Thèmes et interprétations

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Terme
ADULTERE

L’adultère est un sujet qui n’intéresse absolument pas Mirbeau, alors qu’il est un thème quasiment obligé dans les romans de l’époque et dans les théâtres bourgeois, que ce soit pour faire rire des maris cocus, dans les vaudevilles, ou susciter du drame et du pathétique à bon compte, dans les romans de gare comme dans ceux des « psychologues ». Il n’a que mépris pour cette littérature commerciale, qui flatte les bas instincts de la clientèle, majoritairement féminine, et qui la détourne de questions autrement plus importantes. Et il regrette vivement que son ex-ami Paul Bourget, qui avait pourtant du talent, se soit égaré dans cette voie de perdition. Faisant de lui sa tête de Turc, il l’accuse plaisamment d’avoir « inventé l’adultère chrétien, le canapé chrétien, le bidet chrétien, la garçonnière chrétienne » (« Têtes de Turcs », L’Assiette au beurre, 31 mai 1902) et il  s’inspire de lui pour imaginer et tourner en dérision l’industriel de l’adultère bourgeois et non moins chrétien, « l’illustre Anselme Dervaux (adultères en tous genres, fabrication, commission, exportation) » (« Un grand écrivain », Le Journal, 12 janvier 1896) : à moins de trente ans, il a déjà à son actif la bagatelle d’une trentaine de volumes traitant du rémunérateur adultère, envisagé sous toutes les coutures et dans tous les pays, il  en énumère fièrement les titres et s’enorgueillit d’avoir encore à son programme une vingtaine de nouveaux volumes sur le même sujet (« Une bonne affaire », Le Journal, 22 septembre 1895). Dervaux a pour successeur l’Illustre Écrivain de la série Chez l’Illustre Écrivain, qui paraît dans Le Journal en octobre-novembre 1897 et qui constitue  une nouvelle caricature des pratiques attribuées à Paul Bourget.

Dix ans plus tard, interviewé par Paul Gsell, Mirbeau tourne en dérision le théâtre bourgeois qui ne tourne qu’autour de ce sujet rebattu, avec ses « pantins modernes, qui ne ressemblent à rien de réel, qui n’ont aucune occupation pratique », qui « participent tous à de niaises intrigues d’adultère » et qui « gravitent autour de coucheries laborieusement préparées, comme si la vie ne tendait qu’à ça » (La Revue, 15 mars 1907). La critique littéraire est double : ce théâtre de pur divertissement en est réduit à un nombre extrêmement réduit de situations et est donc condamné à ressasser les mêmes choses ; et, au lieu d’essayer de rendre la vie dans toute sa complication pour interpeller les spectateurs, il la réduit à des schémas conventionnels qui confortent tous leurs préjugés.

Mais ce n’est pas seulement le caractère artificiel et répétitif du thème de l’adultère qui irrite Mirbeau. Il y voit aussi l’expression des préoccupations d’une classe de privilégiés qui  est dépourvue de toute référence éthique et de toute aspiration esthétique, tout en se présentant comme un modèle de moralité, et dont l’univers mental, des plus conformistes, se limite à des préoccupations et obsessions vulgaires. Il est particulièrement exaspéré par le « snobisme » et l’hypocrite bien-pensance « de nos plus accrédités psychologues » – nouvelle allusion à Bourget – qui s’emploient à « faire passer un grand souffle chrétien sur les eaux de toilette qui viennent de laver le secret parfumé des adultères » (« L’Armature », Le Journal, 24 février 1895). L’adultère est en effet un sous-produit du mariage bourgeois, où l’enjeu majeur, selon Mirbeau, est la transmission du patrimoine – d’où la grand-peur du cocuage, qui risquerait de transmettre les biens familiaux à un enfant d’un autre sang – et où l’insatisfaction sexuelle est la règle, en l’absence de sentiments et de désirs partagés entre les époux. Cela devrait les inciter à plus de compréhension pour des infidélités réciproques qui ne portent atteinte à aucun sentiment sincère, à l’instar de la vieille podagre qui, dans Vieux ménages (1894), pousse son mari à faire ses petites affaires avec sa jolie voisine plutôt qu’avec « ses » bonne. Mais les hommes de l’époque ne l’entendent pas de cette oreille, et nombreux sont ceux qui continuent d’être partisans de “deux poids – deux mesures” et de se sentir jalousement propriétaires de leurs épouses, sur lesquelles ils prétendent même posséder, non seulement le droit, mais aussi le devoir de les tuer si jamais ils les surprenaient en flagrant délit d’infidélité. Mirbeau se dresse contre ce monstrueux « privilège » et ce « droit » exorbitant qu’ils s’arrogent impunément, dans une de ses chroniques parues, sous le pseudonyme de Montrevêche, au lendemain de la loi Naquet instaurant timidement le divorce : « Fini de rire » (L'Événement, 28 août 1884).

Voir Mariage, Amour, Les Amants.

P. M.

 

Bibliographie : Octave Mirbeau, Chez l’Illustre Écrivain, Ernest Flammarion, 1919.

 


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