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LES DIALOGUES TRISTES

Ensemble de vingt-quatre textes, Les Dialogues tristes ont été publiés par Mirbeau du 22 septembre 1890 au 9 août 1892, dans L’Écho de Paris. Comme très souvent avec ses textes destinés à la presse et davantage considérés comme une production alimentaire que comme une œuvre véritable, le romancier ne les a pas recueillis en volume. C’est, en effet, après une absence de six mois à L’Écho de Paris, auquel il collabore depuis 1888, qu’il reprend par nécessité pécuniaire ce labeur asservissant dont il ne cesse de déplorer la platitude et la stupidité dans sa correspondance d’alors.

Toutefois, cette contrainte va lui permettre d’expérimenter la forme dialoguée pour laquelle il a du talent et qui deviendra une véritable caractéristique de son écriture romanesque. La chronique est un genre à la forme très libre au XIXe siècle. Elle recouvre aussi bien les informations mondaines narrativisées que les causeries politiques ou esthétiques, ou encore le conte d’actualité. La frontière entre presse et littérature tend à s’amoindrir avec la fictionnalisation de plus en plus fréquente des reportages et la prise en compte des événements sociopolitiques dans les récits publiés dans les colonnes des journaux. La série de dialogues n’échappe pas à ce brouillage générique qui ira en s’accentuant au cours de la décennie.

 

Des dialogues de circonstance

 

Alors que rien ne le laisse attendre dans le titre générique de la série, les dialogues ressortissent le plus souvent au registre satirique et se veulent une entreprise de démolition de toutes les idoles de la Troisième République : la science, le journalisme, la patrie… Les conservatismes politiques et artistiques sont pris à partie dans des scènes désopilantes où Mirbeau fait preuve de son génie comique. Caricaturales, les personnalités de l’époque mises en scène exposent leurs ridicules par leur propre bouche et, des revanchards aux critiques dramatiques, chacun est réduit à l’état de fantoche, dépourvu de conscience, de logique ou de bon sens. Plus anecdotique, mais tout aussi révélateur de la grande entreprise de démystification que Mirbeau aura à cœur d’amplifier durant le reste de sa carrière, le travail de sape de tous les lieux communs sur l’amour et sur la bonté procure quelques dialogues piquants, à l’instar des « Deux Amants » ou de « L’Épidémie ».

 

L’inspiration pathétique



Parallèlement à la veine satirique, les textes déploient aussi une inspiration pathétique, typiquement mirbellienne. Il s’agit, dans les rares dialogues de ce type, d’attirer la compassion du lecteur sur des personnages humbles, des innocents broyés par la destinée aveugle ou emportés par les événements. Thématiquement, comme stylistiquement, Maeterlinck n’est pas loin dans « Le Poitrinaire » ou « Sur la route ». Pour sa part, « La Guerre et l’Homme » se hisse au rang de dialogue philosophique grâce à une magnifique prosopopée de l’Humanité et de la Guerre, auréolée par le chœur de ses adorateurs, qui renvoie la première à ses illusions.

 

Variations sur un genre

 

En septembre 1891, Mirbeau annonçait à Monet la supériorité du théâtre sur le roman. Les Dialogues tristes seraient alors une première incursion dans le genre théâtral, les prémices de l’œuvre dramatique à venir, qu’il s’agisse des farces et des moralités ou de la grande comédie, dont Les affaires sont les affaires (1901) constituera le sommet. Au moment même où Mirbeau mêle dans sa série les registres réaliste et farcesque au pathétique éthéré des dialogues à la manière de Maeterlinck, Jean Jullien s’efforce, dans sa revue Art et critique (1889-1890), de concilier Naturalisme et Symbolisme à la scène. Comme lui, Mirbeau renvoie dos à dos les deux esthétiques rivales et leur compétition stérile. Entre Maeterlinck révélé et Jarry en gestation, Mirbeau transforme, avec Les Dialogues tristes, le théâtre de marionnettes rêvé par le premier, en scène grotesque qu’inaugurera le second.

Faut-il parler pour Les Dialogues tristes de « chroniques dialoguées », comme Mirbeau le fait lui-même, ou bien simplement de dialogues, voire de saynètes ? La série prend place dans l’effervescence des genres qui agite la fin de siècle. Le théâtre de société n’a pas disparu, et le théâtre d’amateurs est en plein essor. Empruntant au genre du monologue mis à la mode par les frères Coquelin et aux saynètes, qui fournissent l’essentiel du répertoire privé, les textes ne se réduisent pourtant pas à une essence théâtrale : la part d’artifice y est trop importante. Chaque dialogue débute par une didascalie externe présentant les personnages et les lieux. Plusieurs traditions se trouvent condensées dans cette convention. Sous leur aspect le plus succinct, ces informations servent à camper rapidement le contexte et sont héritières des textes écrits pour le cabaret ; d’autres, très minutieuses, renvoient à l’esthétique naturaliste, notamment à l’objet « vrai » qui tend à supplanter l’artifice des décors antérieurs ; d’autres encore se développent outrancièrement pour former un véritable incipit descriptif de type romanesque. À bien y regarder, si elle emprunte au théâtre, la série appartient à ce théâtre impossible, récurrent depuis Musset. Sa fonction principale est, ici, la démystification via ce genre extrêmement souple dont la dimension orale est bien faite pour capter l’attention d’un lecteur de plus en plus sollicité par les multiples voix de la presse.

 

Une matrice de l’œuvre à venir

 

En donnant le jour à plusieurs textes que l’auteur réinvestira, selon un usage de plus en plus fréquent, dans des compositions futures, cette série constitue une véritable matrice des ouvrages de cette seconde période de Mirbeau qui fait suite aux textes dits autobiographiques. Romans ou théâtre, l’œuvre à venir est présente, en germination.

A. V.

 

Bibliographie : Arnaud Vareille, « Les Dialogues tristes, ou le laboratoire de l’écriture », préface des Dialogues tristes, Eurédit, 2005, pp. 7-42.

 


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