Thèmes et interprétations

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Terme
DEMYSTIFICATION

DÉMYSTIFICATION

 

            Démystifier, c’est détruire une mystification, c’est-à-dire une manipulation, une tromperie volontaire. C’est donc procéder à une rectification des erreurs et mensonges en tous genres que le bon peuple, par la force de l’habitude et par la grâce de la respectabilité dont se targuent les dominants, a fini par prendre pour des vérités incontestables. Si Mirbeau peut être considéré comme le grand démystificateur, c’est parce qu’il a entrepris très tôt de dessiller les yeux de ses lecteurs, de leur révéler les dessous de la société et de l'homme dans leur hideuse nudité, d’arracher les masques trompeurs dont les nantis voilent leurs turpitudes, bref de nous obliger « à regarder Méduse en face », lors même que nous préférerions le confort douillet de nos certitudes. Et c’est précisément parce  qu’il s’est  scandalisé de tout ce qui choquait ses exigences éthiques qu’il est devenu lui-même scandaleux et qu’on a tenté de le décrédibiliser, de le discréditer et de souiller sa mémoire, afin que son message subversif ne puisse plus avoir d’effets déstabilisateurs pour l’ordre bourgeois qu’il rêvait de jeter à bas. Considérant en effet que, dans la société bourgeoise de son temps, tout est organisé pour écraser l'individu et pour « tuer l'homme dans l'homme » en vue d'en faire « une croupissante larve » exploitable et corvéable à merci, il a entrepris de s'attaquer, tel Don Quichotte, à tous ces géants que sont les institutions oppressives et aliénantes (voir la notice Anarchisme).

            Pour autant Mirbeau ne se prend nullement pour un prophète ou, comme dit Bernard Lazare, un « porteur de torches » destinées à illuminer le monde. Loin d’opposer aux certitudes erronées de la majorité silencieuse des certitudes alternatives, il ne cesse de douter de tout, à commencer par lui-même, et d’être déchiré en permanence par de multiples contradictions, qu’il assume publiquement. Étant bien en peine de savoir lui-même où sont le Vrai, le Juste et le Beau, auxquels il aspire passionnément, tout en sachant pertinemment qu’il ne les dénichera pas dans le ciel des Idées platoniciennes, il n’a garde d’élever au rang de vérités incontournables ses propres jugements, dont il n’ignore pas le côté subjectif : il se contente, plus modestement, d’essayer de démonter les préjugés mensongers inculqués par la société et, au premier chef, par la sainte trinité de la famille, de l’école et de l’Église.

En revanche, sur la base de sa propre expérience d’enfant, de collégien, de soldat, de journaliste, d’écrivain et de citoyen, il sait fort bien où se trouvent les mensonges, les bassesses et les laideurs, et c’est contre eux qu’il n’a cessé de se révolter. L’affaire Dreyfus, de ce point de vue-là, est particulièrement instructive : le dreyfusard Mirbeau ne connaît que des bribes de l’Affaire, il en ignore les tenants et les aboutissants, et pour cause ; mais il a d’emblée pressenti où sont les innocents, d’un côté, les fraudeurs et les coupables de forfaitures, de l’autre. Lutter pour la Vérité et la Justice, les valeurs cardinales des dreyfusards, cela ne signifie pas que l’on croit en des absolus, mais simplement que l’on sait où se trouvent le mensonge et l’iniquité et qu’on les dénonce.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Octave Mirbeau, le grand démystificateur », Cahiers du Nouveau Théâtre d’Angers, n° 34, 1995 ; Pierre Michel, « Le Matérialisme de Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 4, 1997, pp. 292-312 ; Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Presses Universitaires d’Angers / Société Octave Mirbeau, 2001.

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