Thèmes et interprétations

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Terme
MORALITE

Le mot « moralité » désigne un genre théâtral qui a été pratiqué en France pendant près de deux siècles, de la fin du quatorzième siècle à la moitié du seizième. Il recourait à l’allégorie et à des personnages incarnant les vices et les vertus pour exercer une action pédagogique sur les spectateurs et tenter de les ramener dans le droit chemin de la morale religieuse. Il s’agit donc, en principe, d’un théâtre édifiant. Mais il existait aussi des moralités qui avaient des objectifs nettement satiriques, comme l’explique Jean-Pierre Bordier : « Le but que s'assigne la moralité, et que l’allégorie lui rend aisément accessible, consiste à dégager des apparences et de l'obscurité les forces profondes qui agissent dans le monde et dans l'homme, au service du bien ou au service du mal. La moralité dissipe les ténèbres et les illusions du sensible, elle fait tomber les masques et remplace les apparences trompeuses par la réalité. Cette révélation peut prendre le ton sérieux du sermon, mais le théâtre est plus efficace quand il fait rire. »

On comprend mieux, dès lors, que Mirbeau ait pu qualifier de « moralités » les six petites pièces en un acte qu’il a regroupées, en 1904, sous le titre de Farces et moralités. Il n’y est, bien sûr, pas question de morale religieuse et elles n’ont rien d’édifiant au sens habituel du terme : Mirbeau ne se soucie aucunement de morale et ne cherche évidemment pas à. Renforcer le respect des valeurs consacrées, bien au contraire. Mais elles ont un objectif didactique avoué, comme les pièces de Bertolt Brecht, et le spectateur est invité à tirer lui-même les leçons des faits qui lui sont présentés. C'est d'autant plus aisé que les personnages, presque tous anonymes, ou dotés de noms symboliques ou très fortement suggestifs, n'existent qu'en tant qu'illustrations de fonctions sociales, et non pas en tant qu'incarnations de types humains individualisés : le Maire et les Conseillers municipaux (L'Épidémie), le Commissaire et le loqueteux Jean Guenille (Le Portefeuille), le Voleur et le Volé (Scrupules), l'Amant et l'Amante (Les Amants), l'Interviewer et le marchand de vins (Interview), le Mari et la Femme (Vieux ménages). Leur exemple particulier est donc susceptible de généralisation.

D’autre part, comme dans les moralités satiriques d’autrefois, et comme dans toute l’œuvre de Mirbeau, ces pièces nous obligent à percevoir les êtres et les choses sous un jour nouveau et contribuent donc à détruire certaines mystifications entretenues par le conditionnement social : sur le mariage (Vieux ménages)., sur l’amour (Les Amants), sur la loi (Le Portefeuille), sur la presse (Interview), sur les politiciens (L'Épidémie), sur le vol et la philanthropie (Scrupules). Du coup, elles remettent en question les catégories traditionnelles du bien et du mal et interpellent l’esprit et la conscience du spectateur de bonne volonté.

Enfin Mirbeau se livre à de véritables démonstrations par l’absurde. Ainsi, dans Le Portefeuille, ou bien le spectateur est partisan de l'ordre social à n'importe quel prix, et il doit en accepter toutes les conséquences, si révoltantes qu'elles soient pour sa raison et pour ce qui lui sert de conscience morale ; ou bien, au contraire, il s'en scandalise, et alors il lui faut impérativement remonter de l'effet à la cause et condamner, non pas seulement des dysfonctionnements conjoncturels, mais, plus généralement, l'ensemble du système social, dont le fonctionnement normal et légal rend de tels abus, non seulement possibles, mais encore inévitables. Autre démonstration par l'absurde de la nocivité et du caractère intrinséquement pervers de la société bourgeoise dans Scrupules, où un gentleman-cambrioleur aux manières raffinées n'a aucun mal à démontrer à son “hôte” d'une nuit, « philanthrope » enrichi par ses crapuleries, que, dans une société reposant tout entière sur le vol et où l'on honore la politique, la finance, le commerce, le journalisme et la vie mondaine, qui n'ont pas d'autres objectifs que de se remplir les poches au détriment des gogos,  c'est encore en assumant courageusement son métier de voleur qu'on est le moins malhonnête.

 P. M.

 


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