Pays et villes

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Terme
Carrières-sous-Poissy

 

Se sentant trop éloigné de Paris lorsqu’il habite Les Damps, près de Pont-de-l’Arche dans l’Eure, Octave Mirbeau décide de s’installer à Carrières-sous-Poissy, dans une propriété située à quelque cinq cents mètres de la route Paris-Rouen. Il est ainsi à 25 km de Paris et il peut également, à environ 2 km, prendre le train en gare de Poissy.

Carrières-sous-Poissy, ville de près de 15 000 habitants aujourd’hui, n’est, en 1893, lorsque Mirbeau s’y installe, qu’un village d’environ 700 habitants. Bâtie sur le flanc du coteau qui domine la rive droite de la Seine, la ville doit son nom aux carrières d’où l’on extrait des moellons de pierre tendre. Par contre elle ne mérite guère son qualificatif de « sous », puisque plus élevée en altitude (un modeste 40 m.) que le centre de Poissy. Imméritée également l’idée de dépendance que ce qualificatif peut impliquer car,  jusqu'au début du XIXe siècle, alors que Poissy dépendait du diocèse de Chartes, Carrières, qui dépendait du diocèse de Rouen, était rattachée à la paroisse de Triel-sur-Seine où Octave Mirbeau s’installera plus tard.

Avant qu’une église ne soit construite à Carrières avec son desservant, c’est-à-dire jusqu'au XVIIIe siècle, toutes les formalités religieuses et civiles devaient se faire à Triel. Le chemin le plus direct pour y parvenir, et que Mirbeau a peut être parcouru, s’appelait jusqu’à une époque récente, Chemin des trépassés.

Sur les pentes et dans les lieux bien exposés on cultive la vigne, comme l’atteste le nom de la ville voisine, Chanteloup-les-Vignes, mais sur la plaine ce sont surtout des cultures maraîchères, qui vont peu à peu devenir primordiales dans l’économie du village. En effet, en 1894, dans le cadre de l’assainissement  du département de la Seine, on décide l’épandage des eaux d’égouts dans cette région que le sol sableux  pourra assainir, tout en permettant l’irrigation des cultures.

Sa maison construite au sommet du coteau et tournant le dos à la plaine, Mirbeau n’a pas eu à souffrir des odeurs peu agréables de ces champs d’épandage. Des ses balcons du premier ou du second étage il préférait sans doute admirer le vaste panorama qu’il avait à ses pieds. D’abord la route de Rouen,  qui venant de Poissy, avait traversé la Seine sur un pont (détruit en partie en 1940), dont on fait remonter la construction à l’époque de Saint Louis. Au-delà, un quartier dépendant de Carrières, que l’on appelle aujourd’hui encore «  Les Grésillons » ou «  Saint Louis », une légende locale y faisant accoucher Blanche de Castille, qui aurait fuit le tintamarre des cloches de Poissy. Peut-être y  a-t-il vu galoper des chevaux sur le champ de courses que M. Lemercier venait  d’y aménager et qui sera plus tard la propriété de William-Kissam Vanderbilt. Plus loin encore il pouvait, entre les frondaisons des arbres  bordant la Seine, deviner Villennes et Médan où habitaient ses amis Émile Zola et Maurice Maeterlinck.

Mais c’est peut-être plus près qu’il regarde, sur ce coteau en pente douce qui descend jusqu’à la route, car c’est là qu’est son jardin, un jardin qui est une source d’émerveillement pour tous ses visiteurs. Pour le journaliste Jean Lorrain, qui vint avec Mme Duval déjeuner chez Mirbeau le 31 mai 1896. Pour Mallarmé, auquel, après avoir visité le jardin, Mirbeau offrit du stout. En buvant cette bière anglaise Mallarmé, euphorique, s’écria : « Ah, on sent que cela vient directement d’Angleterre ! » Cela venait de chez Potin, mais Mirbeau, souriant, se garda bien de le détromper.

Est-ce pour l’installation de ce jardin qu’il a connu des déboire ? Léon Werth dans l’introduction qu’il écrit pour Les 21 jours d’un neurasthénique dans l’édition des Belles Lectures de 1954, cite une lettre que Mirbeau adresse à Claude Monet et dans laquelle il se lamente sur l’état de son jardin. Il en accuse l’ancien propriétaire : « Cet homme a trop détesté les fleurs…Elles se vengent aujourd’hui en ne poussant plus du tout. » Comme cette lettre a été écrite, d’après Léon Werth, après 1890, c’est peut-être l’installation de son jardin à Carrières qui fut difficile.

Mirbeau quitta Carrières en 1898, la maison changea sans doute plusieurs fois de propriétaires, mais on la retrouve occupée dès avant la guerre de 39-45 par une communauté protestante. Le pasteur de Poissy, Freddy Durlemann, fonda en 1920 un mouvement d’évangélisation appelé “La Cause”, avec un service de solidarité, mais surtout une aide pour les mal-voyants, avec bibliothèque sonore et Braille. C’est sous ce nom de “La Cause” que les habitants de Carrières désignèrent alors l’ancienne demeure d’Octave Mirbeau. Cela jusqu’en 1983, lorsque la maison fut mise en vente et que la municipalité exerça son droit de préemption pour l’acquérir. “La Cause” resta à Carrières, mais s’installa dans un lieu mieux adapté ; la maison fut détruite et remplacée par l’Hôtel de Ville actuel, l’ancienne mairie ne correspondant plus aux besoins d’une ville de plus en plus peuplée. Le jardin de Mirbeau, avec ses arbres maintenant centenaires et des pelouses qui remplacent les massifs de fleurs, s’appelle aujourd’hui Square Freddy Durlemann.

Près de l’Hôtel de Ville, où les pavillons d’habitation se sont multipliés, passe la rue Octave Mirbeau. C’est aussi le nom que porte la modeste bibliothèque, autrefois Blanche de Castille. Enfin, remplaçant des champs d’épandage de naguère, les rues de tout un quartier portent les noms de Claude Monet, de Pissarro et d’autres peintres impressionnistes !

Octave Mirbeau aurait aimé !

P. C.


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