Thèmes et interprétations

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Terme
RECYCLAGE

En gestionnaire avisé du fruit de son travail et soucieux de le rentabiliser au maximum, Mirbeau a procédé à un constant recyclage de sa production, journalistique ou narrative, comme l’ont fait de la leur des compositeurs tels que Vivaldi, Mozart ou Rossini. Pour la plupart des conteurs et chroniqueurs de son époque, par exemple Guy de Maupassant, le procédé le plus simple, pour ne pas dire le plus rudimentaire, consistait à recueillir précieusement en volume les contes ou les chroniques de l’année écoulée. Or, chose curieuse, Mirbeau s’en est bien gardé : sa seule tentative en ce sens a été la publication de ses Lettres de ma chaumière, en novembre 1885, et encore n’y a-t-il pas repris plusieurs textes parus dans la presse sous ce titre générique (par exemple, « Le Homestead »), et y a-t-il introduit des inédits (par exemple « Agronomie »  ou « Un poète local »). Quand il songera à une nouvelle édition, qui paraîtra sous un nouveau titre, Contes de la chaumière (1894), il en éliminera la moitié, de sorte que le nombre en sera réduit à 14, total dérisoire au regard des quelque 200 contes parus dans la presse au cours de sa longue carrière. Visiblement, il jette un regard critique sur une production trop alimentaire à ses yeux, ou trop liée à des événements conjoncturels vite oubliés, pour méritée d’être recueillie en volume.

Un deuxième procédé de recyclage, un peu plus subtil, consiste à transformer un conte comportant pas mal de répliques, ou un dialogue relativement sommaire, en une pièce de théâtre plus développée, les éléments descriptifs ou narratifs étant alors intégrés dans les abondantes didascalies : c’est ainsi que les six petites pièces en un acte recueillies en 1904 dans les Farces et moralités résultent de l’aménagement de textes de journaux : L'Épidémie, Vieux ménages, Les Amants et Interview ont paru d’abord dans la série Les Dialogues tristes de L’Écho de Paris ou dans Le Journal, cependant que Scrupules et Le Portefeuille, moyennant d’inévitables adaptations, reprennent l’essentiel de la matière de deux contes du Journal, que Mirbeau a insérés par ailleurs dans Les Vingt et un jours d’un neurasthénique (1901) : soit trois utilisations d’un même texte, cas qui n’a rien d’exceptionnel chez Mirbeau.

Mais les deux procédés les plus caractéristiques de la pratique mirbellienne du recyclage, et qui traduisent tous les deux l’influence de son « dieu » Auguste Rodin, sont la fragmentation et le collage : ce sont les deux faces d’un même processus de décomposition-recomposition. Dans un cas, il s’agit de décomposer un ensemble préalable, roman ou longue nouvelle, plus rarement pièce de théâtre (c’est seulement le cas des deux premières scènes de Les affaires sont les affaires), en éléments simples, publiés indépendamment, et dont plusieurs ont paru sous le titre symptomatique de « Fragments ». Dans l’autre cas, processus inverse et complémentaire, il s’agit de faire voisiner des textes d’origines différentes et de recomposer un ensemble à partir d’éléments conçus séparément. Dans les deux cas, les « travaux de couture », comme dit Bertrand Marquer, traduisent une rupture avec la conception du roman dominante au dix-neuvième siècle : un récit cohérent, doté d’une structure forte, qui a un début, un milieu et une fin, qui suit un fil directeur et où tout se tient. C’est le finalisme inhérent à cette conception, même chez un romancier athée comme Émile Zola, que refuse précisément Octave Mirbeau.

Voir aussi les notices Collage, Fragmentation, Roman, Le Jardin des supplices et Les Vingt et un jours d’un neurasthénique.

P. M.

 

Bibliographie : Bertrand Marquer, « Travaux de couture : Le Jardin des supplices et Les 21 jours d’un neurasthénique d’Octave Mirbeau », Nouveaux Cahiers François Mauriac, 2005, pp. 119-136 ; Pierre Michel, « Les Farces et moralités », in Actes du colloque Octave Mirbeau d'Angers, Presses de l'Université d'Angers, 1992, pp. 379-392 ; Pierre Michel,  « Le Jardin des supplices : entre patchwork et soubresauts d'épouvante », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 46-72 ; Éléonore Roy-Reverzy, « D'une poétique mirbellienne : Le Jardin des supplices », Cahiers Octave Mirbeau, n° 3, 1996, pp. 30-45. 

 


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