Pays et villes

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Terme
GRECE

 Dès le milieu du dix-neuvième siècle, la littérature française et francophone occupe une place prépondérante parmi les lettrés grecs, à la fois dans le pays officiel et dans la région orientale de l’hellénisme. Dans ce cadre, le premier contact de la Grèce avec Mirbeau se situe officiellement en 1900 par la publication en grec du conte « Τα δύο ταξίδια» (« Les deux voyages ») dans le journal Αλήθεια ["Vérité"] à Lemesos. Pendant les trois premières décennies du vingtième siècle, huit contes de Mirbeau sont publiés dans la presse, surtout de l’hellénisme majeur, dont le public est très cultivé. Si Smyrne se trouve à la fin de son apogée, avant le désastre militaire de 1922, Chypre commence son développement dans la deuxième décennie, et Alexandrie achève son épanouissement intellectuel jusqu’en 1930. Le conte suivant, qui s’intitule « Κοιμήθηκαν!» [“Ils ont dormi”] a été initialement traduit en langue vulgaire par L. Th. dans Κόσμος [“Monde”] à Smyrne en 1911, et ensuite en langue pure « Εκοιμήθησαν» (“Ils ont dormi”), dans Φάρος [“Phare”], à Alexandrie, en 1922. « Ο θάνατος του σκύλου » (« La Mort du chien »), traduit par un collaborateur, apparaît dans Απ’όλα [“De tout”] à Constantinople, en 1912. De nouveau à Lemesos, « Η τρελλή » (« La Folle ») est traduit dans le journal Σάλπιγξ [“Trompette”]  par Aim. Chourmouzios, en 1924.

À la différence de l’hellénisme majeur, la presse athénienne n’accorde qu’une place médiocre à Mirbeau. C’est seulement en 1926 que paraît « Πιεντάνα » (« Piédanat »), traduit par Takis Pedelis dans la revue littéraire bimensuelle Όρθρος [“L’Aube”], et l’année suivante un texte, dont le titre n’a pas pu être repéré, a été traduit dans la revue semestrielle, littéraire, artistique et sociale Κυριακή του ελεύθερου βήματος [“Dimanche de la marche libre”], selon l’étude intitulée Dans les Revues de Lettre et d’Art rédigée par Lefteris Papaleodiou. Enfin, le dernier conte mirbellien intitulé « Στον κάμπο» [“Dans le champ”], qui figure dans la presse de l’hellénisme majeur, est publié dans Νεοελληνικόν Ημερολόγιον [“Journal néo-hellénique”], à Alexandrie, en 1929. Notons qu’à part les deux journaux signalés en tant que tels, les autres traductions figurent dans des imprimés de contenu littéraire dont la forme exacte n’est pas connue. En effet, la traduction d’un conte en langue vulgaire, au lieu d’un roman, s’inscrit dans le cadre de l’épanouissement de la presse littéraire à cette époque-là, qui favorise l’établissement de la langue populaire (démotique). De plus, les intérêts thématiques et les normes esthétiques particulières des romanciers grecs ne favorisent pas la traduction autonome des livres mirbelliens, imprégnés des idées progressistes et d’un réalisme mordant.

Cependant, après cette date, qui clôt la première étape de la réception mirbellienne en Grèce, l’intérêt pour l’auteur s’atténue. Un grand décalage s’ensuit jusqu’en 1972, qui reflète les orientations différentes des lettrés grecs, gravement marqués par la deuxième guerre mondiale et la guerre civile qui a suivi. La réapparition de Mirbeau coïncide avec la génération des années 70’, qui semble disposée à contester le fondement des institutions sociales. Après le passage d’une cinquantaine d’années, le contexte sociopolitique grec apparaît propice à recevoir la critique austère et caustique de la société, les idées démocratiques et socialistes, et même la défense des idéaux humanitaires qui composent la philosophie mirbellienne. Dans cette deuxième étape, figurent les traductions autonomes d’œuvres de Mirbeau, repérées actuellement dans des bibliothèques publiques, mais épuisées dans les librairies depuis longtemps. Le premier roman traduit en 64 pages, qui s’intitule Απομνημονεύματα ενός φτωχού διαβόλου (Souvenirs d’un pauvre diable), apparaît dans la Nouvelle Collection des petits chefs-d’œuvre de la littérature internationale intitulée « Des petits élus », n° 4, et publiée par les éditions Labropoulou, à Athènes, en 1972. Il s’agit d’une traduction anonyme sans introduction, qui se contente de citer une courte biographie de Mirbeau. La deuxième traduction autonome, Ο κήπος των μαρτυρίων  (Le Jardin des supplices), est réalisée par Alina Paschalidi, pour le compte des éditions Estia, à Athènes, en 1989. L’approche critique approfondie du roman par la traductrice attire la curiosité du public et permet pour la première fois une meilleure connaissance de la personnalité de l’écrivain. Enfin,  Το Ημερολόγιο μιας καμαριέρας (Le Journal d’une femme de chambre), qui est traduit par Babis Lycoudis, aux éditions Kastaniotis, Bibliothèque de l’Amour, à Athènes, en 1995, renouvelle l’intérêt qu’a provoqué le film de Luis Buñuel en 1964. À la différence de la première de ces traductions, les deux suivantes sont bien soignées et comportent, dans leur introduction, une biographie détaillée de Mirbeau. Par ailleurs, à travers une analyse critique, les traducteurs initient le lecteur à la pensée mirbellienne, perspicace et satirique, exprimée dans ses ouvrages de dénonciation sociale. À propos du Journal, Lycoudis remarque que le roman traite du fossé et de la dialectique développée entre le maître, qui est attiré par la spéculation et les idées totalitaires dans une société malsaine, et l’esclave, qui, loin d’en faire partie intégrante, est corrompu à l’image de ses patrons. À son tour Alina Paschalidi, dans Le Jardin, peint Mirbeau comme une personnalité discutée, exubérante et explosive, et souligne son rôle majeur d’accusateur furieux de la corruption sociale et politique grâce à son humeur sarcastique et parfois drôle.

Mirbeau est donc connu chez les Grecs plutôt en tant que romancier et moins en tant que journaliste. Quant à son rôle de dramaturge, il est très tôt reconnu en Grèce, comme la compagnie Lorandos Petalas a monté en 1900 Οι κακοί ποιμένες (Les Mauvais bergers), un drame imprégné par le sens de la protestation sociale et donc strictement lié au développement du courant ouvrier en Grèce. Sa traduction en judéo-espagnol, Los negros pastores, publiée à Salonique par les éditions « El Avenir » en 1912, témoigne de la place considérable qu’occupe Mirbeau chez les Juifs hispanophones qui habitaient en Grèce à cette époque et dont la culture séfarade vivace s’intéressait à la littérature française. Par ailleurs, la pièce Les affaires sont les affaires a été montée plusieurs fois à Athènes sous le titre Χρηματιστής [“Le Financier”], et aussi dans l’île de Syros en 1909, ce qui révèle sa grande répercussion non seulement dans la capitale grecque, mais aussi dans une province insulaire. Enfin, Το Πορτοφόλι  (Le Portefeuille) a été joué en 1904 par la compagnie Nea Skini à Athènes. La préférence du public grec pour les pièces citées est évocatrice de ses préoccupations et aspirations socio-économiques à cette époque, marquée par une crise intérieure politique profonde. L’adaptation de ces œuvres sur les scènes grecques trahit la reconnaissance, même partielle, de Mirbeau chez les spectateurs grecs.

Malgré l’accueil favorable du théâtre de Mirbeau, son impact paraît restreint sur les romanciers grecs, en raison de la connaissance incomplète de son œuvre, qui se réduit aux introductions critiques de deux romans. Si les articles littéraires y font défaut, il existe cependant des références biographiques de Mirbeau, dans plusieurs encyclopédies grecques, de 1961 jusqu’à nos jours.

A. S.

 

Bibliographie : Antigone Samiou, « La Réception de Mirbeau en Grèce », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 112-118.


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