Thèmes et interprétations

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EGLISE

ÉGLISE

 

            Pour un athée et un anarchiste comme Octave Mirbeau, l’Église catholique se situe au premier rang des institutions qu’il exècre, qu’il juge mortellement dangereuses et qu’il souhaite abattre pour permettre l’émancipation des esprits et la réalisation d’une société réellement juste et démocratique. Le catholicisme romain tombe évidemment sous le coup des critiques qu’il adresse aux religions en général (voir la notice Religion) et aux différentes sectes et Églises chrétiennes en particulier (voir la notice Christianisme). Comme les autres religions, il constitue à ses yeux un pernicieux « opium du peuple » et contribue à la crétinisation des larges masses qu’il contrôle et endoctrine, et qui sont de surcroît soumises à un racket permanent : voir par exemple « Monsieur le Recteur » (L’Écho de Paris, 17 septembre 1889), « Un baptême » (L’Écho de Paris, 7 juillet 1891) et « Après 1789 ! » (L’Aurore, 15 juin 1902).

Mais si Mirbeau l’a constamment dans sa ligne de mire, plus que le protestantisme, et a fortiori que les autres religions, quasiment inexistantes en France à son époque, c’est que le pouvoir de malfaisance de l’Église de Rome y est encore considérable, malgré les Lumières et la Révolution, et que les sanglantes tragédies qu’elle a suscitées ou légitimées (croisades, Inquisition, guerres de religion, conquêtes coloniales, etc.) ont laissé des traces indélébiles dans les esprits avides de liberté. À cette raison qui tient à l’histoire du pays et à son héritage culturel s’ajoute une circonstance aggravante, par rapport aux autres religions et aux autres Églises : c’est que l’Église romaine est une institution très profondément et très largement enracinée à l’échelle du monde, qui possède des moyens financiers considérables, qui dispose d’une influence énorme sur les gouvernants d’un très grand nombre d’États et qui, telle une pieuvre, a multiplié tentaculairement ses influents réseaux, tellement bien implantés partout sur la surface de la Terre qu’elle est devenue, sans avoir besoin d’un État circonscrit à l’intérieur de frontières reconnues, une puissance mondiale, qui est même supérieure à celle des États les plus riches et les plus forts, militairement ou économiquement, parce qu’elle a conquis un contrôle sans pareil sur les esprits, comme le reconnaît Isidore Lechat, non sans admiration : « L’Église est dans le mouvement moderne, elle... Loin d'y résister, elle le dirige... et elle le draine à travers le monde... Elle a une puissance d’expansion, de transformation, d’adaptation, qui est admirable... une force de domination qui est justifiée, parce qu’elle travaille sans relâche... qu’elle remue les hommes... l’argent... les idées... les terres vierges... Elle est partout... aujourd’hui... elle fait de tout... elle est tout.... » (Les affaires sont les affaires, 1903, acte III, scène 2). Mais si l’affairiste Lechat compte s’en accommoder et se faire une alliée de cette « « puissance » pour renforcer davantage encore la sienne, pour Mirbeau au contraire elle est l’ennemi public n° 1 de toute politique d’émancipation. Car elle entretient l’ignorance et la superstition, combat toutes les tentatives pour donner des lois de l’univers une lecture scientifique, inculque la haine des plaisirs de la vie, et au premier chef de ceux de la chair, distille un terrifiant sentiment de culpabilité et s’arroge le droit de manipuler et de pourrir impunément les esprits malléables des enfants « pour mieux dominer l’homme plus tard ».

            Il aurait donc souhaité, de la part de gouvernements républicains qui se prétendaient anticléricaux, une politique intransigeante à l’égard des fervents du « mensonge religieux » et du « poison » indélébile distillé par l’Église catholique. Il était en particulier partisan d’une séparation radicale des Églises et de l’État et d’une laïcisation totale du système d’enseignement, encore largement imprégné de ce spiritualisme et de cette « morale », à peine ripolinée, dont les nouveaux maîtres du pays ont bien besoin pour légitimer leur autorité menacée. Mais il eut tôt fait de se rendre compte que les pseudo-républicains au pouvoir n’étaient pas plus soucieux que leurs concurrents ensoutanés d’émanciper les esprits, au risque de perdre leurs prébendes, et qu’à eux aussi il fallait « des troupeaux de brutes » pour « perpétuer leur domination ». Aussi a-t-il dénoncé avec constance et vigueur la collusion, camouflée derrière des gesticulations destinées à tromper les imbéciles, entre les « Cartouche » de la République et les « Loyola » de l’Église catholique, qui, en réalité, sont tous complices de crimes de lèse-humanité perpétrés sur des enfants sans défense (« Cartouche et Loyola » (Le Journal, 9 septembre 1894).

            Quant au personnel ecclésiastique qui fait tourner l’institution et est supposé diffuser parmi ses ouailles le message  évangélique d’amour et de fraternité, il est d’une médiocrité sans nom qui suffirait  à dissuader quiconque de faire sienne la doctrine chrétienne, tant il ne prêche que de mauvais exemple. Certes, il y a des prêtres honnêtes et cultivés, tel l’évêque de Sées, dans L'Abbé Jules (1888), mais il est tellement froussard, tellement faible de caractère et tellement inapte que, loin d’être attiré par lui, on finirait presque par avoir pitié de ce pauvre être déboussolé. Il y a bien aussi un moine héroïque, parvenu à sa façon au comble de la sagesse, le père Pamphile, mais il s’avère qu’il est complètement fou et que les admirables sacrifices qu’il consent ne servent strictement à rien, de sorte que cette foi aveugle est bien évidemment dissuasive. Quant aux autres prêtres catholiques mis en scène par Mirbeau dans ses contes et ses romans, ils rivalisent de sottise et de vulgarité, de voracité et de perversité, d’hypocrisie et de cupidité, et ils mériteraient tous les imprécations qu’adresse l’abbé Jules à ses collègues, tout en se présentant lui-même comme « un prêtre infâme » : « Vous mentez tous !… Depuis une heure, je vous regarde… Et, à le voir porté par vous, je rougis de l’habit que je porte, moi… moi qui suis un prêtre infâme, qui ai volé, et qui vaux mieux que vous, pourtant !… Je vous connais, allez, prêtres indignes, réfractaires au devoir social, déserteurs de la patrie, qui n’êtes ici que parce que vous vous sentiez trop bêtes, ou trop lâches, pour être des hommes, pour accepter les sacrifices de la vie des petits !… Et, c’est vous à qui les âmes sont confiées, qui devez les pétrir, les façonner, vous dont les mains sont encore mal essuyées de l’ordure de vos étables… Des âmes, des âmes de femme, des âmes d’enfant, à vous qui n’avez jamais conduit que des cochons !… Et c’est vous qui représentez le christianisme, avec vos mufles de bêtes à l’engrais, vous qui ne pouvez rien comprendre à son œuvre sublime de rédemption humaine, ni à sa grande mission d’amour… Cela fait rire et cela fait pleurer aussi !… Une âme naît, et c’est dix francs… Une âme meurt, et c’est dix francs encore… Et le Christ n’est mort que pour vous permettre, n’est-ce pas, de creuser la fente d’une tirelire dans le mystère de son tabernacle et de changer le ciboire en sébile de mendiant… Mais, quand je vous entends parler de la Vierge, il me semble que j’assiste au viol d’une jeune fille par un bouc. »

…        Au sein de cette riche et puissante Église institutionnelle, qu’il juge si terriblement malfaisante, il est un ordre que Mirbeau considère comme particulièrement redoutable : la Compagnie de Jésus (voir la notice Jésuites), « qui rêve d'établir, sur le monde, [sa] toute-puissance ». Pour avoir subi leur « empreinte » et « conservé très longtemps », de son séjour « d’enfer » au collège Saint-François-Xavier de Vannes, toutes les terreurs de la morale catholique » – sans même parler des violences sexuelles qu’il pourrait bien avoir subies au collège, comme le petit Sébastien Roch du roman homonyme de 1890 –, il est bien placé pour  connaître le pouvoir de nuisance des jésuites, ces « pétrisseurs d’âmes », dont l’esprit de corps et la discipline sont sans failles et dont la morale à géométrie variable, précisément nommée « jésuitisme », est illustrée et dénoncée dans Sébastien Roch (1890). Au risque de leur prêter un pouvoir bien supérieur à ce qu’il est réellement, Mirbeau va même jusqu’à les accuser de  porter la responsabilité exclusive de ce « crime » qu’est l’affaire Dreyfus (« Souvenirs », L’Aurore, 22 août 1898).

            Voir aussi les notices Religion, Christianisme, Sébastien Roch et Jésuites.

P. M.

 

Bibliographie : Pierre Michel, « Sébastien Roch, ou le meurtre d’une âme d’enfant », introduction à Sébastien Roch, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-24 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le poison religieux », L'Anjou laïque, Angers, février 2006 ; Octave Mirbeau,  L'Abbé Jules, Ollendorff, 1888 ; Octave Mirbeau,  Sébastien Roch, Charpentier, 1890 ; Octave Mirbeau, Lettres à Alfred Bansard des Bois, Le Limon, 1989 ; Octave Mirbeau, Combats pour l’enfant, Ivan Davy, Vauchrétien, 1990.

 


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