Familles, amis et connaissances

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Terme
BOUGUEREAU, william

BOUGUEREAU, William (1825-1905), symbole de l’académisme et du salon officiel, ce peintre français connut une notoriété considérable grâce à ses nus allégoriques et ses scènes mythologiques. Après des débuts aux Beaux-arts de Bordeaux, il intégra l'atelier de Picot. Prix de Rome en 1850, il demeura en Italie jusqu’en 1854. De retour en France, il prit part à l’Exposition Universelle de 1855. Travailleur infatigable, ses compositions furent remarquées et achetées par l'État et les collectionneurs. Grâce au soutien du galeriste Durand-Ruel, son succès s’étendit à l’étranger (de nombreux acheteurs américains). À la célébrité s’ajoutèrent les reconnaissances officielles (Légion d’Honneur, membre de l’Institut, professeur à l’École des Beaux-Arts et à l’Académie Julian), qui consacrèrent son talent et lui conférèrent une autorité incontestée sur l'ensemble de la production artistique soumise aux jurys dont il faisait partie.

 

Bouguereau, l’artiste officiel dans toute sa gloire


Si Mirbeau châtie tous les artistes qui font le jeu du pouvoir, il frappe, plus durement encore, Bouguereau, car il est la plus parfaite incarnation de cette compromission. En phagocytant toutes les organisations officielles, il s’affirme, en effet, comme l’ambassadeur le plus zélé de l’État. Rendu célèbre grâce à ses “nus en saindoux” à la matière lisse et comme vitrifiée, il est de tous les Salons, de toutes les manifestations institutionnelles. Ce peintre, qui a obtenu toutes les récompenses et les plus hautes distinctions, n’inspire à Mirbeau qu’horreur et damnation. Si pour Huysmans, Bouguereau était la négation absolue de l’art, pour Mirbeau il est le paradigme de l’anti-artiste. En tous points, il est l’exemple à ne pas suivre. Assoiffé d’honneurs, il est l’un des peintres les plus prisés du Salon et son nom figure dans toutes les listes des manifestations officielles. « Dans la séance annuelle de l’Académie des Beaux-Arts, M. Bouguereau a prononcé un discours et proclamé les noms des lauréats des prix de Rome. Cela s’est passé avec beaucoup de solennité et beaucoup d’ennui, ainsi qu’il convient à l’Académie des Beaux-Arts, aux prix de Rome, à M. Bouguereau et à ses nymphes, ces fameuses nymphes où l’on s’ennuie » (La France, 3 novembre 1885). Artiste à la mode, il inonde le Tout-Paris de sa production. Il n’est pas un endroit à la mode où ne gambade une de ses nymphettes. Faisant feu de tout bois et cimaise de tout mur, il sévit dans tous les lieux bien fréquentés : « Pourquoi n’exposerions-nous pas dans les égouts ? dit celui-ci. Les égouts sont à la mode. On y joue du Beethoven... On pourrait bien y accrocher du Bouguereau, ce semble » (Le Journal, 18 avril 1897). Mirbeau qui, aux rumeurs de la foule, préfère le silence de ses fleurs, se fait un devoir de stigmatiser la conduite vénale de cet homme qui, d’après lui, ne considère la peinture que comme un lucratif gagne-pain. Il dénonce également « ses nymphes, ses vierges, ses apôtres, ses petits amours, ses petits saint-Jean soufflés de crème et poudrés de sucre, toute cette pâtisserie fadasse, toute cette sirupeuse confiserie » (L’Écho, 25 juillet 1889), qui l’écœure mais qui séduit les foules. Même si cette admiration l’agace, il la comprend. En effet, il reconnaît à Bouguereau, à défaut de talent, du métier. La foule inculte a besoin d’admirer. Concevoir les découvertes déterminantes de Monet ou le génie de Van Gogh n’est pas donné à tout le monde. L’art nécessite une éducation. Il faut que l’œil s’habitue à ces artistes révolutionnaires qui déchirent l’espace pictural pour en créer un nouveau. Chez l’auteur de La Naissance de Vénus (1879), rien de comparable, ses sujets sont éculés et son exécution plate. Sa peinture banale et pseudo-classique n’a rien de déroutant, elle est accessible à tous. Le public, face à ces œuvres, est heureux. Il connaît les épisodes de la Bible auxquels il est fait référence, il n’est pas perdu devant ces grandes figures allégoriques et la grâce de Vénus lui est tellement familière qu’il peut se permettre d’admirer le travail et s’exclamer « Mon Dieu, que c’est donc charmant ! » (L’Ordre, 19 mai 1874). Au grand désespoir du Mirbeau, les heures passées à effacer tout signe de vie, à dissimuler la moindre trace de pinceau sont plus éloquentes pour les néophytes que les virgules colorées de Pissarro ou les larges aplats de Manet. Si l’engouement du public pour cette peinture “poildecutée” ne l’étonne donc pas, la notoriété de Bouguereau ne le surprend pas davantage : l’État a toujours eu besoin de fiers représentants et il en a trouvé un en la personne de l’illustre artiste, bardé de décorations, médaillé comme un veau gras.

 

Bouguereau, la fin d’un règne


Mais cette course aux honneurs l’horripile, il se gausse de ce besoin frénétique de considération. Non sans causticité, le critique résume ainsi les théories du peintre de l’Institut : « Pour M. William Bouguereau, l’art n’est […] qu’une question de places, de médailles et de jury. Et, là où il n’y a plus de médailles, ni de gens qui les distribuent à M. William Bouguereau, il n’y a plus d’art »,  il jubile de voir le dépit du peintre quand, à l’occasion de l’Exposition centennale de l’art français, la première place est attribuée à Manet et non à lui-même : « Il eût été pourtant si simple de tout concilier en attribuant toutes les places de cimaise et toutes les médailles disponibles au seul M. Bouguereau » (L’Écho, 25 juillet 1889). Sa vanité ne l’étonne pas, elle est même, pour lui, l’apanage de tout académicien qui se respecte, mais ce que le critique n’admet pas, c’est son intolérance et sa médiocrité : sectaire et péremptoire, il juge les autres en fonction de ses propres critères esthétiques, tout art qui essaye d’échapper à la pâle copie des anciens ou au pitoyable plagiat des classiques est irrémédiablement condamné, l’authentique semblant l’effrayer, il opte pour l’illusion. Comme il manque d’imagination et n’a aucun sens de l’observation, son art se borne à une imitation servile de l’antique. Cette manière factice d’exprimer les sujets qu’il traite exaspère Mirbeau. Tout ce qu’il touche semble mourir sous ses doigts. Qu’il exécute des tableaux de genre, des peintures historiques ou religieuses, le résultat est identique : cela sonne faux. Il ment, quelque thème qu’il aborde. Alors que les Pissarro, les Renoir, les Degas, savent le plus souvent trouver le ton juste, rendre la vérité des corps et des décors dans lesquels ils évoluent, Bouguereau, lui, se leurre et abuse les autres. D’ailleurs, quand le critique veut faire des comparaisons humiliantes, quand il cherche à rabaisser un  artiste ou quand, à court d’arguments pour exprimer un effroi devenu indicible, il tente d’exprimer le paroxysme du mauvais goût, il cite son nom : « À ce compte, je ne vois pas pourquoi on ne commanderait pas à M. Bouguereau l’exécution des cartons de Raphaël » (Le Journal, 29 décembre 1901). Mais avec le temps, l’illusion finit par disparaître et cette peinture sans vie par expirer. Quelle joie pour le chantre de l’impressionnisme de voir que les artistes qu’il a toujours aimés et défendus supplante enfin les académiques ! Devant la chute de leurs côtes, certains peintres pompiers, redoutant le sort qui les attend, décident de se mettre au goût du jour et d'adopter la manière impressionniste. Que leur importe le reniement pourvu qu'ils continuent de plaire ! Malheureusement pour eux, il ne suffit pas de rehausser par des couleurs violentes des toiles médiocres pour en faire des chefs-d'œuvre. Mirbeau se réjouit donc du désarroi de Bouguereau qui ne sait plus quoi faire pour donner un deuxième souffle à sa carrière et une deuxième chance à « ses mythologies encaustiquées, [à] ses bondieuseries cireuses » (Le Journal, 29 avril 1893). Aux dires du critique, Bouguereau est prêt à tout, même à changer les cuisses celluliteuses, qui avaient fait le succès de ses nymphes aux faux airs de Rubens, contre des jambes meurtries d’ecchymoses pour paraître avant-gardiste : « Et M. Bouguereau restait sombre, songeant à enduire les cuisses de ses nymphes de violets brutaux et de bleus hurleurs » (L’Écho, 8 février 1889). Pourtant, et en dépit de ses tentatives désespérées pour “moderniser” sa peinture, ses toiles demeurent banales et éculées. Quoi qu’il fasse, il reste enlisé dans les marécages académiques et son art, faute d’air et de lumière, finit par s’évanouir avec lui. Constatant l‘inanité de ses efforts pour paraître moderne, il essaie alors de déprécier, allant même jusqu’à les calomnier, les artistes réellement novateurs : « M. Bouguereau, l’autre jour encore, ne se répandait-il pas en injures violentes et profondément comiques contre les peintres qui préparèrent cette évolution, [celle de l’art contemporain] » (Le Journal, 13 mai 1894). Mais, malgré toutes ses démarches, il ne parvient à sauver ni la face ni l’honneur. Les attaques des critiques, puis celles du temps, vont finir par pousser ce peintre et ses toiles dans la trappe des oubliés, comme Mirbeau l’avait prophétisé.

L. T.-Z.

 

Bibliographie : Laurence Tartreau-Zeller, Octave Mirbeau – Une critique du cœur, Presses du Septentrion, Lille, 1999, pp. 160-168, 184-190 et 228-233.


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