Thèmes et interprétations

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Terme
ETAT

ÉTAT

 

            En tant qu’anarchiste, Mirbeau est réfractaire à la fonction de l’État, supposé assurer l'égalité de tous, grâce au règne des lois, et, par conséquent, la paix sociale. Car, pour lui, loin d’être neutre, de servir d'arbitre entre les classes et de préserver leur équilibre en réduisant les inégalités sociales, l'État n'est en réalité qu'un instrument d'oppression et d’exploitation, « assassin et voleur », au service de la classe dominante : « L'État pèse sur l'individu d'un poids chaque jour plus écrasant, plus intolérable. De l'homme qu'il énerve et qu'il abrutit, il ne fait qu'un paquet de chair à impôts. Sa seule mission est de vivre de lui, comme un pou vit de la bête sur laquelle il a posé ses suçoirs. L'État prend à l'homme son argent, misérablement gagné dans ce bagne : le travail ; il lui filoute sa liberté à toute minute entravée par les lois ; dès sa naissance, il tue ses facultés individuelles, administrativement, ou il les fausse, ce qui revient au même » (Préface à La Société mourante et l'anarchie, de Jean Grave, 1893). Quant aux lois, elles résultent d'un rapport de force entre les classes et ne font jamais qu'entériner le “droit” du plus fort : « Les lois sont toujours faites par les riches contre les pauvres », elles « ne protègent que les heureux » (« Dépopulation », Le Journal, 25 novembre 1900) ;  « inhumaines et tortionnaires », elles étouffent, « de leur poids écrasant », « la vie des faibles et des petits » (« Le Homestead », La France, 6 août 1885).

            Mirbeau sait néanmoins qu’il n’est pas possible de détruire complètement l’appareil d’État et de se passer totalement de lois. Mais il convient du moins de « réduire lÉtat à son minimum de malfaisance » et d'empêcher ses divers appareils – l'armée, la “Justice”, la police, l'administration – d'étouffer et d'écraser à jamais l'individu. « Le minimum », cela veut dire qu'il va nécessairement subsister des « règlements » et des « fonctionnaires » : « Le moins possible, mais il en faut » (Interview de Mirbeau par André Picard, Le Gaulois, 25 février 1894 )

            Ce n'est malheureusement pas ce que proposent les socialistes, qui entendent au contraire renforcer le rôle de l'État dans l'espoir de s'en servir comme d'un instrument d'amélioration du sort des masses défavorisées. Mirbeau voit dans ce qu'il appelle le « collectivisme » une mystification plus dangereuse encore que celles des politiciens bourgeois : « Le collectivisme me paraît une doctrine abominable plus que les autres, parce qu'elle ne tend qu'à asservir l'homme, à lui ravir sa personnalité, à tuer en lui l'individu, au profit d'une discipline abêtissante, d'une obéissance esclavagiste » (« Un mot personnel », Le Journal, 19 décembre 1897). Non seulement cette idéologie étatiste risque de contaminer les leaders ouvriers plus sûrement encore que l'idéologie réformiste et parlementariste, mais ce qui se profile à l'horizon, en cas de révolution dirigée par les collectivistes, ce serait un « esclavage d'État » pire encore que tout ce qui a existé jusqu'à présent. Par la suite, grâce à l'affaire Dreyfus, qui lui fera mieux connaître et apprécier Jaurès, Mirbeau évoluera et comprendra la nécessité, en attendant « le grand soir », auquel il ne croit pas, d'obtenir des lois moins défavorables aux travailleurs et aux enfants et, pour cela, d'intervenir au parlement. Mais il sera de nouveau déçu par les socialistes et par Jaurès, qui fait passer l'unification des appareils avant toute chose, et plus encore par Aristide Briand, dont il espérait tant, et qui, une fois au pouvoir, mobilisera les cheminots pour briser leur grève. Il y verra la confirmation de ses méfiances  de jadis à l'égard de tous les « mauvais bergers », fussent-ils animés des meilleures intentions du monde.

            Voir Anarchie et Collectivisme.

P. M.


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