Thèmes et interprétations

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Terme
MEDUSE

MÉDUSE.

 

« C'est en face qu'il faut regarder Méduse », conseille Mirbeau. Il semble bien que la figure de Gorgô, la Méduse mortelle, soit la figure mythique latente qui se profile derrière l'œuvre de notre auteur, qui projette sur le monde sa propre angoisse.

 

Sauvagerie

 

La bestialité, la férocité et la voracité (voir Le Jardin des suplices) sont l'apanage de l'humanité tout entière : Méduse en nous, phénomène endopsychique. Mais on reconnaît aussi la face de Méduse (« rêverie pétrifiante », « complexe de Méduse », Bachelard) à la sauvagerie de la société qui tente de dissimuler ses tares, à l'aide de « masques » et de « grimaces », alors qu'elle ne fait qu'aggraver les vices des individus qui la composent. Règne de l'Argent, qui corrompt les esclaves de la civilisation industrielle.

Les “véritaires” ne se satisfont pas d'une conception restrictive du Beau. Déjà, à la fin de XVIIe siècle, l'esthétique circéenne émerge pour faire entrer en ligne de compte la tendance masochiste du plaisir esthétique. Il s'agit d'exercer un pouvoir de quasi-envoûtement sur le public et le lecteur, mais l'esthétique circéenne n'accorde pas le droit de donner libre cours à l'imagination. Or l'univers mirbellien se caractérise par le terrible et le grotesque, qui vont du stupéfiant à l'immonde, produisent l'effarement, ont le charme pervers de l'énorme. Pour identifier la figure mythique qui confère à l'œuvre son visage, on préférera celle de Méduse à celle de Circé, de manière à faire la place qu'elle mérite à la « folle du logis ».

 

Fascination

 

Méduse, figure fascinante parce qu'elle joue des interférences entre l'homme et la bestialité : selon Mirbeau, « il y a quelque chose de plus mystérieusement attirant que la beauté : c'est la pourriture ». Renouvellement de la poésie par le macabre.

Ce qui devrait engendrer la répugnance détient un pouvoir de fascination. Séduction de l'horrible. Gorgô nous fascine par le faisceau d'images qui font émerger une structure profonde de l'imaginaire, à commencer par le fourmillement, image fugitive mais première : ainsi Sébastien Roch va-t-il vivre « seul au milieu d'un grouillement d'êtres qui lui seront toujours étrangers et hostiles ».

 

Ténèbres

 

Les ténèbres engendrent l'insécurité et la peur, la nuit est le moment où se déchaînent les forces maléfiques : le braconnier d'Un gentilhomme, père incestueux, a des yeux « pareils aux yeux des oiseaux que blesse la lumière et qui n'exercent leur puissance que la nuit », nuit valorisée négativement et où se reconnaît la terreur qu'inspire la noirceur de Gorgô.

L'inconscient est représenté sous un aspect ténébreux, louche et aveugle : « Une force me poussait vers quelque chose d'irréparable : folie, crime ou suicide ». La face hideuse de Méduse est bien propre à figurer  la doublure inconsciente de notre âme : la glace « me renvoya son image décomposée, si funèbrement livide, que j'eus peur de moi-même , comme si je me fusse trouvé, soudain, en présence de mon propre spectre ».

Le premier miroir, c'est l'élément aquatique. À propos de l'eau hostile – typifiée par le Dragon –, sœur de Gorgô, Bachelard parle de « stymphalisation ». Chez Mirbeau, les yeux de la femme sont miroir aux alouettes : « Sa voilette, elle l'avait retroussée, l'enjôleuse, afin de me mieux prendre au miroir de ses yeux ». Ce sont aussi « de troubles eaux » que « les foules humaines ». Les larmes sont « la matière du désespoir » (Bachelard) : « Hortense se prit à pleurer. Non plus des larmes furieuses, mais de terrassées, de dolentes ».

Liée à l'eau noire, la chevelure qui s'animalise en crinière lorsqu'il s'agit de rendre l'agressivité de Chronos. Les femmes, telles des « fleurs sexuelles », ont des « enroulements tentaculaires ».

 

Hécate

 

Féminines ou germinatives, soumises au cycle lunaire, les eaux sont confondues avec la lune en la même divinité : Hécate. On comprend que le sang, menstruel ou non, soit associé à la nuit : « La Seine est toute noire, sinistre et muette », le feu rouge d'un chaland « se reflète comme une tache sanglante ». Féminité sanglante de la vamp qui ne doit pas faire oublier la sauvagerie sanguinaire de la Société : « Il suffit de la moindre provocation pour que le sang coule ».

Gorgô, malgré son refoulement et, sans doute, à cause de lui, semble offrir, fallacieusement, par la pétrification, le moyen d'échapper aux tribulations temporelles, aux aspects négatifs de la vie synthétisés par la chute et l'enfer : « Et d'une chute plus lourde, vertigineuse, je retombai dans le silence et dans la nuit. »

 

Humaine condition

 

Mais, dans le meilleur des cas, et tel est le but que poursuit Mirbeau, paradoxalement, la terreur que nous inspire Méduse démystifie : elle fait éclater les faux-semblants ; elle est une dimension du surnaturel, du mystère, mystère du Cosmos, de l'humanité, de la Mort ; elle est au fond du puits de la caverne de Lascaux.

Condition humaine ? Comment expliquer, par exemple, ce goût de la servitude qui nous pousse à choisir de nouveaux maîtres ? Terreur bénéfique, puisque la satire mirbellienne fait apparaître le terrible et le grotesque. Bataille a recours au mot « maniérisme » pour traduire la violence tendue sans laquelle nous ne saurions nous libérer de la « convention, créer un choc, le partage de l'émotion : unité fondamentale de peintures dont « l'obsession » est de « traduire » la fièvre, le désir, la brûlante passion. L'épithète « sublime » permet à Mirbeau de qualifier la nature, les hommes, leurs sentiments, l'art. Employé ironiquement, le qualificatif peut aussi servir, chez Mirbeau, à brocarder les grotesques.

La démesure gorgonéenne, l'excès, la fascination, c'est ce que commande la religion dionysiaque. Elle nous force à réagir, le monstrueux produit le même effet que la grandiose, le colossal que Mirbeau admire chez Rodin comme chez Michel-Ange.

« Il a fallu que la République montrât sa hideuse tête de Gorgone », écrit Mirbeau dans Les Grimaces. La fascination, littéraire, ne nous prive ni de notre révolte, ni de notre pitié. L'écriture gorgonéenne de Mirbeau favorise la prise de conscience et laisse intacte notre aptitude à la révolte et à l'insoumission.

 

Grotesque

 

Dans son entreprise de démystification, Mirbeau souligne le grotesque de Méduse. Il y est aidé par son sens de la dérision. L'exagération à fin humoristique n'est jamais gratuite. Recours fréquent à l'antiphrase, les mots « terrible », « terreur », « terrifiant », eux-mêmes, ne font pas exception.

Persée tue Méduse et se sert de la tête qu'il a coupée pour pétrifier Phinée. Fascinant Mirbeau.

Dans la guerre des dieux qui se déroule à l'intérieur de chacun de nous et à l'intérieur de la Société, Isis répond à l'appel de la solidarité. (voir Le Calvaire).

                                  

C. H.      

 

Bibliographie : Claude Herzfeld, La Figure de Méduse dans l’œuvre d’Octave Mirbeau, Librairie Nizet, 1992, 107 pages ; Claude Herzfeld, Le Monde imaginaire d’Octave Mirbeau, Presses Universitaires d’Angers, 2001, 100 pages.  

 

 

 


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