Thèmes et interprétations

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Terme
LARVE

Le terme de « larve », et les adjectifs « larvaire » et « larveux », qui en sont dérivés, servent, chez Mirbeau, à désigner ou caractériser des êtres façonnés, conditionnés, crétinisés par la société bourgeoise et dont les qualités intellectuelles et les vertus morales ont été dûment laminées : d’abord par le rouleau-compresseur de l’“éducastration” par la sainte trinité de la famille, de l’école et de l’Église qui, toutes les trois, s’emploient à déformer les cerveaux malléables des enfants ; et, par la suite, par la presse aliénante et les divertissements pour hilotes proposés par la société de l’époque. Les romans et, plus encore, les contes de Mirbeau présentent nombre de ces dérisoires – parfois aussi douloureuses – existences larvaires d’êtres humains déshumanisés et décervelés, qui ont été réduits à un état de simples mécanismes dépourvus de toute capacité de réflexion et de tout libre arbitre – ce qui ne les empêche pas d’être féroces, à l’occasion. Il s’agit le plus souvent de petits-bourgeois engoncés dans des principes stupides et prisonniers d’une vie répétitive et « immonde » : commerçants, notaires, petits fonctionnaires, militaires, bistrotiers, politiciens, employés, plus rarement enseignants, tel Isidore Tarabustin, ou médecins. Les prolétaires des usines et des champs semblent échapper à cette stigmatisation, même si le romancier ne donne pas toujours d’eux une image positive, parce que, pour lui, ce sont avant tout des victimes à défendre. A fortiori les marginaux qui, du fait de leur distance, peuvent jeter un regard différent sur la société qui ne se soucie pas de les intégrer et, du coup, sont potentiellement subversifs. Mais c’est la figure de l’artiste qui constitue la véritable antithèse de la « larve ».

Mirbeau n’éprouve pour les êtres larvaires que du dégoût, que le mot de « larve » suggère bien, et il s’emploie à nous le faire partager, en espérant peut-être que certains de ses lecteurs, en se reconnaissant dans le miroir qu’il leur tend, prennent horreur des immondes et « croupissantes larves » qu’ils y découvrent, à l’instar du narrateur de Dans le ciel. Dans sa farce L'Épidémie (1898), il fait prononcer, par le maire de la ville et un vieux conseiller municipal, l’éloge paradoxal d’une « larve » inconnue, un petit-bourgeois qu’il prénomme Joseph, par référence au personnage d’Henri Monnier, Joseph Prudhomme : « Admirons-le, car jamais il ne goûta la moindre joie, ne prit le moindre plaisir... Même au moment de sa jeunesse... même au moment de sa richesse... il ne connut pas ce que les plus pauvres des mendiants connaissent parfois... une heure de bon temps ! Il se priva de tout et vécut plus misérable que le vagabond des grandes routes, mais content dans son devoir accompli... Jamais, non plus, il ne voulut accepter un honneur, une responsabilité, dans la crainte d’avoir à payer cela par des obligations... des charges... des affections peut-être... qui l’eussent distrait de son œuvre... [...] Comme il sut écarter de sa maison les amis, les pauvres et les chiens !... Comme il sut préserver son cœur des basses corruptions de l’amour... son esprit des pestilences de l’art !... Il détesta – ou, mieux, il ignora – les poésies et les littératures... car il avait horreur de toutes les exagérations, étant un homme précis et régulier... Et si les spectacles de la misère humaine ne lui inspirèrent jamais que le dégoût... en revanche, les spectacles de Ia nature ne lui suggérèrent jamais rien... Chaque matin, il s’en remettait au Petit Journal du soin de sentir et de penser pour lui. »

Sur les larves humaines, voir notamment le chapitre V des Contes cruels, précisément consacré aux « existences larvaires », et aussi L'Épidémie, Les Mémoires de mon ami, Les 21 jours d’un neurasthénique et les premiers chapitres de Dans le ciel.

Voir aussi les notices Bourgeois, Marginalité et Artiste.

P. M.


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