Familles, amis et connaissances

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Terme
MIRBEAU, louis amable (grand-père)

Mirbeau, Louis Amable (1773 – 1848), grand-père d’Octave Mirbeau, issu d’une double lignée de notables ruraux établis à Moutiers, bourg situé dans le Perche ornais. Son ascendance paternelle comprend des marchands, dont un grand-père épicier-étapier (fournisseur contractuel du gîte et du couvert à des troupes royales assez souvent de passage). Du côté de sa mère, il descend d’hommes de loi conjuguant les fonctions de greffier, procureur fiscal et notaire, voués pour l’essentiel à la défense des intérêts temporels de l’évêché de Blois dont dépendent la paroisse et un prieuré établi à Moutiers. Loin de ruiner les positions de la famille et malgré la perte collatérale d’un beau-frère de Louis Amable guillotiné à Paris, la Révolution et le Consulat apporteront aux Mirbeau et à leur parentèle un nouvel essor social, la suppression du poste de procureur fiscal étant plus que compensée par l’accès à de nouvelles fonctions de maire et de juge de paix dans les quatre principales communes du canton (Moutiers, Condé-sur-Huisne, Bretoncelles et le chef-lieu Rémalard).

C’est dans la voie tracée par cet ascenseur social et politique que s’inscrit la carrière de Louis Amable Mirbeau (à ne pas confondre avec l’un de ses fils, l’abbé Louis Amable Mirbeau, faisant l’objet de l’entrée suivante). Nommé dès 1800 adjoint au maire de Moutiers qui n’est autre que son beau-père, il devient en 1808 notaire à Condé-sur-Huisne, commune dont il est à son tour nommé maire en 1812. Il gravit trois ans plus tard un nouvel échelon en obtenant la succession d’un confrère notaire établi dans la commune de Rémalard, chef-lieu du canton dont il devient en même temps maire à la faveur de la redistribution des cartes consécutive à la Restauration.

            Il connaît ensuite quinze ans de zénith, jusqu’à l’avènement du roi Louis-Philippe, à la suite de quoi il est contraint à l’abandon de son fauteuil de maire dès le mois de mars 1830, puis de son étude notariale l’année suivante. Il redevient toutefois un peu plus tard conseiller municipal par la grâce d’une élection au suffrage censitaire, et va se singulariser dans cette fonction par une série de polémiques très vives l’opposant à son successeur au poste de maire, un médecin du nom de Pierre Louis Deshayes, qui s’est mis en tête de transformer en champ de foire municipal un « clos complanté de quatre-vingt-six arbres fruitiers » lui appartenant. Il bombarde cet heureux rival de libelles, l’accusant de « passer sa vie au cabaret », occupation révélatrice de « l’oubli de toute dignité » d’un homme « qui exerce la profession de médecin et qui est honoré des fonctions de maire ». « On l’a vu dans ses orgies, ajoute-t-il,  monter sur la table et chanter des chansons qui excitaient de bruyants rires. » Il charge ensuite la barque en lui attribuant des dénonciations à l’autorité prussienne lors de l’Occupation de 1815 et, grief peut-être encore plus corrosif, en l’accusant de malversations lors de l’établissement d’un système d’adduction d’eau (dont il reste de nos jours l’étage inférieur d’une citerne aménagé en vespasienne municipale…)

Ces quelques éléments biographiques paraissent très révélateurs de deux ou trois traits marquants de la personnalité et des inclinations de Louis Amable Mirbeau. Ses nominations (décidées à cette époque par le pouvoir politique) aux postes de maire et de notaire à Rémalard en 1815 sont, selon toute vraisemblance, attribuables à une image de notable légitimiste attaché à la monarchie incarnée par le roi Louis XVIII. La déchéance brutale qui fait suite à la Révolution de 1830 en apporte la confirmation. Plusieurs autres faits contribuent à donner à notre homme la stature d’un honnête représentant de la bourgeoisie rurale attachée à la religion et aux valeurs traditionnelles. Sur ses douze enfants (issus de deux mariages, le second étant intervenu après la mort de la première épouse), deux, Louis Joseph et Louis Amable « junior » sont entrés en religion après avoir suivi des études appropriées, et l’une des filles issues de la seconde union s’est vu attribuer lors de sa naissance en 1822 le prénom chargé de mémoire de Marie-Antoinette (choix ayant, certes, incombé aux parrain et marraine de l’enfant comme cela était d’usage à l’époque, mais ces derniers avaient eux-mêmes été, bien sûr, choisis par les parents…).

Il reste tout de même au moins deux mystères.

L’un est l’adornement de tous les majestueux paraphes laissés par Louis Amable sur le registre d’état civil de Rémalard par trois points soigneusement disposés en triangle. Alors, franc-maçon, Monsieur le maire ?  On le croirait bien volontiers si la loge alençonnaise de La Fidélité, détentrice d’importantes archives, avait gardé une trace quelconque d’un frère répondant au nom de Louis Amable Mirbeau. Mais ce n’est pas le cas, et d’ailleurs l’usage des « trois points » ne constituait pas à cette époque une marque décisive d’appartenance à la franc-maçonnerie. Et quand bien même notre homme y aurait adhéré, cela n’impliquerait pas qu’il ait fait partie des « esprits forts ». Parmi ses contemporains, La Fayette, Louis XVI, Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe et bien d’autres personnages fort peu subersifs furent francs-maçons, ce qui était surtout la marque d’un attachement aux valeurs d’une modernité de bon aloi. Ce n’est qu’en 1877 que le Grand Orient de France mettra le feu à ses rapports avec l’église catholique et ses partisans en répudiant toute référence au Grand Architecte de l’Univers, c’est-à-dire à l’existence de Dieu.

Le second sujet d’étonnement apporté par les recherches sur le destin de Louis Amable Mirbeau est lié à ses obsèques. Le registre d’état civil de Rémalard mentionne son décès à la date du 23 juillet 1848, à l’âge donc de soixante-quinze ans. Mais le registre de la paroisse ne contient aucune indication de quelconques obsèques. La famille ou lui-même avant de mourir auraient-ils exprimé une volonté arrêtée de ne procéder qu’à un enterrement civil ? Ce serait bien étonnant, vu tout ce qui précède. Le mystère est d’autant plus grand qu’il s’y ajoute un élément troublant : la page du registre paroissial où aurait dû figurer le compte rendu des obsèques n’a pas été occupée par d’autres écrits, elle est restée, elle est toujours… vierge. Comme si le curé, pressé par d’autres tâches plus urgentes, l’avait provisoirement sautée en se réservant de la remplir ultérieurement, ce qui est bien peu vraisemblable et n’a surtout jamais été fait.

On ne saurait conclure ce résumé de la vie d’un personnage haut en couleur sans mettre l’accent sur un tempérament de bretteur que l’on se sent irrésistiblement tenté de rapprocher de celui de son petit-fils. On aimerait pouvoir écrire qu’Octave en fut témoin et s’inspira plus tard du récit des lances rompues par son grand-père lors de sa polémique avec son successeur à la mairie de Rémalard quand vint pour lui le temps de porter le fer de sa plume contre des jésuites, des généraux et autres antidreyfuysards. Hélas ! Il n’était âgé que de quatre mois et une semaine quand Louis Amable rendit l’âme. C’est trop tôt pour avoir pu conserver le moindre souvenir de ces affrontements. Mais on ignore tout du sort des archives de ce grand-père de choc, en particulier de ses fameux libelles qui ne sont pas tous parvenus jusqu’à nous. Bien que rien n’autorise à donner foi à une telle supposition, on ne commettrait pas une invraisemblance majeure en imaginant un Octave adolescent déchiffrant dans une soupente de la maison familiale les reproches implacables de son grand-père au médecin Deshayes. Ce serait d’autant plus plaisant que ce dernier allait un jour avoir pour petit-fils un nommé Alfred Bansard des Bois, futur député après avoir été grandissime camarade de jeunesse d’Octave qui lui écrivit de très précieuses lettres mises au jour et publiées, elles, en 1989 par Pierre Michel.

 

M.C.

 


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