue ».

Avec la fin du printemps 1887, après son mariage en catimini, à Londres, avec Alice, Mirbeau, qui veut se mettre au vert pour écrire un nouveau roman, revient à Belle-Île avec sa femme pour chercher, en vain, une maison à louer à leurs goûts, qui ne sont pas modestes en matière d'habitat. Ils reviennent sur le continent et dénichent la propriété « admirable » de Kérisper, près d'Auray. « … ce pays vous enchantera ! Il n'en est pas de plus beau », écrit-il à Rodin. « Venez ici. C'est la solitude admirable et complète. Les siècles n'ont point passé sur ce coin de nature » s'adresse-t-il à Claude Monet.

Dans cette « demeure d'un chef chouan », il se lance  comme un « bagneux » dans la rédaction de L'Abbé Jules, l'un de ses meilleurs romans. Au mois de janvier 1888, les excès de travail, de tabac, conjugués à la fièvre paludéenne, ont raison de sa santé. Huit mois plus tard, virement lof pour lof, il prend conscience que le climat « malsain » d'Auray ne lui convient pas. « Quel sale pays que la Bretagne », lance-t-il dans un moment de déprime. Son séjour aura duré un an et demi.

Mirbeau ne reviendra en Bretagne qu'en septembre 1899, pour assister à Rennes au procès en révision du capitaine Dreyfus, en faveur duquel il s'est engagé, avec Zola, Clemenceau, le colonel Picquart. L'occasion est belle, pour lui, de réveiller le souvenir de ses anciens maîtres jésuites, en la personne du Père du Lac, devenu directeur de conscience du haut État-major et zélateur de l'antidreyfusisme. « Du conseil de discipline de Saint-François-Xavier au conseil de guerre de Rennes, il y a incontestablement une manière de fil rouge », observe avec pertinence Jean-François Nivet.

Ainsi, pour Mirbeau, la Bretagne aura été à la fois un refuge, une terre de souffrance et une éducatrice. Ses paysages l'ont ramené à l'essentiel : l'amour de la nature et de la vie, à l'envers de « l'odieux Paris ».Ses hommes et ses femmes, dans leur simplicité « gothique », le reposent des cocottes et des pantins de la capitale. Il les saisit dans les gestes simples de la vie quotidienne : pêcheur qui radoube son canot, femme qui ramende des filets, pilote qui brave la tempête, paysan qui lutte avec la lande.

Il est fasciné par leur dimension atemporelle, leurs mœurs primitives, leur vie sans pollution, leur héroïsme au quotidien. Les paysannes sont d'une « beauté ancienne, d'une pâleur liturgique de vitrail ». Quant aux hommes, ils sont « magnifiques, nobles et beaux comme aux premiers âges ».

Cette vision d'esthète rousseauiste ne dure pas. Son installation à Auray, en Morbihan – « qui est ce qu'il y a de plus bretonnant dans toute la Bretagne » – a ravivé sa haine pour ses anciens tourmenteurs jésuites. Mirbeau est passé à l'heure des grands combats et poursuit de sa hargne tous « les négateurs de vie » : prêtres, recteurs, vicaires, jésuites, qui exploitent la crédulité des faibles, violent les consciences, exacerbent le nationalisme et soufflent l'esprit réactionnaire.

Ses convictions progressistes et modernistes, son tempérament d'anarchiste, se sont cabrés contre le « fatalisme catholique ».et « la résignation de bêtes domestiques » des Bretons : « Il y a de l'Oriental dans ce Celte anémié, du musulman dans ce catholique, dont l'esprit part sans cesse en caravane de prières vers la Mecque de Sainte-Anne ». Sous sa plume, le Breton devient un gogo « tardigrade », craignant Dieu », « respectant le Diable », imperméable au progrès avec « sa peur spéciale de l'automobile ».

La Bretagne édénique de naguère a perdu son pouvoir d'attirance et d'apaisement et s'est transformée en un immense « jardin des supplices ». L'horreur imprègne l'atmosphère des contes et des romans. On y viole, on s'y pend, on y vit dans les étables, « avec les cochons et les vaches », on y pratique l'inceste, on y meurt noyé, écrasé, mutilé, dévoré par les... bigorneaux. Les pèlerinages ne sont plus que des « bretonneries », où l'on vend des saucisses et des sardines.

La douleur est aussi sociale. La Célestine du Journal d'une femme de chambre, originaire d'Audierne, connaît l'exil et la servitude. À défaut de pouvoir vivre « au pays », elle va se vendre, comme ses milliers de consœurs, aux bureaux de placement parisien. Il est loin le temps où Mirbeau quêtait les joies impressionnistes et sensuelles de la Bretagne, à la recherche « de l'odeur iodée des goémons et de l'arôme vanillé de la lande en fleurs ». «  Du sang, de la misère et des larmes ont brouillé son regard et souillé les idylliques tableaux de Van Eyck et de Monet », conclut Jean-François Nivet dans son excellente préface de Croquis bretons d'Octave Mirbeau..


J.-P. K.


Bibliographie : Octave Mirbeau, Croquis bretons, préface et notes de Jean-François Nivet, éditions Séquences, Rezé, 1993; Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, L'imprécateur au cœur fidèle, biographie, Librairie Séguier, 1990.

 


BRUGES

          Bruges est une belle ville flamande chargée d’histoire, dotée de merveilles architecturales constituant un patrimoine exceptionnel – notamment les béguinages à « la tristesse pacifiante » – et de canaux qui lui confèrent un charme extrême. Elle était peuplée d’environ 50 000 habitants vers 1900. C’est le poète et romancier Georges Rodenbach, grand ami de Mirbeau, mort prématurément, qui a assuré à la ville sa notoriété littéraire, bien qu’il n’y ait jamais vécu, grâce à deux romans, Bruges la Morte (1892) et Le Carillonneur (1897), où son « âme individuelle » est en harmonie avec celle de la ville : « S’il a chanté Bruges, avec cet accent unique, ses pierres illustres et ses canons, et ses cloches, et son silence, et ses ombres humaines et ses visages lointains, et tout ce passé terrible et charmant, c’est que Bruges, c’est encore de la mort, une mort blanche comme les cygnes qui dorment sur le lac d’amour, blanche comme le béguin des béguines, et comme l’âme de ces femmes que, dans les rues très anciennes, on voit aux fenêtres closes, derrière les transparents de dentelle… » (« Notes sur Georges Rodenbach », Le Journal, 1er janvier 1899).

          Mirbeau a eu l’occasion de visiter Bruges à plusieurs reprises, notamment fin août 1896, en compagnie de Rodenbach. Il a toujours été fasciné par cette « ville unique », « une des seules villes préservées jusqu’ici des atteintes du progrès et des passions mauvaises qu’apporte avec lui le négoce ». Cette ville « en dentelles », avec son « aspect de rêve » ses « antiques merveilles », ses « rues de silence, de renoncement et de paix », son « décor d’une survie si pénétrante et d’une mort si éternelle », « s’est endormie et nul ne l’a réveillée ». Mais si le temps a lézardé ses antiques richesses, il « n’a rien pu contre son âme », et les figures qu’on y rencontre aujourd’hui n’ont pas changé depuis l’époque de Van Eyck et de Memling, « vivantes momies, toujours contemporaines de cette architecture de prières ».

          Or, voilà qu’en 1896-1897 est discuté et adopté un projet de modernisation de la vieille ville, que Mirbeau dénonce dans une chronique du Journal, « Adieu à Bruges », car il y voit un véritable « meurtre ». :  « On démolit tout ce qui fait sa gloire et tout ce qui est resté sa raison d’être, c’est-à-dire son âme elle-même ». Dix ans après, dans La 628-E8, il note que « Bruges sort, enfin, de son long silence mystique » et que « le bruit des marteaux, le sifflement des usines dominent aujourd'hui le chant de ses carillons et le chuchotement mortuaire de ses béguinages ».

P. M.

 

            Bibliographie : Maurice Guillemot, Villégiatures d’artistes, Flammarion, 1897, p. 200 ; Octave Mirbeau, « Adieu à Bruges », Le Journal, 28 février 1897.


BRUXELLES

 

            Octave Mirbeau a eu à maintes reprises l’occasion de se rendre dans la capitale de la Belgique, notamment en juin 1880, envoyé en reportage pour le compte du Gaulois, puis fin août 1896 (il passe alors la nuit à l’hôtel du Grand Miroir, en compagnie de Georges et Anna Rodenbach), en avril 1905, lors de son périple en automobile à travers la Belgique (il descend alors à l’hôtel Bellevue), puis en septembre 1907, à la veille de la publication de La 628-E8, qui lui fait craindre de ne plus y être désormais persona grata. Il y fait en effet  de Bruxelles, cette « capitale comique » et « d'opérette », immensément ennuyeuse et qu’il accuse de vouloir toujours singer Paris, une évocation pittoresque et bouffonne, d’une réjouissante mauvaise foi, dans la lignée de Baudelaire. Ce qui n’a pas manqué de susciter une levée de boucliers de la part de nombre d’intellectuels belges, visiblement dépourvus d’humour, qui se sont sentis outragés dans leur honneur national, parce qu’ils ont pris au premier degré toutes les fantaisistes assertions du romancier.

Il est vrai qu’il n’y va pas de main morte. Ainsi affirme-t-il d’entrée de jeu, comme s’il s’agissait d’une concession majeure et douloureuse : « Après tout, on peut aimer Bruxelles. Il n'y a là rien d'absolument déshonorant... » Certes, mais il s’avère que même les notaires carapatés avec les économies de leurs clients aiment  encore mieux le confort moderne de la prison de Fresnes que l’exil et à l’ennui bruxellois, tellement dissuasifs au demeurant que des caissiers tentés de les imiter  préfèrent encore rester honnêtes... En quoi, d’ailleurs, ils ne se distinguent guère du roi Léopold II, perpétuellement absent pour ses plaisirs ou ses affaires, ni de la majorité des intellectuels et artistes bruxellois, qui choisissent, à la première occasion, de s’exiler à Paris dans l’espoir d’y décrocher une lucrative consécration. Tout lui paraît horriblement laid, et particulièrement « le Palais de Justice, où ils ont entassé pêle-mêle, tant qu'ils ont pu, des souvenirs de monuments sur des monuments de souvenirs, pour n'aboutir qu'à un monument d'une laideur invraisemblable [...], tellement laid, que ça en devient beau »... Rien ne trouve grâce à ses yeux, et tout est passé au crible de sa dérision : l’accent belge, l’armée belge, la Justice belge, l’avant-garde artistique belge, l’effroyable affairiste qu’est le roi des Belges coupable d’ensanglanter le Congo, et les mœurs curieuses des indigènes, sur lesquels Mirbeau jette un regard compatissant et désarçonné, parce que tout lui semble faux et décalé, comme s’il s’agissait perpétuellement de théâtre : « Tout me paraît ridicule à Bruxelles, me donne envie de rire, mais d'un rire terne, d'un rire sans éclats, de ce rire glacial, douloureux qui rend tout à coup si triste, si triste, triste comme son ciel d'hiver, ses boulevards circulaires, les livres de M. Edmond Picard, les poèmes de M. Ivan Gilkin, les couvertures de M. Deman, les meubles de M. Vandevelde »...

            Naturellement, il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre ce qui risquerait alors d’apparaître comme une forme de xénophobie, car Bruxelles vue à travers le filtre très particulier de l’esprit ludique d’un romancier en quête d’exutoire thérapeutique, c’est « un espace purement fantasmagorique », comme le dit Gwenaël Ponnau¨.

 

P.M.

 

            Bibliographie : Octave Mirbeau, La 628-E8, Fasquelle, 1907, chapitre II ; Gwenal Ponnau, « Haro sur la Belgique ? Les Amoenitates belgicae de Mirbeau », in L’Europe en automobile – Octave Mirbeau écrivain voyageur, Presses Universitaires de Strasbourg, 2009, pp. 97-108.

 

 

 

 

 


BULGARIE

 

Il s’avère que Mirbeau a été beaucoup plus présent en Bulgarie qu’on n’aurait pu l’imaginer et qu’il a même « marqué profondément la vie littéraire en Bulgarie pendant la période antérieure à la première guerre mondiale », selon l’historien bulgare Niko Nikov. Il semble qu’il y ait eu là conjonction de deux intérêts, au début du vingtième siècle : l’un pour l’engagement politique de l’intellectuel, particulièrement apprécié par les courants libertaire et tolstoïen — et ce n’est évidemment pas un hasard si ce sont des hommes de gauche, se rattachant à ces courants, qui ont traduit ses œuvres ; l’autre pour l’écrivain, romancier et dramaturge, qui semble le seul, ou l’un des rares, à être capable d’assure le dépassement du naturalisme et le renouvellement des genres littéraires, et ce, dans un cadre culturel général où la littérature française apparaît, à l’intelligentsia bulgare libérale et progressiste, comme un utile contrepoids à l’influence allemande et à la domination russe. Du bilan des traductions, il ressort que la grande époque a correspondu, en Bulgarie  comme en Russie, aux années 1906-1912, et qu’en revanche la période communiste a été particulièrement réfractaire au génie du libertaire Mirbeau, qui a été de nouveau édité, mais sans excès, après la chute du régime.

Comme d’habitude, ce sont ses deux romans les plus célèbres qui ont été le plus souvent traduits :

Le Jardin des supplices (Градината на мъките) a paru à Sofia, en 1909, aux éditions Jivot, dans une traduction de Georgi Chopov, rééditée en 1918. Une autre traduction, dont l’auteur est inconnu, a paru chez Glouchkov, en 1911. En 1992 la traduction de Chopov a été republiée, à Tirnovo, chez Abagar. Enfin, quatre ans plus tard, est sortie, à Pleven aux éditions E.A, dans la collection « Slavata na Frantsia » [“la gloire de la France”], une nouvelle traduction, due à Teodor Valentinov Mihailov et de .Krasimir Vasiliev Mirtchev, sous un titre légèrement différent, Градината на мъченията [“jardin des souffrances”] (1996, 180 pages).

Le Journal d’une femme de chambre , pour sa part, a été traduit sous deux titres différents : Гнило общество [“société pourrie”], aux éditions Moderna Biblioteka, en 1909 (460 pages), puis en 1921, aux éditions. Jivot, de Sofia (243 pages), dans une traduction d'Ivan Gantchev ; et Дневникът на една камериерка, traduction fidèle du titre français, d’abord en 1909, à la Biblioteka Prolet, collection « Liber Klub » ; puis en 1985, chez Profizdat, dans une traduction d'Isabelle Georgieva, avec une préface de Venko Christov  (295 pages) ; et enfin deux fois en 1992 : à Sofia, aux éditions P. K. Iavorov, 1992 (196 pages), dans la traduction d'Isabelle Georgieva, reprise de l’édition de 1985, et à Varna, chez A. L., dans la collection « Papyrus », n° 9 (315 pages), dans la traduction d’Ivan Gantchev, reprise de l’édition de 1921. Par ailleurs, des adaptations théâtrales du roman ont été données à Sofia ces dernières années.

Deux autres romans ont également eu droit à une traduction bulgare :

Le Calvaire a paru d’abord en 1907, à Sofia, aux éditions de la revue Biblioteca, sous le titre Lobno miasto [“lieu d'exécution”], dans une traduction de P. Neïkov ; puis en 1909, à Sofia, aux éditions Jivot, sous un titre nouveau apparenté aux titres russe et allemand, Golgota, dans une traduction de Georgi Chopov, rééditée en 1918. En outre, le chapitre II sur la guerre a paru deux fois en brochure,  en 1906 et en 1908.

L’Abbé Jules (Abat Joul) a été publié en 1911 à Sofia, de nouveau aux éditions Jivot, et derechef dans une traduction de Georgi Chopov, qui semble bien avoir été le principal passeur de Mirbeau dans son pays. Un extrait, paru sous un titre signifiant “la fête de l’évêque”, a été publié dans une revue progressiste, en octobre 1907.

De La 628-E8, seul a été traduit le sous-chapitre sur les pogroms antisémites dans la Russie tsariste : en 1910, dans une traduction de Bratoiev, rééditée en 1928 sous le titre d'Evreiski pogromi [“pogroms juifs”].

Pour ce qui est des contes, un recueil de 44 pages, intitulé Razkazi [“contes”], a été publié à Choumen en 1909, traduit par  Ivan Georgiev. D’autres contes, dont cinq seulement ont été recensés, ont été publiés dans diverses revues entre 1906 et 1913, notamment « Porokt » [“le vice”], c’est-à-dire « Pour M. Lépine », et « Slouginia » (« La Bonne ». Une recension plus complète reste à faire.


Le théâtre n’est pas en reste, et quatre pièces de Mirbeau ont été traduites :


Les Mauvais bergers , traduit par G. P. Donev, sous le titre  Лошите овчари [“les mauvais conducteurs”], a paru en 1921, à Sofia, aux éditions P. G. Blasnov, dans une collection du théâtre ouvrier, symptomatique de l’utilisation militante qui devait être faite de cette tragédie prolétarienne. 

L’Épidémie a connu deux traductions : en 1907, par  Chrbanov,  et en 1910 par Bratoiev, dont la traduction a été publiée à la fois dans la « Petite bibliothèque » (n° 5)  et la « Nouvelle bibliothèque » (n° 11).

Scrupules, dont le titre bulgare, Kрадецът, signifie le voleur”, comme en allemand et en russe, a paru aussi en 1910, dans la « Petite bibliothèque », traduit également par Bratoiev Auparavant des représentations en ont été données au Théâtre du Peuple de Sofia à partir du 7 mai 1907.

Quant aux Affaires sont les affaires, c’est T. C. Tontchev qui en a été le traducteur, dans une édition intitulée Интересите преди всичко  [“l’intérêt avant tout”], parue en 1906 à Varna, aux éditions Ikonomov, dans la collection  « Bibliothèque théâtrale ». La pièce a certainement été représentée, mais nous ignorons où et à quelle(s) date(s).



Ce qui est le plus stupéfiant, dans l’aventure bulgare de Mirbeau, c’est la publication, à Plovdiv, en 1922, d’un essai sur la prostitution, Любовта на продажната жена (Lioubovta na prodajnata jena) inconnu en français, et qui a tardivement paru en France en 1994, traduit du bulgare par Alexandre Lévy, sous le titre L’Amour de la femme vénale, traduction littérale du titre bulgare. Alexandre Lévy a ensuite fait paraître une nouvelle édition en bulgare, de nouveau à Plovdiv, mais dans une traduction nouvelle, à l’orthographe modernisée, qu’il a réalisée à partir de sa propre traduction française...  Comment ce texte est-il arrivé en Bulgarie cinq ans après la mort de l’écrivain ? Nous l’ignorons encore. Mais il est plausible que la traduction bulgare ait été réalisée à partir d’une traduction russe, non retrouvée à ce jour, qui aurait pu paraître, vers 1912 ou 1913, dans une revue libertaire, hypothèse qui ne pourra malheureusement être vérifiée que lorsque toutes les revues russes de l’époque auront été dépouillées, ce qui n’est pas demain la veille.

P. M.

 

Bibliographie : Alexandre Lévy, « Lioubovta na prostitutkite », Literaturen vestnik, Sofia, 26 septembre 1995 [en bulgare] ; Pierre Michel, préface de L’Amour de la femme vénale, Éditions Indigo-Côté Femmes, 1994, pp. 7-27 ; Niko Nikov, « Mirbeau en Bulgarie », in Actes du colloque Octave Mirbeau d’Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1992, pp. 461-466.


CAEN

            Le jeune Octave Mirbeau est arrivé à Caen en janvier 1865, à l’approche de ses dix-sept ans, pour y préparer « l’impitoyable bachot » dans un « moule à bachot », la pension Delangle. L’atmosphère, familiale, le petit nombre de pensionnaires, l’absence de surveillance, la bonne nourriture et les sorties du dimanche dans une famille amie, les Roger, rendent son séjour infiniment moins pénible que chez les jésuites de Vannes ou à la pension Saint-Vincent de Rennes. Il se sent bien et travaille donc avec ardeur. Mais l’approche du baccalauréat l’angoisse et finit par le paralyser quelque peu : il échoue à l’oral, le 28 août 1865. Nouvel échec, démoralisant, en novembre. Il lui faudra attendre le 6 mars 1866 pour être enfin reçu, à dix-huit ans, et pouvoir entamer des études de sciences, vite interrompues, puis aller à Paris y poursuivre des études de droit.

Il se souviendra sans doute de la pension Delangle pour imaginer la fictive pension Tampon de « Mon pantalon » (Le Journal, 2 février 1896). 

P. M.


CALAIS

Calais est un port du Pas-de-Calais, peuplé de 75 000 habitants (60 000 en 1900) et situé sur la Mer du Nord, en face de la côte anglaise. Possession anglaise pendant plus de siècle, Calais a été rendu célèbre par un épisode de la guerre de Cent ans : en 1347, lors du siège de la ville par le roi d’Angleterre Édouard III, six bourgeois auraient accepté, de se sacrifier pour  que le reste des habitants ait la vie sauve et se seraient rendus, en chemise et la corde au cou, auprès du roi pour lui remettre les clefs de la ville. Selon Froissart, Édouard III les aurait graciés. C’est cet épisode qu’Auguste Rodin a immortalisé dans un monument en bronze, commandé par la municipalité de la ville et qui a été inauguré à Calais le 2 juin 1895, en l’absence des deux ministres concernés, Georges Leygues et Raymond Poincaré.

Octave Mirbeau devait accompagner son ami lors de l’inauguration. Mais un empêchement de dernière minute, l’arrivée impromptu de ses neveux Petibon, venus passer quelques jours de vacances scolaires au Clos Saint-Blaise, le retient à Carrières-sous-Poissy, comme Alice en informe Robert de Montesquiou le 6 juin. On peut cependant se demander si cette raison est vraiment recevable et s’il ne s’agirait pas plutôt d’une excuse diplomatique pour échapper à des cérémonies officielles qui ne pourraient que l’agacer. Quoi qu’il en soit, à défaut de présence physique, il fait paraître le même jour, dans Le Journal, un article intitulé «  Auguste Rodin », où il écrit notamment, à propos du monument : « Pour donner une idée de cette beauté d’art, grandie encore par une admirable vision d’histoire, il me faudrait de longues pages, car tout est à étudier, à retenir, en cette œuvre puissante, la plus belle, la plus complètement belle, de la sculpture française, et l’originale simplicité de la composition, et la vie si intense qu’elle exprime, et la majesté tragique qui l’enveloppe comme d’une atmosphère de terreur, et surtout la maîtrise d’un métier dont M. Auguste Rodin est peut-être le seul aujourd’hui à connaître les perfections les plus secrètes. Sur la place publique de la ville vaincue, affamée et sans armes, les six bourgeois ont délibéré. Pour sauver la ville de la ruine, et leurs concitoyens de la mort, ils ont fait le sacrifice de leur existence et ils vont se livrer au roi d'Angleterre. Le monument de M. Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme unanimement accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la différence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes hautaines, presque provocantes, ou se résignent noblement ; les jeunes se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le regret de cette vie à peine commencée et dont ils n'ont connu que les joies. Et derrière le groupe prêt à se mettre en marche, l'on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage et pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul souci du groupement scénique ; aucune allégorie, pas un attribut dont se servent les sculpteurs, pauvres d'idées, pour exprimer l'illusion de l'idée. Il n'y a que des attitudes, des expressions, des états d'âme. Les bourgeois partent. Et le drame vous secoue de la nuque aux talons. »  

            P. M.


CANADA

Mirbeau n’a jamais mis les pieds au Canada et ne semble pas en avoir jamais parlé dans ses écrits. Il n’y est pas pour autant totalement méconnu.

Tout d’abord, au Québec, deux de ses œuvres ont été éditées :

* Le Jardin des supplices a paru à Montréal en 1970, chez Quintal Associés, dans la collection « Éros », n° 118.

* Quant au Journal d’une femme de chambre, il a eu droit à deux éditions, à Montréal : en 1967, aux Éditions du Bélier, dans la collection « Aries », n° 110 ; puis en 1994, chez Phidal, dans la collection « Classiques français » (mais ce n’est que la reprise à l’identique de la minable version de Booking International, parue en France un an plus tôt). En 1998, le journal de Célestine a été enregistré, sur bandes magnétiques, par la Magnétothèque de Montréal, à destination des personnes souffrant d’une « déficience perceptuelle ». La même année, Bibliopolis en a tiré un CD-Rom, accessible  en ligne sur abonnement.

Mais plus importantes que les versions papier sont les éditions électroniques fournies par la Bibliothèque électronique du Québec (BeQ), qui a publié quatre romans (La Maréchale, Le Calvaire, Sébastien Roch et Le Journal d'une femme de chambre) et quatre volumes de contes, également accessibles en ligne sur Scribd et sur Calameo. Ces œuvres ainsi accessibles gratuitement reçoivent énormément de visites.

Du côté universitaire, le Canada n’est pas en reste, puisqu’on lui doit la première thèse vraiment sérieuse consacrée à Mirbeau : celle de John Walker, L'Ironie de la douleur - L'Œuvre d'Octave Mirbeau (514 pages), qui a été soutenue en 1954 à l’Université de Toronto, et qui est tout à fait remarquable. Depuis quelques années, Anna Gural-Migdal, d’Edmonton, a consacré à Mirbeau plusieurs articles et communications universitaires. Signalons encore deux mémoires dactylographiés (mais une recension plus poussée en révèlerait sans doute d’autres) : Geneviève Richards, Octave Mirbeau : un Don Quichotte romantique de l'époque naturaliste, Université de Calgary, 1971, et Hélène Trépanier, Le Mythe de Van Gogh dans la littérature, chez Octave Mirbeau, “Dans le ciel”, Antonin Artaud, “Le Suicidé de la société”, Paul Nizon, “Stolz”, Université de Laval, Québec, 1992.

Il convient enfin de signaler qu’une importante revue littéraire canadienne, les  Dalhousie French Studies, de Halifax, ont publié plusieurs articles sur Mirbeau, signés Pierre Michel, Ioanna Chatzidimitriou et surtout Robert Ziegler.

P. M.


CANNES

Cannes est une grande station balnéaire de la Côte d’Azur, située dans les Alpes-Maritimes et aujourd’hui peuplée de 71 000 habitants (30 000 en 1900). Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, elle a été mise à la mode par l’aristocratie européenne, qui y a édifié de somptueuses résidences secondaires pour y villégiaturer l’hiver, et elle a connu une croissance rapide liée au tourisme.

Mirbeau a certainement eu l’occasion de venir à Cannes dans les années 1870 et au début des années 1880, mais ces premières visites ne sont pas attestées. Pas davantage lors d’un premier séjour à Menton, en 1889 ; mais, comme il souhaitait y rencontrer Maupassant, il est plausible qu’il y soit venu en voisin. En revanche, au cours de l’hiver 1890, alors qu’il séjourne à Nice, une visite est bien documentée : il est venu à Cannes, le 2 février, pour y revoir Paul Bourget, qu’il avait vilipendé outrageusement dans un article du 11 mai 1889, et y retrouver Maupassant sur son yacht le Bel Ami, ultime rencontre dont il a fait le récit dans La 628-E8 (voir la notice Maupassant). En décembre 1900, Mirbeau a séjourné à Cannes, dans l’espoir d’y trouver un peu de chaleur et d’aider Alice à se remettre de sa neurasthénie : d’abord au Grand Hôtel, ensuite à la Villa des Anglais. Il y a travaillé d’arrache-pied à sa grande comédie Les affaires sont les affaires. Il a très certainement eu l’occasion de retrouver à Canes Thadée et Misia Natanson, qui séjournaient alors au domaine de la Croix des Gardes et y recevaient beaucoup d’amis. Thadée lui a alors fourni des informations techniques pour l’affaire de la chute d’eau évoquée dans Les Affaires. C’est à Cannes que Mirbeau situe son « Paysage de foule », qui paraît, pendant son séjour sur la Côte d’Azur, dans Le Journal du 30 décembre 1900. Au bout de quelques semaines, les Mirbeau ont quitté Cannes pour Nice, dans le courant du mois de janvier 1901.

P. M.

 


Carrières-sous-Poissy

 

Se sentant trop éloigné de Paris lorsqu’il habite Les Damps, près de Pont-de-l’Arche dans l’Eure, Octave Mirbeau décide de s’installer à Carrières-sous-Poissy, dans une propriété située à quelque cinq cents mètres de la route Paris-Rouen. Il est ainsi à 25 km de Paris et il peut également, à environ 2 km, prendre le train en gare de Poissy.

Carrières-sous-Poissy, ville de près de 15 000 habitants aujourd’hui, n’est, en 1893, lorsque Mirbeau s’y installe, qu’un village d’environ 700 habitants. Bâtie sur le flanc du coteau qui domine la rive droite de la Seine, la ville doit son nom aux carrières d’où l’on extrait des moellons de pierre tendre. Par contre elle ne mérite guère son qualificatif de « sous », puisque plus élevée en altitude (un modeste 40 m.) que le centre de Poissy. Imméritée également l’idée de dépendance que ce qualificatif peut impliquer car,  jusqu'au début du XIXe siècle, alors que Poissy dépendait du diocèse de Chartes, Carrières, qui dépendait du diocèse de Rouen, était rattachée à la paroisse de Triel-sur-Seine où Octave Mirbeau s’installera plus tard.

Avant qu’une église ne soit construite à Carrières avec son desservant, c’est-à-dire jusqu'au XVIIIe siècle, toutes les formalités religieuses et civiles devaient se faire à Triel. Le chemin le plus direct pour y parvenir, et que Mirbeau a peut être parcouru, s’appelait jusqu’à une époque récente, Chemin des trépassés.

Sur les pentes et dans les lieux bien exposés on cultive la vigne, comme l’atteste le nom de la ville voisine, Chanteloup-les-Vignes, mais sur la plaine ce sont surtout des cultures maraîchères, qui vont peu à peu devenir primordiales dans l’économie du village. En effet, en 1894, dans le cadre de l’assainissement  du département de la Seine, on décide l’épandage des eaux d’égouts dans cette région que le sol sableux  pourra assainir, tout en permettant l’irrigation des cultures.

Sa maison construite au sommet du coteau et tournant le dos à la plaine, Mirbeau n’a pas eu à souffrir des odeurs peu agréables de ces champs d’épandage. Des ses balcons du premier ou du second étage il préférait sans doute admirer le vaste panorama qu’il avait à ses pieds. D’abord la route de Rouen,  qui venant de Poissy, avait traversé la Seine sur un pont (détruit en partie en 1940), dont on fait remonter la construction à l’époque de Saint Louis. Au-delà, un quartier dépendant de Carrières, que l’on appelle aujourd’hui encore «  Les Grésillons » ou «  Saint Louis », une légende locale y faisant accoucher Blanche de Castille, qui aurait fuit le tintamarre des cloches de Poissy. Peut-être y  a-t-il vu galoper des chevaux sur le champ de courses que M. Lemercier venait  d’y aménager et qui sera plus tard la propriété de William-Kissam Vanderbilt. Plus loin encore il pouvait, entre les frondaisons des arbres  bordant la Seine, deviner Villennes et Médan où habitaient ses amis Émile Zola et Maurice Maeterlinck.

Mais c’est peut-être plus près qu’il regarde, sur ce coteau en pente douce qui descend jusqu’à la route, car c’est là qu’est son jardin, un jardin qui est une source d’émerveillement pour tous ses visiteurs. Pour le journaliste Jean Lorrain, qui vint avec Mme Duval déjeuner chez Mirbeau le 31 mai 1896. Pour Mallarmé, auquel, après avoir visité le jardin, Mirbeau offrit du stout. En buvant cette bière anglaise Mallarmé, euphorique, s’écria : « Ah, on sent que cela vient directement d’Angleterre ! » Cela venait de chez Potin, mais Mirbeau, souriant, se garda bien de le détromper.

Est-ce pour l’installation de ce jardin qu’il a connu des déboire ? Léon Werth dans l’introduction qu’il écrit pour Les 21 jours d’un neurasthénique dans l’édition des Belles Lectures de 1954, cite une lettre que Mirbeau adresse à Claude Monet et dans laquelle il se lamente sur l’état de son jardin. Il en accuse l’ancien propriétaire : « Cet homme a trop détesté les fleurs…Elles se vengent aujourd’hui en ne poussant plus du tout. » Comme cette lettre a été écrite, d’après Léon Werth, après 1890, c’est peut-être l’installation de son jardin à Carrières qui fut difficile.

Mirbeau quitta Carrières en 1898, la maison changea sans doute plusieurs fois de propriétaires, mais on la retrouve occupée dès avant la guerre de 39-45 par une communauté protestante. Le pasteur de Poissy, Freddy Durlemann, fonda en 1920 un mouvement d’évangélisation appelé “La Cause”, avec un service de solidarité, mais surtout une aide pour les mal-voyants, avec bibliothèque sonore et Braille. C’est sous ce nom de “La Cause” que les habitants de Carrières désignèrent alors l’ancienne demeure d’Octave Mirbeau. Cela jusqu’en 1983, lorsque la maison fut mise en vente et que la municipalité exerça son droit de préemption pour l’acquérir. “La Cause” resta à Carrières, mais s’installa dans un lieu mieux adapté ; la maison fut détruite et remplacée par l’Hôtel de Ville actuel, l’ancienne mairie ne correspondant plus aux besoins d’une ville de plus en plus peuplée. Le jardin de Mirbeau, avec ses arbres maintenant centenaires et des pelouses qui remplacent les massifs de fleurs, s’appelle aujourd’hui Square Freddy Durlemann.

Près de l’Hôtel de Ville, où les pavillons d’habitation se sont multipliés, passe la rue Octave Mirbeau. C’est aussi le nom que porte la modeste bibliothèque, autrefois Blanche de Castille. Enfin, remplaçant des champs d’épandage de naguère, les rues de tout un quartier portent les noms de Claude Monet, de Pissarro et d’autres peintres impressionnistes !

Octave Mirbeau aurait aimé !

P. C.


CATALOGNE

La Catalogne est une région industrielle qui a connu un rapide développement du syndicalisme ouvrier et qui a été profondément marquée par les aspirations républicaines et par la lutte contre le cléricalisme. Le mouvement libertaire catalan a été très actif et influent et a été réprimé dans le sang à la fin du XIXe siècle (Mirbeau évoque cette répression sanglante dans Les Mauvais bergers, 1897). Aussi la Catalogne a-t-elle été pour lui une terre relativement accueillante. Nombreux en effet ont été les groupes de théâtre, amateurs ou professionnels, à avoir utilisé les pièces de Mirbeau pour leur agit-prop, depuis le début du vingtième siècle jusqu’à la victoire du franquisme. Chose curieuse, c’est presque exclusivement le théâtre qui a donné lieu à des traductions ou adaptations en catalan.

Nous n’avons pas trouvé de traces de représentations de Les affaires sont les affaires (Els negocis són negocis), ni du Foyer, mais il n’est pas sûr pour autant qu’il n’y en ait point eu. En revanche, Les Mauvais bergers (Els Mals pastors), a bien été traduit (par Felip Cortiella, voir la notice) : la pièce a paru d’abord en feuilleton dans La Revista blanca (du° 63, 1er février 1901, pp. 467-474, au n° 72, 15 juin 1901, pp. 735-755), avant d’être publiée en volume à Barcelone, aux éditions de « l’Avenç ». La première représentation a été donnée le 5 janvier 1901, au théâtre Lope de Vega de Barcelone, par un « groupe dramatique d’ouvriers enthousiastes » et a été suivie de beaucoup d’autres à travers la Catalogne. LÉpidémie (L’Epidèmia) a également été traduit (par Virgili Ambròs), et a été représenté en Catalogne pendant la guerre civile, par le théâtre de l'armée républicaine ; mais il ne semble pas y avoir eu de publication en volume. Scrupules (Escrúpols), traduit par Carles Costa – également traducteur de la pièce en espagnol – a paru en 1909 à Barcelone, chez Teatro Mundial.  Enfin Le Portefeuille (La Cartera) a paru en 1910, toujours à Barcelone, chez Vda. de J. Cunill, dans la collection « Biblioteca teatralia » et dans une traduction de Carles Costa, qui a aussi traduit la pièce en castillan ; la première représentation a eu lieu au Teatro Romea, à Barcelone, le 3 mars 1910, sous la direction d’Adrià Gual. Une nouvelle édition a paru en 1937, à la Llibreria Millá, dans la collection « Catalunya teatral », couplée avec  El Secrét, de Ramón Sender. Le seul roman de Mirbeau qui ait été acclimaté en catalan est Le Journal d’une femme de chambre (Diari d'una cambrera). Seulement il ne s’agit pas d’une traduction, mais d’une adaptation théâtrale. Elle n’a pas été publiée en volume : le texte, tapuscrit, œuvre d’Angels Bassas, Antonio Simón Rodriguez et Santiago Sans, a simplement servi aux représentations données par Angels Bassas en 1993-1994.  

Aux traductions catalanes stricto sensu il convient d’ajouter nombre de traductions en espagnol, publiées à Barcelone chez des éditeurs catalans : El Calvario, par les Publicaciones Mundial, dans la « Biblioteca social » (19 ?) ; El Jardín de los suplicios, par la Casa Editorial Maucci (1900) et par Libros y Publicaciones Periódicas, collection « La sonrisa vertical » n° 36 (1984) ; Memorias de una doncella par la Casa Editorial Maucci (1901) ; Diario de una camarera, par l’Editorial Bruguera, collection  « Libro amigo » (1974) ; Los Malos pastores, par les Ediciones económicas Avenir (1903) et par la Casa editorial Maucci, collection « Teatro mundial » (1904) ; La Epidemia, également par les Ediciones económicas Avenir (1904) et par l’Imprenta « Germinal », Biblioteca de Tierra y Libertad (1917) ; et En el cielo, par les Ediciones Barataria, collection « Bárbaros » (2006). Mais le plus étonnant est la publication, toujours à Barcelone, de deux recueils de textes de Mirbeau d’inspiration libertaire et majoritairement non recueillis en volume en français à cette époque : El Alma rusa, par Alfredo M. Roglan, dans la collection « Biblioteca popular Progreso » (1921), et  La Guerra, par l’Editorial Moderna, dans la collection « Inquietud » (1922). Ajoutons encore que c’est un écrivain catalan, Luis Maria Todó, qui a récemment traduit en espagnol Les Mémoires de mon ami, sous le titre curieux de Memoria de Georges el amargado (Impedimenta, 2009), et Le Jardin des supplices (Impedimenta, 2010).

Pour ce qui est de la réception de Mirbeau en Catalogne, l’étude reste à faire. Signalons seulement Interpretacions i motius (1919), de l’écrivain anarchiste et pacifiste Alfons Maseras i Galtes, qui  consacre un dithyrambique chapitre à Mirbeau, dont il loue le stoïcisme et qu'il compare aux prophètes de la Bible.


P. M.


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