Thèmes et interprétations

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Terme
AUTBIOGRAPHIE

AUTOBIOGRAPHIE

 

         Dans une autobiographie, l’auteur, le narrateur et le personnage du récit ne sont qu’une seule et même personne, et les événements rapportés sont supposés avoir réellement eu lieu, par opposition au roman, qui affiche d’emblée son caractère fictionnel. Philippe Lejeune la définit comme un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » En ce qui le concerne, Mirbeau est précisément doté d’une très forte « personnalité » et il se projette totalement dans son œuvre. Son style, qui n’est autre, selon lui, que « l’affirmation de la personnalité », est donc aussi reconnaissable que celui d’un Van Gogh, dont il écrivait, en 1891 : « Il ne pouvait pas oublier sa personnalité, ni la contenir devant n’importe quel spectacle et n’importe quel rêve extérieur. Elle débordait de lui en illuminations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait, tout ce qu’il sentait » (L'Écho de Paris, 31 mars 1891). Et pourtant, paradoxalement,  il n’a rédigé aucune autobiographie et n’en a même laissé aucun fragment manuscrit. Mais cela n’empêche pas nombre de commentateurs de qualifier d’autobiographique ses trois premiers romans officiels, Le Calvaire (1886), L’Abbé Jules (1888) et Sébastien Roch (1890).

 

Romans autobiographiques

 

            Si l’on s’en tient à la définition de Lejeune et aux conditions qu’elle comporte, il semble envisageable de faire entrer Le Calvaire et Sébastien Roch – mais non L’Abbé Jules – dans la catégorie de l’autobiographie : ce sont tous deux des récits rétrospectifs de formation, centrés autour de « la vie individuelle » des personnages et rédigés longtemps après les faits rapportés (dix ans dans l’un, vingt ans dans l’autre, séparent la publication des événements rapportés à la fin du récit). Une différence est cependant à noter : dans Le Calvaire, le récit est de la main même du héros alors que, dans  Sébastien Roch, en dehors des extraits du journal du personnage éponyme, le récit, à la troisième personne, est l’œuvre d’un narrateur inconnu. Mais cette  exception à la règle ne suffit pas, d’après Philippe Lejeune, à lui dénier le qualificatif d’autobiographique, car, après tout, un auteur peut bien se cacher derrière un pseudonyme. Ce qui, en revanche, pose problème, c’est la « personne réelle » dont la vie est racontée rétrospectivement. Car Jean Mintié et Sébastien Roch sont des personnages fictifs, ce qui devrait, en principe, interdire de qualifier le récit de leurs vies d’autobiographie, à moins de supposer que le romancier a préféré n’avancer que masqué. Nombre de critiques de l’époque, mal intentionnés pour la plupart, se sont d’ailleurs empressés d’identifier Mintié à Mirbeau et d’attribuer à l’auteur les vilenies du personnage... Conception évidemment réductrice et malhonnête, qui fait fi de la création littéraire.

            Reste que nombre des événements rapportés dans les deux romans sont bel et bien advenus à Mirbeau, autant qu’on puisse en juger par sa correspondance. Mieux encore : à en croire ses confidences à Paul Bourget, il aurait même, dans Le Calvaire, retranscrit « telle quelle », sans aucun de ces « arrangements » téléologiques propres aux romans, la douleur de son propre « calvaire », dont le récit relèverait alors bel et bien de l’autobiographie. En réalité, il est clair, comme l’attestent ses lettres, que son roman a été longuement élaboré, remis sur le métier et abondamment travaillé, pendant plus de dix-sept mois, et qu’il répond à des intentions littéraires avouées : le dépassement du naturalisme zolien, à la lumière de la révélation d’Edgar Poe, de Tolstoï et de Dostoïevski.  Ce n’est en aucune façon une simple transcription du vécu. Quant à Sébastien Roch, ce n’est aussi qu’un roman autobiographique, et non une autobiographie stricto sensu, bien que la tentation soit forte de voir, dans l’émouvant récit du « meurtre d’une âme d’enfant » et du viol de son corps par un “père” jésuite infâme, le souvenir d’un traumatisme de l’adolescence du romancier, scandaleusement chassé lui aussi du collège de Vannes à la veille des vacances scolaires de 1863. Même si, dans la vie du jeune Octave, se sont produits des faits comparables à ceux du roman, il est clair qu’ils ont été triturés et retravaillés et qu’une décantation s’est produite au cours du quart de siècle qui a suivi.

            Même si Mirbeau s’y met en scène en tant que personnage, on ne trouve pas davantage d’autobiographie dans ses deux dernières fictions, La 628-E8 (1907) et Dingo (1913), qui s’apparentent davantage à l’autofiction (voir cette notice).

 

Pourquoi Mirbeau n’a-t-il pas écrit d’autobiographie ?

 

            Première explication concevable : Mirbeau ne croit ni à l’unité mythique du moi, ni à la possibilité de la connaissance du psychisme humain. Pour lui, l’homme, loin d’être un animal raisonnable, est tiraillé à hue et à dia par des postulations simultanées, il est en proie à une « bousculade folle d’incohérences, de contradictions, de vertus funestes, de mensonges sincères, de vices ingénus, de sentimentalités naïves », qui le rendent « si douloureux et si comique... et si fraternel », de sorte que de vouloir appliquer de la « mesure » et de la « logique » à ce qui n’est que « folie » fait de « l’art latin » un art « incomplet, quand il n’est pas faux », comme Mirbeau l’écrit à Tolstoï en 1903. Or l’autobiographie est précisément un récit rétrospectif qui donne a posteriori à la vie du narrateur une cohérence qu’elle ne pouvait avoir. En s’y refusant, et en préférant mettre en lumière le magma de ses propres contradictions dans des œuvres d’autofiction, Mirbeau-romancier est conscient de l’impossibilité de l’autoanalyse et  s’inscrit donc dans la continuité des grands Russes.

            Deuxième hypothèse : Mirbeau, chantre de l’impressionnisme, de Van Gogh et de Rodin, sait pertinemment que l’objectivité est impossible et que ce qu’on appelle la “réalité” n’est jamais réfractée qu’« à travers un tempérament créateur ». Ce n’est donc qu’une représentation, ou, dans une œuvre d’art, l’expression esthétique d’une émotion. D’où le choix, dans presque tous ses romans, de la première personne, qui permet d’exprimer la représentation du monde que se fait le narrateur-protagoniste fictif. Mais, ne croyant pas à “une” vérité objective, il n’entend pas pour autant offrir au lecteur la moindre garantie de véridicité, comme l’illustre par exemple Le Journal d’une femme de chambre, où rien ne vient confirmer la conviction purement subjective de Célestine que Joseph est l’assassin et le violeur de la petite Claire. Dans une autobiographie, au contraire, selon Philippe Lejeune, l’auteur a pour objectif « la ressemblance au vrai » et prétend donner  « l’image du réel ». Comme, pour Mirbeau, toute prétention au réalisme témoigne d’une présomption naïve, il n’était pas concevable de tomber dans le piège en nous faisant croire à un récit fidèle de sa propre vie. 

            Troisième hypothèse, complémentaire des deux précédentes : en prêtant d’étranges faiblesses à des personnages de fiction qui donnent pourtant l’impression de lui ressembler comme des frères (Jean Mintié, Sébastien Roch), ou en se peignant à contre-emploi sous son propre nom, comme dans Dingo, Mirbeau prend des distances avec lui-même, invite le lecteur à ne pas surestimer son autorité d’écrivain mondialement célèbre ; et même, au-delà de la sienne, c’est toute autorité que le romancier libertaire remet en cause. En se chargeant lui-même, que ce soit sous son propre nom, dans le cadre d’autofictions, ou à travers le masque de personnages fictifs, dans des romans autobiographiques, Mirbeau se sert de l’écriture comme d’un moyen de rendre sensible la fondamentale ambivalence de toutes choses, y compris de lui-même, au lieu de n’en donner qu’une vision unilatérale, mutilante et mensongère. Sa visée est donc pédagogique et politique et participe d’une volonté émancipatrice, qui implique de détruire toute autorité, à commencer par celle de l’écrivain, qui, pas plus que les politiciens honnis, ne saurait être a priori un bon berger.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Mirbeau et l’autofiction », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001, pp. 121-134 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et l’autobiographie », Revue des Lettres et de Traduction, Université Saint-Esprit, Kaslik (Liban), n° 7, mars 2001, pp. 435-445 ; Patrick et Roman Wald Lasowki, « Ecce homo », préface des Romans autobiographiques, Mercure de France, collection « Mille pages », 1991, pp. I-XXVIII.

 


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