Thèmes et interprétations

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Terme
SAVANTS

Le jugement de Mirbeau sur les savants est ambivalent. D’un côté, en tant que matérialiste et héritier des Lumières, attaché à la méthode scientifique, parce qu’elle est la seule capable de faire progresser la compréhension des lois de na nature, force lui est de voir dans le savant le dépositaire des connaissances scientifiques et le responsable du progrès des lumières. Aussi a-t-il tendance à attendre d’eux monts et merveilles, se gorge-t-il de littérature scientifique et s’enthousiasme-t-il devant des réalisations révolutionnaires telles que la « fée électricité » ou l’automobile. Mais, d’un autre côté, il ne cesse de manifester la plus grande méfiance à l’égard de nombreux savants, dont il donne le plus souvent une image peu flatteuse. Pourquoi ?

* Soit parce qu’il s’agit de faux savants, à l’instar du Dr Triceps de L'Épidémie (1898) et des 21 jours d’un neurasthénique (1901), partisan acritique des thèses de Lombroso, sociobiologiques avant la lettre, qu’il croit démontrer par des expériences absurdes qui se retournent contre elles, ou d’Édouard Legrel, dans Dingo (1913), à qui ses « beaux et hardis travaux sur la myologie de l’araignée » ont valu une célébrité mondiale, bien que Mirbeau-personnage n’ait pas la moindre idée de leur nature, de leur beauté ni de leur hardiesse.

* Soit parce qu’ils abusent de leur pouvoir pour imposer à leurs contemporains une idéologie plus que suspecte, à l’instar de Cesare Lombroso (voir la notice) et, plus généralement, des scientistes, que Mirbeau cloue au pilorie d’infamie : ils constituent, à ses yeux, une caste privilégiée au service des nouveaux maîtres du monde et tendent à faire de la science un nouvel opium du peuple, succédané des anciennes religions.

* Soit parce qu’en toute inconscience ils ne se soucient nullement des effets à long terme, souvent dévastateurs, des applications de leurs découvertes, qui pourraient très fort bien menacer l’équilibre écologique et détruire la planète (voir par exemple « Nocturne », Le Journal, 19 juillet 1900, et « Questions sociales », Le Journal, 18 février 1900).

* Soit enfin, parce que, en dépit de leur méthode réputée scientifique, ils peuvent fort bien faire preuve d’une désarmante naïveté, comme Mirbeau le confie à Georges Meunier, en 1911 : « Un savant ou prétendu tel est presque toujours un être étrangement naïf, extraordinairement gobeur, et singulièrement empressé à prendre des vessies pour des lanternes. Totalement dépourvu d’imagination, le savant n’en est pourtant pas moins le plus grand chevaucheur de chimères que je connaisse. Toute sa science se réduit à un certain nombre d’hypothèses plus ou moins ingénieuses et dont quelques-unes feraient rire à se tordre un enfant de dix ans. [...] J’ai découvert, dans des ouvrages “scientifiques” écrits par des hommes qui passent  pour de très grands savants, des propositions qui, pour être formulées en des termes fort graves, atteignent cependant les plus hauts sommets du comique. »

Si la science progresse, c’est bien grâce aux savants, que Mirbeau admire vivement pour cela. Mais, pour lui, c’est aussi en dépit de l’obstacle que constituent les savants eux-mêmes, avec leurs faiblesses et leurs contradictions.

Voir aussi les notices Matérialisme, Scientisme, Médecins, Écologie et Lombroso. 

P. M.

 

Bibliographie : Georges Meunier, Ce qu'ils pensent du merveilleux, Albin Michel, 1911, pp. 255-266 ; Pierre Michel, « Mirbeau et le concept de modernité », Cahiers Octave Mirbeau, n° 8, 2001,  pp. 11-32.

 


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