Pays et villes

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Terme
LUCHON

Sur le conseil de son médecin traitant, le professeur Albert Robin, Octave Mirbeau a passé plus de quatre semaines à Luchon, en août 1897, parce qu’il souffrait d’une pharyngite chronique qui le menaçait de surdité. Il y était logé au chalet  Combemale, situé avenue de Vénasque et qui sert aujourd’hui de foyer pour enfants. Mais, de retour à Paris, il tire de sa cure un bilan fort négatif, dont témoigne notamment une lettre à Auguste Rodin : « N’allez jamais dans la montagne. C’est la mort, parce que c’est l’arrêt subit de toute vie cérébrale. Je ne sais pas si j’en reviens guéri. Ce que je sais, c’est que j’en reviens gâteux. »

            Au cours de son séjour dans les Pyrénées, Mirbeau rédige cinq chroniques intitulées « En traitement », qui paraissent dans Le Journal du 8 août au 5 septembre 1897, et qu’il insèrera, en 1901, dans son roman-patchwork, Les 21 jours d’un neurasthénique. Elles témoignent de son mal-être, qu’il tend à identifier à la neurasthénie du narrateur de son roman et qu’il projette sur le monde environnant. Loin d’être en admiration béate devant les paysages de montagne, il n’en ressent qu’une impression d’oppression : « Les montagnes, dont je sens pourtant, aussi bien qu’un autre, la poésie énorme et farouche, symbolisent pour moi tout ce que l’univers peut contenir d’incurable tristesse, de noir découragement, d’atmosphère irrespirable et mortelle... J’admire leurs formes grandioses, et leur changeante lumière... Mais c’est l’âme de cela qui m’épouvante... Il me semble que les paysages de la mort, ça doit être des montagnes et des montagnes, comme celles que j’ai là, sous les yeux, en écrivant. »

            Quant à la station thermale elle-même, qui n’est pas nommée, mais qui est parfaitement reconnaissable, ce n’est pas une vraie ville à ses yeux : « La particularité de cette ville où je suis, et dont l’excellent Baedecker, pince-sans-rire allemand, chante en des lyrismes extravagants “la sublime beauté idyllique”, tient en ceci, qu’elle n’est pas une ville. En général, une ville se compose de rues, les rues de maisons, les maisons d'habitants. Or, à X... , il n’y a ni rues, ni maisons, ni habitants indigènes, il n’y a que des hôtels... soixante-quinze hôtels, énormes constructions, semblables à des casernes et à des asiles d’aliénés, qui s’allongent les uns les autres, indéfiniment, sur une seule ligne, au fond d’une gorge brumeuse et noire, où toussote et crachote sans cesse, ainsi qu’un petit vieillard bronchiteux, un petit torrent. Ça et là, quelques étalages installés au rez-de-chaussée des hôtels, boutiques de librairies, de cartes postales illustrées, de vues photographiques de cascades, de montagnes et de lacs, assortiments d’alpenstocks et de tout ce qu’il faut aux touristes. Puis, quelques villas, éparpillées sur les pentes... et, au fond d’un trou, l’établissement thermal qui date des Romains... ah! oui... des Romains !... Et c’est tout. En face de soi, la montagne haute et sombre; derrière soi, la montagne sombre et haute... À droite, la montagne, au pied de laquelle un lac dort; à gauche, la montagne toujours, et un autre lac encore... Et pas de ciel... jamais de ciel, au-dessus de soi ! De gros nuages qui traînent d’une montagne à l’autre leurs pesantes masses opaques et fuligineuses... / Si la montagne est sinistre, que dire de ces lac – oh ! ces lacs ! – dont le bleu faux et cruel, qui n’est ni le bleu d’eau, ni le bleu de ciel, ni le bleu de bleu, ne s’accorde avec rien de ce qui les entoure et de ce qu’ils reflètent ?... Ils semblent peints – ô nature ! – par M. Guillaume Dubufe, quand cet artiste, aimé de M. Leygues, s’élève jusqu’aux vastes compositions symboliques et religieuses... »

            Circonstance aggravante : les curistes, dont il trace, dans Les 21 jours, de savoureuses caricatures constituant « un défilé de tous les échantillons de l’animalité humaine », mais qui renforcent le narrateur dans sa neurasthénie et sa misanthropie : « Mais peut-être pardonnerais-je aux montagnes d’être des montagnes et aux lacs des lacs si, à leur hostilité naturelle, ils n’ajoutaient cette aggravation d’être le prétexte à réunir, dans leurs gorges rocheuses et sur leurs agressives rives, de si insupportables collections de toutes les humanités. »

P. M.  

Bibliographie : Pierre de Gorsse, « Les Vingt et un jours d'Octave Mirbeau à Luchon », Tarbes, Revue de Comminges, 3e trimestre 1966, pp. 163-176 ; Claude Herzfeld, « Hermann Hesse et Octave Mirbeau : cure et neurasthénie », Cahiers Octave Mirbeau, n° 14, 2007,  pp. 95-110 ; Pierre Michel, « Les 21 jours d’un neurasthénique, ou le défilé de tous les échantillons de l’animalité unique », préface des 21 jours, Éditions du Boucher, décembre 2003 ; Octave Mirbeau, Les 21 jours d’un neurasthénique, Fasquelle, 1901. 


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