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Terme
BAUDELAIRE, charles

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867), célèbre poète et critique d’art, qui a fait la transition entre le romantisme et le symbolisme et qui a exercé une influence considérable sur tout le deuxième dix-neuvième siècle, non seulement sur toute la génération de poètes symbolistes et décadents, qui s’est réclamée de lui, mais aussi sur des écrivains matérialistes tels que Mirbeau, qui l’admirait vivement et a fait siens les principes de sa critique d’art. Publié en 1857, son recueil de poèmes, au titre provocateur autant que programmatique, Les Fleurs du mal, lui valut d’être condamné par la “Justice” impériale à une amende et à la suppression de six poèmes jugés contraires à la « morale publique », alors qu’il se réclamait du catholicisme, que sa philosophie sous-jacente était explicitement platonicienne (voir surtout « L’Albatros », « Élévation », « Correspondances » et « La Vie antérieure »),  et que son inspiration était nettement spiritualiste (voir par exemple « La Charogne »). Ses principaux articles de critique artistiques et littéraire sont le Salon de 1846, le Salon de 1859 et L’Art romantique, où il exprime notamment son admiration pour Eugène Delacroix et Constantin Guys, en qui il voit « le peintre de la vie moderne ». Après sa mort prématurée, ont paru les Petits poèmes en prose, connus aussi sous le titre de Le Spleen de Paris. Baudelaire a également traduit et fait connaître en France les Contes fantastiques d’Edgar Poe et Les Aventures d’Arthur Gordon Pym.

Quoique peu porté sur la poésie, Mirbeau a toujours manifesté son admiration pour « le plus profond des poètes », auquel il a notamment voulu rendre hommage en acceptant de faire partie du comité chargé de lui ériger un monument (La Plume, le 15 août 1892). Il fait explicitement référence au Spleen de Paris dans ses Petits poèmes parisiens de 1882 et, dans Le Jardin des supplices (1899), il revisite à sa façon Les Fleurs du mal. Il doit à son grand aîné son analyse du spleen, qu'il appelle « névrose », « mal du siècle » ou « neurasthénie » ; il développe dans toute son œuvre la même conception du plaisir, qui est indissolublement lié à la mort, et dont « le fouet » met en branle le « bétail ahuri des humains » ; il fait siens les objectifs de sa critique d'art – qui, selon Baudelaire, « doit être partiale, passionnée, politique » ; et surtout nombre de ses critères esthétiques dérivent directement des articles recueillis dans L'Art romantique : l'artiste est, pour lui comme pour Baudelaire, « un être d'exception », « privilégié par la qualité de ses jouissances », et qui, au terme d'une douloureuse ascèse, s'arrache aux pesanteurs de son conditionnement socioculturel et « voit, découvre, comprend, dans l'infini frémissement de la vie, des choses que les autres ne verront, ne découvriront, ne comprendront jamais » (« Le Chemin de la croix », Le Figaro, 16 janvier 1888) ; son hypersensibilité, préservée depuis l'enfance, est une source perpétuelle d'« émerveillements » et d' « émotions » – mais aussi de souffrances –, qu'il lui appartient de faire partager par la « magie » des mots, des formes et des couleurs ; au lieu de se contenter de la surface des choses, il pénètre jusqu'à leur « beauté cachée », jusqu'à leur « mystère », leur « âme », leur « essence », par-delà leurs « apparences », et il en révèle les  secrètes analogies (les « correspondances » verticales de Baudelaire) ; l'œuvre d'art est personnelle et subjective et reflète le tempérament de l'artiste, sa vision unique des choses, reconnaissable entre toutes,  c'est « la nature réfléchie par un artiste », de sorte que, selon la formule de Baudelaire, elle « contient à la fois l'objet et le sujet, le monde extérieur à l'artiste et l'artiste lui-même », car, selon Mirbeau, « la Nature n'est visible, elle n'est palpable, elle n'existe réellement qu'autant que nous faisons passer en elle notre personnalité, que nous l'animons, que nous la gonflons de notre passion » (« La Nature et l'art », Le Gaulois, 29 juin 1886) ; l'artiste, qui se sert de la nature comme d'« un dictionnaire », selon la formule baudelairienne, associe dans son œuvre les « matériaux » qu'elle lui fournit et s'emploie à « les mettre en ordre », pour les « faire passer de la nature transitoire dans la convention de l'art éternisé » (« Le Salon du Champ-de-Mars », Le Figaro, 6 mai 1892).

Ce qui est surprenant, dans ces convergences entre Baudelaire et Mirbeau, c'est que leurs présupposés philosophiques sont radicalement opposés : le premier est un idéaliste, un spiritualiste, et se rattache, par-delà Swedenborg, à la tradition platonicienne ; le second, fils des Lumières et voltairien impénitent, est un réaliste, au sens philosophique du terme, et un athée convaincu, qui appelle de ses vœux un enseignement rationaliste et matérialiste, libéré des séquelles du spiritualisme et des « fantômes religieux », poisons mortels pour l'esprit. Il est donc clair que Mirbeau a laïcisé l'esthétique baudelairienne :  quand il parle de « l'essence des choses », il ne se réfère aucunement aux Idées platoniciennes, mais, plus prosaïquement, il veut signifier leur nature profonde, qui échappe aux regards du commun des mortels, dûment crétinisés, et qui, pour être perçue, exige l'œil pénétrant de l'artiste, débarrassé des verres déformants du conditionnement.

P. M.


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