Thèmes et interprétations

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Terme
RECLAME

Le mot « réclame » désignait, au dix-neuvième siècle, ce qu’on appelle aujourd’hui « publicité ». Elle était, quantitativement, sans commune mesure avec ce qu’elle est devenue dans la société de consommation effrénée et de gaspillage éhonté. Mais ce qui intéresse le plus Mirbeau, et ce qu’il dénonce vigoureusement, ce ne sont pas les encarts publicitaires dans les journaux pour des hôtels, des restaurants, des remèdes miracles ou des produits de l’industrie, c’est la pratique d’écrivains qui, pour percer le mur d’indifférence, ou pour entretenir la flamme de la célébrité, misent sur le bruit fait autour d’eux à propos de choses qui n’ont pas le moindre rapport avec la littérature et ne témoignent aucunement de leur talent. Mirbeau est exaspéré par ces procédés, qui permettent à des médiocres de monter au pinacle, cependant que des écrivains talentueux et originaux, mais trop discrets, tels que Léon Hennique, Jean Lombard, Émile Hennequin ou Élémir Bourges, sont condamnés à l’incognito. Pour un assoiffé de justice comme lui, il y a là une choquante injustice qui le révolte. Aussi lui consacre-t-il deux de ses chroniques et met-il en scène, dans Chez l’Illustre Écrivain (voir la notice), .un écrivain caricaturalement inspiré de Paul Bourget et qui sait s’organiser une bonne réclame pour écouler ses innombrables romans consacrés à l’adultère.

Dans la chronique précisément intitulée « Réclame » (Le Gaulois, 8 décembre 1884), Mirbeau stigmatise le recours à cette pratique, devenue si générale qu’on en arrive presque à « s’étonner aujourd’hui qu’un auteur, pour faire de la réclame à son livre et lui assurer le succès, n’aille pas jusqu’au vol et à l’assassinat » : « C’est le cas de presque tous les écrivains du moment. Chacun a son mode de publicité, sa petite agence personnelle, ses trucs pour lesquels, sans doute, il prend des brevets d’invention ; formidable concurrence aux agences connues et qui paient patente. [...] Ainsi nous en sommes là en ce siècle de la Réclame. Le talent n’est plus rien, l’art ne compte pas, le génie reste à terre, impuissant, rampant tristement sur les moignons de ses ailes coupées, s’il n’est promené à travers les rues par les pitres, affublé de costumes grotesques, comme un queue-rouge. » Ce qu’il juge malgré tout « consolant », c’est que « la réclame éhontée des mauvais livres nous rend plus précieuse encore la beauté des beaux livres » et que, comme « tout marche impitoyablement vers un but moral et défini »,  « l’éternelle Beauté » finira bien par triompher, « par-delà les cris, les blasphèmes, au-dessus des bouches tordues, à travers les poings convulsés ». Cinq ans plus tard, dans « Le Manuel du savoir écrire » (Le Figaro, 11 mai 1889), il feint d’expliquer à son naïf ami Léon Hennique, par trop ignorant des progrès réalisés en matière de marché littéraire, où en est arrivée désormais la littérature : « La littérature est devenue, aujourd’hui, un métier très compliqué, très en dehors, où la force du talent, la qualité de la production ne sont rien, où la mise en scène spéciale et continue de la vie de l’auteur est tout. Il ne s’agit plus de créer une belle œuvre, il faut savoir s’organiser une belle réclame. Et cette réclame savante, raffinée, ne portera pas directement sur les livres, ce qui serait grossier et ne contenterait personne ; elle englobera les choses étrangères au travail littéraire et se diffusera, de préférence, sur les sports qu’un homme bien né est susceptible de pratiquer. Je me permettrai d’indiquer à M. Léon Hennique, dont la naïveté me navre, quelques-uns des moyens les plus utilement employables. Ils dérivent tous d’une nouvelle opération de l’esprit que nos meilleurs psychologues ont baptisée de ce nom : “le déquintuplement”. C’est à la portée de tout le monde, quand on a beaucoup de courage et une absence complète de dégoût. Auparavant je crois utile de poser un axiome d’où découle toute la philosophie de la réclame moderne : Le ridicule n’existe pas. Ceux qui, pénétrés de cette vérité, osèrent le braver en face, conquirent le monde. »

Les écrivains qu’il met particulièrement en cause, pour leur recours abusif à la réclame, sont Jean Richepin, Guy de Maupassant, et plus encore son ex-ami Paul Bourget, qui, sans être nommé, n’en est pas moins la cible unique du « Manuel du savoir écrire ».

P. M.

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