Pays et villes

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Terme
PARIS

L’ambivalence de Paris

 

Bien qu’il ait passé toute sa jeunesse dans le Perche et à Vannes, et bien qu’il ait à maintes reprises séjourné en province (Audierne, Noirmoutier, Laigle, Auray, Les Damps, la Côte d’Azur) ou dans la grande banlieue (Carrières-sous-Poisy, Cormeilles-en-Vexin, Triel-sur-Seine), c’est tout de même à Paris que Mirbeau a habité le plus longtemps et a occupé le plus de logements. Pour un jeune homme ambitieux comme l’était le jeune Octave, Paris est la ville phare, où sont concentrés les grands journaux, les théâtres, les maisons d’édition et les administrations, alors que la province apparaît comme un désert culturel où l’on ne peut que se morfondre : « Je comprenais que Paris seul, qui m’avait tant effrayé jadis, pouvait fournir un aliment aux ambitions encore incertaines dont j’étais tourmenté », écrit son double Jean Mintié, dans Le Calvaire (1886). Pour un jeune homme ardent, doté d’un fort « tempérament » et sexuellement frustré dans son cercueil notarial de Rémalard, Paris, la « Babylone moderne » vitupérée par les tenants de la morale chrétienne et les petits-bourgeois frileux de la lointaine province, est aussi la ville de toutes les tentations, de tous les plaisirs, de tous les péchés, et c’est évidemment de Paris que rêve le saute-ruisseau rémalardais, et c’est à Paris qu’il compte bien jeter sa gourme et s’émanciper, comme en témoignent d’abondance ses Lettres à Alfred Bansard des Bois. Pour Jean Mintié aussi, Paris « offrait, à chaque pas, des joies si faciles à prendre et si douces à savourer » et il y cherchait – en vain – l’apaisement et l’oubli : « Dans la foule, dans le bruit, dans cette hâte fiévreuse de l’existence de plaisir, j’espérais trouver un oubli, un engourdissement, dompter les révoltes de mon esprit, faire taire le passé dont j’entendais, au fond de mon être, la voix gémir et pleurer. »

Mais Paris c’est aussi le bruit insupportable, la saleté sordide, la foule grossière, la domestication et l’abâtardissement de la nature, le mouvement  frénétique, les lieux de plaisir qui sont comme des antres infernaux, et la fréquentation obligée de tous les sépulcres blanchis que vomit le « Don Juan de l’Idéal » qu’était Mirbeau, selon la forte expression de Georges Rodenbach. Comme Jean Mintié, qui s’y sent étranger et en est rebuté, il pourrait dire : « Très souvent, je me demande ce que je fais là, en ce milieu qui n’est pas le mien, où l’on n’a de respect que pour le succès, si charlatanesque qu’il soit ; que pour l’argent, de quelques sentines qu’il vienne ; où chaque parole dite m’est une blessure dans ce que j’aime le mieux, dans ce que j’admire le plus… » Bref, chaque fois qu’il se retrouve à Paris, Mirbeau ne songe plus qu’à se retirer à la campagne, loin de l’agitation stérile et des hommes dénaturés et corrompus, pour se retremper au sein de la nature, rester des heures en contemplation devant les fleurs et causer avec des hommes dont il admire le courage, tels les marins bretons, ou dont la misère le bouleverse, tels les chaussonniers de Pont-de-l’Arche, même si la passivité des uns et l’imprégnation religieuse des autres suscitent chez lui bien des réserves et alimentent l’inspiration du conteur et du romancier.

 

Résidences parisiennes

 

Le jeune Mirbeau est venu à Paris pour la première fois en 1867 et y a admiré les merveilles de l’exposition universelle. Il est retourné s’y fixer vers la fin de 1872, quand il y a suivi son nouveau patron, Dugué de la Fauconnerie, puis de nouveau fin 1878, après la parenthèse ariégeoise. Il y a habité successivement : rue de Laval, dans les années 1870 ; au 14 de la rue de Lincoln, près des Champs-Élysées, en 1885 ; square du Ranelagh, d’où le bruit le fait fuir au plus vite, en 1888 ; à Levallois, dans un immeuble appartenant à sa femme Alice, en 1889, avant de fuir de nouveau vers la campagne, aux Damps ; puis, en 1896, dans un « pied-au-ciel », comme dit Alice, sis au 42 avenue de l’Alma, où il organise des réceptions intimes le samedi, tout en conservant sa résidence de Carrières-sous-Poissy ; dans un bel immeuble bourgeois du 3 boulevard Delessert, proche du Trocadéro, à partir de 1897 (c’est là qu’il réside pendant l’affaire Dreyfus et tout au long de l’exposition universelle de 1900) ; puis dans un appartement de très grand standing, beaucoup plus calme, qu’il loue fort cher à la baronne von Zuylen, au 64 – devenu 84 – de l’avenue du Bois (aujourd’hui Avenue Foch), de novembre 1901 à 1909 ; et enfin, pendant la guerre, pour y mourir, au 1 de la rue Beaujon, à proximité de son médecin traitant, le professeur Albert Robin.

 

L’inspiration parisienne

 

Pendant ses premières années de vie parisienne et de contributions journalistiques, Mirbeau a essayé de se faire l’ethnographe de la vie parisienne : en 1880, dans Paris déshabillé, dont le titre indique clairement l’intention de dévoiler ce qu’il y a derrière l’apparence superficielle des êtres et des choses ; en 1880-1881, dans ses « Journée parisienne » du Gaulois, signée du pseudonyme collectif Tout-Paris, et dont bon nombre  visaient à faire découvrir à un lectorat mondain des aspects ou des quartiers de Paris qui lui étaient généralement inconnus ; en 1882, dans ses Petits poèmes parisiens du Gaulois, signés Gardéniac et placés sous l’évident patronage de Baudelaire, où la ville est le seul point commun à des textes relevant d’inspirations et de genres différents  ; dans un recueil de nouvelles tel que Noces parisiennes, paru en 1883 sous le pseudonyme d’Alain Bauquenne, et où, sur le mode cocasse et sous couvert de gaudriole, il ne nous en livre pas moins une vision satirique des milieux huppés  ; dans ses diverses « Chroniques parisiennes » de 1885, dans La France, où il trace un tableau fort critique de la presse vénale, des tripots coupe-bourses et de l’art académique abusivement honoré ; et, en 1886, dans les chapitres III et VI du Calvaire, qui apparaissent une nouvelle fois comme une démythification en règle de la vie parisienne. À quoi il conviendrait d’ajouter, dans un genre évidemment différent, Paris-Midi Paris Minuit, biquotidien d’informations rapides qui n’a duré que trois mois, en 1883, et qui se voulait à l’heure de la mondialisation, mais dont le titre souligne le désir de placer Paris au centre de la toile informative.

Par ailleurs, pour avoir fréquenté le gratin parisien pendant une douzaine d’années, lorsqu’il a été au service de Dugué de la Fauconnerie, puis d’Arthur Meyer, qui y étaient bien introduits, Mirbeau romancier était à même d’en révéler les dessous bien peu ragoûtants et de nous introduire dans les coulisses de ce monde immonde, où la férocité se conjugue à la sottise et à la prétention. Il s’est employé à le « débarbouiller au vitriol », selon la formule d’Élémir Bourges, dans des romans “nègres” comme L’Écuyère (1882), La Maréchale (1883) et La Belle Madame Le Vassart (1884), et, à travers le trou de la serrure et le regard de Célestine, dans plusieurs chapitres du Journal d’une femme de chambre (1900).

Dans les autres romans de Mirbeau, en revanche, Paris est complètement absent, ou n’occupe qu’une place secondaire, voire marginale. Parmi ses pièces, seuls Le Foyer, Scrupules, Le Portefeuille et Interview sont situés à Paris, mais la ville n’y est qu’un cadre.

Voir aussi les notices Petits poèmes parisiens, Noces parisiennes et Paris déshabillé.

P. M.


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