Pays et villes

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CORMEILLES

            Cormeilles-en-Vexin est un petit village du Vexin, situé dans l’actuel département du Val d’Oise et qui était peuplé de 660 habitants au début du vingtième siècle. Mirbeau y a habité une partie de l’année pendant quatre ans environ, de 1904 à 1908, dans un manoir acheté par Alice le 25 mars 1904, pour la coquette somme de 158 000 francs. Il s’agit d’un charmant hôtel du XVIIIe siècle, qualifié de « château » par les autochtones. Il est entouré d’un vaste parc et doté d’une terrasse offrant une vue imprenable sur le plateau de Boissy d’Aillerie et, dans le lointain, sur le Mont Valérien. Mais il est tellement immense (trois niveaux, neuf fenêtres sur le devant et à l’arrière, trois fenêtres sur les côtés), qu’il s’avère bien difficile à meubler et à habiter ; et il est si peu commode d’y accéder que les visites attendues ont été bien moins nombreuses qu’espéré. 

À Cormeilles, Mirbeau a tenté de mener la vie d’un gentleman-farmer, et il s’est livré à de multiples cultures florales et horticoles, avec l'aide d'une escouade de jardiniers, parmi lesquels un journalier du nom de Piscot, qui lui inspirera le personnage homonyme de Dingo. Il espérait sans doute naïvement être en mesure de jouer à Cormeilles le même rôle dynamique et progressiste que Voltaire à Ferney. Mais il s’est vite heurté à l’hostilité de paysans xénophobes et rétrogrades, qui ont fini par le décourager d’y demeurer plus longtemps : Alice a donc revendu le « château », le 2 juin 1908. Pas facile d’être un châtelain révolutionnaire trop en avance sur le peuple auquel l’écrivain entendait se dévouer...

Il s’est vengé de ses désillusions par la plume, dans son ultime œuvre narrative, Dingo (1913). Voici comment, au chapitre III, il y présente le village, rebaptisé Ponteilles-en-Barcis : « Ponteilles-en-Barcis, qui domine tout le vaste et gras plateau du Barcis, les jolies et vertes vallées de la Biorne, de la Siorne et de la Viorne, est bâti de chaque côté de la route de Paris à Compiègne, sur une longueur interminable de huit cents mètres. Ce n'est qu'une rue, une rue très sale, horriblement dure et cahoteuse, où s'accumulent les bouses, les crottins et les fientes, où les ordures ménagères s'éternisent au creux des pavés. À gauche, à droite, de petites venelles s'amorcent à la rue, mais, dégoûtées de leurs impuretés, elles vont se perdre tout de suite dans les champs. De vieux bâtiments affaissés, lézardés – étables, écuries, bergeries, dont les murs, sous prétexte de fenêtres, ne sont percés que d'étroites barbacanes, greniers à fourrage entièrement aveugles, en haut desquels, devant une lucarne avancée, une poulie pend, qui grince au vent comme une girouette, maisons sordides, dont les portes charretières s'ouvrent sur des cours où les tas de fumier fument et croupissent dans un bain de purin – longent ces bandes de terre battue, ourlées de chardons, de culs de bouteilles, d'excréments humains, que l'administration municipale nomme des trottoirs, et montrent irrévérencieusement leur derrière aux passants. De petites boutiques, la plupart sans devantures ni étalages, quelques habitations bourgeoises, guère plus somptueuses, mais mieux élevées, montrent leur devant et, rompant la triste et indécente monotonie de ce paysage de pierres accroupies, s'entourent de verdures fanées et d'arbres mal venus qui ne parviennent ni à l'ennoblir ni à l'égayer. »

Quant aux humains qui hantent ces tristes parages, Mirbeau en trace un portrait aussi dévastateur que jouissif, et les Cormeillois ne le lui ont pas encore pardonné, un siècle après. Sous son regard, Cormeilles-en-Vexin apparaît en effet comme un microcosme où sont savoureusement concentrées, pour notre délectation, toutes les pourritures et toutes les hideurs, celles des corps, et plus encore celles des âmes. Misonéisme, xénophobie, lâcheté, sottise superstitieuse, âpreté au gain poussée jusqu'au crime, hypocrisie, sournoiserie, cruauté, les habitants de Ponteilles-Cormeilles, paysans et notables, apparaissent comme autant de spécimens d'humanité sordide qui cumulent les vices et les tares... 

P. M.

 

Bibliographie : Roland Dorgelès, « Promenade chez Octave Mirbeau », Revue de France, 1934, pp. 703-728 (repris dans Portraits sans retouches, Albin Michel, 1952, pp. 138-150) ; Jacques Lombard, « Vingt-cinq ans après Dingo, Cormeilles-en-Vexin hait encore Octave Mirbeau », Paris-Soir, 11 septembre 1932 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau à Cormeilles-en-Vexin », in Marie-Noëlle Craissati (éd), Balades en Val-d'Oise, Paris, Éditions Alexandrines, 1999, pp. 160-173 ; Pierre Michel, « Dingo, ou De la fable à l’autofiction », préface de Dingo, Éditions du Boucher, 2003, pp. 3-28.

 


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