Thèmes et interprétations

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Terme
NATURALISME

I- Le naturalisme


Si le naturalisme est indissociable de Zola, il n’en est pas moins vrai qu’il ne peut se réduire au travail du romancier et qu’au-delà d’une œuvre au rayonnement sans pareil, il existe quelques caractéristiques qu’il convient de rappeler avant tout autre chose. Pour cela, partons d’une remarque de l’auteur du cycle des Rougon-Macquart : « Mon credo est que le naturalisme, j’entends le retour à la nature, l’esprit scientifique porté dans toutes nos connaissances, est l’agent du dix-neuvième siècle ». Pour être brève, la formule donne déjà des pistes de réflexions et permet de mettre en place une définition dans laquelle figurent les renseignements suivants :

 

1. Le naturalisme est un état d’esprit, celui d’une époque nourrie des idées du philosophe positiviste Auguste Comte (1798-1857), de Charles Darwin (1809-1882), du médecin Claude Bernard (1813-1878) et surtout de l’historien Hippolyte Taine (1828-1893). Partant du principe que chaque fait historique dépend de trois conditions – le milieu, la race et le moment –, Taine tente d’appliquer aux sciences humaines non seulement les idées de Comte, mais également une méthode expérimentale inspirée des travaux de Claude Bernard, dont Zola fera le principe même de son œuvre. Dès Thérèse Raquin (1867), le romancier pose, en effet, un regard de scientifique sur ses personnages afin de mettre en lumière les lois qui régissent leurs comportements. Avec le cycle des Rougon-Macquart, il porte cette technique à son plus haut point, allant jusqu’à enquêter lui-même sur le terrain pour relever le détail vrai capable d’ancrer le récit dans la réalité.

 

2. Le naturalisme est une filiation. Les écrivains naturalistes n’ont cessé de se réclamer de quelques pères qui les ont précédés, notamment Balzac et Flaubert. Chez le premier, ils admirent la capacité à rendre compte d’une société tout en prenant en compte les milieux et les passions ; chez le second, ils aiment le souci du détail et le style, comme le prouve le commentaire de Zola dans un article paru dans Le petit Corneille (date inconnue) : « Gustave Flaubert a le travail d'un bénédictin. Il ne procède que sur des notes précises, dont il a pu lui-même vérifier l'exactitude. S'il s'agit d'une recherche dans des ouvrages spéciaux, il se condamne à fréquenter pendant des semaines les bibliothèques jusqu'à ce qu'il ait trouvé le renseignement désiré. Pour écrire, par exemple, dix pages, l'épisode d'un roman où il mettra en scène des personnages s'occupant d'agriculture, il ne reculera pas devant l'ennui de lire vingt, trente volumes traitant de la matière ; et il ira en outre interroger des hommes compétents, il poussera les choses jusqu'à visiter des champs en culture, pour n'aborder son épisode qu'en connaissance de cause. S'il s'agit d'une description, il se rendra sur les lieux, il y vivra. » Un peu plus loin, il évoque la sobriété du style. Pour être complet, il faudrait ajouter à ce duo majeur, d’autres noms : Stendhal, dont « l’analyse sèche et vive » assure le passage entre le XVIIIe et le XIXe, et les frères Goncourt, précurseurs d’un art nouveau, en dépit de quelques préciosités assez peu compatibles avec le strict respect du contrat mimétique.

 

3. Le naturalisme est un combat. Alors qu’il tente de définir la nouvelle école, dans un article que Le Figaro publie dans son numéro du 17 janvier 1881, Zola fait remonter  le naturalisme au XVIIIe siècle. Il y oppose le panthéiste Rousseau, dont Chateaubriand et Victor Hugo seraient les héritiers, au positiviste de Diderot, lointain ancêtre des naturalistes. Ainsi, dès le début, le naturalisme doit-il se battre pour s’imposer. La suite ne fait que conforter cette hypothèse puisque, pendant toute la vie de Zola, les naturalistes devront se défendre contre ceux qui assimilent leur œuvre à de la pornographie ou à de la littérature de caniveau. Parmi tous les contempteurs du naturalisme, Louis Ulbach (sous le pseudonyme de Ferragus) se fera le plus virulent dans son compte rendu de Thérèse Raquin, simplement intitulé : « Littérature putride » ( 23 janvier 1868, Le Figaro) : « Ce livre résume trop fidèlement toutes les putridités de la littérature contemporaine pour ne pas soulever un peu de colère. Je n’aurais rien dit d’une fantaisie individuelle, mais à cause de la contagion il y va de toutes nos lectures. Forçons les romanciers à prouver leur talent autrement que par des emprunts aux tribunaux et à la voirie ».

 

4. Le naturalisme a des moments forts. Trois dates-charnières (naissance, maturité, contestation) vont permettre de donner une cohérence à une histoire en grande partie chaotique :

·         16 avril 1877, le « dîner chez Trapp ». Alors qu’il existait déjà des repas au cours desquels se réunissait les adeptes d’un même mouvement, le dîner chez Trapp devient un phénomène non seulement littéraire, mais également médiatique, à tel point que les journaux de l’époque (en particulier La République des lettres) se sont empressés de le commenter ou de donner le célèbre menu : « potage purée Bovary, truite saumonée à la fille Elisa, poulardes truffée à la Saint-Antoine, artichauts au Cœur simple, parfait naturaliste, vin de Coupeau, liqueur de L’Assommoir ». Le dîner permet, auprès du grand public, d’acter la naissance d’un mouvement qui existait déjà.

·         1880 : durant cette seule année, Zola, Maupassant, Huysmans, Céard, Hennique et Alexis, proposent un recueil de nouvelles, Les Soirées de Médan. Au milieu de tensions déjà perceptibles dans le groupe naturaliste, le recueil est l’occasion de présenter une image unie, de répondre à la critique hostile et de défendre des tendances littéraires.

·         1887 : « Le Manifeste des cinq ». Alors que Zola, devenu le chef de file du courant naturaliste bien qu’il s’en défende (« Je ne conduis rien du tout », lettre à Mirbeau, 15 mars 1885), se retire de plus en plus à Médan pour travailler en solitaire, cinq disciples (J.-H. Rosny, Bonnetain, Descaves, Guiches, Margueritte) produisent un brûlot contre Zola et son roman La Terre, lui reprochant d’être tombé dans le cliché et l’obscénité. Même si l’événement n’a pas la portée qu’on lui attribue aujourd’hui, il marque une évolution dans le mouvement. Beaucoup ont, semble-t-il, hâte de se débarrasser de l’encombrante personnalité de Zola pour enfin exister.

 

5. Le naturalisme et les principes. En dépit de l’éclatement du groupe, il est possible de repérer quelques grands principes sur lesquels s’appuient les romans naturalistes. Les écrivains éprouvent d’abord le besoin de se renseigner, grâce à des lectures, des enquêtes sur le terrain, des interviews. Tout roman part d’une information rigoureuse.  Puis, les romanciers établissent une analyse serrée des milieux, analyse dont la rigueur importe peu pourvu que le regard soit sociologique ou ethnologique. Trois types sociaux sont privilégiés : l’artiste – dont le statut commence à changer dans la civilisation industrielle et marchande – ; les prostituées et les militaires, témoins privilégiés des turpitudes ou des violences sociales et inscrits, plus que tous les autres, dans le cycle de la vie (du sexe) et de la mort. Il ne reste plus alors, au moment de l’écriture, qu’à privilégier le détail vrai (dans les faits et dans la langue) et à accorder une place prépondérante à la description afin de donner l’illusion de la réalité objective. Ces principes sont présentés dans quelques textes fondateurs, préfaces ou romans : Germinie Lacerteux (1864, des frères Goncourt), Thérèse Raquin (1867, Zola), Le Roman expérimental (1879, Zola), préface de L’Assommoir (1880, Zola), L’Éducation sentimentale (1869, Flaubert). 

 

6. Le naturalisme est un ton. Il est profondément pessimiste, tragique, imprégné par les idées de Schopenhauer. Les héros – dont Emma Bovary- est la figure tutélaire et emblématique – n’ont rien à attendre de la vie et, s’ils réussissent malgré tout à sortir de leur milieu, ils sont constamment menacés par la chute.

 

7. Le naturalisme est un nom. Avant de s’accorder sur ce terme, les propositions ont été nombreuses : Edmond de Goncourt préférait naturisme, Huysmans favorisait intimisme, Maupassant s’en tenait à réalisme ou proposait illusionnisme, Louis Desprez, auteur de la première synthèse sur le mouvement, retenait impressionnisme. Flaubert ne voulait rien. Restait Zola : grâce à sa force de persuasion et sa parfaite connaissance du marché publicitaire (« je le répète un beau jour à satiété il est vrai, et voilà que tous les plaisantins de la presse qui le trouvent drôle et qui éclatent de rire »), il imposa naturalisme

 

II- Mirbeau et le naturalisme

 

Mirbeau a été un temps considéré comme un disciple de Zola, d’abord à cause de sa présence au célèbre dîner chez Trapp où de jeunes écrivains rendaient hommage à leurs maîtres, Flaubert et Zola. Il a, par ailleurs, choisi des personnages (la bonne, l’ouvrier, le prêtre), des thèmes (la prostitution, le renouvellement continu de la vie, le viol…), des lieux que les écrivains naturalistes ont contribué à populariser. Ainsi certains contes mirbelliens qui mettent en scène des paysans de Normandie, sont-ils assez proches, par leur esprit et leur composition, de ceux de Maupassant. Les romans quant à eux ne sont pas sans rappeler, par quelques aspects, les grandes œuvres de Zola : l’abbé Jules ressemble par exemple à l’abbé Faujas de La Conquête de Plassans ; La Belle Madame le Vassart, roman publié sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, reprend les grandes lignes de La Curée.

Toutefois, l’assimilation est hâtive et met de côté nombre de commentaires de Mirbeau lui-même contre ce mouvement. Les reproches qu’il fait sont de plusieurs ordres :


1. D’abord, Mirbeau refuse tout embrigadement. Alors qu’il ne cesse, dans ses œuvres, de critiquer les forces oppressives de la famille, de l’Église et de l’armée, on voit mal comment il pourrait accepter de se conformer à un dogme, fût-il littéraire, ou à un maître, fût-il celui de Médan.


2. Plus important, Mirbeau ne croit pas à la méthode expérimentale. Selon lui, les romanciers naturalistes privilégient le détail au détriment de l’ensemble et, tels des entomologistes froids, ils découpent le réel au point d’en faire une matière morte. Dans « Émile Zola et le naturalisme » (La France, 11 mars 1885), il ne mâche d’ailleurs pas ses mots : « Lécheurs de détail, ils n’écrivent pas autrement que ne peignent les artistes myopes, comme Meissonier et Detaille, pour lesquels, dans leurs théories et leurs critiques, ils professent le plus grand mépris. Leurs œuvres, aussi froides, aussi décolorées, aussi mortes que celles de ces micro-peintres, n’ont aucun accent d’humanité. Impuissants à rendre l’âme des choses, c’est à peine s’ils en expriment le geste. Pauvres esprits aveugles et sans idéal, qui reprochent au romantisme sa vie exorbitante et démesurée, et qui tentent de le remplacer par l’immobilité de la mort ! »  En fait, pour Mirbeau, il n’y a pas de vérité objective. Il préfère, au contraire, accorder une prépondérance à la subjectivité. Dans son œuvre, le narrateur ou les personnages ne voient le monde qu’à travers ce qu’ils ressentent, à un moment donné, quitte à le transformer, le triturer, le transformer, le rendre épique ou dérisoire, selon les circonstances et les émotions du moment.


3. Si les naturalistes prétendent donner une explication aux phénomènes, Mirbeau, en véritable précurseur de Camus, part du principe que le monde est absurde et que rien ne le justifie. L’homme lui-même, dominé par des pulsions inconscientes, reste largement énigmatique. Vouloir ramener toutes choses à des déterminismes simples, réduire l'homme à des mécanismes élémentaires, c'est nier la complexité de la vie, mutiler l'âme humaine et, in fine, proposer, au nom de la science, une vision mensongère de la réalité.


4. La Nature ne peut se réduire à un milieu ni à ce qu’en dit le naturalisme. Dans « Le Paysan »,  paru le mercredi 21 septembre 1887, dans Le Gaulois, Mirbeau insiste : « Car, devant l’énorme, l’infini frémissement de la vie universelle, que savons-nous ? Qu’avons-nous pénétré avec la faiblesse de nos organes et l’action limitée de notre système nerveux ? Rien ou peu de choses, puisqu’il nous suffit de causer, pendant une heure, avec une poule, pour que toutes les conquêtes de la science s’en aillent en déroute, et que s’offrent à nos méditations impuissantes une quantité effroyables de problèmes dont la solution n’est point de ce monde ».


5. Alors que le romancier naturaliste confie à ses personnages trois fonctions – logique, rhétorique et idéologique –, qui le réduisent parfois à une simple mécanique, Mirbeau fait de ses personnages des êtres de chair capables de réactions, de pensées, d’attitudes, de désirs contradictoires. Loin d’être conçus pour introduire l’information, dévoiler le réel ou illustrer une tare, l’abbé Jules, Sébastien Roch, Jean Mintié, Célestine se contentent de vivre leur vie, même si elle peut sembler incohérente aux yeux d’un lecteur tout entier soumis au culte de la raison et de la méthode expérimentale.  Pour le dire brièvement, Mirbeau se détourne de l’analyse psychologisante, telle que la pratique Bourget, et reconnaît à ses créatures une grande part de mystère.


6. Pour Mirbeau, l’écriture ne peut ni rendre compte de la totalité de la réalité ni maîtriser parfaitement le chaos extérieur. Par conséquent, l’écrivain n’hésite pas à briser les codes linguistiques. Pour commencer, il morcelle la phrase et use de la ponctuation, notamment des points de suspension, comme autant de coups de scalpel dans la chair du texte. Ceci fait, il s’affranchit des règles de la composition. Là où les naturalistes établissent des plans, il laisse libre cours à son inventivité, sans craindre d’embrouiller la chronologie, de s’exonérer de la vraisemblance ou d’interrompre le récit alors que toutes les questions qu’il a soulevées n’ont pas encore trouvé de réponses.

 

Y. L.

 

Bibliographie : Baguley, David, Le Naturalisme et ses genres, Nathan, 1995 ; Pagès, Alain, Le Naturalisme, PUF, 1989 ; Michel, Pierre, Octave Mirbeau et le roman, Société Octave Mirbeau ; Pagès, Alain, et Jouve, Vincent (dir.), Les Lieux du réalisme, Éditions L’improviste/Presses Sorbonne nouvelle, 2005 ; Michel, Pierre, Octave Mirbeau et le roman, Société Octave Mirbeau, 2005 ; Mirbeau, Octave, « Émile Zola et le naturalisme » (La France, 11 mars 1885 ; Ziegler, Robert, «  La naturalisme comme paranoïa chez Mirbeau », .French Forum, printemps 2002, vol. 27, n° 2, pp. 49-60.


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