Familles, amis et connaissances

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Terme
MIRBEAU, louis amable (oncle)

Mirbeau, Louis Amable (1813 – 1867), un des oncles paternels d’Octave Mirbeau. Il fut à l’évidence un prêtre – et un être –  assez original, dont la vie, la personnalité et les secrets ont fourni des sources d’inspiration majeures à son neveu quand celui-ci a entrepris, vingt ans après sa mort, la rédaction du roman L’Abbé Jules. 

L’histoire personnelle de ce Louis Amable « junior » a été entourée d’assez épais mystères jusqu’à ce que des recherches accomplies au tournant des années 2000 aux Archives départementales de l’Orne, ainsi qu’à celles des diocèses de Sées et de Paris, aux Archives nationales et dans les registres paroissiaux de Rémalard permettent d’y voir plus clair et surtout de discerner le lien existant entre son destin personnel et celui prêté par son neveu au personnage-titre de son roman.

Louis Amable Mirbeau naît à Condé-sur-Huisne, l’un des bourgs situés dans le canton de Rémalard, à l’époque où son père occupe à la fois les fonctions de maire et de notaire de cette localité du Perche ornais. Il est le cinquième des douze enfants de Louis Amable « senior », le deuxième issu du remariage de ce dernier célébré après la mort de sa première épouse. Détail non négligeable, il a un demi-frère issu de la première union, Louis Joseph, qui a dix ans de plus que lui et le précédera dans la voie d’un sacerdoce parisien.

Louis Joseph est en effet déjà intégré dans la petite communauté des Pères de la Miséricorde établie dans la capitale alors que Louis Amable poursuit des études à Paris – peut-être au séminaire de Saint-Sulpice qui s’est fait une spécialité de l’accueil des jeunes provinciaux avides de belles carrières ecclésiastiques sur les bords de la Seine. Le jeune homme recevra à deux reprises des autorisations spéciales de l’archevêque de Paris pour aller recevoir des mains de l’évêque du diocèse ornais de Sées les ordres mineurs en 1835 puis les ordres majeurs en 1837. Selon le registre des ordinations du diocèse de Sées, il déclare en accédant à la prêtrise qu’il va vivre à Paris « chez les Pères de la Miséricorde », c’est-à-dire auprès de son demi-frère Louis Joseph qui deviendra plus tard, de 1847 à 1852, secrétaire général de cette petite congrégation émettrice de quelques relents que l’on qualifierait aujourd’hui, mutadis mutandis, de passablement intégristes.

Plusieurs documents conservés aux Archives Nationales nous montrent ensuite l’abbé Louis Amable titulaire de postes d’enseignant ou de préfet des études dans divers établissements parisiens, dont le collège Stanislas qui a longtemps entretenu des liens étroits avec les Pères de la Miséricorde. Puis il devient en 1845 « répétiteur » au sein d’une pension religieuse établie dans une dépendance de l’ancien couvent des Feuillantines, lieu célébré en d’autres temps par Victor Hugo. C’est l’occasion pour lui de sortir de l’ère des « petits boulots » pour tenter une percée dans le « business » de l’enseignement religieux : il achète au bout de quelques semaines en son nom, mais de fait avec deux associés, cette pension des Feuillantines à l’abbé qui en était jusque là propriétaire. Un petit problème se pose alors à lui, car il n’est pas titulaire du baccalauréat, minimum exigé pour se voir reconnaître la qualité de maître de pension par l’administration. Qu’à cela ne tienne, il passe avec succès l’examen et obtient à l’âge de trente-trois ans le titre de « bachelier ès lettres ».

Que se passe-t-il ensuite ? Au début,  son Institution Notre-Dame des Feuillantines a vraiment belle allure telle qu’elle est présentée dans un article assez ronflant publié par Louis Amable le 4 décembre 1847 dans le journal L’Ami de Religion afin d’en assurer la promotion. Mais il est très vite conduit à porter plainte en justice, avec ses associés, contre un promoteur immobilier qui propose un placement mirobolant en donnant à croire que la pension va bientôt être « traversée par une rue ».

Y a-t-il un rapport quelconque entre cette chicaya et une décision de l’autorité ecclésiastique qui a pour effet de renvoyer brutalement Louis Amable à Rémalard où il n’a pas d’autre issue que de s’établir en qualité de « prêtre habitué », c’est-à-dire dépourvu de toute responsabilité paroissiale ? On ne le saura sans doute jamais. Toujours est-il que l’abbé ne jouera qu’à peine les utilités en son pays quand il y est de retour : dix-huit baptêmes administrés en seize ans (de 1849 à 1865), c’est tout ce que le registre paroissial mentionne à son actif. Encore ne s’agit-il, mis à part trois petits neveux, que d’enfants de familles très modestes, alors que l’air du temps réserve les sacrements des enfants de « bonnes familles » aux prêtres entourés de la considération bourgeoise.

Tout cela a un violent parfum de disgrâce. Elle s’exprime manifestement le 28 mars 1867 par un luxe de non-dits dans le registre paroissial lors des obsèques de l’abbé. Alors que le ban et l’arrière ban des prêtres du canton, doyen en tête, avaient coutume de conduire en grande pompe les cérémonies concernant des membres de la famille Mirbeau et que le registre paroissial s’en faisait l’écho, ce document exécute cette fois si l’on ose dire l’abbé Louis Amable en deux misérables petites lignes : « Par nous vicaire soussigné a été inhumé le corps de M. l’abbé Mirbeau, prêtre habitué, décédé hier à l’âge de 54 ans. Guibey, vic. »

Un simple vicaire pour enterrer le fils d’un ancien maire, frère d’un maire adjoint en fonction (Ladislas François, père d’Octave), membre d’une famille très honorablement connue et respectée, cela sans la moindre mention de sacrements religieux, voilà qui interpelle ! 

Faut-il pour autant prêter à l’abbé Louis Amable toutes les turpitudes attribuées par Octave Mirbeau à son Abbé Jules ? Sûrement pas. S’il est vrai que de sérieux doutes planent sur les causes du retour au pays de l’un dans la réalité comme de l’autre dans le pays après un long séjour à Paris, il paraît plus qu’improbable que l’abbé Louis Amable ait proclamé en chaire à Rémalard au cours de sa toute première messe qu’il avait « forniqué » comme le fait l’abbé Jules dans le roman. De même, la lecture du testament de l’abbé conservé aux archives départementales de l’Orne montre bien que son neveu a laissé libre cours à son imagination en faisant écrire à son personnage qu’il lègue ses biens « au premier prêtre du diocèse qui se défroquera ». Il n’est pas question de cela dans les dernières volontés de Louis Amable.

Il y a tout de même dans le testament de ce dernier deux dispositions dont son neveu s’est à l’évidence inspiré. L’une concerne le sort de la bibliothèque du testateur. L’abbé Louis Amable a le souci d’éviter toute indiscrétion sur son contenu puisqu’il stipule que sa bibliothèque devra être « vendue en bloc et tout entière à un libraire étranger à la localité et de Paris s’il est possible ». L’abbé Jules du roman fera lui aussi un sort particulier à sa bibliothèque en la léguant à un ami que l’on peut supposer discret.

Plus frappante encore est la similitude du sort réservé à une mystérieuse malle dans le testament de l’abbé Louis Amable puis dans celui de l’abbé Jules.

« On trouvera dans ma succession, écrit l’oncle d’Octave, une malle couverte en cuir noir. J’entends qu’elle ne soit ouverte par mon exécuteur testamentaire qu’en présence de Monsieur le curé de Regmalard et du notaire dépositaire de mon présent testament pour que tous les papiers qu’elle contient soient immédiatement brûlés sans que personne en ait pris connaissance, ce qui ne pourrait se faire qu’en violant ma volonté expresse. »

Cet épisode donne dans le testament de l’abbé Jules la mention d’une malle « très vieille, peinte en noir, et dont le couvercle est garni de bandes de peau de truie » que l’auteur du testament ordonne de brûler le quatrième jour qui suivra sa mort. Et naturellement, quand cette décision fut mise à exécution,  écrit Octave, « la malle s’alluma, glissant, s’affaissant dans le brasier. Les côtés, vermoulus et très vieux, s’écartèrent, s’ouvrirent brusquement ; un flot de papiers, de gravures étranges, de dessins monstrueux s’échappèrent, et nous vîmes, tordus par la flamme, d’énormes croupes de femmes, des images phalliques, des nudités prodigieuses, des seins, des ventres, des jambes en l’air, des cuisses enlacées, tout un fouillis de corps emmêlés, de ruts sataniques, de pédérasties extravagantes, auxquels le feu, qui les recroquevillait, donnait des mouvements extraordinaires ».

Rien ne permet, hélas !, de savoir si la volonté exprimée par Louis Amable connut un aussi scandaleux épilogue. Mais il y a quelques raisons plausibles de prêter à cet abbé une imagination passablement turpide (torride ?) par rapport aux conventions ayant court à l’époque ainsi qu’un désir bien compréhensible de la dissimuler. C’est à l’évidence l’un des traits de son caractère qui ont intéressé son neveu. Il est difficile de savoir si Octave a par ailleurs beaucoup extrapolé en prêtant en prime à son abbé Jules un esprit contestataire et un anticonformisme à tous crins.

 

M.C.


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