Familles, amis et connaissances

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Terme
BLOY, léon

BLOY, Léon (1846-1917), célèbre romancier et pamphlétaire catholique, qui a en commun avec Mirbeau la soif d’absolu, un verbe flamboyant, et aussi le refus des compromissions, ce qui l’a souvent condamné à la misère, nonobstant son habitude de taper tout un chacun à tour de rôle. Il a collaboré à la Revue du monde catholique, au Chat noir, au Figaro, au Gil Blas et à L’Événement, mais il a toujours trouvé le moyen de se brouiller avec tout le monde :  il n’était pas pour rien « le mendiant ingrat ». Le volume qui l’a lancé, en 1884, était de programmatiques Propos d’un entrepreneur de démolitions. Il est aussi le fondateur, le 4 mars 1885, d’un pamphlet hebdomadaire, Le Pal, dont la tonalité est proche de celle des Grimaces et qui n’aura que cinq numéros, que Mirbeau avait dans sa bibliothèque ; il y a notamment évoqué l’affaire Gyp-Alice Regnault (voir ces notices) dans celui du 11 mars 1885. Ses deux romans les plus célèbres sont Le Désespéré (1887), roman largement autobiographique et à clefs, où il apparaît sous le nom de Caïn Marchenoir, et La Femme pauvre (1897), dont Mirbeau a rendu compte très élogieusement. Citons encore ses récits sur la guerre de 1870, Sueur de sang (1893), ses Histoires désobligeantes (1894), La Chevalière de la mort (1896), ses articles de polémique recueillis dans Belluaires et porchers, Le Salut par les juifs (1892) et l’Exégèse des lieux communs (1902). On a publié récemment son Journal intégralement (la première partie avait paru en 1898 sous le titre Le Mendiant ingrat).

            Les relations entre Bloy et Mirbeau sont complexes. Car s’ils manifestent une même exécration pour la société bourgeoise et toutes ses fausses gloires, ce n’est pas du tout pour les mêmes raisons ; s’ils sont tous deux des « entrepreneurs de démolitions », ils n’ont pas pour autant le même projet de reconstruction ; si leur tempérament est « analogue », ils ne servent pas les mêmes causes ; et s’ils sont tous deux assoiffés d’idéal, leurs valeurs sont en réalité antipodiques. Pour Bloy, Mirbeau est un impie, auteur de « livres absolument criminels », et, pour Mirbeau, Bloy est un égaré qui s’est trompé d’époque, pour ne pas dire un fou ou un fanatique : « plusieurs abîmes » les séparent bel et bien. Comment pourraient-ils se comprendre ? Quant à la célébrité et à la richesse du journaliste le mieux payé de son temps, ils ne pouvaient qu’irriter un écrivain aigri, condamné à une misère noire et qui se voit en victime expiatoire. Il faut croire néanmoins que Bloy espérait quelque chose de son confrère mieux gâté par la Fortune, puisqu’il lui adresse deux volumes dédicacés. En 1892,  Le Salut par les Juifs, agrémenté de cet envoi : « À Octave Mirbeau / auteur du Calvaire, offert par celui qui est seul contre tous depuis dix ans et dont les plus intrépides craignent de parler / Léon Bloy » En 1894, ses Histoires désobligeantes : « À Octave Mirbeau / D’un solitaire biblique dont la / main est levée contre tous, et contre / qui la main de tous est levée / Léon Bloy ».

  En 1897, il accepte qu’un admirateur de Rodin, le capitaine Bigand-Kaire, établisse le premier contact avec Mirbeau lors de la publication de La Femme pauvre. Sollicité par Bigand, Mirbeau donne son accord de principe pour rédiger un article, et Bloy l’en remercie le 30 mai 1897, car il connaît la puissance de conviction du critique et sa capacité à lancer des écrivains et des artistes qu’il admire  : « Vous paraissez aimer la Justice pour laquelle je meurs depuis dix ans. L'occasion n'est pas banale et vous ne chercherez pas en vain le cœur du réprouvé quand vous chercherez son cœur.  / Une page au moins de la Femme pauvre fut écrite pour vous. C'est la page 311-12, quand je raconte mes propres funérailles sous le pseudonyme autobiographique et presque célèbre de Caïn Marchenoir. Oui, à cet endroit-là, j'ai pensé à vous, Mirbeau, avec un peu d'amertume, je le confesse, mais non pas, peut-être, sans espérance, j'ose l'avouer. » L’article de Mirbeau, intitulé « Léon Bloy »,  paraîtra le 13 juin dans Le Journal (http://www.scribd.com/doc/8448794/Octave-Mirbeau-Leon-Bloy-). Il commence par ironiser sur les « braves gens » qui ont déversé sur l’auteur du Désespéré les plus absurdes et les plus injustes des calomnies. Puis il exprime son admiration pour « un homme d’une rare puissance verbale, le plus somptueux écrivain de notre temps, dont les livres atteignent parfois à la beauté de la Bible », et qui est « en état permanent de magnificence ». Il en loue « les fulgurantes images », dont il cite quelques exemples. Puis il déplore que, à une époque où tant d’« écrivailleurs » encombrent les rayons des librairies et les « cervelles bourgeoises », Bloy soit le seul « à qui il soit interdit de vivre de son métier ». Aussi invite-t-il les lecteurs à lire La Femme pauvre, sans se laisser arrêter par les rancunes des uns, le lâche silence et l’incompréhension des autres. Le malentendu vient de ce que « Bloy n’est pas quelqu’un de notre temps : il est dépaysé dans ce siècle qui ferme ses oreilles à la parole ardente des vieux prophètes ».

Le jour même, Bloy remercie Mirbeau : « Monsieur, je viens de lire votre généreux article et je ne veux pas attendre une heure pour vous remercier. La page 311 est glorieusement démentie. Vous remercier ! hélas ! comment le pourrais-je sans sottise ? Votre tempérament est trop analogue au mien pour que vous ne sentiez pas ce que votre vaillance a dû me faire éprouver. / Vous êtes le premier. Cela dit tout. J'ignore ce que vous avez risqué pour moi, car il n'y a pas de feuille plus hostile à Léon Bloy que le Journal, et tous les Xau de la boutique ont dû frémir J'admire que vous ayez pu vous arranger de mon Absolu chrétien. Car enfin l'auteur de vos livres est séparé de moi par plusieurs abîmes. [...]  / Vous avez très-bien vu, du moins, que je ne suis pas de ce siècle, et je n'aurais pu le dire mieux. Ah ! certes, non, je n'en suis pas ! [...] Il est possible que ma situation, uniformément épouvantable depuis treize ans, soit modifiée par votre article. Mais combien il aura fallu souffrir ! » 

Trois ans plus tard, l’anti-dreyfusard Bloy dédiera au dreyfusard Mirbeau son pamphlet Je m’accuse : « À Octave Mirbeau, contempteur célèbre des faux artistes, des faux grands hommes et des faux bonshommes ». Mais cette dédicace apparemment élogieuse est en réalité ironique, comme Léon Bloy l’explique à un sien ami, Paul Jury, le 26 mars 1902 : « Personne n’est plus indigné que moi de l’impiété de Mirbeau, auteur de quelques livres absolument criminels. Cette impiété furieuse, entretenue et exaspérée par une espèce de rage contre le sixième commandement, a pris à son service – en la payant excessivement cher – une milice ou garde varangienne des lieux communs les plus invincibles de l’anticléricalisme le plus ignare et le plus fangeux. / Mais l’homme est un animal compliqué. Celui-là, dévoyé autant qu’il se peut, ne manque pourtant pas d’une certaine générosité, et il a parfois, en matière d’art, une clairvoyance magnanime. / À l’apparition de La Femme pauvre, ce journaliste célèbre, que je n’avais jamais vu ni imploré, fit un article enthousiaste et l’imposa au Journal, où je suis détesté. Cet article ne fit pas le succès du livre, et c’est une bizarrerie ajoutée à tant d’autres, car ledit article était une charge de cavalerie à fond, exécutée avec la plus éclatante bravoure, et qui devait, semble-t-il, écraser toutes les résistances. [...] / Après cela, gardez-vous bien de croire que la dédicace qui vous étonne ait été un effet de ma gratitude. / Au contraire. C’est la plus cinglante et la plus féroce ironie. »

 P. M.

 

   Bibliographie : Pierre Michel, in Correspondance générale de Mirbeau, L’Age d’Homme, 2009, t. III, pp. 303-309 ; Anne-Cécile Thoby, « Sous le signe de Caïn – Les moblots de Léon Bloy et d’Octave Mirbeau », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 2000, pp. 86-99 (http://start5g.ovh.net/~mirbeau/darticlesfrancais/Thoby-cain.pdf) ; Émile Van Balberghe,  « “Comme une goutte d’encre trop lourde”. Une dédicace de Léon Bloy à Mirbeau », La Presse littéraire, hors série n° 3, mars-mai 2007, pp. 135-136.

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