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Terme
UN HOMME SENSIBLE

Cette brochure de 64 pages, parue en 1919 chez Ernest Flammarion, dans la collection « Une Heure d'oubli… », n° 13, comporte pour l’essentiel une longue nouvelle grinçante, au titre ironique, Un homme sensible, parue en neuf feuilletons dans Le Journal, du 25 août au 20 octobre 1901. Elle est complétée par trois contes : « Rabalan », « Piédanat » et « La Folle ». Tous ces textes ont été recueillis en 1990 dans les Contes cruels.

Le narrateur d’Un homme sensible est un assassin et un sadique, qui a toujours pris un plaisir pernicieux à frapper  et persécuter les estropiés et les handicapés. Mais cela ne l’empêche pas pour autant d’affirmer qu’il n’a « jamais été méchant », ni de se prétendre doté « d’une sensibilité excessivement, exagérément douloureuse, qui [le] portait à plaindre – jusqu’à en être malade – les souffrances des autres… », sensibilité dont il fournit de multiples preuves remontant à son enfance. Il est amené à tuer, par jalousie et sous le fouet de l’humiliation, un pauvre bossu, que lui préfère la jolie Marie qu’il « désire », puis la jeune fille elle-même, dont l se lasse vite une fois qu’elle s’est donnée au meurtrier de son amant. Pour justifier ses crimes odieux,  il invoque l’harmonie de l’univers, la beauté de l’Espèce, la « haine du pauvre » ordonnée par la société et « toutes les données de la science moderne », qui prouvent que la nature doit impitoyablement éliminer « tous les organismes inaptes à une vie harmonieuse et forte ».

Le lecteur est délibérément mis mal à l’aise. D’abord, parce que, au lieu de s’identifier au narrateur, comme c’est le plus souvent le cas, il ne peut que le détester. Ensuite, parce qu’il découvre que, contrairement à une vision simpliste et rassurante de la psychologie, la cruauté et la sensibilité ne s’excluent pas forcément et peuvent fort bien coexister chez le même individu. Enfin et surtout parce qu’il ne sait pas très bien comment prendre le plaidoyer de l’assassin. Certes, il peut commodément l’accuser d’être de mauvaise foi. Mais cela ne saurait suffire pour se mettre à l’abri, car les arguments des « lois de la vie » justifiant l’écrasement des faibles sont courants à l’époque dans la société bourgeoise, où triomphe un capitalisme inhumain, qui prétend trouver des légitimations dans le darwinisme. Comme dans Le Portefeuille et Scrupules, Mirbeau a entrepris une démonstration par l’absurde : si le lecteur est révolté par les actes monstrueux du narrateur, il ne peut que rejeter ses justifications théoriques, et donc condamner la « morale » bourgeoise et l’économie capitaliste qui reposent sur les mêmes présupposés ; corollairement, il doit faire de la pitié pour les plus faibles et les plus démunis le fondement de son éthique.

Voir aussi les notices Morale, Darwin, Contradiction, Capitalisme et Contes cruels et Les Vingt et un jours d’un neurasthénique.

P. M.

 

Bibliographie : Angela Di Benedetto, « La parole à l’accusé : dire le mal dans les Contes cruels », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, à paraître en mars 2010.


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