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LES GRIMACES

Les Grimaces est un hebdomadaire, petit format et à couverture de feu, qui a paru du 21 juillet 1883 au 12 janvier 1884. Le rédacteur en chef en était Octave Mirbeau, qui disposait de trois collaborateurs : Paul Hervieu, Étienne Grosclaude et Alfred Capus. Les fonds du journal étaient fournis par Edmond Joubert, vice-président de la Banque de Paris et des Pays-Bas, et par les frères de Mourgues, imprimeurs. Joubert a rapidement mis fin à l’expérience, sans qu’on en connaisse exactement les raisons. Peut-être a-t-il considéré que Mirbeau n’était pas assez docile, ou que ses appels à l'émeute sanglante et libératrice étaient devenus trop dangereux pour le maintien de l’ordre nécessaire à ses affaires.

Au cours des six mois de vie de cet organe pamphlétaire, Mirbeau s’est généralement acquitté des éditoriaux. Mais il a aussi tenu la rubrique théâtrale, signée du pseudonyme transparent d’Auguste. Des notes de lecture ont aussi paru anonymement. Quelques-unes de ses plus célèbres chroniques politiques ont été publiées par sa veuve en 1928, chez Flammarion, sous le titre Les Grimaces et quelques autres chroniques. Les articles  et notes de lecture ayant trait à la littérature ont été recueillis dans ses Combats littéraires (L'Age d'Homme, 2006). Mirbeau y tresse des éloges à Barbey d’Aurevilly, Jules Vallès, Guy de Maupassant, Tourgueniev, Paul Bourget et Georges de Peyrebrune. Mais il est sans pitié pour Alphonse Daudet, Maizeroy et Georges Ohnet.

 

Un organe de combat



Pour Mirbeau et ses commanditaires, Les Grimaces est avant tout un organe de combat contre les opportunistes au pouvoir, qu’il accuse d’être « une bande de joyeux escarpes » qui ont fait main basse sur la France. Dans son « Ode au choléra », qui ouvre le premier numéro, à défaut de « l’émeute libératrice », il en appelle au choléra vengeur, « notre dernier sauveur », pour débarrasser le pays de « la horde de bandits qui déshonorent la France ». Ce faisant, il sait qu’il peut toucher un très vaste public : aussi bien des lecteurs de gauche et d’extrême gauche, qui détestent la République des Jules, accusée d’avoir trahi les espérances mises en elle, et qui saluent une œuvre de salubrité publique, que des monarchistes de toutes obédiences, qui apprécient un organe perçu comme anti-républicain, et donc susceptible de servir la cause de la restauration.

Mirbeau conçoit son hebdomadaire comme un moyen privilégié de faire éclater les scandales étouffés par une presse complaisante ou vénale (voir par exemple « Le Procès de la finance républicaine », 1er septembre 1883), de mettre à nu la pseudo-République, et de démasquer les puissants en révélant les hideux ressorts de leurs âmes, derrière leurs avantageuses « grimaces » de respectabilité – terme emprunté à Pascal pour désigner tout ce qui vise à frapper et duper l’imagination des faibles. L’affiche de lancement des Grimaces, placardée au cours du mois de juillet 1883, est très claire sur ses objectifs d’émancipation intellectuelle d’un public « dupé » et « perverti » : « Si tu veux t’affranchir de cette servitude, [...], à travers ces pages, tu verras grimacer tout ce faux monde de faiseurs effrontés, de politiciens traîtres, d’agioteurs, de cabotins et de filles, toutes ces cupidités féroces, qui te volent non seulement tes écus, mais jusqu’à ta virilité, jusqu’à ta nationalité, jusqu’à ton amour de la Patrie. L’heure est sombre. Il faut lutter – ou tomber. Les Grimaces paraissent pour donner le signal du branle-bas ! » Ce travail de démystification des mensonges sur lesquels repose l’ordre bourgeois, Mirbeau le poursuivra dans toute son œuvre à venir.

L’un des moyens mis en œuvre, dans Les Grimaces, est la dérision, à laquelle Mirbeau restera fidèle. Mais ici il recourt plus souvent, dans ses éditoriaux, à l’emphase et à la violence rhétorique, dont témoigne notamment l’article liminaire, la fameuse « Ode au choléra », et qu’il ne tardera pas à abandonner. Pour l’heure, il se complaît parfois dans l’évocation des catastrophes qui, inévitablement, s’abattront un jour sur la France moribonde et des révoltes populaires qui ne manqueront pas d’abattre un régime exécré (voir notamment « La Fin », 16 octobre 1883).

 

L’antisémitisme



Malheureusement Les Grimaces comportent aussi un certain nombre d’articles antisémites, qui ont contribué à ternir durablement l’image du futur justicier et qu’il ne s’est jamais pardonnés. Les uns sont anonymes, ou signés de correspondants, réels ou fictifs, en France ou à l’étranger ; les autres sont signés Mirbeau et dénoncent, notamment « l’invasion » (15 septembre 1883) et la déplorable cosmopolitisation de la France qui en résulte et qui en parachève la décadence. Il fera un premier et modeste mea culpa un an plus tard, le 14 janvier 1885, dans « Les Monach et les Juifs », et un deuxième, le 15 novembre 1898, au cours de l’affaire Dreyfus, dans « Palinodies ! ». Ce qui est le plus choquant, dans ces pages affligeantes, c’est la reprise de stéréotypes racistes développés par Alphonse Toussenel dans Les Juifs, rois de l'époque : histoire de la féodalité financière (1847), et qui seront popularisés par Édouard Drumont dans La France juive (1886).

Ces articles sont évidemment inexcusables. Mais il convient tout de même de les resituer dans leur contexte historique, antérieur à l’affaire Dreyfus, pour éviter tout jugement anachronique :    l’antisémitisme est alors extrêmement répandu, sur tout l’échiquier politique, non seulement à droite et à l’extrême droite, catholique et nationaliste, comme il continuera de l’être après l’Affaire, mais aussi à gauche et à l’extrême gauche, où il rime bien souvent avec anticapitalisme et anti-oligarchie, de sorte qu’il faudra attendre l’affaire Dreyfus pour que les anarchistes et les socialistes renoncent définitivement à ce thème mobilisateur et consensuel. Par ailleurs, pour le banquier commanditaire des Grimaces, l’antisémitisme est une arme dans la concurrence entre Paribas et la banque Rothschild, que l’on accuse alors d’être responsable du récent krach de la grande banque catholique, l’Union Générale (janvier 1882). Comme Mirbeau n’est pas encore maître de sa plume, force lui est de se soumettre aux directives de son employeur, quitte, dans le n° du 15 décembre, à appeler ses frères, « les prolétaires de lettres,  ceux qui sont venus à la bataille sociale avec leur seul outil de la plume », à « serrer leurs rangs et poursuivre sans trêve leurs revendications contre les représentants de l’infâme capital littéraire ».

Voir aussi Grimaces et Antisémitisme.

P. M.

 

Bibliographie : Claude Herzfeld,   « Méduse et Les Grimaces », Cahiers Octave Mirbeau, n° 7, avril 2000, pp. 87-94 ; Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle, Librairie Séguier, 1990, pp. 157-174 ; Jean-François Nivet,  « L'Antisémitisme d'Octave Mirbeau », L’Orne littéraire, juin 1992  pp. 47-59.

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