Familles, amis et connaissances

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Terme
ZOLA, émile

ZOLA, Émile (1840-1902), fils unique d’un ingénieur italien Francesco Zola et d’une française Émilie Aubert, écrivain français. Son père mort, il passe une enfance misérable à Aix-en-Provence où il se lie d’amitié avec Paul Cézanne, puis commence à gagner sa vie comme commis à la libraire Hachette. Il y reste quatre ans, le temps d’y apprendre les techniques modernes de la publicité. Après s'être essayé à la poésie, aux contes (qu'il n'abandonnera jamais totalement), et aux romans-feuilletons avec Les Mystères de Marseille (1867), il devient le chef d’école d’un nouveau courant, le naturalisme. Il est l’auteur des Rougon-Macquart, une histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire, composée de vingt volumes et inspirée de La Comédie Humaine de Balzac. À partir d’informations, qu’il recueille grâce à ses amis, et d’enquêtes de terrain, il essaie de dépeindre la société d’une manière exhaustive, en s’inspirant des principes positivistes et scientistes d’Hippolyte Taine et Claude Bernard. Ce premier cycle achevé, il poursuit son œuvre avec Les Trois Villes (Lourdes, 1894 ; Rome, 1896 ; Paris, 1898) et Les Quatre Évangiles (Fécondité, 1899 ; Travail, 1901 ; Vérité, 1903),  que Zola n’a pas eu le temps de mener jusqu’à son terme. En effet, il était en train d’écrire Justice lorsqu’il fut sans doute assassiné.

Parallèlement à son œuvre littérature, il bâtit une œuvre journalistique, donnant de nombreux articles à des journaux aussi différents que Le Petit Journal, L’Événement, Le Figaro, La Cloche, Le Voltaire, La Tribune, etc., dans lesquels il défend ses auteurs de prédilection et les peintres (notamment les Impressionnistes) qu’il aime. Il combat également pour la République laïque contre le Second Empire puis l’Ordre moral de Mac-Mahon. Écrivain reconnu et célébré aussi bien en France qu’à l’étranger, il devient, selon l’expression d’Anatole France, « un moment de la conscience humaine », lorsqu’il prend la défense d’un soldat injustement condamné, Alfred Dreyfus et propose à L’Aurore, le 13 janvier 1898, un article retentissant intitulé J’accuse. Les cendres de Zola ont été transférées au Panthéon le 4 juin 1908.

 

L’admiration de l’élève envers le maître

 

Mirbeau entre en contact avec Zola par l'intermédiaire du groupe de Médan. Il connaissait Paul Alexis, dont il était le voisin, ainsi que Maupassant qu'il fréquentait depuis plusieurs années ; il  avait, par ailleurs, collaboré avec Léon Hennique à L'Ordre de Dugué de la Fauconnerie. Il n'est donc pas étonnant de le retrouver, au côté de Huymans, Céard, Hennique, Alexis et Maupassant, le 16 avril 1877, au célèbre dîner chez Trapp, au cours duquel Flaubert, Zola et Goncourt sont salués comme les maîtres de la littérature moderne par les «jeunes» naturalistes. Cette participation ne vaut pas adhésion. Certes, les vingt mois passés à Foix comme chef du cabinet du préfet de l'Ariège, puis comme rédacteur en chef de L'Ariégeois,  expliquent en partie les réticences de Mirbeau vis-à-vis du nouveau mouvement littéraire, mais les raisons sont plus profondes : Mirbeau refuse l'embrigadement et a du mal à se soumettre à l'autorité d'un chef, fût-il celui d’une école artistique ; il éprouve également des réticences à se plier aux principes naturalistes, ne supportant pas la prétendue objectivité ni le goût pour la science du Maître de Médan.

Reste que, si Mirbeau se détourne d'un naturalisme qu'il juge étriqué, il éprouve une grande admiration pour Zola. Il apprécie notamment chez lui une capacité à effrayer le bourgeois, à secouer les idées toutes faites, à ouvrir de nouveaux horizons, à poursuite son chemin alors que la foule des bien-pensants ne cesse de lui chercher chicane. C'est pourquoi, il écrit deux articles successifs, l'un dans La France du 27 octobre 1885, l'autre dans Le Matin du 6 novembre 1885, dans lesquels il prend la défense de l'écrivain et de son œuvre. Le ton y est passionné, emporté. Faut-il dès lors parler d'une amitié entre les deux hommes ? Le terme serait sans doute excessif, tant il y a d'agacements réciproques, une conception si différente de l'écriture qu'elle crée des dissensions, voire des antagonistes.

 

La rupture

 

La fin des années 80 marque un tournant : Mirbeau devient plus virulent dans ses critiques ; il attaque d'abord l'adaptation théâtrale de La Curée qui, selon lui, ne se démarque en rien des goûts de l'époque, avant de faire un sort à La Terre, l’étude d’une famille de paysans, les Fouan, et de la Beauce. Mauvaise enquête (six jours dans la Beauce), mauvais livre, mauvaise représentation du monde agricole : rien ne trouve grâce aux yeux de celui qui, pour avoir placé la nature au cœur de son œuvre, ne supporte pas que le travailleur agricole soit réduit à une caricature (« Le Paysan »,  Le Figaro, 21 septembre 1887). Même s'il ne va pas jusqu'à signer Le Manifeste des Cinq, véritable brûlot rédigé par Rosny, Descaves, Bonnetain, Guiches et Marguerite, où se mêlent commentaires littéraires et attaque ad hominem, il en approuve un certain nombre de remarques. La sortie de Germinal, en 1885, lui permet de préciser ses griefs : « Il est regrettable seulement que ce puissant artiste qu’est Zola ne puisse se débarrasser de certains partis pris enfantins qui déparent souvent ses livres et rompent désagréablement l’harmonie d’une œuvre, sans la nécessité pour la couleur et pour le dessin. Je n’ai point de répugnance pour le mot cru. Je prétends au contraire qu’il faut savoir ne pas reculer devant lui, quand il est nécessaire à l’effet. Cela est l’affaire de valeur, disent les peintres, de tact littéraire, dirait un gendelettre. Mais on ne doit l’employer qu’à bon escient, et sans qu’il déborde sur le reste ». Puis il ajoute, vachard : « M. Zola l’étale avec une sorte de complaisance agaçante ; il y revient avec persistance, comme s’il éprouvait une joie d’enfant à défier le “bégueulisme” bourgeois, à envoyer des pieds de nez à ses pudeurs qui s’effarouchent. Le mot cru finit par emplir le livre ; on ne voit que lui, on ne sent plus que son odeur. Il gâte le plaisir et fige l’admiration ; pourquoi Zola, qui est un maître et un grand esprit, ne laisse-t-il pas ces procédés démodés à l’insatiable naturalisme des Trublots, qui barbotent toute leur vie dans la crotte ? Le naturalisme n’a, jusqu’ici, produit que M. Paul Alexis et M. Henry Céard – de quoi, j’imagine, il n’y a point lieu de se vanter ». (La France, 11 mars 1885).

La charge est violente et le sera encore plus lorsque Zola acceptera la Légion d'Honneur et qu'il postulera – dix fois, sans succès ! – à l'Académie française. Incapable de comprendre combien le besoin de reconnaissance est grand chez un fils d'émigré italien ruiné, Mirbeau reproche à son confrère de perdre son âme en agissant ainsi. Comment l'auteur de L'Assommoir peut-il recevoir une médaille du Pouvoir sans aliéner sa liberté ? Comment accepter-il d'entrer dans une institution qui a refusé en d'autres temps Balzac, Flaubert, Stendhal, bref tous les grands noms de la littérature française ? Comment, même, peut-il oublier les propos très durs qu'il a tenus naguère sur la vieille dame du Quai Conti ?  Une lettre adressée à Rosny afin de le féliciter pour Le Termite laisse deviner la rage qui habite Mirbeau à ce moment-là : « Vous n n'avez pas assez montré, il me semble, l'omnipotence raisonneuse de cet orgueilleux, naïf et féroce parvenu. Au fond, Zola – intellectuellement parlant – c'est Sarcey. Un Sarcey geignard et gagateux. Il a dans ses jugements sur toutes choses la même lourdeur et la même infrangible inintelligence, Car ce qu'il y a de mieux à dire sur Zola, c'est qu'il est un parfait imbécile  ».

Et ce n'est pas l'attitude de Zola dans l'affaire Jean Grave qui arrange la situation, En effet, devenu président de la Société des Gens de lettres, il est contraint de poursuivre en justice l'anarchiste pour avoir publié des chroniques et des contes, sans autorisation de leurs auteurs, donnant ainsi l'impression de choisir le camp  des oppresseurs contre celui des opprimés et de défendre les médiocres intérêts de la bourgeoisie contre celui des révoltés.

Mirbeau reproche-t-il à Zola de ne pas lui ressembler ou considère-t-il que le Maître de Médan a renié, parfois, ses convictions de jeunesse ? La dernière hypothèse est la plus vraisemblable : Mirbeau voit dans celui qu'il admirait autrefois un simple parvenu, prêt à défendre la guerre au nom des intérêts de la patrie, capable de se désolidariser des ouvriers de Decazeville en grève ou de mégoter son soutien aux plus grands des artistes. Rodin s'en souviendra quand, en 1902, il refusera de faire la statue de Zola, encore blessé du peu d'empressement de l'écrivain à le défendre au moment où la Société des Gens de lettres (encore elle !) le pressait de finir la statue de Balzac ou de rendre l'argent qui lui avait été versé.

 

L’Affaire Dreyfus

 

Malgré tout, Mirbeau n’a jamais totalement rompu avec l’auteur des Rougon-Macquart ; en dépit des reproches virulents qu’il lui a adressés, il a toujours veillé à garder son objectivité et, une fois ses colères passées, il a toujours trouvé des raisons de le soutenir malgré tout. Dans son premier numéro des Grimaces, le 21 juillet 1883, il salue la représentation de Pot-bouille, au théâtre, trop content de voir la bourgeoisie moquée publiquement. Dans L’Événement du 21 juin 1885, il s’excuse presque de ses emportements : « J'ai vu l'autre jour M. Émile Zola, je lui ai même parlé. Il me paraît fort honnête homme et je regrette d'avoir dit du mal de lui avec des académiciens. Un académicien, en effet, n'aurait pas jugé plus sévèrement les jeunes romanciers, leurs tendances et leurs prétentions ». Il conclut en des termes, on ne peut plus amènes : « Puisque vous n'êtes pas content de nous, nous tâcherons d'apprendre chez vous ce qu'il faut faire... pour ne pas se pendre. Vous nous révélerez peut-être aussi le secret de cette disette de talents robustes et sincères. Vous nous direz comment s'étiolent les mieux doués, comment se recrute l'armée croissante des médiocres. Enfin vous nous montrerez comme on faisait de votre temps, pour que nous sachions décidément si nous devons vous imiter...ou faire tout le contraire ».

Mais c’est Dreyfus qui va  réconcilier totalement les deux hommes. De fait, l'Affaire bouleverse le pays, coupe les familles en deux, lève des Français contre des Français. Les amis deviennent des ennemis quand, de leurs côtés d'anciens ennemis se retrouvent dans un combat commun. C’est le cas de Mirbeau et Zola qui, animés d’une même détestation de l’injustice, décident de prendre fait et cause pour l’innocent. Le changement d'humeur entre les deux est déjà perceptible durant l'année 1896 : Mirbeau retrouve chez son aîné l'esprit batailleur qu'il avait apprécié en d’autres temps. Il aime en particulier les articles qui, adressés aux lecteurs du Figaro, fustigent l'antisémitisme ou l'attitude trop servile de la presse. Lorsque la lutte se fait plus vive et que la vie de Zola et des siens est menacée, il se place résolument aux côtés du « cher homme ». Pour cela, il écrit, pétitionne, fait le garde du corps quand Zola doit se rendre aux tribunaux sous les cris hostiles des antidreyfusard, et va jusqu’à le soutenir financièrement. Rappelons, en effet, que 18 juillet 1898, Zola, après avoir quitté le tribunal, est condamné en appel à un an de prison et 3 000 francs d’amende. Le soir même, sur les conseils de ses amis qui considéraient que, stratégiquement, l’exil était préférable à la prison, il prend le train pour Londres où il reste caché sous des noms d’emprunt durant presque un an. Dès le 8 août, Mirbeau, pour éviter la saisie des biens de Zola, se rendit à Versailles afin de payer, de sa poche, au  percepteur de Seine-et-Oise, les 3 000 francs augmentés de frais énormes, soit 7 555,25 francs (50 000 euros environ, en équivalent constant). Nul ne sait s’il a été remboursé. Début 1899, il se rend également en Angleterre pour remonter le moral l’exilé, sans jamais oublier, en France, de s’occuper d’Alexandrine, l'épouse légitime.

La mort de Zola, le 29 septembre 1902, - certains indices laissent penser qu'il s'agit d'un assassinat - n’interrompt pas cette amitié. Au-delà de la mort, Mirbeau continue à rendre hommage à l’auteur de J’accuse : il met en place, au sein d’un comité, le pèlerinage de Médan et se fait un devoir, le 6 octobre 1912, en dépit de ses forces déclinantes, de rendre un ultime à hommage à son frère de combat.  

Y. L.

 

Bibliographie : Céline Beaudet, « Zola et Mirbeau face à l’anarchie – Utopie et propagande par le fait », Cahiers Octave Mirbeau, n° 17, 2010, pp. 147-156 Yannick Lemarié, « Jules Dervelle et Ovide Faujas :: deux curés en enfer », Cahiers Octave Mirbeau, n° 6, 1999, pp. 100-121 ; Pierre Michel, et Jean-François Nivet, « Lettres d’Octave Mirbeau à Émile Zola », Cahiers naturalistes, n° 64, 1990, pp. 7-34 ; Pierre Michel, « Mirbeau et Zola : entre mépris et vénération », Cahiers naturalistes, n° 64, 1990, pp. 47-77 ;  Pierre Michel, « Octave Mirbeau et Émile Zola : de nouveaux documents », Cahiers Octave Mirbeau, n° 1, 1994, pp. 140-170 ; Pierre Michel, « Octave Mirbeau et le paiement de l'amende de Zola pour J'accuse », Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 211-214 .


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